LA DIFFICILE REGULATION PAR LA SANCTION CONTRE LES ENTREPRISES TRANSNATIONALES Introduction Les différentes initiatives des acteurs privés (ONG, syndicats et même des acteurs économiques privés) s’articulent parfois de manière harmonieuse, aux choix de régulation incitative des pouvoirs publics, mais souvent aussi s’y affrontent. Nous chercherons à comprendre quelles sont les difficultés des pouvoirs publics, pour sanctionner les entreprises transnationales lorsqu'elles violent les normes fondamentales du travail notamment. Le Global Compact de l’ONU relève d'une régulation incitative, mais finalement opèret-il une avance ou recul dans la régulation des normes sociales? Notre propos n’est pas de réaliser ici, une étude sur l'ensemble des actions de l'ONU, de l'OIT, ou de l'OMC, mais plutôt d’évaluer l’étendue des carences des pouvoirs publics en matière de sanction, à une échelle plus macro à présent. Lorsque nous évoquerons l’action des pouvoirs publics nationaux et internationaux, nous nous limiterons donc aux dispositifs publics, directement liés aux codes de conduite (clauses sociales, Global Compact, SPG...). Car les codes de conduite et les systèmes de préférence généralisés (SPG) sont-il une alternative aux clauses sociales protectionnistes dont l'adoption a échoué auparavant ? Enfin nous chercherons à savoir ce qu'entreprend l'OIT, en ce qui concerne les codes de conduite. Ces derniers relèvent de normes privées, alors que l'OIT développe des normes juridiques, de nature publique. Les sanctions relatives aux normes du travail dans les entreprises transnationales Dans le domaine des régulations publiques, on observe une absence de régulation judiciaire au plan international concernant les activités des ETN. En effet elles n’existent pas dans le droit international, les Etats ne connaissent que des firmes nationales, suivant la localisation de leur siège social. Aujourd’hui, le nombre de procès par des tribunaux nationaux contre une ETN ou une personne pour des actions commises à l’étranger, se révèle relativement faibles. Pourtant la plupart des tribunaux nationaux disposent de la compétence de juger les infractions concernant le droit du travail de leur pays au sein des ETN. En particulier ce qui concerne les normes fondamentales du travail lorsqu’elles ont été signées puis ratifiées par ce pays. De plus, “les juges nationaux peuvent faire appliquer le droit international dans la mesure où toutes les constitutions y compris en France, placent les traités au-dessus des lois” (Chemillier-Gendreau : 1999)1. Il existe peu de pays qui soient en capacité de juger les exactions commises à l’étranger par les ETN appartenant à leur propre pays. Cependant les juridictions peuvent “dans certaines circonstances déterminées juger certains crimes internationaux quelque soit l’endroit 1 CHEMILLIER GENDREAU, “L’ordre juridique international”, Le monde diplomatique, Paris, juin 1999. où ils ont été commis et où que se trouvent les tribunaux (Chemillier-Gendreau : 1999). Par contre, la mise en oeuvre est complexe et elle est limitée par des pressions politiques surtout dans les pays à bas salaires qui estiment avoir besoin des investissements directs à l’étranger. Ces pressions proviennent soit du FMI, de la Banque Mondiale ou des dirigeants politiques eux-mêmes Pour leur intenter un procès, de nombreux critères doivent être examinés: le siège social de l’ETN, le degré d’appartenance de la filiale incriminée, la nationalité du plaignant, le lieu de l’exaction, la législation du pays à prendre en considération... Les différences entre systèmes juridiques nationaux complexifient encore la possibilité de sanction. Les prémices d’une régulation juridique du social au plan international On relève néanmoins quelques cas montrant que cette situation évolue. Les quelques lois naissantes sont issues généralement de la jurisprudence ou de quelques parlements audacieux comme celui de Californie ou de Belgique. Dans le secteur maritime, après la catastrophe du Prestige du 20 novembre 2002, François Lamoureux membre du gouvernement français, a néanmoins émis l’idée de créer des sanctions pénales lourdes au niveau européen contre les personnes qui dans la chaîne de responsabilité des acteurs privés auraient commis une faute. La juridiction en Belgique punit à présent le tourisme sexuel à l’étranger. Sous la pression des ONG belges dont la CCC en Belgique, les tribunaux de ce pays disposent à présent de la compétence universelle. Ils sont en mesure de condamner les entreprises et leurs dirigeants de toutes nationalités ayant violé les lois de n’importe quel pays dans le monde. Dans le cadre de la législation en vigueur, dans l’Etat de Californie, les fabricants sont responsables de certaines violations de la législation du travail que commettent leurs sous-traitants lorsque ceux-ci ne sont pas agréés par l’Etat. Grâce à cette loi des procès sont en cours contre Shell, Total et Unocal (Zarifi, 1999). Afin d’échapper à l’hétérogénéité juridique entre Etats, certains juristes et certaines ONG telle l’Aitec proposent que soit créé un tribunal international économique et social, aux Nations Unis. Mais selon Jenkins et Perrow, 1977 : 249-268)2, la possibilité pour un mouvement social d’influencer le système politico-administratif dépend du degré de différenciation. Neidart et Rucht, (1991, 421-460)3 soulignent que cette différenciation se situe à deux niveaux. Il y a d’une part l’autonomie des différents secteurs les uns vis à vis des autres (liberté de la presse par rapport à l’Etat) et d’autre part la structure interne des secteurs (division ou non du champ politico-administratif). Mais nous pouvons souligner qu’à l’échelle internationale, un système trop différencié ne favorise pas non plus les changements du fait de son éclatement (OIT, OMC, UE, ONU...). Car une décision arrachée dans une institution 2JENKINS Craig j., PERROW Charles, “Insurgency of the Powerless: Farm Worker Movements (1946-1972), American Sociological Review, vol. 42, 1977. 3 NEIDHART F., RUCHT D., “The analysis of Social Movements: The State of the Art and Some Perspectives for Further Research”, in Rucht D. (dir): Research on Social Movements. Campus Verlag, Frankfurt am Maim, Boulder, Westview, 1991. internationale ne sera pas forcément acceptée ou mise en oeuvre dans les autres. En particulier lorsqu’elle n’est pas prise à l’OMC. Les codes de conduite: instruments susceptibles de sanction par les tribunaux nationaux ? Les ONG et les syndicats de la CCC européenne et française souhaitent par ailleurs que les codes de conduite deviennent contraignants à terme et fasse l’objet de sanctions fortes en cas d’infraction. Car sans pouvoir coercitif, l'activité législative des agences de l’ONU, comme l’OIT, a un impact très relatif. Seul l’OMC, grâce à l’organe de règlement des différents, dispose d’un pouvoir de sanction. Cependant il ne concerne que les différents commerciaux entre Etats et n’inclut pas les normes sociales et environnementales (Vogel, 2001)4. De plus, sanctionner la non-application d’un code, n’est pas du ressort des pouvoirs publics, car il est pour l’instant considéré comme un instrument d’auto réglementation d’ordre privé, volontaire et non contraignant, il n’est donc théoriquement pas soumis à prescription juridique. Cependant comme le souligne Maître Laurent Mincker, professeur de droit et avocat à Strasbourg, “lorsqu’un code de conduite est signé par deux parties (une ETN et un syndicat ou une ONG, par exemple), si l’un déroge au contrat, l’autre peut saisir les tribunaux”5. De plus, au plan juridique, la non-application du code de conduite peut être assimilée à de la publicité mensongère et à un instrument de concurrence illégale. Compte tenu du fait que “les codes de conduite sont des déclarations publiques, on peut considérer qu’ils ont des implications juridiques. En effet les lois qui réglementent les déclarations d’entreprises, la publicité, la concurrence, peuvent être utilisées contre une entreprise qui n’appliquerait pas son propre code” (BIT 11-1998 : 13). Enfin sous certaines conditions, un code de conduite adopté “au sein du règlement intérieur, peut être considéré comme un acte réglementaire de droit privé” (Le Damany, 2000 : 322)6. Les codes de conduite n’entrent pas dans le cadre des conventions collectives dans la mesure où les conditions pour les y inscrire sont plus strictes. Les conventions collectives supposent que la négociation se déroule entre deux partenaires: les employeurs et les représentants des travailleurs (s’ils sont un syndicat disposant d’une reconnaissance officielle par les pouvoirs publics). Or les codes de conduite peuvent être créés par tout type d’acteur. Quant aux labels et aux sanctions éventuelles liés à des faux labels, dans la mesure ou le terme label n’est pas associé à des règles de droit il ne peut faire l’objet de poursuite, sauf “pour certains tels le “Label Qualitel” ou le label NF qui certifient des niveaux de performances dans la conception technique (protection contre le bruit qualité des équipements de confort, etc...). Le seul cas où il peut s’agir d’un délit concerne les situations où le label s’avère susceptible d’induire en erreur les consommateurs. Cela relève alors de la 4 VOGEL Laurent, “L’amiante à l’OMC: une victoire immédiate - des menaces à terme”, BTS Newsletter, N°11, Juin 2001. 5 MINCKER Laurent, Avocat, Intervention au séminaire de sociologie de la déviance de l’Université de Besançon, 17 février 1999. 6LE DAMANY Sylvie, JOLY-BAUMGARTNER Caroline, “Ethique et commerce international”, in Cahiers Juridique et fiscaux de l’exportation, Editions du CFCE, n°2/2000. direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCDF)” (Collectif ESE, printemps 1999 : 28).