Réformer ou adapter le système de la T2A

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Réformer ou adapter le système de la T2A ?
Posted on Lundi 21 janvier 2013
Pascal Forcioli
Entre la réforme ou l’adaptation de la tarification à l’activité (T2A), la Ministre des affaires
sociales et de la santé a, dès septembre 2012, clairement donné l’orientation dans le cadre du
« Pacte de confiance pour l’hôpital », en annonçant quatre décisions fortes :
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La fin de la convergence tarifaire intersectorielle contenue dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2013 ;
La volonté de compléter le dispositif de la T2A sur les aspects de l’efficience, de la
qualité et de la prise en charge des populations vulnérables ;
La mise en place d’une instance de concertation chargée de coordonner la réforme de
la T2A ;
L’engagement du Gouvernement de sécuriser la trésorerie des hôpitaux.
Cette position est pleinement justifiée car les effets indésirables de la T2A l’emportent
aujourd’hui sur ses effets positifs. Elle répond aussi aux attentes du terrain et à une
critique désormais quasi unanime.
Le dispositif de la T2A doit désormais être remis à plat et réformé en concertation avec
les acteurs de l’hospitalisation publique, des établissements de santé privés d’intérêt
collectif (ESPIC) et des établissements de santé du secteur commercial.
Dans un premier temps, la T2A a eu des effets positifs incontestables. Elle a
ainsicontribué à améliorer l’efficience des organisations et notamment à :
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une amélioration de la rentabilité des établissements du secteur privé ;
une réorganisation de l’offre de soins et à des évolutions des pratiques
professionnelles comme par exemple le développement de la chirurgie ambulatoire ;
une diminution générale des durées de séjour ;
une augmentation de l’activité des établissements anciennement sous dotation globale
(ex-DG) ;
une réduction globale des coûts.
La réduction des coûts est un des effets positifs forts de la T2A, qui a contribué à la réduction
des déficits des établissements ex-DG sur la période 2008-2011. La diminution des tarifs a en
effet conduit les établissements à réaliser des gains de productivité et réorganiser leurs
activités L’amélioration a concerné essentiellement les centres hospitaliers et universitaires
(CHU) et les établissements de grande taille.
La T2A a apporté aussi une plus grande transparence sur les prises en charge : le codage des
actes a contribué à une meilleure lisibilité sur les pratiques professionnelles.
Au fur et à mesure cependant sont apparus des effets néfastes indésirables de la T2A.
La mise en place progressive de la T2A a été source de désajustements entre les charges et les
ressources pour les hôpitaux publics et les établissements privés participant au service public
hospitalier.
La T2A s’est révélée surtout favorable aux soins aigus. Elle a entrainé une spécialisation des
établissements privés lucratifs, notamment en chirurgie, avec un impact sur l’équilibre entre
secteur ex-DG et secteur privé lucratif. Ainsi dans certaines zones du territoire national, la
chirurgie a quasiment disparu du secteur public et est exercée uniquement par le secteur
commercial avec dépassement d’honoraires.
La T2A est apparue plus adaptée à la chirurgie qu’à la médecine. Elle pénalise de ce fait les
établissements publics et ESPIC qui sont généralistes du fait de leurs missions de service
public. Elle favorise une logique de rentabilité à court terme qui entraine des stratégies
immédiates, et comporte un risque d’écrémage des activités qui avait d’ailleurs été souligné
dès 2003 par l’Union de l’Hospitalisation Privée (UHP).
La T2A a aussi entrainé une détérioration de la rentabilité de nombreux établissements de
santé ex-DG.
Plusieurs études montrent que par ailleurs que la T2A peut engendrer des effets indésirables
sur la qualité des soins. Les constats sont notamment les suivants :
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La réduction des coûts peut conduire à une réduction des soins et à une diminution des
effectifs qui représentent 60 à 70% des dépenses de fonctionnement des hôpitaux.
La réduction des durées de séjour aboutit à transférer les coûts et les soins sur d’autres
secteurs : en particulier vers les soins de suites et la médecine de ville (par exemple
avec une externalisation des actes diagnostiques et pré opératoires).
La T2A a conduit certains établissements à des codages opportunistes, voire
frauduleux, ce qui nécessite une multiplication des contrôles par l’assurance maladie
alors que les ressources en contrôle restent limitées.
La T2A est, de l’avis de tous, devenue inflationniste, comme l’ont été avant le système du
prix de journée et celui de la dotation globale et de l’objectif quantifié national. Elle a poussé
les établissements à faire plus d’activité et a entrainé un cercle vicieux entre le dépassement
de l’ONDAM, le gel des missions d’intérêt général et aide à la contractualisation (MIGAC),
la diminution des tarifs et l’augmentation des déficits. Elle a aussi conduit à l’accroissement
du reste à charge pour les patients y compris dans les établissements du service public:
tarification des suppléments chambre seule, augmentation du ticket modérateur, franchise sur
certains actes.
La régulation prix-volume telle qu’elle est pratiquée en France apparait opaque : les
évolutions sont peu prévisibles par les acteurs.
La logique de la planification continue à primer sur la logique financière en s’ignorant l’une
comme l’autre, alors que les deux logiques doivent se réconcilier. C’est d’ailleurs un des
enjeux de la mise en place des agences régionales de santé.
De nombreux rapports et études attestent d’une critique unanime de la T2A : rapports du
comité d’évaluation de la T2A, rapport de la Cour des Comptes, rapport de l’Inspection
générale des affaires sociales, auditions par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de
financement de la sécurité sociale du Sénat (MECSS), avis du comité national consultatif
d’éthique sur la T2A et les soins palliatifs, études de l’Institut de recherche et de
documentation en économie de la santé (IRDES)…
L’objectif de la réforme de la T2A est triple.
1° Il s’agit d’abord de faire en sorte que le financement ne fasse plus obstacle :
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d’une part au maintien d’activités de petit volume utile pour garantir une égalité
d’accès aux soins quand bien même ces activités ne sont pas rentables ;
d’autre part au développement des coopérations et à la mutualisation d’activités ou de
plateaux techniques.
A ce titre il apparaitrait opportun de reporter à nouveau l’application de la T2A aux anciens
hôpitaux locaux, aujourd’hui repoussée au 1er mars 2013. En effet ces établissements
concourent à la prise en charge des personnes âgées poly pathologiques et à la permanence
des soins dans les zones rurales ou isolées, et seront fragilisés par l’application du régime
actuel de la T2A.
La préconisation du directeur général de l’ARS Rhône-Alpes devant la MECCS de mettre en
place un coefficient d’accès aux soins constitue une piste de réflexion intéressante pour
valoriser les activités qui doivent être maintenues pour des raisons de planification.
2° D’autre part il convient que le financement prenne en compte le caractère
multidimensionnel de la précarité. Aujourd’hui les crédits MIG n’en finance qu’une partie.
La précarité doit être prise en compte dans ses quatre impacts (nursing, accompagnement
social, durée de séjour, degré de sévérité des pathologies) et dans les trois secteurs de
l’activité hospitalière (les urgences, l’hospitalisation et l’ambulatoire, les consultations et les
soins externes).
3° Enfin il faut que le nouveau système incite à la pertinence des actes et des séjours. Ce qui
suppose la mise en place d’indicateurs qualitatifs appropriés.
Aux Etats-Unis, l’incitation à la qualité repose sur une réduction des tarifs des diagnosis
related groups (DRG’s) pour les établissements qui ne produisent pas les indicateurs qualité
attendus. La France a choisi d’expérimenter un système reposant sur un mécanisme incitatif à
travers le projet IFAQ (incitation financière à l’amélioration de la qualité). Ce projet, lancé
avec appel à candidatures fin 2012, vise à encourager les établissements de santé à développer
les pratiques exigibles prioritaires (PEP) de la certification, l’usage et la communication des
indicateurs qualité et l’informatisation du dossier du patient.
Par ailleurs, il convient d’évaluer la classification des GHM (V11), en réaliser des ajustements
réguliers et privilégier les GHM qui apportent le meilleur rapport coûts/bénéfices pour la
personne et pour la collectivité.
Les soins palliatifs doivent faire l’objet d’une approche spécifique en évitant tout système
d’aubaine et le nomadisme des patients favorisé par la T2A.
L’évaluation des coûts doit être revue. La mise en place d’une échelle nationale des coûts
(ENC) public/privé date seulement de 2008 et l’ENC du public repose sur l’observation d’une
cinquantaine d’établissements seulement. Par ailleurs la France pratique la technique des
coûts moyens pour fixer les tarifs, alors que d’autres pays qui ont adopté depuis longtemps un
système de T2A, appliquent la technique du benchmark, ciblant les 10% d’établissements les
plus efficients pour fixer la cible des tarifs. Cette solution parait meilleure car elle serait plus
incitative au développement rapide de l’efficience. Un des enjeux de la réforme de la T2A
sera de valoriser l’utilité relative des différentes prises en charge les unes par rapport aux
autres.
La question d’une modulation régionale on infra-régionale de la T2A doit aussi
continuer à faire débat.
Sans mettre en place un objectif régional d’évolution des dépenses d’assurance maladie
(ORDAM), qui comporterait un risque d’inégalités entre les régions, il conviendrait de donner
plus de marges de manœuvre aux agences régionales de santé.
L’enjeu est double. Il s’agit :
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d’une part de lutter contre l’hyper-concurrence liée à la concentration des ressources et
de l’offre ;
d’autre part de lutter contre la désertification médicale des centres éloignés.
Les solutions à apporter doivent :
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d’une part permettre de consolider les centres isolés ou éloignés,
d’autre part renforcer la coopération entre les offreurs des centres urbains et
périphériques des centres urbains.
Toute modulation régionale devra être encadrée : soumise à conditions strictes, à la main des
ARS, avec un suivi par le niveau central en appui avec l’ATIH, et avec une évaluation
publique a posteriori.
Les autres sujets à traiter concernent le financement de l’amélioration des parcours de soins
des patients et notamment :
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la coordination avec l’ambulatoire,
l’articulation avec le médico-social,
la chasse aux actes inutiles et séjours inadéquats.
Le besoin de réformer la T2A fait l’objet d’un large consensus technique, professionnel
et politique. Il s’agit d’un chantier important qui pourra marquer durablement le
ministère de la Ministre des affaires sociales et de la santé, tout en redonnant confiance à
l’ensemble des établissements publics et ESPIC en charge du service public hospitalier
et à leurs patients, et en contribuant à la nécessaire maîtrise de l’évolution des dépenses
hospitalières au sein de nos dépenses de santé.
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