MtmR n°5 2006-54 4/09/06 14:25 Page 308 Actualités Comportement social de reproduction : la théorie des jeux doit-elle remplacer la sélection sexuelle ? a théorie de la sélection sexuelle remonte à Darwin [1] en 1871. Depuis, cette théorie est constamment reproduite dans tous les manuels et explique que les mâles qui peuvent produire beaucoup de descendants avec un investissement minimum disséminent leurs gènes en fertilisant autant de femelles que possible grâce à des spermatozoïdes abondants et peu coûteux. A l’inverse, les femelles qui sont limitées par le coût métabolique de la production des œufs et de l’éducation des petits, sélectionnent les mâles de la meilleure qualité pour doter leur descendance de capacités les plus évoluées. De nombreux problèmes compliquent les conséquences de la sélection sexuelle dans toutes les espèces : contradiction entre reproduction sexuée et asexuée ; difficulté à conserver une hiérarchie stable de caractères génétiques dans une population par rapport à la sélection continue unidirectionnelle pour les génotypes de haut rang ; usage de définition différente de la notion de « fitness » (bonne forme) pour les mâles et les femelles. Les auteurs, du département des sciences biologiques de l’Université Stanford, pensent que baser le choix des femelles sur la sélection des meilleurs mâles est illusoire. De nombreuses études montrent que les femelles exercent leur choix pour augmenter le nombre, et non pas la qualité, des descendants. Ils suggèrent au contraire que les animaux coopèrent pour élever le plus grand nombre possible de descendants, car il s’agit d’un investissement commun. Ils proposent donc de remplacer la sélection sexuelle pour expliquer le comportement social de reproduction par une approche basée sur la théorie coopérative des jeux. Le temps Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. L 308 passé dans les différents types de relations vise à maximaliser le bien être commun. Différentes théories des jeux ont été introduites en biologie par Nash en 1950 [2] et par Maynard Smith en 1982 [3]. Dans les jeux coopératifs, les joueurs font des menaces, des promesses et des paiements entre eux. Ils forment des équipes. Ils forment et dissolvent des coalitions. Le traitement mathématique de ces relations est devenu extrêmement complexe et largement au-delà de nos connaissances habituelles. Les auteurs décrivent le comportement de deux espèces qui peut être facilement traité par la théorie des jeux. Il s’agit des labres (Symphodus tinca), poissons qui vivent dans les habitats rocheux au large de la Côte corse. La femelle peut soit déposer ses œufs dans le nid du mâle ou les répandre sur le fond. Les mâles peuvent défendre les œufs contre les prédateurs au risque de perdre du poids et de supporter une forte mortalité. La théorie des jeux explique la formation d’une association coopérative entre mâle et femelle. Cette théorie rend compte aussi du comportement de l’oiseau pêcheur d’huître Haematopus ostralegus. Cet oiseau forme le plus souvent des couples mâle/femelle, mais aussi des ménages à trois, un mâle et deux femelles, qui peuvent exister sous deux formes, coopérative et agressive. Dans le modèle agressif, chaque femelle défend son propre nid et le mâle défend le territoire des deux nids. Les femelles pondent leurs œufs à deux semaines d’écart et s’attaquent fréquemment. Le mâle s’occupe plutôt des œufs pondus les premiers et laisse les autres sans soins. Dans le modèle coopératif, les deux femelles partagent le même nid et pondent en même temps. Les trois oiseaux défen- dent le nid en même temps. Les femelles de plus sont très proches et s’accouplent fréquemment, bien que moins fréquemment qu’avec le mâle. Conclusion La théorie coopérative des jeux, base mathématique de la sélection sociale, est une alternative à la théorie de la sélection sexuelle. Les éléments en sont les suivants. 1. Les comportements sociaux et reproductifs sont coopératifs. Dans la sélection sexuelle, le conflit sexuel est primitif et la coopération en dérive. C’est l’inverse avec la théorie des jeux. 2. Les organismes marchandent entre eux et échangent des bénéfices écologiques pour maximaliser le nombre de descendants. 3. Les groupes reproductifs sont des coalitions qui peuvent inclure des « aides ». Les familles sont des groupes reproductifs basés sur la parenté. 4. Les caractères sexuels secondaires sont des traits d’inclusion dans le système social. Dans la théorie coopérative des jeux, la coopération et les jeux d’équipe coexistent avec préjugés et exclusion. On peut se demander quelle théorie s’adapte le mieux à l’espèce humaine. Jacques Hanoune Roughgarden J, Oishi M, Akçay E. Reproductive social behavior : cooperative games to replace sexual selection. Science 2006 ; 311 : 965-9. 1. Darwin C. The descent of men and selection in relation to sex, 1871. 2. Nash J. Econometrica 1950 ; 18 : 155-67. 3. Smith JM. Evolution and the theory of games. Cambridge, 1982. mt médecine de la reproduction, vol. 8, n°5, septembre-octobre 2006