Vendredi 7 Janvier 2011 Semaine n°1 Cours n°5 Valérie et Edwige La souffrance des soignants - - Quelles sont les souffrances que peuvent rencontrer les soignants dans l’accompagnement de fin de vie ? Quelles sont les difficultés d’un tel accompagnement ? La souffrance des soignants naît du décalage entre les attentes et la réalité. 2 facteurs en jeu : o Les pressions extérieures 1. La société : 75 % des malades meurent à l’hôpital Illusion de la toute puissance scientifique, de la médecine miraculeuse Devoir de guérir et faire reculer les frontières de la mort Fantasme inconscient d’immortalité Hôpital = mise en scène de la puissance du pouvoir médical sur la maladie et sur la mort → sentiment d’échec, déception, culpabilité Illusion d’une mort douce, apprivoisée à l’hôpital → sentiment d’insatisfaction et d’impuissance 2. L’institution : Investissement dans des moyens techniques et thérapeutiques de plus en plus sophistiqués Objectifs économiques à respecter (rentabilité, efficacité, réussite) → Restriction des moyens humains, des lieux, des temps → Frustrations au quotidien, sentiments d’insatisfaction, d’autodépréciation, désinvestissement, syndrome de burn out o Les exigences intérieures 1. Les motivations professionnelles : Pourquoi décide t-on de travailler auprès de personnes malades, souffrantes ou mourantes ? On n’est pas soignant par hasard Désir inconscient de se protéger contre la mort 2. Les limites personnelles : Apprendre que soigner ne veut pas dire guérir L’accompagnement de fin de vie confronte le soignant à des sentiments d’échec et d’impuissance → remise en question du sens de son rôle et reconsidération de la notion de soins Réactivation des angoisses de perte, séparation, peur du manque, de deuils… de notre propre angoisse de mort Reconnaître et accepter ses limites affectives, émotionnelles, personnelles Partager ses angoisses, difficultés et émotions en équipe Reconnaître ses limites professionnelles à vouloir à tout prix guérir, à vouloir tout porter (savoir passer le relais) 1 Les mécanismes de défense, de fuite, de distantiation. Mécanismes d’adaptation des soignants - = mécanismes psychiques mis en place, de façon automatique et inconsciente, pour se protéger et s’adapter à une situation trop douloureuse Mécanismes de défense à respecter Réponses actuelles pour colmater ses propres blessures Parvenir à une meilleure relation avec le malade et ne plus fuir devant une situation difficile Admettre de cheminer avec ses forces et ses failles S’ouvrir sur soi-même pour s’ouvrir à l’autre Mieux reconnaître celles du patient Le Mensonge - - Travestir la vérité, en donnant sciemment de fausses informations sur la nature ou la gravité de la maladie Tout dialogue, tout questionnement, toute réplique est impossible En repoussant le temps de la vérité encombrante, le soignant retarde son angoisse, à son propre temps d’adaptation (le soignant doit évoluer aussi dans la maladie du patient). Ex ; pour une leucémie, le soignant parlera d’anémie, pour le cancer du foie, le soignant parlera d’hépatite, cancer du sein, il parlera de kyste Différer l’apparition d’une nécessaire angoisse = pare-excitation (côté adaptatif) ≠ mensonge par omission = révélation graduelle de la vérité La banalisation - Reconnaissance d’une certaine vérité mais celle-ci, partielle et tronquée, se focalisera sur une seule partie du sujet en souffrance Ceci revient à traiter une maladie avant de traiter le malade Le soignant s’enferme dans un registre essentiellement concret (sur les besoins vitaux), ne prends pas en charge l’aspect psychologique. Méconnaissance de ce qui peut être vécu au-delà de la douleur et de la plainte L’esquive - Le soignant ne peut pas aborder le sujet ni faire face au malade (est démuni, impuissant) Il sera toujours hors sujet, hors de la réalité environnante Il dévie la conversation en parlant d’autre chose, en n’apportant jamais des réponses appropriées décalage qui évite de s’exposer à l’affrontement Patient désemparé, incapable de s’exprimer autour de ses craintes et de se décharger émotionnellement 2 La fausse réassurance - Le patient commence à soupçonner la réalité Le soignant optimise les résultats et entretient chez le patient une sorte d’espoir alors même que le malade n’y croit plus - Le soignant tente de conserver ce savoir sur lequel lui seul a encore prise Exemple: Patient, en phase terminale, évoque au médecin l’aggravation flagrante de son état et lui demande : « Il faut que je sache où j’en suis, je dois prendre certaines dispositions pour ma famille: j’ai besoin de savoir ». Le médecin lui répond qu’il n’a pas lieu de s’inquiéter, qu’il a bénéficié des meilleurs traitements, que lui-même est satisfait des résultats « Allez, il faut garder le moral ! Je repasserai vous voir demain, soyez tranquille… » La rationalisation - Le soignant se retranche derrière son savoir et ses compétences (langage technique, spécialisé, incompréhensible) pour éviter les questions embarrassantes et les réponses - Le patient ne sait toujours rien ni des symptômes à venir, ni de la nature du traitement. Pas d’espoir - Le soignant annihile toute capacité d’intégration chez le patient = augmentation de l’angoisse Exemple: - Vous avez un cancer de l’utérus de 9 cm de diamètre qui envahit le petit bassin. - … Un envahissement du petit bassin ?? - Oui, un envahissement du petit bassin. - … C’est une atteinte osseuse ? - Non. C’est un envahissement du petit bassin. - -… - Je m’explique :: il s’agit d’une infiltration des annexes par contiguïté loco-régionale, due à une expansion du processus néoplasique aux organes voisins avec de probables adénopathies pelviennes profondes - … Mais… c’est… c’est guérissable? - Pour ça, on verra : il faut d’abord faire un traitement par chimiothérapie et radiothérapie. -… - Bon, je vous laisse… nous commencerons dès demain 3 L’évitement - Comportement de fuite. Relation privée de toute communication (informations indirectes et techniques) - Réduction des moments d’interaction et de contact - Patient considéré uniquement comme objet de soins Exemple: Le soignant entre dans la chambre et consulte le dossier, sans regarder le malade. Il s’adresse aux étudiants pour connaître le transit intestinal, l’appétit devant le patient parfaitement en mesure de répondre. La dérision - Comportement de fuite et d’évitement qui désoriente le patient et le réduit au silence - Le soignant banalise les propos inquiets, angoissés du malade concernant symptômes et ressentis en ayant recours à l’humour et la dérision Exemple: Une patiente en phase terminale d’un cancer du poumon, atteinte de volumineux œdèmes aux jambes, interpelle une IDE : - Regardez mes pauvres jambes, c’est affreux elles sont pleines d’eau !… - Allons, allons, ce n’est tout de même pas la mer à boire ! La fuite en avant - Angoisse trop lourde à porter pour le soignant, incapable de soutenir sa souffrance : se décharge en disant tout et tout de suite maintient un équilibre dans les souffrances - Parfois, les soignants devancent les questions, révèlent tout d’un coup, du diagnostic aux traitements longs et douloureux ; des possibles rechutes au pronostic létal - Les patients ne réussissent plus à envisager ce temps à vivre privé de cette lueur d’espoir (sidération) Exemple: - Atteint d’un cancer ORL, un patient demande au cancérologue s’il doit se soumettre à une nouvelle radiothérapie ? - Ce dernier lui répond : « je crois que ce n’est pas la peine »…Réalise que sa réponse a été hâtive et abrupte - « Dr, je l’ai ou pas ce cancer ?... parce que je dois faire mon testament… » - « Oui, vous avez un cancer » 4 Identification projective - Au lieu d’instaurer une distance suffisante, le soignant s’investit entièrement dans la prise en soin du patient - Le soignant se substitue au malade et lui attribue certains traits de soi-même, certains aspects de sa personnalité ainsi que ses propres sentiments et réactions, ses propres pensées et émotions - Conviction que nous seuls savons ce qui convient au malade Exemple: Une jeune IDE reproche à une jeune femme son manque d’autonomie, son laisser aller, son manque d’enthousiasme à l’arrivée de ses proches, son laxisme envers son fils. Elle l’encourage à répondre aux lettres, à garder contact avec extérieur, à ne jamais se plaindre. Face à une demande d’euthanasie - « L’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable » (CCNE, Avis n°63 Janvier 2000) - Souhait de mourir # Demande d’un geste d’euthanasie - Prendre de la distance par rapport à la violence de la demande - Recours à des intervenants extérieurs qualifiés Faire la différence entre le malade qui demande que l’on mette fin à sa vie, celui qui exprime le désir de mourir et celui qui a le besoin d’en parler Euthanasie ; demande émanant de la famille. - Révélation de quelque chose d’insupportable à vivre - Attitudes de culpabilité - Réactions de deuil anticipé - Comprendre et expliquer l’importance de la culpabilité après une telle conduite - Expliquer l’utilisation et l’intention des traitements antalgiques - Proposer un soutien Nécessite une démarche d’information et/ou de soutien psychologique Culpabilité face à une promesse faite de « ne pas le laisser souffrir » Deuil anticipé lié à un délai de survie annoncé antérieurement Entourage souvent épuisé et confronté à des difficultés matérielles qui amplifient sa souffrance Demande à titre préventif par crainte de survenue d’un symptôme 5 Euthanasie ; une demande des soignants - Lassitude devant des évolutions prolongées Répétition de certaines situations Sentiment d’échec thérapeutique Impression de ne plus trouver de sens aux soins Repérer la compréhension du projet de soins, sens des traitements et la prise en soins instaurés, la communication dans l’équipe, l’absence ou non d’interdisciplinarité Comme pour la famille, insister sur le fait que des pratiques euthanasiques ne laissent pas une équipe indemne et que la culpabilité résiduelle peut être source de souffrance professionnelle Face à une demande d’euthanasie ; démarche clinique. 1. Écoute de la demande 2. Évaluation des différents facteurs potentiellement en cause dans la demande 3. Discussion en équipe pluridisciplinaire 4. Ajustement du projet de soin et décision 5. Réévaluation fréquente de la situation 6. Réflexion d’équipe à distance Groupe de travail SFAP octobre 2004 1. Entendre la demande formulée, inviter la personne à exprimer ce qu’elle ressent, ce qui est difficile, insupportable pour elle, ce qui motive sa demande. Conclure en disant que sa demande a été entendue et qu’une évaluation plus approfondie de sa situation est nécessaire 2. Envisager l’ensemble des facteurs qui peuvent avoir contribué à la demande (contexte clinique, informations sur la maladie, contexte psychologique, contexte socio-familial, spirituel, environnement de soins, douleur) 3. Éclairage des membres de l’équipe par le regard et l’avis de chacun. 1 : Expression du vécu de l’équipe, 2 : compréhension de la situation du patient et sa demande, 3 : élaboration du projet de soins Equipe mobile de soins palliatifs ; 02 43 08 22 86 Fiche Pallia 10 SFAP 6