v. discours de monsieur François Fillon, ministre de l

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V.
DISCOURS DE MONSIEUR FRANÇOIS FILLON,
MINISTRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
Il suffit de parcourir le programme de cette deuxième session du Comité international
de bioéthique de l'UNESCO pour se rendre compte de l'importance croissante de la bioéthique
au sein de nos sociétés. La nature des thèmes traités, la qualité des participants témoignent
avec éclat de ce que 1a bioéthique touche aux enjeux les plus importants de la vie humaine.
C'est d'autant plus vrai que certains équilibres sont en train de se transformer. Les progrès de
ce que l'on appelle généralement les sciences du vivant sont tels que l'homme est en train
d'acquérir le pouvoir suprême: celui de pouvoir transformer à sa guise le devenir de son
espèce. Il est en outre évident que la fin de ce siècle et le début du nouveau coïncident avec
d'extraordinaires avancées scientifiques dans ce domaine, des avancées aujourd'hui presque
imprévisibles.
Cette révolution scientifique se fait et se fera. Il faut donc oeuvrer pour la favoriser.
J'ai été soucieux de privilégier constamment un tel domaine de recherche, en particulier en lui
attribuant des financements suffisants. Dès 1947, j'ai souhaité que la recherche médicale soit
soutenue dans le cadre d'une nouvelle ligne budgétaire. Pour 1995, les recherches sur les
sciences du vivant bénéficieront d'une nouvelle mesure de 254 MF qui viendront conforter les
efforts des organismes de recherche et des universités à travers des soutiens incitatifs dans
quatre grands domaines: la génétique, la biologie du développement, l'environnement et les
biotechnologies. Il s'agit bien pour moi d'une véritable priorité scientifique qui doit être
affirmée avec vigueur.
Mais cette révolution scientifique doit se faire au nom des droits imprescriptibles de
l'être humain, au nom d'une solidarité forte entre les nations, qui est la base de la meilleure
coexistence possible. Or, les sciences du vivant comme la majorité des domaines
scientifiques révèlent une injustice criante: d'un côté, les pays industrialisés qui concentrent
la quasi-totalité des recherches, de l'autre, les pays en voie de développement qui en reçoivent
au mieux que de faibles retombées souvent peu adaptées. Pourtant, les maladies tout autant
que les problèmes éthiques ne connaissent pas de frontières. Le terrible problème du SIDA
est là pour nous le rappeler. Pourtant, le raccourcissement du délai entre 1a découverte et son
application montre l'urgence d'une intervention concernant tout ce qui se situe aux frontières
de la vie, pour reprendre une image de Madame Noëlle Lenoir. Il faut donc établir sur tous
les sujets un dialogue entre pays, entre cultures, entre citoyens. Je me félicite en ce sens de
l'effort de l'UNESCO sous l’impulsion de son Directeur général, Federico Mayor, qui
contribue à bâtir une telle concertation. Je tiens à rappeler le rôle important qu'a eu, en ce
sens, Madame Noëlle Lenoir, qui préside depuis 1993 le Comité international de bioéthique
de l'UNESCO.
En ce qui concerne ces problèmes de bioéthique, la France a été l'un des pays qui a le
plus réfléchi et même légiféré. Je rappellerai le rapport parlementaire de novembre 1993
d'un groupe de travail présidé par le Professeur et Député Jean-François Mattéi. La
législation correspond à l'adoption récente de trois lois qui touchent des sujets aussi
complexes que la protection de la personne physique et morale ou la vie privée des individus.
Ces trois lois forment un tout et traduisent une étroite collaboration de tous les acteurs
concernés. Elles seront soumises à une révision automatique à chaque législature pour tenir
compte des nouveaux bouleversements scientifiques. Je ne reviendrai pas ce soir sur les lois
présentées par Madame Simone Veil, Ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville
et par le Garde des Sceaux, Monsieur Pierre Méhaignerie. Ils ont ou auront tous les deux
l'occasion de vous les présenter.
Je voudrais expliciter pour ma part le sens de la loi que j'ai présentée devant le
Parlement puisqu'elle résume un stade de la réflexion sur les problèmes qui vous réunissent.
Cette réflexion a été d'autant plus aboutie qu'elle repose sur un travail parlementaire intense
des sénateurs comme des députés, un travail parlementaire dont j'ai plaisir à rappeler
l'importance et la qualité, ici même au Sénat.
Quel était l'objet de cette loi? D'une côte, il appartient au Ministre en charge de la
recherche de permettre que l'activité scientifique se déroule dans les meilleures conditions.
D'un autre côté, il est évident qu'on ne pouvait pas laisser faire n'importe quoi. Il ne s'agissait
pas d'imposer une contrainte pour les chercheurs mais d'intégrer la dimension éthique à leur
travail quotidien d'autant plus que les avancées sont susceptibles d'avoir des répercussions
sérieuses sur le devenir de nos sociétés. En tant que Ministre, j'ai donc du établir un équilibre
entre la nécessité d'une réglementation et le poids des contraintes.
La loi que le Parlement vient d'adopter porte sur les données automatisées. Elle
définit en particulier l'utilisation de données nominatives. Tous les problèmes ayant trait à la
confidentialité des informations devront faire l'objet d'un accord d'un Comité placé auprès de
la Commission nationale "Informatique et liberté". Le Comité donnera son agrément sur la
méthodologie comme sur la nécessité d'y recourir. Quand l'identification des personnes
concernées est possible, les données devront être codées.
Une autre notion importante est affirmée dans le texte de loi: celle du consentement
éclairé et exprès. Il est apparu en effet indispensable d'introduire ce qui constitue sans
contexte une garantie éthique fondamentale. Pour des prélèvements biologiques identifiants,
donc pour une phase d'exploration scientifique prenant en compte l'ensemble des facteurs qui
constituent une personnalité biologique, tout individu devra être conscient des enjeux d'une
éventuelle divulgation et en assumer pleinement toutes les conséquences. Certes, cela
représente une limite aux activités d'investigation scientifique mais c'est bien la prise en
compte de par la loi de cette identité profonde qu'est l'identité biologique. Une identité que
tout homme doit pouvoir, s'il le souhaite, protéger.
L'objet de cette loi porte sur un aspect particulier du travail des chercheurs mais il me
semble emblématique de l'ensemble des problèmes abordés par une réunion aussi prestigieuse
que la vôtre.
Je voudrais illustrer aujourd'hui deux parmi les grands problèmes ainsi soulevés:
celui du rapport entre avancée scientifique et choix collectifs;
celui de la diffusion des valeurs et des problèmes éthiques.
La loi dont je viens de parler montre l'importance du point de passage que représente
un organisme de consultation, en l'occurrence le Comité consultatif sur le traitement de
l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé. Il est à la fois l'émanation
du milieu scientifique et des administrations concernées. Un tel type de concertation doit
être généralisé et adapté aux différentes situations pour que le plus large consensus se dessine
autour des enjeux essentiels de la bioéthique. Nous assistons par exemple en France comme
dans d'autres pays à l'apparition de collections de cellules d'individus de grande ampleur. Le
Professeur Jean Dausset en a été l'un des initiateurs dans notre pays. Il s'agit soit des
collections d'ADN, soit des résultats d'analyses du génome d'un grand nombre d'individus.
Ces collections, créées dans différents centres de recherche français, sont soumises à des lois
de protection, dont la loi Huriet. Je peux vous annoncer ce soir que j'ai décidé d'aller plus
loin en mettant prochainement en place un nouveau comité qui donnera son agrément
précisément sur la mise en place de nouvelles collections. Ce comité, dont le décret de
création est en préparation, sera chargé d'établir la déontologie d'un domaine aussi sensible.
En décidant de promouvoir un tel comité, dont il n'existe à ma connaissance d'équivalent dans
le monde, j'ai souhaité mettre en place un organe capable de prendre en compte la diversité
des problèmes rencontrés: dans quelles limites peut-on utiliser certains résultats? A qui
appartient une collection?
La naissance de comités nouveaux entraîne un risque: celui d'une multiplication des
démarches légales, d'où bureaucratisation et lenteur. J'en ai conscience. Il ne s agit pourtant
pas - je 1'ai dit - de nuire le moins du monde à l'activité de recherche, mais je crois, tout en
étant conscient de la nécessaire liberté dont doit jouir un chercheur, qu'il est indispensable de
respecter certains impératifs collectifs. Actuellement, nous sommes dans une phase
transitoire qui nécessite la mise en place d'organes consultatifs ayant autant une mission de
réflexion que de décision. C'est un passage obligé tant les problèmes sont nouveaux et
multiples. Il importe de privilégier la transparence aussi bien dans les échanges
d'informations entre comités que pour la mise à disposition des informations et, plus
généralement, dans le travail nécessaire d'uniformisation et de simplification des procédures
de consultation.
Je crois, et c'est le deuxième point que je souhaite aborder ce soir, que sur de tels
problèmes le consensus doit être le plus large possible. Le problème posé est celui de la
diffusion des avancées scientifique qui inclut en particulier la dimension de valorisation et de
publication. Nous retrouvons une règle éthique majeure: celle d'avoir la volonté de diffuser,
à tous et pour tous, tout ce qui se fait dans un domaine aussi crucial de la recherche
scientifique. Il est clair qu'une réflexion sur la bioéthique doit prendre en compte cet aspect
essentiel. Pensons à certaines informations hâtives données par de grands médias et qui
soulèvent beaucoup d'espoirs! Nous devons être capables d'établir une certaine pondération
pour éviter qu'une annonce prématurée n'ait en fait un impact social négatif.
Dans le programme de vos travaux, vous avez également fait une place de choix aux
problèmes liés à l'enseignement. Je crois en effet qu'il s'agit d'un axe particulièrement
important. En tant que Ministre de l'Enseignement supérieur, je suis particulièrement
soucieux que les futurs médecins français bénéficient au cours de leur formation d'une prise
de conscience aux problèmes éthiques. Ils doivent recevoir une formation spécifique, ce qui
suppose entre autres l'intervention d'enseignants d'autres disciplines comme l'éthique ou la
philosophie, pour conserver à la bioéthique son caractère pluridisciplinaire.
En présentant la situation française, je n'ai bien sûr pas voulu démontrer que seule la
France est en pointe dans ce domaine. Je crois seulement que l'expérience française dans le
domaine de la bioéthique représente une contribution pour une prise de décision qui doit être
européenne, puis mondiale. Je reprendrai l'exemple des problèmes concernant le brevetage
du génome humain. L'Europe et les Etats-Unis d’Amérique avaient sur ce problème une
position différente et je me félicite que cette opposition ait pu être dépassée, pour adopter une
solution commune qui est de breveter les seules applications. Cette concertation est
nécessaire pour que se dégage une éthique véritablement internationale. Elle est d'autant plus
nécessaire que le problème dépasse largement les sciences du vivant et concernent toutes les
activités humaines, de l'agriculture avec la transgenèse à l’environnement avec les différentes
formes de lutte contre la pollution. La vigilance doit être constante et partagée par tous.
Je suis convaincu en ce sens, comme nous le rappelle constamment l'action de
l'UNESCO et en particulier de son Comité international de bioéthique, que toute solution
efficace passe par l'établissement d'un rapport Nord/Sud fructueux. Aujourd'hui, il est
malheureusement évident que certaines découvertes récentes, par exemple en thérapie
génique, sont pratiquement inapplicables dans les pays en voie de développement. L'obstacle
n'est pas tant un transfert de connaissances insuffisant qu'un problème de diffusion des
moyens. Nous savons depuis peu de temps que certains produits anti-viraux peuvent
permettre de diminuer les risques de transmission du virus du SIDA de la mère à son enfant.
Or, nous connaissons tous les ravages que fait le SIDA et l'importance du renouvellement des
générations. Dans un domaine aussi sensible, nous devrions pouvoir bâtir une coopération
internationale rapide pour permettre à tous les pays d'accéder à ces nouvelles thérapeutiques.
Aujourd'hui, le principal problème de bioéthique n'est-il pas, en fin de compte, d'aider tous les
êtres humains qui souffrent, de ne pas avoir des pays qui peuvent profiter des découvertes les
plus récentes et d'autres qui doivent attendre pour espérer voir leurs citoyens en bénéficier?
Il faut réaffirmer constamment cette priorité de l'aide et du partage pour faire de l'éthique une
vraie morale collective et planétaire.
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