HAUTE-NORMANDIE ARCHÉOLOGIQUE

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Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
HAUTE-NORMANDIE
ARCHÉOLOGIQUE
BULLETIN N° 13
Fascicule n° 2
2008
Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie
Société Normande d’Études Préhistoriques
Hôtel des Sociétés Savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000 Rouen
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Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
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SOMMAIRE
Gérard BROGLIO, Monique BROGLIO et Jean-Pierre WATTE
Rapport d’activité de l’année 2008, p. 5
Thierry VINCENT
Les briques fabriquées en Guyane française par les bagnards. Un exemple d’enrichissement
récent des collections du Muséum d’Histoire Naturelle du Havre, p. 7
Jean-Pierre WATTE, avec la collaboration de Gérard BROGLIO, François HUET et Patrick MONTVILLE
Quelques aiguisoirs à trou de suspension recueillis en Haute-Normandie, p. 19
Cécile HARTZ
L’habitat à Mediolanum Aulercorum (Evreux, Eure) à l’époque romaine, p. 23
Jean-Pierre Watté et Gérard CARPENTIER
Une difficulté des chercheurs d’hier oubliée aujourd’hui : les déplacements…, p. 35
Jean-Pierre WATTE et Gérard CARPENTIER
Un document photographique inédit à propos de la fouille, par Léon Coutil, du menhir de la Pierre Saint-Martin à
Fleury-sur-Andelle (Eure), p. 39
Véronique LE BORGNE, Jean-Noël LE BORGNE et Gilles DUMONDELLE
Nouvelles données apportées par l’archéologie aérienne pour la reconstitution de l’itinéraire d’Antonin, entre Evreux et
Uggade (Caudebec-lès-Elbeuf), p. 45
Jens Christian MOESGAARD
Cinq collections de monnaies ducales normandes (Xe -XIIe siècles), p. 49
Marie-Dominique MUTARELLI et Vincenzo MUTARELLI
Aux origines de Juliobona, p. 59
Jean-Pierre WATTE
Nos membres ont publié. Articles et ouvrages récents publiés par nos membres (2005-2006-2007), concernant
l'archéologie préhistorique et historique de la Haute-Normandie, p. 65
Les activités du CRAHN. Bulletin d’adhésion, p. 70
Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
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AUX ORIGINES DE JULIOBONA.
Marie-Dominique MUTARELLI et Vincenzo MUTARELLI
Résumé
Les Calètes et leur capitale Juliobona : principaux apports des écrits antiques et hypothèses sur les origines et l’histoire de la
ville gallo-romaine.
Mots-clés
Calètes, Caleti, Lillebonne, Juliobona.
Abstract
Caleti and their capital Juliobona: principal contribution by the study of antique text and some hypothesis about origins and
history of the Gallo-Roman city.
Riassunto
Il popolo dei Caleti e la loro capitale "Juliobona": l'apporto dei testi antichi e le ipotesi sulle origini e la storia della città galloromana.
1. JULIOBONA CAPITALE DES CALETES
Malgré les nombreux écrits relatifs à l’histoire de Lillebonne à l’époque antique, les sources fiables sont rares et
les hypothèses avancées restent à confirmer.
Les Calètes appartiennent aux peuples belges qui s’installent, à partir de 250 avant Jésus-Christ environ, dans
les territoires compris entre Rhin, Marne et Seine. Ils occupent la partie extrême de la rive droite de la Seine,
entre l’estuaire de ce fleuve, la Manche et jusqu’à Dieppe au nord, les rives de la Bresle semblant dépendre des
Ambiens. A l’est, leur territoire ne s’étend pas au-delà de Caudebec où commence celui des Véliocasses.
Le nombre de leurs combattants dans la guerre des Gaules révèle cependant une densité de population
importante compte tenu du territoire restreint qu’ils occupent. En 58, César leur attribue un contingent de 10 000
hommes sur les 300 000 Belges réunis contre lui54. Ils s’inscrivent parmi les peuples d’importance politique
secondaire. En 51, les Calètes figurent parmi les peuples alliés aux Bellovaques qui refusent la défaite d’Alésia.
Le triomphe de César sur la coalition signe la fin de leur indépendance.
Vers 13 avant Jésus-Christ, l’organisation administrative romaine des provinces de Gaule inclut les Calètes et les
Véliocasses dans la Lyonnaise, les séparant de fait de leurs alliés belges.
A la fin du Ier siècle avant notre ère, Strabon55 décrit les conditions d’existence rudes du peuple calète. Il insiste
sur leur position stratégique sur la voie commerciale fluviale qui relie l’Italie à la Britannia en passant par le
Rhône, la Saône et la Seine. Au milieu du I er siècle de notre ère, Pline l’Ancien56 attribue également la richesse
des Calètes à la culture du lin ainsi qu’à la solidité et à la qualité des voiles et des tissus qu’ils fabriquent.
Le nom de la capitale des Calètes, Juliobona, apparaît dans les textes au début du IIe siècle, dans la Géographie
de Ptolémée57 : « Sur la rive droite de la Seine habitent les Calètes dont la ville principale est Juliobona ».
Au IIIe siècle, la Table de Peutinger et l’Itinéraire d’Antonin, signalent Juliobona comme un carrefour de routes
dont la cité est une étape importante : l’une va de Caracoticum (Harfleur) à Augustobona (Troyes) par Juliobona ;
la seconde relie Juliobona à Mediolanum Aulercorum (Evreux) ; la troisième mène de Juliobona à Durocasses
(Dreux) par Breviodurum (Brionne).
Dès le Moyen Age, les historiens ont avancé l’hypothèse d’une première ville gauloise du nom de Calet à
l’emplacement même de la future Juliobona. Une monnaie gauloise portant le mot Caledu témoignerait de
l’existence de cette ville.
L’habitat traditionnel des peuples gaulois se caractérise par une implantation sur des positions défensives, dans
des zones dominantes du relief ou entourées de cours d’eau qui offrent une protection naturelle. César les
qualifie d’oppidum. De nombreux sites défensifs d’origine celtique, mettant à profit l’existence de promontoires
faciles à fortifier, ont été identifiés sur le territoire des Calètes, en particulier le long du cours de la Seine et dans
les zones côtières. Si le plateau qui devait accueillir Juliobona offre certaines de ces caractéristiques, aucune
trace de structure ne prouve l’existence sur ce site d’un habitat antérieur à la conquête.
Il semble en effet que la ville de Juliobona soit créée ex nihilo au lendemain de la pacification de la Gaule. Un
transfert de compétence se serait plutôt effectué depuis l’un des principaux oppida identifiés chez les Caleti : le
Camp du Canada proche de Fécamp, à 25 km au nord, ou la Cité de Limes aux environs de Dieppe. L’un et
54
César, De Bello Gallico, II, 4
Strabon, Géographie, livre IV
56
Pline, Histoire naturelle, XIX, 2
57
Ptolémée, Géographie, II, 8
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l’autre étaient situés sur le rivage de la Manche et n’offraient pas les mêmes atouts dans le nouveau contexte.
Cette probabilité semble confirmée par le nom attribué au nouveau chef-lieu de la civitas des Calètes. Le terme
choisi par ses édiles pour nommer leur nouvelle capitale est de composition hybride : il réunit un mot gaulois,
bona, signifiant « fondation », avec l’idée de ville neuve, avec le nom romain de la gens de César, Iulius. Ce nom
renvoie évidemment à Auguste, le princeps au pouvoir qui a hérité du nom gentilice de César, dont on cherche
ainsi à obtenir la protection. Cette association, choisie par les élites locales et approuvée par l’autorité, révèle une
volonté d’acceptation des nouvelles conditions politiques et un désir d’intégration dans l’organisation romaine,
sans toutefois renier les racines celtiques auxquelles le peuple reste attaché.
2. LE SITE DE JULIOBONA
Une étude générale des implantations de capitales de civitas au lendemain de la conquête permet d’identifier des
critères récurrents, liés en particulier au réseau hydrographique et à la proximité des voies commerciales : ils
interviennent également dans l’implantation de la ville antique de Lillebonne. Les Caleti choisissent pour le site de
leur capitale Juliobona la pente occidentale d’un mamelon du Crétacé, à la convergence de plusieurs cours
d’eau, la rivière de la Vallée et la Bolbec, et à proximité de leur débouché dans la Seine. La ville n’est pas
exposée aux vents par une position sur le sommet du plateau : elle en est protégée par une situation à mi-pente
au fond d’un vallon. Celui-ci offre une zone de contact aisé entre le plateau de Caux au nord et la vallée de la
Seine.
La proximité immédiate de l’estuaire a sans doute été déterminante : le site offre un emplacement stratégique
pour le commerce à destination de la Britannia et en direction des différents chefs-lieux de civitates en amont de
la Seine, Rotomagus ou Lutèce, autant que vers les peuples du sud par sa position sur le dernier passage
possible de traversée du fleuve. Un aménagement des cours d’eau qui le traversent devait permettre aux navires
d’accéder jusqu’au centre de la ville, faisant d’elle un port sur la Seine et un lieu de commerce actif. L’intégration
de la Gaule aux territoires soumis à Rome, en favorisant la paix et le commerce, confirme le territoire des Calètes
comme une zone obligée de passage et de transit dans les échanges entre le nord et le sud, source de la
prospérité dont témoignent les vestiges de la ville.
3. LA VILLE ROMAINE ET SON HISTOIRE
Le plan de la ville romaine est très mal connu. Rien ne vient confirmer une organisation orthogonale des rues,
malgré l’identification de quelques portions de voies. L’emplacement du forum politique de Juliobona, localisé par
divers auteurs sur le site de l’actuelle place Carnot, n’est pas confirmé par les structures récemment découvertes
qui appartiennent pour une part à des vestiges de boutiques avec portiques, liées à une voie commerciale,
probablement un decumanus. Vers le sud, elles sont associées dans le même programme architectural avec un
édifice monumental, partiellement mis au jour, dont le plan se développe pour sa majeure partie au delà du
périmètre de la place. Très tôt, sans doute, la ville se dote d’un édifice de spectacle pour notifier son statut de
chef-lieu de la civitas. Quelques murs en subsistent encore aujourd’hui dans l’arène du « théâtre antique » qui lui
a succédé : ces structures restent encore à étudier et à dater avec précision.
La proximité de Juliobona avec l’estuaire de la Seine l’exposait particulièrement aux incursions des Saxons qui
constituent une menace récurrente à partir du IIIe siècle, l’incitant à se retrancher derrière ses remparts. Le
théâtre est abandonné comme monument de spectacle, probablement vers la fin du III e siècle : toutes ses issues
condamnées et murées, il se transforme alors en édifice fortifié. La ville décline progressivement au bénéfice de
Rouen, moins excentrée et mieux protégée par sa situation à l’intérieur des terres. Juliobona perd son statut
administratif de chef-lieu vers 314 au bénéfice de cette dernière.
La qualité des vestiges antiques retrouvés plus ou moins fortuitement lors de travaux urbains - telles la mosaïque
de la chasse aux cerfs ou la statue dorée d’Apollon conservée au Musée du Louvre - est révélatrice de
l’importance et de la prospérité de la ville de Lillebonne pendant les trois premiers siècles de notre ère et même
au delà. Elle fait regretter qu’une exploration et une étude plus attentives de son sous-sol n’aient pas permis
jusqu’à présent de mieux connaître la réalité de cette cité antique.
Marie-Dominique Mutarelli
Conservateur-en-Chef de la bibliothèque Doucet
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Vincenzo Mutarelli
Archéologue Départemental
de la Seine-Maritime
Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
ANNEXE
AUX ORIGINES DE JULIOBONA.
DOCUMENTS DES XIXe ET XXe SIECLES
POUR SERVIR A L’HISTOIRE DE LILLEBONNE.
Lillebonne, plan du cadastre napoléonien, 1823.
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Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
William Turner. Vue de Lillebonne, 1832.
William Turner. Vue de Lillebonne depuis les ruines du théâtre, 1832.
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Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
Lillebonne, le théâtre et le château, 2e moitié du XIXe siècle. Médiathèque du Patrimoine.
Carte postale de Lillebonne, théâtre vu d’avion, marché aux bestiaux, 1959.
Carte postale de Lillebonne, théâtre vu d’avion, marché aux bestiaux, 1959.
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Haute-Normandie Archéologique, tome 13, fascicule 2, 2008
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