u’il s’agisse de La Cansó ou de l’Hystoria Albigensis de Pierre des Vaux-de-Cernay, les récits de la Croisade contre les Albigeois sont de précieux témoignages sur l’art de la guerre tel qu’il est pratiqué au XIIIe siècle en Occident. ‘ L a constitution des armées repose sur l’obligation de service militaire (ost) que tout vassal doit à son seigneur. De la nature féodale de ces armées découlent leurs principales faiblesses. La durée de l’ost, limitée à quarante jours, explique les fluctuations et la réduction soudaine des effectifs. La première victime en est Simon de Montfort que les seigneurs de son camp abandonnent au terme de leur engagement. Le manque de cohésion et le défaut de commandement unique expliquent pour une large part les échecs du comte de Toulouse et de ses alliés : c’est le cas notamment à Castelnaudary en 1211. S i les chevaliers ont toujours une place prééminente, on voit apparaître à leurs côtés, en lien avec les nouvelles techniques militaires, d’autres catégories de combattants tout aussi efficaces (sergents à cheval, piétons, arbalétriers et archers). L e chevalier porte un haubert, un vêtement en mailles rivetées qui protège le corps. D’abord à manches courtes et couvrant seulement le buste du combattant, la cotte de mailles s’allonge progressivement au XIIe siècle jusqu’à couvrir le corps entier (jusqu’aux genoux). La protection est souvent complétée par des moufles de maille qui protègent les mains, par un camail (cagoule de mailles qui couvre la tête sous le heaume) ainsi que par des chausses. L’usage de l’arbalète, arme nouvelle et particulièrement meurtrière, impose de renforcer la cotte de maille par des protections rigides, des plaques métalliques placées aux points critiques (articulations). En avantpremière Voici le programme de la quatrième table ronde qui se tiendra à Lézignan-Corbières (Maison Joseph Gibert) le 18 septembre 2009 de 17 h à 19 h 30 Châteaux et forteresses seigneuriales, habitat et peuplement au XIIIe siècle • Habitat à Durfort, par Bernard Pousthomis, archéologue. • La reconstruction des châteaux après les croisades seigneuriale et royale, par David Maso, archéologue et guide du pays cathare. • Le château comtal à Carcassonne, par François Guyonnet, archéologue au Service départemental archéologique de Vaucluse. • Réaménagement de l’espace urbain après la Croisade : l’exemple de Limoux, par Jean-Loup Abbé, professeur à l’Université de Toulouse-Le Mirail. L Cotte de mailles, XV siècle Castelnaud-la-Chapelle, Musée de la guerre au Moyen Âge e 800 ans apres la Croisade contre les Albigeois n°6 - Septembre 2009 La Croisade des Barons Heurs et malheurs du comté de Toulouse La contre-offensive des croisés en terre lauragaise A u commencement de décembre 1211, Robert Mauvoisin, l’un des plus fidèles compagnons de Simon de Montfort, est de retour d’Ile-de-France. Il est à la tête d’une “bonne centaine de chevaliers d’élite”. Pierre des Vaux-de-Cernay s’en réjouit : ces troupes fraîches “redressèrent noblement la situation assez critique où se trouvait alors l’affaire de la foi”. Après la prise de La Pomarède en Lauragais et la soumission du château d’Albedun (Le Bézu), dans le sud du Razès, Montfort se dirige vers Castres pour y célébrer Noël. Guy de Montfort, son frère, le rejoint. L’armée croisée, ainsi renforcée, reconquiert le Lauragais au printemps 1212. Après la prise d’Hautpoul le 11 avril, Montfort atteint Sorèze où il Édito E n août 1209, après avoir pris Béziers et massacré nombre de ses habitants, l’armée croisée met le siège devant Carcassonne. La ville, privée d’eau, ne peut résister très longtemps. RaimondRoger Trencavel se livre alors en otage ; contrairement aux engagements pris, il est gardé prisonnier jusqu’au 10 novembre 1209, date de sa mort. C omment, en cette fin d’été, ne pas évoquer cet épisode tragique de notre histoire, encore très présent dans notre mémoire collective ? Les manifestations culturelles organisées dans le cadre de la Commémoration sont nombreuses en ce mois de septembre et nous permettent de replacer la Croisade contre les Albigeois dans son contexte politique, économique et social. Le public pourra en juger en prenant part aux tables rondes organisées à Castelnaudary et à Lézignan-Corbières et en venant découvrir l’exposition “Au temps de la croisade. Sociétés et pouvoirs en Languedoc au XIIIe siècle”. Le château d’Aguilar Cliché Pierre Davy, Comité départemental de tourisme de l’Aude. Entrée gratuite. Inscription auprès des Archives départementales de l’Aude par courrier (41 avenue Claude Bernard, 11855 Carcassonne cedex 9) ou par mail [email protected] reçoit des renforts auvergnats. Dans les semaines qui suivent, le prévôt de Cologne, accompagné de nobles allemands, rejoint l’armée croisée. L’arrivée de ces “colonnes et grandes compagnies des croisés d’Allemagne et d’Italie et des barons d’Auvergne et de ceux d’Esclavonie”, évoquée par l’auteur de La Cansó, explique en grande partie la rapidité de l’offensive des croisés et ses succès. Trois semaines suffisent à Montfort pour reprendre Cuq, Montmaur, Saint-Félix, Les Cassès, Montferrand, Avignonet... urant l’été et l’automne 1212, l’armée croisée lance une campagne victorieuse en Bas-Quercy et en Agenais. Toulouse, de plus en plus isolée, est menacée. Dans les premiers jours de septembre, le comte Raimond VI inquiet va demander de l’aide à son suzerain Pierre II, roi d’Aragon. D L’intervention du roi d’Aragon et la bataille de Muret A ‘ a guerre revêt diverses formes : escarmouches et embuscades, grandes batailles, où les chevaliers s’opposent frontalement, comme à Muret en 1213 ; sièges des châteaux et des bourgs, comme à Carcassonne ou Cabaret en 1209, où les machines de guerre (perrières, mangonneaux) jouent un rôle décisif. La Canso ‘ Guerre, techniques militaires et armement Q Marcel Rainaud Sénateur de l’Aude Président du Conseil général Le roi d’Aragon arrive devant Muret Bibliothèque nationale de France manuscrit de La Cansó (ms fr 25425, f°73) près sa victoire sur les Almohades à Las Navas de Tolosa en juillet 1212, le roi d’Aragon a les mains libres pour intervenir en Languedoc. Il apporte son soutien à Raimond VI qui est à la fois son vassal et son beau-frère (en janvier 1204, le comte de Toulouse a épousé Eléonore d’Aragon). Il demande au pape son absolution. Il se porte garant de Raimond le jeune, fils de Raimond VI, qui se voit restituer le comté après l’abdication de son père. Le 15 janvier 1213, Innocent III ordonne l’arrêt de la croisade. Le 27 janvier, N’oubliez pas ! Le 11 septembre 2009, se tiendra à Castelnaudary (Théâtre des Trois Ponts, rue du Général Déjean) la troisième table ronde sur le thème : La société méridionale au XIIIe siècle. Le programme détaillé de la soirée (17 h - 19 h 30) a été publié dans le numéro 5 de La Cansó, juin 2009. Pour tout renseignement, écrire aux Archives départementales de l’Aude ([email protected]) Le 17 septembre 2009, à 18 h, sera inaugurée à Carcassonne, à la Maison des Mémoires, l’exposition réalisée par les Archives départementales de l’Aude Au temps de la Croisade. Sociétés et pouvoirs en Languedoc au XIIIe siècle. Nous espérons que le public viendra nombreux. Publication d’un catalogue de 176 p. (en vente à compter du 17 septembre au prix de 25 €) et d’une Lettre thématique de Perspectives Les Archives (n° 26, entièrement consacré à l’exposition, gratuit). Edité par le Conseil Général de l’Aude Allée Raymond Courrière 11855 Carcassonne cedex 9 Directeur de la publication : Alain Tarlier Rédaction : Archives départementales de l’Aude 41 avenue Claude Bernard 11855 Carcassonne cedex 9 Responsable de la rédaction : Sylvie Caucanas Photographies : A. Estieu, A. Fernandez (Archives départementales) ISSN : 4141-0180 R Tirage : 3 000 exemplaires, publication gratuite Compogravure : Studio Ogham - ISO 14001 Impression : De Bourg-Narbonne Raimond VI comte de Toulouse, son fils et les consuls de la ville prêtent serment de fidélité au roi d’Aragon. Les croisés envoient une ambassade auprès du pape Innocent III pour lui faire savoir qu’à Toulouse, dans les comtés de Comminges et de Foix, dans la vicomté de Béarn, l’hérésie persiste. Le souverain pontife prononce des excommunications, frappe d’interdit la ville de Toulouse et ordonne la reprise de la croisade. e 12 septembre 1213, les croisés affrontent à Muret les troupes du roi d’Aragon. Pierre II a réuni autour de lui l’ensemble des forces armées du Midi et l’auteur de La Cansó, favorable au comte de Toulouse, s’en réjouit : “le bon roi d’Aragon était à Muret en bel équipage, aussi le comte de Saint-Gilles [Raimond VI] et ses barons au complet, et les bourgeois et le peuple de Toulouse”. Mais Simon de Montfort l’emporte. Le roi d’Aragon, Pierre II, trouve la mort au cours du combat : “frappé de blessures si mauvaises que son sang s’est répandu sur le sol et à l’instant il est tombé mort là, étendu de tout son long…”. La défaite est complète. “Grands furent le désastre, le deuil et la perte quand le roi d’Aragon demeura mort, tout sanglant, ainsi que beaucoup d’autres barons, et l’opprobre fut grand pour toute la chrétienté et pour tout le genre humain. Les gens de Toulouse, pleins de tristesse et de douleur, ceux qui avaient pu s’échapper et n’étaient pas restés sur le lieu du combat, rentrèrent à Toulouse, L à l’abri des murailles. Messire Simon de Montfort, allègre et joyeux, est resté maître du champ de bataille” (La Cansó). Au soir du combat, les Hospitaliers de Toulouse recueillent le corps du souverain et le font porter en la Maison de l’Hôpital Saint-Jean à Toulouse. Le 11 février 1217, le pape Honorius III autorise le transfert du corps du roi d’Aragon au monastère de Sigena que la reine Sancie, mère de Pierre II, avait fondé en Aragon en 1183. Le quatrième concile du Latran en 1215 L e 11 novembre 1215, s’ouvre le quatrième concile du Latran. Quatre cent quatre évêques sont présents. Le 30 novembre 1215, lors de la séance plénière de clôture, le concile prononce la déchéance de Raimond VI au profit de Simon de Montfort, à l’exclusion des terres provençales qui restent possession de Raimond le jeune : “Que Raimond, jadis comte de Toulouse, reconnu coupable sur ces deux points [la complicité d’hérésie et l’entretien des routiers]… soit à jamais privé de son droit de propriété… Que tout le pays conquis par les croisés sur les hérétiques…, avec Montauban et Toulouse qui est la ville la plus corrompue par la souillure hérétique, soit remis et concédé… au comte de Montfort”. n avril 1216, le roi de France reçoit l’hommage de Simon de Montfort pour le comté de Toulouse. E Le siège de Toulouse et la mort Amaury de Montfort, de Simon de Montfort en juin chef des armées croisées rès vite, Amaury de Montfort se trouve 1218 D ès le mois de septembre 1217, Raimond VI et son fils entreprennent la reconquête de leurs terres. Le 13 septembre 1217, Raimond VI victorieux fait son entrée dans Toulouse où la population l’accueille avec enthousiasme : « [Les Toulousains] s’écriaient : ‘Toulouse ! désormais nous serons les plus forts, puisque Dieu nous a rendu notre seigneur légitime, et bien que privés d’armes et d’argent, nous recouvrerons la terre et celui qui en est le légitime héritier, car l’audace, la chance, le courage exigent que chacun mène la lutte contre l’adversaire’». Environ un mois plus tard, Simon de Montfort et son armée assiègent la cité ; ils prennent position face au front sud de la ville. Toulouse a mis en place un efficace plan défensif que l’auteur de La Cansó, favorable au parti toulousain, se plaît à célébrer : “Les barons de la ville et leur seigneur légitime mirent en état de défense les lices et occupèrent les terre-pleins… Partout à la ronde la foule du peuple tenant des haches, des masses, des tinets, et les dames et les femmes qui apportent dans des baquets les pierres préparées, soit les grosses soit celles à lancer avec la main. La ville est aux parapets, en bel état de défense…”. C’est en faisant le siège de cette ville que Simon de Montfort trouve la mort le 25 juin 1218, atteint par un boulet de pierre propulsé par une perrière manœuvrée, dit La Cansó, par des femmes et des jeunes filles. e lendemain, le 26 juin 1218, le légat pontifical investit Amaury de Montfort, fils de Simon, des domaines et des titres de son père. Le nouveau chef de la Croisade fait inhumer le corps de son père dans l’absidiole sud de la cathédrale Saint-Nazaire et Saint-Celse à Carcassonne. T dans une situation critique. Ses effectifs s’amenuisent. Il doit faire face à une contre-offensive occitane. Au printemps 1219, les croisés sont défaits à Baziège. En 1220-1221, les croisés connaissent des échecs importants en Lauragais : ils ne peuvent s’emparer de Castelnaudary, Raimond le jeune et Roger-Bernard de Foix s’emparent de Montréal… E n août 1222, Raimond VI meurt et son fils lui succède. Un an et demi plus tard, Amaury de Montfort a perdu pratiquement toutes les terres conquises par son père. Assiégé dans Carcassonne, il capitule le 14 janvier 1224 face aux armées de Raimond VII et du comte de Foix. Dans l’espoir d’une intervention militaire en sa faveur, Amaury fait don au roi de France, Louis VIII, des domaines dont il a perdu la jouissance. De son côté, soucieux de sauver son comté et de se faire accepter par le roi comme son vassal, Raimond VII cherche à se réconcilier avec l’Eglise mais, en novembre 1225, le concile de Bourges refuse de l’absoudre, le déclarant complice des hérétiques. Le pape Honorius III et le roi de France lancent alors une nouvelle croisade. La culture méridionale au XIIIe siècle Le 19 juin dernier se tenait à Limoux, dans la salle Louis Coste mise gracieusement à disposition par la Mairie, la deuxième des cinq tables rondes prévues dans le cadre de la Commémoration. Le public était au rendez-vous. En présence de plus de 120 personnes, les intervenants, philologues et historiens, ont évoqué, pendant plus de deux heures, les différentes composantes de la culture en Languedoc au XIIIe siècle, insistant sur ce qui en faisait l’originalité. Jacques Verger, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Paris IVSorbonne, traita de la culture savante et de la mise en place des premières universités en Languedoc. Daniel Lacroix, professeur à l’Université de ToulouseLe Mirail, s’appuyant sur des exemples concrets, démontra l’autorité morale dont jouissaient les troubadours dans la société de leur temps. Linda Paterson, professeur à l’Université de Warwick, mit en évidence un aspect méconnu de l’art des troubadours, une poésie basée sur la recherche formelle et les effets de style. Enfin, Fabio Zinelli, directeur d’études en philologie romane à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, conclut la soirée en nous commentant quelques pages des magnifiques manuscrits qui nous permettent de connaître l’œuvre littéraire des troubadours, les chansonniers des XIIIe et XIV siècles. L Le concile du Latran - La Cansó (S. et B. Lalou) Retour sur la table ronde du 19 juin La pierre dite du siège, [XIIIe siècle], provenant, dit-on du tombeau de Simon de Montfort Eglise Saint-Nazaire et Saint-Celse de Carcassonne Cliché Archives départementales de l’Aude Les rafraichissements offerts par la ville de Limoux permirent aux intervenants et au public de poursuivre, dans la convivialité, les débats engagés.