chapitre iv - Cité des Sciences et de l`Industrie

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CHAPITRE IV
Hérédité du sexe.
Chez les espèces où les sexes sont séparés, on connaît deux types d’hérédité du sexe. Chez l’un, que
l’on peut appeler le type Drosophila (type XX-XY ou, brièvement, type XY), la femelle est homozygote
pour le facteur “ sexe ”, et le mâle, hétérozygote ; chez l’autre, ou type Abraxas (type WZ-ZZ ou, plus
brièvement, WZ), la femelle est hétérozygote, et le mâle homozygote. Comme, dans les deux cas, les
individus hétérozygotes s’unissent toujours avec les homozygotes, il en résulte à chaque génération un
nombre égal d’individus hétérozygotes et homozygotes et ainsi la condition bisexuelle se perpétue comme
suit :
[Schéma non reproduit dans cette version]
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Les données actuelles de la génétique ont rangé dans le type Drosophila les formes animales suivantes :
Drosophila, homme, chat ; et parmi les végétaux : Lychnis et Bryonia. Les faits cytologiques font
rapporter au même type les groupes d'insectes tels que : punaises, mouches, coléoptères, sauterelles,
araignées, certains vers (Ascaris), les échinodermes, amphibiens et mammiféres (y compris l'homme). Les
données génétiques ont rangé dans le type Abraxas plusieurs noctuelles et papillons et plusieurs oiseaux :
poules, canards et canaris (1).
Les faits cytologiques plaidant en faveur de l'existence de ce type n'ont été relevés que chez un petit
nombre de noctuelles.
Dans nombre de cas du type Drosophila chez lesquels l'histoire des chromosomes sexuels a été étudiée
au point de vue cytologique, on a constaté qu'il existe chez le mâle une paire de chromosomes dont les
deux membres sont de forme et de grandeur différentes. Ce sont les “ chromosomes sexuels ” désignés par
X et Y. Dans plusieurs espèces du type Drosophila, l'Y est un peu plus petit que l'X, et dans les autres
espèces de ce type on a trouvé tous les degrés de grandeur relative de l'Y jusqu'à son absence complète.
Chez quelques-unes de ces espèces, par contre, les chromosomes qui correspondent nettement à Y et X
ont le même aspect. Ce n'est
(1) Le travail de Richardson sur les fraisiers tend à faire ranger cette plante dans le type Abraxas.
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pas d'ailleurs la différence de taille, ordinairement visible chez le mâle entre X et Y, qui donne à ces deux
chromosomes leur signification dans la détermination du sexe, mais plutôt une différence dans les facteurs
qu'ils contiennent.
La différence de grandeur est un incident fortuit ou, pour ainsi dire, un signe ou une étiquette qui
n'existe pas chez toutes les espèces. Dans tous ces cas, la femelle possède deux chromosomes X, le
chromosome Y se confinant dans la lignée mâle.
Ce type de la détermination du sexe représente tous les œufs comme semblables, chacun contenant un
X (après que les globules polaires ont été expulsés). Mais les spermatozoïdes sont de deux sortes : les uns
contenant l'X ; les autres, l'Y ou simplement pas d'X. Le schéma du phénomène est le suivant :
[Schéma non reproduit dans cette version]
On voit que tous les spermatozoïdes portant X produisent des femelles, tandis que ceux portant l'Y ou
pas d'X produisent des mâles.
Lorsqu'il est présent, le chromosome Y passe du père
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au fils : il peut donc sembler que si l'Y portait un facteur déterminant le sexe mâle le schéma pourrait
aussi bien servir que si un facteur sexuel était porté par le chromosome X. Mais dans plusieurs cas il n'y a
pas d'Y chez le mâle et dans certains autres (qui seront décrits plus loin et qui sont dus à la
non-disjonction), il existe des femelles qui ont une formule XX Y, et pourtant leur sexe n'est affecté en
aucune façon par la présence de l'Y surnuméraire. Il s'ensuit que le sexe est déterminé, non point par la
présence ou l'absence du chromosome Y, mais par le nombre des chromosomes X. Dans les cas suivants
où la détermination du sexe du type Drosophila fut découverte par l'étude de l'hérédité liée au sexe, aussi
bien que dans les exemples ci-dessus où le mécanisme fut découvert grâce à des observations
cytologiques, la preuve que le mâle est hétérozygote pour un facteur mendélien déterminant le sexe a été
fournie par le fait qu'il donne naissance à deux sortes de spermatozoïdes en nombre égal (ceux produisant
les mâles et ceux produisant les femelles). Nous connaissons ces faits dans les cas étudiés
cytologiquement parce qu'ici les spermatozoïdes portant X doivent tous produire des femelles, tandis que
l'autre moitié doit produire des mâles ; nous les connaissons, en outre, dans les cas étudiés génétiquement
parce qu'ici la moitié seulement des spermatozoïdes d'un mâle montrant un caractère dominant lié au sexe
portent ce facteur dominant et produisent tous des femelles, tandis que les autres produisent des mâles. La
femelle doit contenir le
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même facteur sexuel mendélien qui est présent dans les spermatozoïdes produisant des femelles ; mais la
femelle doit être homozygote pour ce facteur, puisque tout œuf fécondé par un spermatozoïde à tendance
mâle fournit ce facteur au mâle qui en résulte.
Bien que les résultats de l'hérédité liée au sexe du type Drosophila diffèrent par ce point seul des cas
non liés au sexe (c'est-à-dire où un mâle dominant transmet son facteur dominant lié au sexe uniquement
à ses filles), il est néanmoins bon de rappeler à ce sujet quels sont les rapports qui se produisent dans les
différents types de croisements. Nous avons déjà vu plusieurs exemples d'hérédité liée au sexe, chez
Drosophila ; celui des yeux blancs est le type de tous les autres. Nous en rappellerons ici les faits
principaux. Si un mâle à yeux blancs est croisé avec une femelle à yeux rouges, les descendants ont des
yeux rouges (fig. 9). Si ceux-ci sont croisés entre eux, toutes les femelles F.2 ont les yeux rouges, tandis
qu'une moitié des mâles ont des yeux blancs et l'autre moitié, des yeux rouges. En un mot, l'aïeul transmet
ses caractères visiblement à la moitié de ses petits-fils, mais à aucune de ses petites-filles.
Dans le croisement réciproque (fig. 10), une femelle à yeux blancs croisée avec un mâle à yeux rouges
produit des femelles à yeux rouges et des mâles à yeux blancs. Ceux-ci croisés entre eux donnent en
nombre égal des mâles et des femelles à yeux blancs et à yeux rouges. Si l'on admet que le facteur pour les
yeux blancs est porté par le chromosome sexuel, on comprend faci- [facilement]
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lement la manière dont les yeux blancs sont hérités. On remarquera qu'une femelle transmet à chacun de
ses descendants mâles l'un de ses chromosomes X avec tous les facteurs qu'il contient ; ils montreront
tous les caractères liés au sexe, qu'ils soient dominants ou récessifs, puisqu'ils ne reçoivent pas d'autres X
capables de dominer ces caractères et que l'Y ne contient pas de facteur dominant. Si, par exemple, on
obtient la race pure suivante : corps de couleur jaune, yeux blancs, abdomen anormal, ailes bifides, soies
fourchues et yeux en barre, et si une femelle de cette race est croisée avec un mâle sauvage, tous les
descendants mâles auront les caractères : jaune, blanc, anormal, bifide, fourchu et barre. Les descendants
femelles, au contraire, ne recevront pas seulement ce chromosome de leur mère, ils recevront également
de leur père (mâle sauvage) un chromosome contenant les allélomorphes normaux de ces facteurs. Dans
ce cas, les allélomorphes normaux dominent dans toutes les paires de facteurs, excepté anormal et barre.
Les femelles, par conséquent, paraîtront normales pour tous les caractères, sauf pour anormal et barre qui
sont dominants.
Chez le chat, Doncaster et Little décrivent un facteur lié au sexe affectant la couleur. Chez les
caractères, tels que la cécité des couleurs, l’hémophilie et d'autres identifiés avec moins de certitude,
suivent le même schéma.
La comparaison de l'hérédité liée au sexe chez Abraxas avec le même phénomène chez Drosophila
montre
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que la manière dont les caractères liés au sexe sont hérités dans les deux cas est identique, mais leur
rapport avec le sexe est exactement inverse. Dans le type Abraxas, l'hérédité liée au sexe se produit en
accord avec l'idée que la femelle est hétérozygote pour la production du sexe. Si le chromosome qui porte
ce facteur différentiel du sexe est appelé Z et son partenaire chez la femelle W, la formule pour le mâle
sera ZZ et celle pour la femelle WZ, selon le schéma suivant
[Schéma non reproduit dans cette version]
Le type d'hérédité chez Abraxas est représenté par les diagrammes suivants (fig. 30 et 31), dans
lesquels le type sauvage commun A. grossulariata est croisé avec le type mutant rare A. lacticolor.
Dans le premier croisement (fig. 30) où la femelle lacticolor est appariée au mâle grossulariata, les
descendants sont tous du type grossulariata. Lorsqu'on les croise entre eux, ils donnent (F.2) trois
grossulariata pour un lacticolor, mais les lacticolor sont tous femelles. L'aïeul lacticolor a transmis sa
particularité visiblement
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à la moitié de ses petites-filles mais à aucun de ses petits-fils.
Fig. 30. - Croisement d'un Abraxas lacticolor femelle avec un A. Grossulariata mâle. Les chromosomes sexuels sont
représentés par des cercles et les lettres qu'ils contiennent indiquent les facteurs dont ils sont porteurs. Le chromosome W,
confiné à la lignée des femelles, est représenté sans L ou l, car - tout comme le chromosome Y de Drosophila - il ne porte pas
de facteurs liés au sexe.
[Figure non reproduite dans cette version]
Dans le croisement réciproque (fig. 31), mâle lacticolor avec femelle grossulariata, les femelles sont
semblables à leur père (lacticolor) et les mâles, à leur mère (grossulariata). C'est ce qu'on appelle l'hérédité
en croix. Lorsque les hybrides (F.1) sont croisés entre eux, ils
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donnent en nombre égal des lacticolor mâles et femelles et des grossulariata mâles et femelles.
Fig. 31. - Croisement d'un Abraxas grossulariata femelle avec un A. lacticolor mâle (croisement inverse de celui représenté
fig. 30).
[Figure non reproduite dans cette version]
L'hérédité liée au sexe telle que l'ont montrée les résultats précédents devient explicable si le facteur
pour lacticolor est porté par le chromosome Z. Sa présence dans Z est indiquée ici par l dans le cercle qui
représente ce chromosome ; le caractère allélomorphe porté par le Z de l'individu grossulariata étant
indiqué par
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un L. Le chromosome W est représenté par le cercle simple. Les deux cas s'analysent alors ainsi que le
montrent les diagrammes.
L'analyse précédente montre que les faits génétiques plaident en faveur d'un mécanisme dans lequel la
femelle est hétérozygote pour le sexe, puisque ceux de ses œufs qui portent le facteur pour grossulariata
donnent tous des femelles, et les autres des mâles. Jusqu'à ces dernières années, il n'y avait dans le cas
d'Abraxas aucun fait cytologique positif appuyant cette manière de voir. Heureusement, le côté
cytologique de la question est maintenant en meilleure position, grâce aux recherches de Doncaster et de
Seiler.
Doncaster examina Abraxas au point de vue cytologique et trouva que la femelle et le mâle possèdent
tous deux cinquante-six chromosomes sans paire inégale visible.
Le rapport des sexes chez Abraxas est normalement d'environ 1 pour 1. Dans une lignée
exceptionnelle, cette égalité des sexes ne répondit pas à la loi générale. Dans ce cas unique, Doncaster
trouva plusieurs femelles qui ne donnèrent naissance qu'à des femelles et pas à un seul mâle. D'autres
femelles de cette lignée donnèrent naissance à beaucoup de filles mais aussi à quelques fils, tandis que
d'autres encore produisirent pratiquement le rapport normal 1 : 1.
Lorsque Doncaster examina cette lignée au point de vue cytologique, il observa que tandis que les
mâles étaient normaux et possédaient cinquante-six chromo- [chromosomes]
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somes, les femelles n'en avaient que cinquante-cinq. Lors de la maturation des œufs d'une de ces femelles
à cinquante-cinq chromosomes, le chromosome impair se rendait à l'un des pôles, de telle sorte que l'une
des plaques polaires contenait vingt-sept chromosomes et l'autre, vingt-huit. Doncaster observa ensuite
que le chromosome impair échoit beaucoup plus souvent au globule polaire qu'à l'œuf. Les nombreux
œufs qui éliminent le chromosome impair deviennent, après la fécondation, des individus à
cinquante-cinq chromosomes, c'est-à-dire des femelles, tandis que le petit nombre de ceux qui l'ont
conservé deviennent des individus à cinquante-six chromosomes, c'est-à-dire des mâles. La
prépondérance des femelles est donc expliquée. Ces femelles à cinquante-six chromosomes appartiennent
au type OZ.
Dans les lignées normales, il existe un chromosome W ; mais comme ce chromosome peut manquer
sans que le sexe de l'individu en soit affecté, ainsi qu'on l'a vu plus haut, il faut le regarder comme ne
jouant aucun rôle dans la détermination du sexe ; il correspond en ce sens à l'Y de Drosophila. Sa
présence chez Abraxas constitue la base cytologique que réclamaient les faits d'hérédité liés au sexe,
c'est-à-dire la condition inverse de celle que l'on connaît chez d'autres groupes d'insectes.
Les observations de Seiler portent sur des exemplaires sauvages de la noctuelle Phragmatobia
fuliginosa. Le nombre réduit des chromosomes dans la plaque polaire
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de l'œuf est vingt-huit (fig. 32, a). La grande dyade formée par le synapsis des chromosomes sexuels Z et
W se voit au milieu du groupe. Lors de la première division de maturation, tous les chromosomes se
séparent de leurs partenaires, les ordinaires (autosomes) aussi bien que les chromosomes sexuels. Mais
quand W se sépare de Z, il se divise en deux parties que nous pouvons appeler grand W et petit w (fig. 32,
bc). Il en résulte qu'il y a vingt-neuf chromosomes à l'un des pôles (celui qui contient W et w) et
vingt-huit chromosomes à l'autre (celui qui contient Z). Le hasard décide quel groupe ira au globule
polaire et lequel restera dans l'œuf. Il y a, par conséquent, deux sortes d'œufs : Ww et Z.
Chez le mâle, il y a cinquante-six chromosomes, ce qui donne pour nombre réduit vingt-huit. On peut
voir dans la figure 32, d, les deux grand Z. Lorsque le nombre réduit vingt-huit est réalisé, ils s'unissent,
puis se séparent, se rendant chacun à l'un des pôles (fig. 32, h). Chaque spermatozoïde contient, par
conséquent, un chromosome Z.
Un spermatozoïde quelconque fécondant un œuf Ww produira une femelle. L'embryon mâle
contiendra, par conséquent, cinquante-six chromosomes et l'embryon femelle, cinquante-sept. Le relevé
des chromosomes chez des embryons montre que tandis que les uns en contiennent cinquante-six, les
autres en contiennent cinquante-huit, soixante et un ou soixante-deux. Seiler en déduit que l'élément Z est
également composé et se sépare parfois en quatre constituants dans les cellules
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Fig. 32. - Phragmatobia fuliginosa. a, plaque équatoriale du premier globule polaire ; b et c, plaques-filles du fuseau du
premier globule polaire ; d, plaque équatoriale d’une spermatogonie ; e, plaque équatoriale d'un spermatocyte de premier
ordre ; j et g, plaques équatoriales de spermatocytes de second ordre ; anaphase de la première division de maturation ; i et j
plaques équatoriales de cellules somatiques, avec 56 chromosomes (en i) et 61 chromosomes (en j).
[Figure non reproduite dans cette version]
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somatiques. Récemment (1919), Seiler a démontré l'existence chez deux autres noctuelles d'un
chromosome traînard qui peut être expulsé de l'œuf ou y rester, et ce dans la proportion de 1,36 à 1.
Chez d'autres lépidoptères examinés par Stevens, par Doncaster, par Dederer et par Seiler, les mâles et
les femelles ont la même combinaison chromosomienne. En d'autres termes, si la femelle contient une
paire WZ, les chromosomes qui la constituent sont de même taille ou de taille si semblable que l'on ne
peut les distinguer. On se rappellera à ce propos que chez un petit nombre d'insectes appartenant, pour
d'autres raisons, au type Drosophila, les chromosomes XY sont de même taille. L'impossibilité de trouver
deux grandeurs différentes de chromosomes sexuels chez les noctuelles n'est donc pas une objection à la
conception que la femelle est hétérozygote pour le sexe. Il faut, au contraire, considérer seulement comme
un hasard heureux que cette différence dans un facteur pour le sexe soit parfois associée à une différence
de taille qui ne dépend en aucune façon directement du facteur sexuel lui-même.
Que sont les facteurs sexuels ?
L'hérédité du sexe s'explique par la conception que le mâle se distingue de la femelle par une
différence ; celle-ci est une quantité simple ou double de ce qu'on appelle le facteur sexuel. Les
chromosomes sont les porteurs de ces facteurs du sexe. Les symboles dont nous
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usons ici, c'est-à-dire XX-XY et WZ-ZZ employés primitivement pour désigner les chromosomes, servent
également pour les facteurs sexuels.
Pour le type Drosophila et le type Abraxas, ces formules soulèvent la question de savoir si les facteurs
sexuels sont identiques dans les deux cas. L'emploi de lettres différentes pour les deux types suggère
naturellement que les facteurs peuvent être différents. Et il est vrai que les deux groupes de lettres sont
employés pour éviter un paradoxe apparent qui se produit si nous employons seulement X et Y pour les
deux cas : en employant ce mode de notation, XY représenterait dans l'un des schémas le mâle et dans
l'autre, la femelle. Néanmoins l'emploi de lettres différentes ne doit pas nécessairement signifier que des
facteurs différents pour le sexe existent dans ces deux grandes classes, car les résultats inverses peuvent
être dus à l'action de la même différence factoriale formant une autre combinaison. Un acide peut, par
exemple, être le différenciateur de la couleur dans une certaine solution contenant du tournesol (avec une
goutte d'acide la couleur étant bleue et avec deux gouttes, rouge). Mais dans une combinaison contenant
du rouge Congo le même différenciateur peut produire des effets exactement opposés (une goutte donne
une coloration rouge et deux, une coloration bleue) ; d'autre part, on peut concevoir que la combinaison
(tournesol et acide) peut rester la même bien qu'un résultat inverse se produise, selon le différenciateur
qu'on emploie (alcali au lieu d'acide).
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Comme, jusqu'à présent, la génétique ne fournit aucun argument qui puisse trancher la question de
savoir s'il s'agit dans ces deux cas de deux séries différentes de différenciateurs sexuels ou des mêmes
différenciateurs combinés d'une autre façon, une discussion à ce sujet est bien certainement futile.
Il peut sembler illogique d'employer le nom de chromosome comme symbole du facteur pour le sexe
lorsqu'on traite de l'hérédité de celui-ci, tandis que dans tous les autres cas on emploie, pour désigner le
caractère spécial dont il s'agit, un facteur représenté par un point du chromosome. Il n'est pas douteux que
c'est avec cette idée que plusieurs auteurs ont adopté l'habitude d'indiquer le facteur pour le sexe par une
lettre significative, telle que F pour le sexe femelle et M pour le sexe mâle. Comme l'emploi de ces lettres
implique souvent une question d'interprétation, nous devons accorder quelque attention à ce point. Dans la
discussion suivante, nous nous occupons toujours du type Drosophila, mais des arguments exactement
pareils s'appliquent également au type Abraxas :
1° On a émis l'idée, par exemple, qu'un facteur pour le mâle soit ajouté aux formules, de telle façon que
le sexe mâle n'apparaisse pas seulement comme l'absence d'un facteur pour le sexe femelle. Ainsi dans les
formules FMFM (f) et FMM (m) le facteur pour le sexe mâle est ajouté pour indiquer que lorsqu'il n'y a
qu'une seule dose de F, les facteurs produisent le sexe mâle. Mais comme les M sont distribuées
également dans les
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deux formules, celles-ci ne représentent rien moins qu'une concession à la vanité masculine, car M dans
ce cas n'est pas un différenciateur. De plus, l'emploi des lettres MM ne se justifie pas ici parce qu'il n'y a
pas de raison pour supposer que le sexe mâle est dû à une paire de facteurs. Il doit être dû à un complexe
de plusieurs facteurs qui tous sont présents dans les deux sexes ;
2° Comme il est évident que, dans quelques cas, le chromosome X ne contient pas de facteur pour le
sexe, le facteur ou les facteurs portés par X ne peuvent avoir de partenaires dans le sexe mâle, et ainsi le
ou les allélomorphes doivent être 0. Si l'on préfère, représenter ce zéro par une petite lettre f ou m, par
exemple, il n'y a à cela aucune inconséquence, puisque l'observation cytologique en justifie l'emploi. Il
est, au contraire, inexact de représenter ce zéro par M, ainsi qu'on l'a fait quelquefois ;
3° Il n'y a, jusqu'à présent, pas de preuves que chaque chromosome sexuel ne porte qu'un seul facteur
pour le sexe, si probable que cela puisse paraître à d'autres points de vue ; car il n'a pas été possible de
déterminer la liaison du ou des facteurs pour le sexe avec d'autres facteurs dans le chromosome sexuel :
en effet, l'enjambement de facteurs semblables dans le sexe homozygote ne pourrait donner de résultats
visibles, et dans le sexe hétérozygote il ne se produit pas d'enjambement ;
4° Si dans la formule FF (f) et F 0 (m) la lettre F est interprétée comme représentant un facteur pour le
sexe
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femelle, la formule ne doit pas être établie comme signifiant que F ne peut être aussi un facteur pour le
sexe mâle, puisqu'en effet, un facteur F peut être nécessaire à la production du mâle. Par conséquent, tant
que nous n'aurons pas de renseignements plus précis sur l'existence d'un seul ou de plusieurs facteurs pour
le sexe, tant que nous ne saurons pas si les facteurs sont les mêmes dans les deux types et que nous ne
connaîtrons pas quel est le rapport de F à M chez les types hermaphrodites, il est moins illogique
d'employer, pour les chromosomes sexuels, les symboles des facteurs sexuels, s'il est en même temps bien
entendu que le chromosome entier n'est pas entièrement consacré à la détermination du sexe.
L'hermaphrodisme et le sexe.
On appelle hermaphrodites typiques les individus qui mûrissent à la fois des œufs et des
spermatozoïdes. Ils sont largement représentés dans le règne animal et végétal, dont ils forment presque
exclusivement des classes entières. L'auto-fécondation peut se produire, comme elle a lieu chez beaucoup
de plantes ; mais la fécondation croisée entre individus différents paraît se réaliser beaucoup plus souvent.
Outre ces cas typiques, qui ne demandent pas de plus amples explications, il en existe d'autres chez
lesquels l'individu mûrit d'abord ses spermatozoïdes et, plus tard, ses œufs (hermaphrodisme
protandrique), ou inver- [inversement]
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sement. Il existe aussi des cas où de jeunes ovocytes (ou des cellules ressemblant à des œufs) font leur
apparition dans une glande sexuelle qui, plus tard, fonctionnera comme un testicule. Chez le crustacé
amphipode Orchestia gammarillus, Boulenger a trouvé que sur deux cent dix-sept mâles jeunes, cent
quatre-vingt-dix-huit contenaient dans leur testicule des œufs - ou des cellules y ressemblant. Chez les
mâles adultes, ces cellules avaient pour la plupart disparu complètement. Chez le faucheur mâle
(Phalangium) on a trouvé dans le testicule de grandes cellules - que l'on a dit être des œufs.
Dans le testicule de quelques espèces de jeunes grenouilles on trouve, juste avant la métamorphose, de
grandes cellules qui disparaissent dans la suite. Chez le crapaud existe à la partie antérieure du testicule,
un renflement spécial, l'organe de Bidder, composé exclusivement de grandes cellules semblables à des
œufs ; ces cellules peuvent être comparées à celles que l'on voit disséminées dans le testicule de la jeune
grenouille et que l'on trouve parfois chez le jeune crapaud. D'un autre côté, on retrouve ce même organe
chez la femelle du crapaud pendant toute la première année de sa vie. Si l'on appelle ovaire l'organe de
Bidder du mâle, il faut alors admettre que la femelle possède deux sortes d'ovaires : l'un rudimentaire et
l'autre fonctionnel.
Chez la Lamproie (Petromyzon), les jeunes mâles montrent fréquemment dans leurs testicules des
cellules ressemblant à des œufs non mûrs.
Schreiner a montré que, chez la Myxine, les mâles
< 110 >
immatures ont des œufs dans leurs testicules, tandis que les femelles non mûres montrent, dans leurs
ovaires, de jeunes cellules de la lignée spermatique : dans ce cas, on ne peut distinguer les sexes avant la
maturité.
Certains téléostéens sont dans les mêmes conditions (Brock, Felix, Stéphan, etc.) ; l'un d'eux
seulement, Serranus, a été décrit par Brock et d'autres auteurs comme un hermaphrodite vrai.
Il est douteux que les deux cas suivants puissent être rangés dans la même série. D'après H.-N. Gould,
le mollusque Crepidula plana est du sexe mâle dans sa jeunesse et du sexe femelle plus tard. Cet auteur a
trouvé que si l'on isole un jeune Crepidula des autres plus âgés, les testicules et tout l'appareil génital
mâle ne se développent pas et, lorsque l'animal avance en âge, des ovaires et des oviductes se forment.
Mais si on laisse un jeune Crepidula en présence d'autres plus âgés, il devient et reste un mâle
fonctionnel. D'après Baltzer, si l'on isole les embryons nageants du géphyrien Bonellia, ils se transforment
en femelle. Mais si un embryon, prêt à se fixer, vient à se poser sur le proboscis d'une femelle, il se
développe en un mâle rudimentaire mais fonctionnel. Dans les cultures, un petit nombre d'embryons qui
ne se fixent pas montrent des signes d'un hermaphrodisme commençant. Geoffrey Smith a émis l'idée que
le sexe chez les mâles parasites (mâles complémentaires) de certaines espèces d'anatifes est déterminé par
des conditions de milieu, comme chez Bonellia.
Nous devons aux observations de Boveri et Schleip
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sur le nématode Rhabdonema nigrovenosum la contribution la plus importante relative aux chromosomes
dans l'hermaphrodisme et l'unisexualité. Cette espèce présente deux générations dans son cycle vital.
L'une des générations - l'hermaphrodite - vit en parasite dans les poumons de la grenouille, l'autre est
formée par des mâles et des femelles vivant librement. Les individus hermaphrodites et les femelles libres
ont douze chromosomes. Les mâles en ont onze. Chez l'hermaphrodite, les spermatozoïdes et les œufs se
forment dans la même glande germinative. L'œuf, après maturation, possède six chromosomes. Chez
l'hermaphrodite, il se forme deux classes de spermatozoïdes : l'une avec six, l'autre cinq chromosomes
(l'un des chromosomes X s'étant égaré à l'une des divisions de maturation). Ceux de la première classe
venant à féconder un œuf, donnent une femelle libre ; ceux de la seconde classe, un mâle. Chez le mâle
libre, il faut admettre que les spermatozoïdes qui ne contiennent pas le chromosome X ne sont pas
fonctionnels. Les spermatozoïdes porteurs de X en fécondant les œufs des femelles libres, donnent alors
naissance aux femelles hermaphrodites.
La parthénogénèse et le sexe.
Le règne animal nous offre plusieurs exemples d'espèces se reproduisant par parthénogenèse pendant
plusieurs générations, au bout desquelles apparaissent des formés sexuées. Le rotifère Hydatina senta est
le meil-[meilleur]
< 112 >
leur de ces exemples, puisque nous sommes maîtres de faire apparaître chez lui les générations sexuées
(WHITNEY). Cet animal produit ordinairement des œufs parthénogénétiques (fig. 33, A, D) qui donnent
des femelles.
Fig. 33. - Hydatina senta. A, femelle ordinaire parthénogénétique ; B, femelle sexuée, au moment de l'éclosion, alors qu'elle
est fécondée par le mâle ; C, mâle ; D, œuf femelle parthénogénétique ; E, œuf mâle parthénogénétique ; F, œuf fécondé (œuf
d'hiver). (D'après Whitney.)
Si on le nourrit exclusivement du protozoaire Polytoma,
< 113 >
il ne produit, pendant toute une série de générations, que des femelles parthénogénétiques (WHITNEY et
SHULL). Si l'on change la nourriture en lui donnant des Euglena, les femelles pondent des œufs qui
donneront naissance à une nouvelle espèce d'individus - les femelles productrices de mâles - qui ne se
différencient pas extérieurement de leurs ascendants. Si la femelle productrice de mâles n'est pas fécondée
aussitôt après son éclosion (B), elle va pondre un grand nombre de petits œufs (E) qui vont se développer
parthénogénétiquement pour donner des mâles (C) ; mais si elle vient à être fécondée, elle ne dépose que
quelques gros œufs à enveloppe épaisse (F) - les œufs à développement ralenti - qui donnent toujours
naissance à des femelles.
Donc, un changement de régime a causé l'apparition d'une nouvelle espèce d'individus, qui
fonctionnent soit comme femelles sexuées donnant un petit nombre d'autres femelles, soit comme
femelles parthénogénétiques produisant un grand nombre de mâles, suivant qu'elles ont ou n'ont pas été
fécondées aussitôt après leur éclosion. On ne connaît pas la nature des changements survenus dans cette
espèce de femelles, mais on sait que les petits œufs producteurs de mâles expulsent deux globules polaires
et deviennent haploïdiques. Ces mâles produisent deux sortes de spermatozoïdes : fonctionnels et non
fonctionnels, les premiers étant deux fois plus nombreux que les secondes (WHITNEY). A ce point de
vue, ce cas est semblable à celui de la guêpe dont le mâle haploïdique forme deux espèces de spermato[spermatozoïdes]
< 114 >
zoïdes, fonctionnels et non fonctionnels, dans la proportion de 2 à 1.
La situation est semblable chez l'abeille où, habituellement, les œufs expulsent deux globules polaires
et deviennent donc haploïdiques. Si un tel œuf est fécondé, il donne naissance à une femelle (reine ou
ouvrière). Sinon, il se développe parthénogénétiquement et donne un mâle qui est donc haploïdique. Chez
celui-ci, la première division des spermatocytes est abortive (fig. 33 A) ;
Fig. 33 A. - Spermatogénèse chez l'abeille : a, b, c, première division spermatocytaire abortive ; d, e, f, g, seconde division
spermatocytaire imparfaite. (D'après Meves).
[Figure non reproduite dans cette version]
< 115 >
la seconde est plus complète et donne naissance à deux cellules de taille très inégale dont la plus petite ne
se développe pas. Puisqu'il ne se produit qu'une seule division de maturation - vraisemblablement
équationnelle - les spermatozoïdes fonctionnels renferment un nombre haploïdique de chromosomes.
Tous les spermatozoïdes sont semblables, et tout œuf fécondé donne naissance à une femelle, qui est donc
diploïdique.
Chez certains Aphides, on peut voir se succéder une longue série de générations parthénogénétiques
dont la continuation - ainsi qu'il a été démontré, dépend du milieu. A la fin d'une série de
parthénogénèses, des mâles et des femelles sexuées font leur apparition.
Les femelles parthénogénétiques ont le nombre complet de chromosomes (STEVENS, VON BAER,
MORGAN). Le mâle possède dans ses cellules somatiques un chromosome en moins ; depuis que l'on sait
que chez les Phylloxériens, étroitement apparentés aux Aphides, les mâles possèdent un nombre
semblablement réduit de chromosomes - état dû, d'après Morgan, à l'expulsion de chromosomes entiers
dans le globule polaire - ; on peut en inférer légitimement que chez les Aphidiens, les choses se passent de
même. Lors de la première division spermatocytaire des Aphides (fig. 33 B, a-c), l'une des cellules reçoit
le chromosome impair X (dont le conjoint a été expulsé avec le globule polaire lors de la maturation de
l'œuf mâle) ; cette cellule, après une nouvelle division équationnelle (fig. 33 B, e, f), donne naissance aux
spermatozoïdes fonctionnels. Quant à la cellule qui
< 116 >
ne reçoit pas l'X, elle dégénère. L'œuf pondu par une femelle sexuée émet deux globules polaires. Il
contient alors le nombre réduit de chromosomes, dont l'un est
Fig. 33 B. - Spermatogénèse de l'aphide de l'Arctophyllos uva ursi (busserole) a, b, c, première division spermatocytaire,
avec chromosome retardataire ; d) stade d'intercinèse ; e, j, g, seconde division spermatocytaire de la cellule fonctionnelle.
[Figure non reproduite dans cette version]
le chromosome X. Un tel œuf fécondé par le spermatozoïde fonctionnel - porteur de X - donne naissance,
au printemps suivant, à la femelle souche, qui devient la mère de toute une nouvelle ligne de femelles
parthénogénétiques.
Chez le phylloxéra du noyer d’Amérique, l’œuf fécondé donne naissance à une femelle souche (fig.
34). Elle sort de l'œuf au premier printemps
< 117 >
et s'attache par son suçoir à une feuille où elle détermine la production d'une galle qui l'enveloppe
progressivement. A l'intérieur de la galle, elle pond ses œufs. Ceux-ci éclosent et donnent naissance à la
génération ailée ou migratrice (fig. 34). Chez une espèce, P. Caryæ- [Cariæcaulis]
Fig. 34. - Le cycle vital du Phylloxera caryæcaulis.
caulis, toutes les femelles migratrices contenues dans une galle produisent la même sorte d'œufs : dans les
unes, toutes les migratrices contiennent de gros œufs (qui donneront naissance aux femelles sexuées),
tandis que dans d'autres, elles contiennent toutes de petits œufs (qui donneront naissance à des mâles).
< 118 >
La femelle sexuée pond un œuf qui est fécondé et dont sortira la mère-souche au printemps suivant.
Les mâles produisent uniquement des spermatozoïdes déterminant le sexe femelle et contenant chacun
deux chromosomes sexuels. Les autres spermatozoïdes dégénèrent. Nous pouvons donc comprendre
pourquoi tous les œufs fécondés produisent exclusivement des femelles.
Le cycle chromosomien présente une série de modifications que nous montre la figure 35. Chez P.
Caryæcaulis, il y a huit chromosomes, y compris quatre chromosomes sexuels (XXXx). Comme l'histoire
des chromosomes sexuels fournit à elle seule certains renseignements qui rendent claires quelques-unes
des modifications du cycle vital, on peut laisser de côté les autres chromosomes. En partant du bas du
diagramme on voit qu'après avoir expulsé ses deux globules polaires, l'œuf sexuel contient deux
chromosomes sexuels représentés par Xx. Deux sortes de mâles sont représentés également, l'un
contenant Xx, l'autre, Xx' et, par conséquent, il y aura deux sortes de spermatozoïdes produisant des
femelles, une pour chaque mâle : Xx et Xx'.
Si les premiers fécondent l'œuf sexué, la mère-souche qui en proviendra aura la formule XXXx ; si, au
contraire, ce sont les derniers, elle aura la formule XXXx'. Ces deux sortes de mères-souches sont
représentées à la partie supérieure du diagramme.
L'une d'elles, XXXx, produit des œufs qui, après avoir expulsé un globule polaire, donneront naissance
< 119 >
aux femelles migratrices à gros œufs ; celles-ci, à leur tour, donneront naissance aux femelles sexuées.
L'autre mère-souche, XXXx, produit des œufs qui, après avoir
Fig. 35. - Diagramme montrant le cycle chromosomien du Phylloxera caryæcaulia.
[Figure non reproduite dans cette version]
< 120 >
expulsé un globule polaire, donnent naissance aux migratrices à petits œufs. Avant le moment où ces
petits œufs vont former leur unique globule polaire, les deux grands X conjuguent et les deux petits x
aussi ; lorsque le globule polaire est expulsé un X et un x sont rejetés, tandis qu'un X et un x restent dans
l'œuf. En d'autres termes, il y a à ce moment réduction du nombre des chromosomes sexuels et, comme
conséquence, production d'un mâle. Mais, comme le montre le diagramme, Xx peut rester dans l' œuf et
Xx' être rejeté été ; ou, dans d'autres œufs, Xx' être retenu dans l'œuf et Xx rejeté. Il y aura, par
conséquent, deux sortes de mâles : les uns Xx, les autres Xx', et, comme on l'a vu, deux sortes de
spermatozoïdes Xx et Xx' produisant tous deux des femelles.
Le cycle vital est ainsi ramené à son point de départ. On peut ajouter qu'en ce qui concerne les autres
chromosomes, il n'y a ni synopsis ni réduction au nombre haploïdique dans l'une ou l'autre lignée jusqu'à
ce que se produisent les divisions de maturation de la troisième génération ou génération sexuée. Le cycle
vital de cette espèce met en évidence trois points :
1° Tous les spermatozoïdes déterminent le sexe femelle parce que la classe de spermatozoïdes
déterminant le sexe mâle dégénère, ainsi que l'a montré l'observation directe ;
2° Les femelles parthénogénétiques peuvent, par élimination de deux chromosomes, donner naissance
à des mâles. La femelle possède quatre chromosomes sexuels,
< 121 >
et le mâle, deux. L'élimination des deux chromosomes dans le globule polaire des œufs produisant des
mâles a été directement démontrée ;
3° Chez cette espèce, l'existence quelque peu inaccoutumée d'une mère-souche donnant naissance à la
lignée qui aboutit à la production d'œufs sexués, et d'une autre mère-souche donnant naissance à la lignée
qui aboutit au mâle peut être expliquée si l'on admet qu'une paire des chromosomes sexuels est
hétérozygote dans l'un de ses facteurs, représenté dans le diagramme par une apostrophe ajoutée à l'un des
X.
Chez d'autres espèces de Phylloxera et chez plusieurs Aphides, une même mère-souche peut produire à
la fois les deux lignées, c'est-à-dire que parmi ses descendants les uns donneront finalement naissance à
des femelles sexuées, et d'autres à des mâles.
Le sexe des individus produits par parthénogénèse expérimentale.
Ce n'est que chez deux espèces que l'on a pu obtenir des individus provenant d'œufs développés par
parthénogénèse expérimentale, qui fussent assez avancés pour en pouvoir déterminer le sexe.
Delage parvint ainsi à élever deux oursins, qui étaient vraisemblablement des mâles.
Loeb a élevé des grenouilles dont la plupart étaient des mâles ; quelques-unes cependant étaient des
femelles.
Dans le cas de Loeb, les deux sexes possédaient appa- [apparemment]
< 122 >
remment le nombre diploïdique de chromosomes. Avant que l'on ne soit mieux fixé sur ce point il n'est
pas possible d'en avancer une explication. Les travaux de Schmitt-Marcel et d'autres auteurs jettent
quelque doute sur la possibilité d'une détermination exacte du sexe de la grenouille avant qu'il ne se soit
écoulé un temps assez long depuis sa métamorphose.
Le sexe et les caractères sexuels secondaires.
Les mâles ne diffèrent pas des femelles que par les glandes germinatives et les organes accessoires de
la reproduction (conduits, glandes annexes, organes copulateurs) ; souvent ils présentent des différences
plus apparentes à première vue, appelées caractères sexuels secondaires. Il à été démontré, au moins chez
deux espèces, que les gênes qui ont sous leur dépendance la différenciation de ces caractères, ne se
trouvent pas dans les chromosomes déterminants du sexe.
Ces caractères ne sont pas liés au sexe, puisqu'ils ne sont pas associés avec un chromosome sexuel
particulier, et pourtant on peut dire qu'ils sont limités au sexe.
Le plumage de certaines races de poules nous en offrira un premier exemple. Dans la race bantam de
Sebright, les mâles (fig. 36, a) ont un plumage identique à celui de la poule. Si l'on croise un mâle ou une
femelle Sebright avec un représentant d'une race dont les mâles ont un plumage de coq, les descendants
mâles de ce croisement ont un plumage de poule. A la génération
< 123 >
F.2, on obtient à la fois des mâles à plumage de coq et à plumage de poule : ceci nous montre que les
facteurs dominants pour le plumage de poule ne se trouvent pas dans les chromosomes sexuels ; car, si
cela était, la génération F.2 d'un des croisements devrait donner exclusivement des mâles à plumage de
poule, et le croisement réciproque, les deux sortes de mâles. Si l'on châtre un
Fig. 36. - a, Coq Sebright normal, à plumage de poule ; b, coq Sebright châtré.
[Figure non reproduite dans cette version]
mâle à plumage de poule, les nouvelles plumes qui poussent immédiatement, si l'on enlève les vieilles, ou
sinon à la prochaine mue, sont des plumes de coq (fig. 36, b). Il est évident que dans le testicule des
oiseaux à plumage de poule se forme un produit qui, agissant concurremment avec le complexe formé par
le soma de cet oiseau, inhibe le développement du plumage de coq. Il est probable que le testicule produit
une sécrétion interne qui, agissant en même temps que d'autres substances formées dans les follicules des
plumes, détermine chez celles-ci l'aspect des plumes de poules, tandis que,
< 124 >
en l'absence de cette sécrétion, les follicules produisent des plumes de coq. Dans ce cas, un des stades
intermédiaires entre le gêne et la plume se localise dans le testicule. Il est intéressant de noter aussi que,
lorsqu'on enlève l'ovaire à une poule, elle acquiert le plumage du coq (GOODALE).
Dans l'ovaire existent certaines cellules, les cellules à lutéine, que l'on suppose produire une sécrétion
interne. Ces cellules ne se retrouvent pas dans les testicules des coqs ordinaires adultes ; mais dans ceux
des Sebright, ainsi que dans ceux d'une autre race de coqs à plumage de poule, les Campines, on trouve
des cellules ressemblant tout à fait aux cellules à lutéine de l'ovaire de poule. Il est plausible d'admettre
que la sécrétion en question est produite par ces cellules et qu'elle a le même effet sur la poule et sur le
coq à plumage de poule. En ce qui concerne la race campinoise, on prend comme standard dans certains
pays les mâles à plumage de poule, tandis que dans d'autres ce sont les mâles à plumage de coq. Il semble
bien ici aussi, quoique cela soit moins évident, que les races diffèrent par un facteur pour le plumage de
poule ; ici aussi la castration du coquard à plumage de poule amène chez lui le développement du
plumage de coq, comme cela se passe dans l'autre race.
Chez certains moutons, dans certaines races de Mérinos par exemple (fig. 36 A), les cornes n'existent
que chez le bélier. Si l'on châtre un jeune bélier, les cornes ne se développent pas. Pour étudier l'hérédité
des fac- [facteurs]
< 125 >
teurs provoquant ce caractère différentiel, il serait nécessaire de croiser un Mérinos avec une race dans
laquelle les cornes sont présentes (ou absentes) dans les deux sexes ; jusqu'à présent, on n'a pas encore
réalisé cette expérience. Il existe des races de moutons chez lesquels
Fig. 36 A. - Moutons mérinos de Rambouillet : bélier cornu, brebis sans cornes.
[Figure non reproduite dans cette version]
les deux sexes ne possèdent pas de cornes (les Suffolk), et d'autres encore chez lesquels les deux sexes
sont cornus, les cornes du bélier étant cependant plus développées (les Dorset, fig. 36 B). Ces deux races
ont été croisées, mais il se peut que nous ayons affaire ici ou bien à des facteurs déterminants des cornes,
différents de ceux qui existent chez le Mérinos, ou bien à des fac- [facteurs]
< 126 >
teurs modificateurs qui, par leur action, provoquent des résultats différents. Ce croisement (fig. 36 C) ne
nous permet donc pas d'étudier l'hérédité d'un caractère sexuel secondaire (car les deux sexes des Suffolk
sont sans cornes et les deux sexes des Dorset sont cornus), mais il nous fait étudier un seul facteur
différentiel existant entre les deux races en question, différence qui, au
Fig. 36 B. - Moutons de Dorset : cornes existant dans les deus sexes, mais plus grandes chez le bélier. (D'après Arkell).
[Figure non reproduite dans cette version]
cours du développement, n'est pas liée au sexe, mais lui est limitée. Les Dorset cornus croisés aux Suffolk
sans cornes donnent des descendants mâles cornus et des femelles sans cornes. Si l'on croise entre eux ces
produits, on obtient trois mâles cornus pour un sans cornes et trois femelles sans cornes pour une seule
cornue. On peut expliquer ces résultats en admettant qu'il existe, dans ce cas, un facteur différentiel non
porté par les chromosomes sexuels, et que, chez les mâles, il suffit d'un seul gêne pour cornes pour
provoquer leur apparition, tandis que chez la femelle, il en faut deux. Par
< 127 >
Fig. 36 C. - Croisement d'une race de moutons cornue avec une race sans cornes. (D'après Wood, photos de Punnett.)
[Figure non reproduite dans cette version]
< 128 >
exemple, les races cornues portent les gênes H. H. et les non cornues, leurs allélomorphes, h. h. La
génération F.1 sera composée de Hh f (sans cornes) et Hh m (avec cornes). Si la femelle est du type XX et
le mâle du type XY, les gamètes F.1 ont la formule suivante :
Gamète F.1 f : HX - hX.
Gamètes F.1 m : HX - hX - HY - hY.
Le hasard des combinaisons entre les spermatozoïdes et les œufs amènera la formation, à la génération
F.2, de huit classes, qui sont celles décrites plus haut. Dans ce cas, c'est vraisemblablement la présence
des testicules qui est la condition essentielle amenant le développement des cornes dans le sexe mâle
lorsque, chez celui-ci, n'existe qu'un seul gêne pour ce caractère. Nous avons déjà vu que chez le bélier
Mérinos châtré, les cornes ne se développent pas. Dans ce cas, il faut donc admettre que le testicule
produit certaines substances qui conditionnent le développement des cornes. Dans une autre race, où les
deux sexes sont cornus mais où les cornes du mâle sont plus développées que celles de la femelle, la
castration de celui-ci limite le développement des cornes qui s'arrête lorsqu'elles ont acquis le volume de
celles de la femelle. Dans cette race, les testicules déterminent un développement plus grand des cornes
chez le mâle que chez la femelle.
Le second cas nous est fourni par deux espèces d'un hémiptère, l'Euschistus variolarius et l’E. servus
(fig. 36 D). Le mâle du premier présente une tache noire
< 129 >
à la surface centrale de la partie terminale de l'abdomen ; cette tache manque chez le mâle de l'autre
espèce. Chez les femelles des deux espèces, la tache manque. Foot et Strobell ont montré qu'un seul
facteur différentiel est lié à l'absence ou à la présence de cette tache. Cette paire de facteurs n'est pas liée
au sexe et est contenue, par
Fig. 36 D. - Euschistus. A gauche, E. variolarius mâle ; à droite E. servus mâle. (D'après Foot et Strobell).
conséquent, dans les autosomes. Chez d'autres insectes, on a montré, par des expériences de castration,
que le développement des caractères sexuels secondaires n'est pas lié à la présence de la glande
germinative ; si cela aussi est vrai pour Euschistus, on doit supposer que les facteurs en question
produisent ou non leurs effets, suivant qu'ils sont distribués à un sexe ou à un autre.
En dehors de ces exemples de caractères limités au sexe dans les espèces naturelles, nous connaissons
plusieurs cas semblables existant dans des races mutantes de Drosophila megalonaster [sic]. Ces mutants
se reconnais- [reconnaissent]
< 130 >
sent à un caractère plus développé dans un sexe que dans l'autre, ou différent d'un sexe à l'autre, tout
comme les cornes dans certaines races de moutons. Parmi les caractères mutants de cette espèce, nous
citerons éosine, face, et coupé. Certaines mutations n'amènent de différences que dans l'un des sexes :
c'est ainsi que le caractère “ coté anormal ” n'est reconnaissable que chez les femelles, les mâles étant
apparemment normaux. Un type différent de cette même classe est celui chez lequel la mutation affecte
les organes génitaux eux-mêmes, comme cela arrive dans la classe penis tordu ou oviscapte occlus.
Certains mutants nous offrent aussi cette particularité que l'un des sexes est stérile, tandis que l'autre jouit
d'une fertilité normale. C'est ainsi que “ fissuré ” et “ géant ” ont leurs mâles stériles, tandis que chez
“ morula ”, “ fusionné ” et “ nain ”, ce sont les femelles qui sont atteintes de stérilité. Chez certains
papillons, il existe plusieurs types de femelles, alors qu'il n'y a qu'un seul type de mâles.
Punnett, ainsi que d'autres auteurs, ont montré que l'on peut expliquer cet état de choses en prenant
pour base les principes mendéliens ; il faut pour cela admettre qu'il existe plusieurs gênes produisant des
effets semblables chez les mâles, mais des effets différents chez les femelles ; c'est-à-dire que les
caractères en question sont, dans leur développement, limités au sexe.
< 131 >
Castration parasitaire et caractères sexuels secondaires.
Giard a montré le premier (1886), et ses observations ont été confirmées plus tard par Geoffrey Smith
(1906) et d'autres auteurs, que lorsque les mâles de certains crabes (fig. 36, E 1-2) sont parasités par
d'autres crus- [crustacés]
Fig. 36 E. - 1, 2, Crabe mâle normal adulte ; 3, 4, femelle normale adulte ; 5, 6, mâle infecté ayant acquis des caractères
féminins. (D'après Geoffrey Smith.)
tacés, tels que Peltogaster, Sacculina, etc., les caractères sexuels secondaires de la femelle se développent
chez eux (fig. 36, E 5-6). Les testicules sont, en général, détruits par le parasite ; cette constatation a
suggéré sans doute l'idée que les changements dans les caractères sexuels secondaires sont dus à la
disparition des tes- [testicules]
< 132 >
ticules – idée d’autant plus plausible que l’on connassait les effets de la castrations chez les mammifères
et chez les oiseaux. Mais Giard ne semble pas s’être entièrement rallié à ces vues. Il a pensé, semble-t-il,
que l’influence du parasite s’est exercée également sur le crabe tout entier.
C’est Geoffrey Smith qui a lancé l’idée plus générale que c’est la perte des testicules qui provoque les
changements observés. Sans doute est-ce là l’interprétation la plus probable, mais jusqu’à présent, elle n’a
pas reçu de vérification expérimentale suffisante. D’un autre côté, Korhauser a découvert, chez un
hémiptère, un cas typique qui montre que chez ces animaux des changements semblables à ceux trouvés
chez les crabes ne sont pas dus à la destruction des glandes germinatives, mais à une influence spéciale du
parasite sur les tissus de son hôte. Les nymphes de la Cicadine Thelia bimaculata, sont parasités par un
hyménoptère, Aphelopus theliæ. L’œuf de l’hyménoptère, déposé dans la nimphe, donne naissance à une
série de jeunes larves (polyembryonnie). Chez les mâles de Thelia (fig. 36, F.2), les parasites font
apparaître certaines taches et quelques autres caractères somatiques propres à la femelle (fig. 36, F. 3-3’).
Les testicules sont habituellement détruits ; mais, dans un cas examiné, il restait un testicule qui avait
formé des spermatozoïdes, et néanmoins la nymphe présentait certains caractères femelles. Il est donc
évident que ces changements peuvent se passer indépendamment des
< 133 >
glandes génitales ; on pouvait déjà le prédire, au moins pour les insectes, chez lesquels les expériences de
Oudemans, Kopec, Kellogg, Meisenheimer, Regen avaient
Fig. 36 F. – Thelia bimaculata : 1, mâle normal ; 2, femelle normale ; 3 et 3’, mâles parasités. (D’après Kornhauser.)
[Figure non reproduite dans cette version]
montré à l’évidence qu’il n’existe pas de relation entre glandes génitales et caractères sexuels secondaires,
comme c’est le cas pour les mammifères et les oiseaux.
< 134 >
Les gynandromorphes et le sexe.
Chez des espèces à sexes séparés, on rencontre parfois des individus présentant, dans certaines parties
de leur corps, des caractères mâles, tandis que les autres parties ont un caractère femelle bien net. Ces
disharmonies peuvent siéger dans toutes les parties du corps et frapper les caractères sexuels secondaires,
les organes génitaux et même les glandes germinatives. Le groupe des lépidoptères, à lui seul, fournit plus
d'exemples de ces cas que tous les autres groupes réunis ; mais on a trouvé aussi des gynandromorphes
chez les abeilles, les guêpes, les fourmis, et moins fréquemment chez d'autres groupes d'insectes.
Le gynandromorphisme existe aussi chez les araignées et les poux, beaucoup plus rarement chez, les
crustacés et les autres groupes d'animaux. Il est rarement possible d'en découvrir la cause ; ou bien parce
que la parenté des gynandromorphes n'est pas connue, ou bien parce que l'on ne sait pas comment se fait
chez eux l'hérédité des caractères modifiés. Mais, chez Drosophila, on a pu assister à l'éclosion de plus
d'une centaine de gynandromorphes dans des cultures pédigrées dans lesquelles on connaissait le mode
d'hérédité des caractères modifiés. Dans certains cas même, les cultures avaient été faites de telle façon
qu'elles donnaient toute sécurité sur l'origine des gynandromorphes qui y étaient apparus.
Les cas les plus frappants de gynandromorphisme sont ceux dans lesquels un côté du corps est femelle,
< 135 >
l'autre mâle. Le premier des gynandromorphes de ce genre, observé chez Drosophila, est représenté dans
la figure 36 G, c. Le côté droit de cette mouche était femelle
Fig. 36 G. - A, B, C, trois gynandromorphes de Drosophila = mâles d'un côté, femelles de l'autre ; C1 organes génitaux du
gynandromorphe C ; D, du mâle normal ; E, de la femelle normale.
[Figure non reproduite dans cette version]
< 136 >
dans son entièreté, tandis que le côté gauche était mâle. Le côté gauche de la tête, du thorax et de
l'abdomen était plus petit que le côté droit ; l'antenne, les soies, les pattes et l'aile gauches étaient aussi de
taille moindre que les organes correspondants du côté droit. Outre ces différences de taille, la patte
antérieure gauche était nettement celle d'un mâle, car elle présentait un peigne et le côté gauche de
l'abdomen était coloré et segmenté comme chez le mâle. Les organes génitaux externes étaient
distinctement du type mâle dans leur moitié gauche, tandis que la moitié droite était d'un type moyen, ni
mâle ni femelle. Des ovaires existaient des deux côtés de l'abdomen. La similitude des deux glandes
germinatives est due probablement au fait qu'elles dérivent toutes deux d'une seule cellule qui s'est isolée
dès les premières phases du développement.
Dans le cas représenté par la figure 36 G, a, des caractères liés au sexe furent reconnus chez le
gynandromorphe. Chez celui-ci, le côté droit du thorax et de l'abdomen était nettement mâle, mais la tête
entièrement femelle. Les parties mâles montraient toutes les caractéristiques usuelles de ce sexe ainsi que
le caractère couleur jaune du corps, caractère qui est récessif et lié au sexe.
Ce gynandromorphe naquit d'un œuf possédant un chromosome X porteur du caractère éosine, fécondé
par un spermatozoïde possédant un X, mais porteur de gênes de jaune et de blanc. Par cette union, il
devait donc se développer une femelle, et les parties femelles du gynan- [gynandromorphe]
< 137 >
dromorphe montrent une structure répondant aux prévisions théoriques. Ce cas s'explique ainsi : si, à la
première division, le chromosome X paternel (porteur de jaune et de blanc) se divise normalement et se
distribue aux deux noyaux fils, et si, en même temps, l'un des chromosomes fils résultant de la division du
chromosome X maternel (porteur d'éosine, fig. 36 H) ne passe
Fig. 36 H. - Schéma montrant l'élimination d'un chromosome sexuel.
[Figure non reproduite dans cette version]
pas dans un des deux noyaux fils, il en résultera que l'un d'eux contiendra XX et donnera naissance aux
parties femelles du gynandromorphe, l'autre noyau fils ne contiendra qu'un X (porteur de jaune et blanc) et
formera les parties mâles du gynandromorphe.
Un autre gynandromorphe, représenté dans la figure 36 G, b, résulta de la fécondation d'un œuf porteur
des trois caractères suivants : cerise (récessif), abdomen anormal (dominant) et fourchu (dominant) par un
spermatozoïde porteur de vermillon (récessif). Les parties femelles montrent le caractère abdomen
anormal,
< 138 >
dominant. Ici il y a eu élimination d'un des chromosomes fils provenant du chromosome X (vermillon) à
la première ou à la seconde division nucléaire, de sorte que les parties mâles présentant les trois caractères
maternels cerise, anormal et fourchu. La paire de pattes antérieure est mâle (peigne et soies fourchues), le
côté droit du thorax également (taille moindre, soies et poils plus petits, soies fourchues, aile plus petite) ;
le côté droit de l'abdomen est également mâle par ses dimensions moindres, son état de malformation plus
grande, et aussi un peu par sa coloration.
Chez d'autres gynandromorphes, la partie antérieure du corps peut être femelle et la postérieure mâle,
ou vice versa. Ou bien un quart de l'animal peut être mâle et le reste femelle ; ou même une partie plus
petite encore peut seule présenter les caractères mâles, suivant que l'élimination d'un des chromosomes X
s'est produite plus ou moins tard. On constate parfois de petits îlots ou des bandes caractéristiques de
l'autre sexe sur la tête ou la région abdominale ; ou bien la ligne de démarcation entre les parties mâle et
femelle est irrégulière : ces anomalies sont peut-être dues au glissement de noyaux lors du développement
embryonnaire.
Les explications antérieures du gynandromorphisme étaient faites en prenant pour base des noyaux
entiers : on énonçait, comme un postulat, que les parties mâles sont haploïdiques et les femelles
diploïdiques. Nous avons expliqué la formation des gynandromorphes de Drosophila par le comportement
d'un élément nucléaire,
< 139 >
le chromosome X. Les cellules de chacune des deux parties doivent donc contenir un nombre diploïdique
d'autosomes. Le fait que les cellules des parties mâles et femelles contiennent à la fois les autosomes
paternels et maternels a pu être prouvé chez Drosophila par le croisement d'espèces dont les descendants
devaient présenter à la fois des caractères liés au sexe, et d'autres liés aux autosomes.
Chez les gynandromorphes issus de ces croisements, les parties mâles et femelles présentaient les
mêmes caractères, tout au moins ceux portés par les autosomes.
Il y a peu d'exemples de gynandromorphisme chez Drosophila qu'on ne puisse expliquer par la simple
élimination d'un chromosome. Mais on en peut donner aussi l'explication suivante : c'est que l'œuf
contenait deux noyaux avant la fécondation ; si l'un d'eux est fécondé par un spermatozoïde porteur de X
et l'autre par un spermatozoïde porteur de Y, les deux moitiés de l'embryon qui en résultera peuvent être
de sexe différent et développer des caractères liés au sexe, différents, suivant la composition des deux
noyaux fécondés. On peut appliquer cette explication aux deux intéressants gynandromorphes décrits par
Toyama chez le ver à soie (fig. 36 J, K). A ce point de vue, il est intéressant de noter que Doncaster a
observé des œufs binucléés chez Abraxas, dans lesquels chacun des deux noyaux était fécondé par un seul
spermatozoïde.
Dans la fameuse ruche d'abeilles d'Eugster, étudiée par von Sieboldt, existaient de nombreux
gynandromor- [gynandromorphes]
< 140 >
phes. Engelhardt et, plus récemment, Sheppard, mentionnent des cas semblables. Leur explication est
moins
Fig. 36 J. - Chenilles du ver à soie. Le gynandromorphe est un hybride provenant du croisement de la race unie avec la race
rayée. (D'après Toyama).
Fig. 36 K. - Schéma expliquant la formation du gynandromorphe représenté dans la fig. 36 J (œuf binucléé).
[Figures non reproduites dans cette version]
certaine que pour le cas de Drosophila. Boveri a suggéré la suivante : un spermatozoïde entre dans un œuf
dont le noyau a déjà commencé à se diviser (première division de segmentation) et s'unit à l'un seulement
des noyaux- [noyaux-fils]
< 141 >
fils provenant de cette division (fig. 36 I, a). Ce noyau diploïdique donnerait naissance aux parties
femelles, le noyau haploïdique donnant les parties mâles. Morgan, de son côté, a essayé d'expliquer ce cas
de cette manière : un spermatozoïde se fusionne avec le noyau de l'œuf : ces deux noyaux conjugués
donneront les parties femelles ; un autre spermatozoïde qui a réussi à pénétrer
Fig. 36 I. - Schéma des trois théories du gynandromorphisme. A, théorie Boveri, de la fécondation partielle ; B, théorie
Morgan, de la polyspermie ; C, théorie de l'élimination, comme dans la fig. 36 H.
[Figure non reproduite dans cette version]
aussi, se développe pour son propre compte en donnant les parties mâles (fig. 36 1, b). On connaît des cas
de polyspermie chez l'abeille. Enfin, troisième explication, on peut admettre que l'un des chromosomes X
s'élimine, comme chez Drosophila (fig. 36 I, c). Cette explication est plausible (car, dans les deux cas, les
abeilles étaient des hybrides), pour autant que les caractères raciaux présentés par les abeilles d'Eugster et
de
< 142 >
von Engelhardt sont portés par les chromosomes sexuels, ce qui n'est pas encore démontré.
L'intersexualité et le sexe.
Lorsque l'on croise entre elles les deux variétés européenne et japonaise de la noctuelle Porthetria
dispar et japonica, les hybrides que l'on obtient montrent une mosaïque remarquable des caractères mâles
et femelles. Nous devons à Goldschmidt un travail très complet sur ces hybrides, ainsi que sur d'autres,
obtenus par croisement de plusieurs variétés locales japonaises de cette noctuelle. Comme résultat régulier
de ces croisements - et pas du tout d'une façon sporadique -, on obtient des individus montrant la
mosaïque la plus étonnante de caractères mâles et femelles. Dans son premier travail, Goldschmidt
rangeait ces formes parmi les gynandromorphes ; depuis lors, il pense qu'ils en sont différents et il en a
constitué une classe à part : les intersexués.
Les mâles et les femelles normaux de la noctuelle européenne différent en ce qu'ils présentent non
seulement les caractères sexuels différents propres à ce groupe, mais encore d'autres caractères sexuels
secondaires (fig. 36 L). Les mêmes différences existent dans les variétés japonaises. Si l'on croise un
japonica femelle avec un dispar mâle, on obtient des descendants mâles et femelles en nombre égal, tous
normaux quant aux caractères sexuels.
< 143 >
Mais le croisement réciproque, dispar femelle par japonica mâle, donne un nombre égal de mâles
normaux et de femelles intersexuées (ou andromorphes).
Fig. 36 L. - Bombyx disparate (Porthetria). a, mâle normal ; b, femelle normale ; c, d, intersexués. (D'après Goldschmidt.)
Les femelles intexsexuées ainsi obtenues montrent toute une gamme de variations dans leur forme, leur
coloration, leur comportement, allant des femelles presque normales jusqu'à des femelles presque
identiques à des mâles. Dans les cas extrêmes, ce ne sont pas que les ailes qui ont la coloration de celles
du mâle (avec cependant, de place en place, des taches blanches rappelant la femelle) ; ce sont aussi et la
taille et différentes parties du corps, telles que les antennes, les poils, les organes
< 144 >
génitaux externes et même les glandes germinatives qui présentent une mosaïque de caractères mâles et
femelles.
Les résultats sont plus intéressants lorsque l'on compare des croisements obtenus en partant des
différentes race japonaises. Lorsqu'on croise un mâle japonais G avec une femelle japonaise K, tous les
descendants femelles F.1 ne montrent que légèrement les caractères des intersexués (ou andromorphes).
Lorsqu'on croise la femelle japonaise G avec le mâle japonais K, les descendants femelles de ce
croisement ressemblent un peu plus aux mâles que ceux du croisement précédent : leurs instincts sont
cependant ceux des femelles, et ils attirent les mâles. Mais leurs organes copulateurs ont subi un tel
changement, une telle déviation dans la direction mâle qu'ils sont devenus inaptes à remplir leur fonction
et que l'accouplement est impossible : la femelle ne peut déposer ses œufs, bien qu'elle construise, pour
les recevoir, ces “ éponges chevelues ” que l'on connaît bien. Lorsqu'on croise une femelle européenne F
avec un mâle japonais G, les descendants femelles que l'on obtient se rapprochent plus, par leurs
caractères, des mâles que des femelles. Leurs caractères sexuels secondaires sont ceux des mâles, leurs
instincts et leur comportement sont intermédiaires entre ceux des mâles et des femelles des deux races
normales : elles n'attirent pas, ou peu, les mâles et il n'y a jamais d'accouplement. Leurs organes
copulateurs montrent les combinaisons les plus étranges du type mâle et du type femelle, mais elles
possèdent encore des ovaires typiques, quoique rudimentaires.
< 145 >
Lorsqu'on croise une femelle japonaise X avec un mâle européen F, les descendants femelles obtenus
sont d'un degré plus élevé dans l'échelle de l'intersexualité : extérieurement, il est presqu'impossible de les
distinguer des mâles normaux ; leurs instincts sont ceux des mâles et elles essayent vainement de
s'accoupler aux femelles. Leurs glandes germinatives ressemblent à des testicules, mais se montrent
composées d'un mélange de tissu ovarien et testiculaire. Un pas de plus et l'on obtiendrait des femelles
complètement transformées en mâles : c'est ce que réalise le croisement suivant : mâle japonais O avec
une femelle européenne de n'importe quelle race : on n'obtient que des mâles, c'est-à-dire que toutes les
femelles sont transformées en mâles qui sont, cependant, atteints de stérilité.
On obtient des résultats inverses lorsque, par une série de croisements appropriés, ce sont les mâles qui
sont intersexués, c'est-à-dire plus ou moins changés en femelles, état que Goldschmidt appelle
l'intersexualité mâle. Les ailes sont alors rayées de blanc et, dans les types extrêmes, quelques rares taches
brunes caractéristiques du mâle apparaissent dans les rayures des ailes. Le testicule contient alors parfois
du tissu ovarien ; mais le changement que l'on peut observer dans les glandes germinatives ne peut se
comparer aux changements extérieurs.
L'explication que Goldschmidt donne de ces faits diffère entièrement de celle que nous avons donnée
pour les gynandromorphes de Drosophila. Il accepte la théorie
< 146 >
chromosomienne de la détermination du sexe et l'applique aux cas d'intersexualité en prenant pour base
que la femelle est hétérozygote pour le chromosome sexuel Mm (Z W) et le mâle homozygote MM (ZZ).
Mais Goldschmidt fait intervenir une autre série de facteurs déterminants du sexe qu'il appelle FF (il les
inscrit entre parenthèses), et qu'il localise soit dans le cytoplasme, c'est-à-dire en dehors des
chromosomes, soit, avec plus de vraisemblance, dans le chromosome W .
Ces facteurs ne subissent pas la disjonction, et sont distribués également par la femelle à ses fils et à
ses filles. Les facteurs FF sont en relation avec le déterminisme du sexe femelle, qui comporte à la fois les
œufs, les ovaires, les caractères sexuels secondaires, les organes génitaux externes ; en fait, toutes les
parties qui constituent la femelle. Le sexe d'un individu donné dépend du résultat de la lutte entre les deux
facteurs Mm et FF.
Nous allons illustrer les idées de Goldschmidt en prenant l'exemple suivant. Comme nous l'avons déjà
vu, il donne à la femelle la formule FF Mm et au mâle FF MM. Si, dans une race donnée, l'ensemble des
facteurs FF est représenté par 80 unités, et le facteur présent M par 60 unités, la formule d'une telle
femelle sera 80 - 60 = + 20, tandis que celle du mâle correspondant sera 80 - (60 + 60) = - 40 .
Dans le premier cas, les unités femelles “ dominent ” ; dans le second, ce sont les mâles. On peut donner à
cha- [chacune]
< 147 >
cune des différentes races des valeurs arbitraires, semblables à celles dont nous nous sommes servis. C'est
ainsi que, par exemple, il assigne les valeurs suivantes à la race européenne “ faible ”” et à la race
japonaise “ forte ” :
Race européenne faible.
f (FF) Mm
80 60
m (FF) MM
80 60+60
Race japonaise forte.
f (FF) Mm
100 80
m (FF) MM
100 80+80
Si l'on croise une femelle japonaise avec un mâle européen, la femelle et le mâle F.1 seront représentés
par les formules suivantes :
F.1 f : (FF) Mm
100 60
F.1 m : (FF) MM
100 80+60
On peut donc s'attendre à trouver des mâles et des femelles normaux en nombre égal. Le croisement
inverse donne d'autres résultats :
F.1 f : (FF) Mm
80 80
F.1 m : (FF) MM
80 80+60
Ici, la femelle F.1 a pour formule FF-M=O, et est donc intersexuée ; à noter que dans ces formules les
facteurs dits “ féminisants ” sont supposés s'hériter entièrement par la mère.
En donnant à FF et à M des valeurs différentes dans les différentes races, il est possible d'exprimer les
résultats de manière à assigner à chacun des sexes produits
< 148 >
dans les différents croisements des valeurs minimales différentes. Lorsqu'un descendant possède une
formule dont le résultat s'écarte plus ou moins de la valeur assignée à un sexe donné, il doit être rangé
parmi les intersexués. Dans l'exemple cité, la balance (=O). entre les deux facteurs en conflit donne lieu à
la formation d'un individu ni mâle ni femelle, mais formé d'une mosaïque de parties qui, prises
séparément, peuvent se comparer à des parties similaires d'un mâle ou d'une femelle.
Sturtevant a étudié une race d'intersexués chez Drosophila simulans. Les individus intersexués sont
tous semblables et possèdent des parties du corps caractéristiques d'individus normaux des deux sexes
(oviscapte ; réceptacle séminal de la femelle ; segment génital [forceps], plaques anales, etc., du mâle).
L'étude génétique de ces intersexués montre que ce sont des femelles, car elles possèdent deux
chromosomes X, même dans leurs parties apparemment mâles. Ce résultat est produit par la mutation d'un
gêne récessif situé dans le second chromosome. Dans ce cas, nous avons donc, affaire à une modification
dans le développement de la femelle, et non à un trouble dans le mécanisme déterminateur du sexe.
Dans les cas d'intersexualité de Goldschmidt, de Harrison, etc., il ne semble pas exister de preuves
qu'une modification soit intervenue dans le gêne déterminant du sexe : le cas de Drosophila simulans
montre que l'on ne peut accepter sans preuve une explication de cette espèce.
< 149 >
Le sexe et les gamètes déterminants du sexe.
Le mot sexe est ordinairement appliqué à des organismes pluricellulaires chez lesquels les mâles
produisent des spermatozoïdes et les femelles, des œufs. Dans la plupart des espèces, le sexe mâle et le
sexe femelle ont tous deux un nombre diploïdique (double) de chromosomes ; chez quelques espèces, le
mâle a un chromosome en moins que la femelle ; chez quelques autres, c'est la femelle qui en possède un
en moins. Il existe, enfin, des races dans lesquelles le mâle possède un nombre haploïdique de
chromosomes, tandis que la femelle en a deux fois plus. Les gamètes qui donnent naissance à ces deux
sortes d'individus sont parfois, abusivement appelées mâles et femelles ; elle ne sont que productrices de
mâles ou productrices de femelles dans certaines conditions, dépendant des combinaisons qu'elles peuvent
former. Ainsi, dans les cas de non-disjonction, un même gamète, en formant avec d'autres chromosomes
des combinaisons inusitées, peut donner un résultat opposé à celui produit habituellement. C'est ainsi
qu'un spermatozoïde porteur de X (produisant des femelles) donnera naissance à un mâle s'il pénètre dans
un œuf ne contenant pas un autre X.
On a étendu les termes de mâle et femelle aux Protistes, organismes unicellulaires, tout comme les
gamètes des pluricellulaires ; mais, dans ce cas, ces termes ont un sens différent. On ne sait jusqu'à quel
point on peut comparer les protozoaires avec les formes plus
< 150 >
évoluées tant que l'on n'aura pas plus de renseignements certains sur les changements subis par la
chromatine avant, pendant et après la conjugaison.
Les Mousses et les Hépatiques nous offrent l'exemple d'un genre de vie vraiment intéressant. Il existe
chez elles deux générations alternantes, dont l'une est diploïdique (sporophyte) et l'autre haploïdique
(gamétophyte). Chez les Mousses et les Hépatiques à sexes séparés, la génération sexuée est haploïdique.
Allen a trouvé qu'il existe chez une Hépatique, Sphaerocarpus, une paire de chromosomes inégaux
dans les cellules du sporophyte (diploïdique). Dans le gamétophyte femelle (haploïdique), on trouve le
plus grand chromosome de la paire inégale ; tandis que son compagnon plus petit existe dans le
gamétophyte mâle (haploïdique aussi). Lors des divisions réductionnelles qui se passent dans le
sporophyte et aboutissent à la formation de quatre spores, deux d'entre elles contiennent dans leurs
tétrades un grand chromosome, tandis que les deux autres en renferment un petit. Il est maintenant bien
établi que de ce groupe de quatre spores naîtront quatre gamétophytes, deux mâles et deux femelles. Dans
ce cas, les mâles et les femelles sont des plantes à nombre haploïdique de chromosomes, dont les.
premières contiennent le petit chromosome et les secondes le grand. Le sporophyte, qui est diploïdique,
contient à la fois ces deux chromosomes, qui se séparent lors de la formation des spores, c'est-à-dire à un
moment correspondant aux divisions de maturation des œufs et des spermatocytes.
< 151 >
A cette occasion, il n'est pas sans intérêt de rappeler que le mâle de l'abeille et celui de l'Hydatina sont
des organismes haploïdiques ; mais, chez eux, à l'encontre de ce qui se passe dans le gamétophyte
haploïdique des Mousses et des Hépatiques, les divisions de maturation sont modifiées, et aboutissent à la
formation de gamètes uniquement producteurs de femelles.
Proportion des sexes.
Les deux types XX-XY et WZ-ZZ donnent naissance à des mâles et à des femelles en nombre égal,
pourvu que les sortes de gamètes qu'ils produisent soient également viables, que la fécondation se fasse au
hasard et que les zygotes qui en résultent soient également viables. Nous avons la preuve que, lorsqu'une
de ces trois conditions vient à être troublée, des écarts apparaissent dans les proportions des sexes.
Chez les mâles des Aphides et des Phylloxeras, tous les gamètes non porteurs de X dégénèrent ; chez
l'abeille, trois des gamètes sur quatre ne se développent pas ; chez la guêpe, deux sur quatre ; chez
l'Hydatina, l'un des spermatocytes primaires donne naissance à deux gamètes producteurs de femelles ;
l'autre, qui devrait donner les gamètes producteurs de mâles, ne se divise pas et dégénère. Dans tous ces
cas, la fécondation ne donne que des femelles. Les grains de pollen imparfaits que l'on trouve chez
beaucoup de plantes ne semblent
< 152 >
pas rentrer dans cette catégorie, car ils n'ont rien à voir avec la détermination du sexe.
La plupart des travaux de génétique aboutissent à la conclusion qu'il n'y a pas de fécondation sélective.
Une série d'observations directes faites sur le mollusque unisexué Cumingia montrent que c'est le premier
spermatozoïde qui vient en contact de l'œuf qui y pénètre et le fertilise. On a suggéré l'idée que dans
certaines conditions de milieu défavorables aux spermatozoïdes, une partie d'entre eux - une classe -,
serait plus fortement atteinte et qu'ainsi s'opérerait une fécondation sélective ; mais, jusqu'à présent, on n'a
apporté aucune preuve tangible qui soutienne cette hypothèse. Qu'une classe de spermatozoïdes puisse, en
voyageant plus rapidement, réussir à atteindre l'œuf plus souvent, c'est là une hypothèse moins avancée
que la première.
Les mensurations soigneuses de Zeleny et de Faust sur les spermatozoïdes d'insectes - et spécialement
sur ceux dans lesquels les spermatozoïdes producteurs des mâles diffèrent de ceux producteurs des
femelles par l'absence d'un chromosome - ainsi que les observations de Goodrich sur l’Ascaris incurva
(fig. 36 M) montrent que les deux classes de spermatozoïdes peuvent montrer, dans la taille, des
différences considérables. Goodrich en cite un exemple, poussé à l'extrême, chez l’Ascaris incurva (fig.
36 M). Pendant le long parcours qu’il doit effectuer jusqu'à la trompe d'un mammifère, il est possible
qu'un spermatozoïde producteur de mâle, plus léger, puisse se déplacer plus vite qu'un autre, producteur
de
< 153 >
femelle : ainsi, les premiers arriveront en plus grand nombre dans les portions initiales de l'oviducte. On
devrait donc s'attendre à ce qu'il y ait un plus grand nombre de mâles que de femelles ; c'est le cas pour un
Fig. 36 M. - Courbe montrant le dimorphisme des spermatozoïdes chez Ascaris incurva ; a, contours du noyau d'une des
classes de spermatozoïdes ; b, contours nucléaires de l'autre classe ; c, télophase de la division différentielle. (D'après
Goodrich.)
[Figure non reproduite dans cette version]
certain nombre de mammifères, y compris l'homme. Correns a obtenu la preuve que chez le Lychnis, le
pollen, producteur de mâles, fertilise proportionnellement moins d'ovules lorsqu'il est mis en compétition
avec le pollen producteur de femelles, que lorsqu'on le dépose sur le stigmate, seul et en quantité
insuffisante pour
< 154 >
féconder tous les ovules. Il est vraisemblable que les tubes polliniques de cette classe poussent moins
rapidement que ceux sortis des grains de pollen producteurs de femelles.
Il est un cas qui doit spécialement attirer notre attention : dans le type WZ-ZZ (noctuelles et oiseaux),
l'œuf contient les chromosomes W et Z conjugués avant l'expulsion des globules polaires. Si c'est
seulement le hasard qui règle la façon dont cette paire (WZ) se place au fuseau, on doit obtenir, en nombre
égal après l'expulsion des globules polaires, des œufs contenant W et d'autres contenant Z ; mais si la
paire WZ se place au fuseau de telle manière que le Z soit expulsé plus souvent, on peut s'attendre à
obtenir un plus grand nombre de femelles ; si c'est W qui s'expulse plus souvent, il en résultera un plus
grand nombre de mâles. Dans un petit nombre de cas (DONCASTER et SEILER), le chromosome W est
absent ; dans l'œuf d'une telle femelle, il existe, au fuseau, un chromosome en retard sur les autres - le
chromosome Z ; s'il a plus de tendance à être expulsé - ou à se perdre - qu'à rester dans l'œuf, la
proportion des femelles deviendra plus grande que celle des mâles. En fait, on peut s'attendre à obtenir
toutes les proportions des sexes en partant du type OZ ; bien plus, une fois formé, ce type OZ se
perpétuerait indéfiniment.
Si nous prenons le type XX-XY, le chromosome X peut aller à n'importe quel pôle : cela n'influera en
rien sur la proportion des sexes, puisqu'aux deux pôles
< 155 >
se forment des spermatozoïdes fonctionnels ; quant au chromosome Y, il disparaît dans plusieurs cas.
La viabilité des zygotes est le troisième mode qui peut influencer la proportion des sexes. Dans les cas
extrêmes, connus chez Drosophila, toute la progéniture d'une femelle peut être composée exclusivement
de femelles ou de mâles. Dans le premier cas, c'est que les mâles ont hérité par le chromosome X lié au
sexe, d'un gêne mortel pour eux, comme ils héritent de n'importe quel autre caractère lié au sexe. Une
femelle peut être hétérozygote pour un caractère léthal qui demeure récessif : elle survivra, mais donnera
naissance à un nombre de mâles de moitié moindre que le nombre de femelles. Des races produisant les
deux sexes dans la proportion de 2 à 1 peuvent se conserver indéfiniment en employant les méthodes
ordinaires de culture. Une femelle peut même être hétérozygote pour deux gênes mortels, qui demeurent
récessifs. Si ces deux gênes se trouvent dans un seul des chromosomes de la paire de X et s'ils sont situés
dans ce chromosome très près l'un de l'autre, il n'y aura élimination que d'un peu plus de la moitié des
descendants mâles. S'ils sont très éloignés l'un de l'autre, de telle façon que, par enjambement, ils puissent
être séparés fréquemment, la mortalité pourra alors atteindre jusqu'aux trois quarts des descendants mâles.
Si les deux caractères mortels sont situés chacun dans l'un des X de la paire, loin de l'autre, la proportion
des descendants mâles tués pourra atteindre aussi les trois quarts de la descendance. Cette proportion ira
en aug- [augmentant]
< 156 >
mentant au fur et à mesure que ces deux facteurs tendront à se rapprocher, pour se faire face. Ainsi deux
gênes mortels, liés au sexe, peuvent déterminer des proportions variant entre 2f : 1m et 2f : 0m, suivant la
liaison de ces facteurs. Il existe aussi, chez Drosophila, une grande classe de mutations liées au sexe qui
sont “ semi-léthales ”. Certaines d'entre elles tuent tous les mâles, sauf un de temps en temps ; tandis que
d'autres laissent arriver à éclosion plus de mâles ; le nombre des mâles survivants est caractéristique pour
chacun des types et peut même atteindre la proportion normale de 1 : 1.
Les gênes mortels pour les zygotes femelles sont moins nombreux que pour les mâles. Il existe deux
caractères mutants liés au sexe et deux ou trois autres situés dans les autosomes, qui sont “ semi-léthaux ”
à des degrés divers pour les femelles, tout en tuant moins de mâles. L'un de ces semi-léthaux lié au sexe
donne naissance, dans certaines conditions de milieu, à des familles composées de mâles seulement.
La proportion des sexes n'est pas fixe chez l'abeille. A une époque de l'année, toute la progéniture peut
être composée de femelles (reine et ouvrières) ; à une autre époque, beaucoup de mâles peuvent naître. Si
la réserve de spermatozoïdes de la reine est épuisée, ou si la reine n'a pas été fécondée, toute sa
descendance sera composée de mâles. La proportion entre les sexes varie donc de 100 : 0 à 0 : 100. Le
facteur de la détermination du sexe est de nature double : d'une part, un facteur interne
< 157 >
qui produit le spermatozoïde porteur de X (qui donnera les femelles) ; d'autre part, un facteur dépendant
du milieu, constitué par les conditions qui déterminent si un œuf sera ou non fécondé. S'il n'est pas
fécondé, l'œuf produit un mâle par développement parthénogénétique.
Les ouvrières, qui sont des femelles modifiées, peuvent dans certaines circonstances pondre des œufs
qui se développent parthénogénétiquement en donnant des mâles. Tandis que ces faits sont la règle, pour
les abeilles domestiques, on vient de décrire récemment une race d'abeilles africaines dont les ouvrières
peuvent donner naissance à des mâles ou à des femelles. Chez les fourmis, il existe des exemples
authentiques où un nid sans reine a produit à la fois des reines et des mâles, bien que, régulièrement, les
lois déterminantes du sexe soient les mêmes que chez l'abeille (mâles seuls, provenant d'œufs non
fécondés).
Dans ces cas exceptionnels, il n'est pas improbable d'admettre qu'une des divisions de réduction est
supprimée dans l'œuf d'ouvrière qui donnera naissance à une femelle. Une telle hypothèse est corroborée
par le fait que, dans d'autres groupes d'hyménoptères (Tenthrédines et Ichneumonides) des femelles
prennent régulièrement naissance aux dépens d'œufs non fécondés. Chez certaines espèces
d'Ichneumonides, les mâles sont inconnus ; chez d'autres, ils apparaissent très rarement.
La femelle du Dinophilus apatris produit de grands et de petits œufs en nombre égal. Des premiers
naissent les femelles ; des seconds, les mâles (KORSCHELT,
< 158 >
VON MALSEN, SHEARER, NACHTSHEIM). Les petits œufs peuvent prédominer dans les cocons
déposés les premiers, de sorte que, à ce moment, les mâles sont prépondérants ; mais si la mère demeure
vivante, de manière à pondre jusqu'au bout tous les œufs qu'elle contient, la proportion des sexes est
ramenée à 1/1 (NACHTSHEIM). Si la mère meurt tôt, on pourrait en conclure à un excédent de mâles. On
ne connaît pas le facteur qui détermine si un œuf va devenir producteur de femelles (gros) ou de mâles
(petit). L'idée que cette différence de taille dépendait du nombre de cellules vitellines satellites absorbées
par l' œuf durant sa croissance a été reconnue fausse par Nachtsheim : il trouve, en effet, qu'à la fin de
cette période, tous les œufs ont la même dimension ; ce n'est que plus tard que se manifestent des
différences dans leur volume.
> > > CHAPITRE V
Page 159
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