Services sociaux et transposition de la directive services Enjeux d’une qualification explicite de SIEG et du mandatement de leurs prestataires LG – 3.03.08 La Communication de la Commission européenne du 20 novembre 2007 sur « les services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général » est claire : les services sociaux relèvent pleinement des services d’intérêt général (SIG) et doivent pouvoir bénéficier des dispositions spécifiques des Traités visant à la protection de l’accomplissement des missions d’intérêt général qui leurs sont imparties, conformément aux dispositions des articles 16 et 86.2 TCE. Mais pour ce faire, il revient clairement aux Etats-membres de « charger » explicitement ces prestataires de services sociaux de la gestion de services d’intérêt économique général (SIEG) de façon à ce qu’ils puissent bénéficier de cette mesure de protection de l’accomplissement de leurs missions d’intérêt général et de sa primauté notamment sur les règles de concurrence et du marché intérieur et plus globalement sur les seules forces du marché. Il découle de cette exigence du droit communautaire consistant pour l’Etat « à charger » les prestataires de services sociaux de la gestion d’un SIEG, une exigence liée de « mandatement » des prestataires de services sociaux et de délimitation de la mission d’intérêt général à protéger en référence à des « obligations de service public ». Il s’agit d’une exigence ou d’un ensemble d’exigences imposées par l’Etat au prestataire découlant de la mission particulière d’intérêt général et de ses objectifs de politique sociale ou de santé. Il convient ainsi de distinguer une réglementation générale d’un service social s’imposant au nom de l’intérêt général à l’ensemble des prestataires (ex protection des personnes âgées) d’une réglementation spécifique visant à définir un SIEG et à en confier la charge à un ou plusieurs prestataires en référence à une mission d’intérêt général (ex accès universel des personnes âgées à des soins et un hébergement de qualité et abordables) par l’imposition d’obligations de service public aux prestataires (ex obligation d’accueil de toutes les personnes âgées sans discrimination). D’un côté, il s’agit d’une réglementation d’intérêt général visant à protéger les personnes mais qui n’induit pas une obligation de fournir un service, mais qui en cas de fourniture, en définit les conditions générales, de l’autre il s’agit d’une réglementation qui charge certains prestataires de l’accomplissement d’une mission spécifique d’intérêt général en référence à l’imposition d’obligations de service public exorbitantes du droit commun. Il découle de cette conception du SIEG, non seulement une obligation pour le prestataire mandaté de fournir effectivement le service en question, mais également de le fournir en conformité aux exigences particulières qui lui sont imposées par l’Etat et qu’il n’assumerait pas au regard de ses intérêts strictement commerciaux par exemple. La notion de prestataires autorisés, conventionnés ou enregistrés très présente dans le champ des services sociaux, n’est pas constitutive en soit d’un tel acte de mandatement dès lors qu’elle n’induit pas explicitement l’obligation de fournir le SIEG par l’imposition des obligations de service public. Cette conception binaire découlant du Traité et de la jurisprudence et qui s’est développée sur base des SIEG de réseau (électricité, transports, poste, télécommunications…) est donc construite autour de la question-clé de l’imposition par l’Etat à des prestataires commerciaux d’obligations de service public qu’ils n’assumeraient pas spontanément s’ils considéraient leurs intérêts purement commerciaux. Appliquer mécaniquement cette logique des SIEG de réseau au secteur de l’économie sociale et au tissu d’acteurs associatifs, coopératifs, mutualistes et autres entreprises sociales sans but lucratif qui représentent l’essentiel des prestataires de services sociaux est certes malheureux car inapproprié. Mais telle est la position de la Commission européenne exposée clairement dans sa communication de novembre 2007 et pleinement soutenue par les Etats-membres réunis au sein du Conseil qui se sont dits satisfaits de cette communication et n’ont formulé aucune alternative législative. A la différence du Parlement européen qui a mandaté la Commission européenne de proposer une directive sectorielle sur les services sociaux d’intérêt général compte tenu de l’insécurité juridique actuelle générée par cette situation (rapport Rapkay sur le livre blanc sur les SIG). Le cadre juridique étant placé, cette exigence de « mandatement » au sens de l’obligation de fournir un service donné en référence à des obligations de service public et à une mission d’intérêt général est au centre de la problématique de positionnement des acteurs de l’économie sociale dans le droit communautaire. Exception faite des activités exclusivement sociales définies de façon très restrictive par la Cour de Justice des Communautés européennes, les prestataires de services sociaux, et surtout les autorités publiques, devront choisir leur camp : Soit ils relèvent des activités économiques classiques et appliquent les règles communes de concurrence et du marché intérieur applicables à l’ensemble des acteurs et des activités économiques ; Soit ils relèvent, en tant que « chargés de la gestion d’un SIEG » et obligés de fournir le service en référence aux « obligations de service public » définis par l’Etat, des dispositions dérogatoires relatives aux articles 16 et 86.2 TCE et à la protection de leurs missions d’intérêt général. En droit communautaire, il n’y a pas de troisième voie. L’enjeu consiste donc pour les Etats-membres à établir une frontière dans le tiers secteur, dans l’économie sociale et à séparer ce qui relève de l’accomplissement d’une mission d’intérêt général et dont les prestataires doivent être explicitement chargés de la gestion d’un SIEG, de ce qui ne relève pas de l’intérêt général et ne nécessite pas une protection particulière au regard des règles de concurrence et du marché intérieur. Cette frontière devra être établie par les Etats-membres courant 2008 dans le cadre de la transposition dans leur droit interne de la directive services et au plus tard le 19 décembre 2008 dans le cadre du rapport qu’ils devront adresser à la Commission européenne sur l’effectivité des « actes de mandatement » liés aux SIEG et à la compatibilité de leur mode de financement par ressources publiques (en application de la décision communautaire de novembre 2005 sur les aides d’Etat sous la forme de compensation de SIEG). De l’emplacement de cette frontière, et de l’existence effective d’un mandatement par l’Etat des prestataires de services sociaux de la gestion d’un SIEG, dépendront à titre d’exemple : La compatibilité ou non du financement de ces services au moyen de ressources d’Etat, notamment la capacité de qualification de ces aides de compensation de SIEG (art.86.2 TCE) ou leur notification à la Commission européenne au titre des aides incompatibles (art.87 TCE), L’application ou non des dispositions de la directive sur les services dans le marché intérieur (contrôle des régimes d’autorisation et libre prestation de services). Seuls les prestataires de 3 catégories de services sociaux pourront être totalement exclus du champ d’application de cette directive s’ils sont effectivement « mandatés » par l’Etat au sens de l’obligation de fournir les services sociaux en question. L’application des dispositions de la directive sur les services dans le marché intérieur relatives à la libre prestation de services, les SIEG en étant exclus mais bien entendu au sens de l’art.86.2 et du cadre légal relatif à ces SIEG explicitement qualifié comme tel en droit interne. Les cadres légaux relatifs aux services sociaux n’induisant ni un mandatement, ni une qualification explicite de SIEG, tombent dans le champ d’application de la directive services et de la libre prestation de services. Ces trois exemples illustrent parfaitement les enjeux en présence. Plus globalement, c’est la protection générale du bon accomplissement des missions d’intérêt général des services sociaux contre les éventuelles entraves du droit de la concurrence et du marché intérieur qui est en jeu. Conformément à leur positionnement au sein du Conseil, les Etats-membres ne disposent que d’une seule alternative sauf à alimenter le contentieux communautaire qui se développe spontanément compte tenu de l’insécurité juridique existante : Soit ils appliquent effectivement aux services sociaux le cadre communautaire qu’ils soutiennent à Bruxelles au niveau du Conseil et établissent cette frontière en mandatant explicitement les prestataires de services sociaux de la gestion d’un SIEG et de l’accomplissement d’une mission d’intérêt général dans leur droit interne, Soit ils récusent cette approche binaire et imposent une troisième voie législative par une adaptation des dispositions de l’article 86.2 aux spécificités propres aux services sociaux et à l’économie sociale, ce qu’ils se sont refusés de faire jusqu’à présent malgré le mandat du Parlement européen. Quelle que soit l’option politique retenue, les Etats-membres n’échapperont pas à leurs responsabilités en 2008, ni au débat politique dans leurs Parlements nationaux. La transposition de la directive sur les services dans le marché intérieur dans les Etats-membres constituera un moment privilégié du débat politique, premier test grandeur réelle du positionnement du curseur et de l’inscription effective des services sociaux dans le champ des SIEG ou dans le champ de droit commun de la concurrence et du marché intérieur. Un débat éminemment politique en perspective, quand on connaît la sensibilité toute particulière des services concernés (Education, Formation, Logement, Santé, Insertion…), les masses budgétaires en présence, autant de « biens sous tutelle » au cœur du modèle social européen et du processus d’inclusion active.