Avant le verbe Avant le verbe, il y avait la

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Avant le verbe
Avant le verbe, il y avait la musique.
La liberté absolue du son qui fait onduler l’air.
Une transmission par des énergies pures qui pénètrent les
corps pour les faire vibrer telles les cordes d’un instrument.
Le poète qui a le mieux habillé la magie de la musique en
paroles est Rainer Maria Rilke, le grand écrivain autrichien qui a
vécu les dernières années de sa vie en Valais.
Dans l’un de ses sonnets à Orphée, il résume à la perfection les
effets du chant sur le monde et les hommes.
Orphée, le seul homme à avoir franchi l’achéron et en être
revenu, est l’incarnation même de la musique et de son pouvoir
transcendant.
Permettez que je vous lise l’un des sonnets à Orphée dans sa
traduction française :
Mais toi, divin Orphée, dont le chant retentit jusqu’au bout,
Alors que t’assaillait l’essaim des Ménades méprisées,
Tu couvris d’ordre leurs cris, toi qui es beau,
Du cœur même des destructrices s’éleva ton jeu enchanteur.
Aucune d’entre elles ne put briser ta tête et ta lyre
Malgré leur fureur ; et toutes les pierres
Tranchantes, qu’elles lançaient contre ton cœur,
Devenaient douceur à ton contact et furent dotées d’écoute.
Assoiffées de vengeance, elles finirent par te briser
Tandis que ton chant s’attardait encore dans les lions et les
rochers
Et dans les arbres et les oiseaux. Là, tu chantes toujours.
O toi, Dieu perdu ! Toi, trace infinie !
Il aura fallu que la haine te déchire et te disperse,
Pour que nous devenions une oreille et une bouche de la
nature.
Qui sont ces ménades méprisées ?
Que représentent-elles ?
Elles symbolisent la matière, l’illusion du réel qui ne supporte
pas le rêve. Elles sont le monde de l’argent, du pouvoir, des
contingences du quotidien, de l’utilitaire.
Orphée méprise cette dictature de la nécessité matérielle, il
refuse d’en être l’esclave.
Son monde a lui, c’est le beau et le noble, c’est ce désir
d’élévation qui rend l’homme meilleur, qui libère son âme et lui
permet de s’envoler vers l’infini.
On peut bien briser Orphée, on peut briser son instrument, mis
pas la musique, car elle est à l’origine de tout.
Le monde est musique.
Le monde est harmonie.
Il émerge du son original, du « Om » des bouddhistes.
Chaque objet sur cette terre a sa fréquence et chante en
silence.
Sous l’effet de la musique d’Orphée, les cris des ménades sont
recouvertes d’un ordre venant d’ailleurs, le chaos qu’elles
tentent d’instaurer se transforme, malgré lui, en harmonie.
Dès lors, la vengeance du réel est terrible. Les forces
destructrices se déchainent et tentent de détruire l’insolent qui
ose remettre en question leur pouvoir absolu.
Orphée ne se bat pas contre elles, il ne répond pas à la
violence par la violence, il ne revêt pas d’armure, il transforme
leurs énergies destructrices en énergies positives.
Les ménades, les furies, les Erynnies ne peuvent rien contre le
pouvoir de la musique.
Leur haine devient amour, et la violence déchainée finit par
écouter le chant infini du Dieu de la musique.
Ne pouvant détruire son chant, les ménades se vengent sur le
corps d’Orphée qu’elles déchirent et répandent dans la nature.
Mais qu’est-ce qu’un corps lorsque le monde entier, les lions,
les rochers, les arbres et les oiseaux continuent à chanter la
gloire du musicien, la gloire du créateur !
Sa trace infinie est inhérente à la création, ineffaçable,
indestructible.
Paradoxe suprême : c’est la haine des ménades, la violence du
monde, la souffrance qui génèrent les plus beaux chants.
Ce sont précisément les forces destructrices, par leur soif de
vengeance, qui génèrent une musique d’un autre monde,
infiniment douce qui permet de transcender leur pouvoir
maléfique.
Comme toujours, le remède est dans le mal lui-même.
Ce remède, cette trace infinie, j’en vois l’expression concentrée
dans cette salle.
Chers choristes, vous allez chanter, faire vibrer l’air, les objets
et les cœurs, car vous êtes les dignes descendants d’Orphée.
Rassemblant les fragments du Dieu de la musique répandus
dans le monde, vos chants recomposeront l’harmonie originale,
ils feront une fois de plus revivre l’esprit d’Orphée.
Des sons envoûtants s’en iront frapper aux portes du ciel,
franchiront l’achéron, ouvriront le paradis des cœurs et
enchanteront l’esprit assoiffé de rêves de vos auditeurs.
En chantant, chers choristes, vous deviendrez la bouche de la
nature évoquée par Rilke, en vous écoutant, nous, les
auditeurs, deviendrons son oreille.
Et maintenant, place à la muse !
Que s’élèvent les cœurs dans la fraternité !
Et que la musique soit belle !
Oskar Freysinger
Conseiller d’Etat
Du aber, Göttlicher, du, bis zuletzt noch Ertöner,
da ihn der Schwarm der verschmähten Mänaden befiel,
hast ihr Geschrei übertönt mit Ordnung, du Schöner,
aus den Zerstörenden stieg dein erbauendes Spiel.
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Keine war da, daß sie Haupt dir und Leier zerstör.
Wie sie auch rangen und rasten, und alle die scharfen
Steine, die sie nach deinem Herzen warfen,
wurden zu Sanftem an dir und begabt mit Gehör.
Schließlich zerschlugen sie dich, von der Rache gehetzt,
während dein Klang noch in Löwen und Felsen verweilte
und in den Bäumen und Vögeln. Dort singst du noch jetzt.
O du verlorener Gott! Du unendliche Spur!
Nur weil dich reißend zuletzt die Feindschaft verteilte,
sind wir die Hörenden jetzt und ein Mund der Natur.[
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