Frédérique Virol Psychologue Cerveau, chimie et psychologie Neurophysiologie et psychologie du cerveau 1 Notre corps et notre cerveau U ne petite incursion dans les dédales de notre corps et de notre cerveau est nécessaire pour situer et comprendre ce qui s’y passe. Elle nous est permise grâce aux innombrables recherches et progrès technologiques. L’objectif n’est pas de tout retenir, mais de comprendre, de conscientiser et de garder en mémoire qu’il y a des liens très étroits entre notre physiologie et notre psychologie, c’est-à-dire notre façon de penser. Éclaircir certains mécanismes qui accompagnent la réalisation de nos comportements nous offre des possibilités de dépasser nos acquis et d’agir autrement. Pourquoi chercher à comprendre le fonctionnement de notre cerveau ? Nous mangeons, respirons, marchons… sans avoir à y réfléchir et cela fonctionne très bien, hormis pour ceux qui ont des pathologies lourdes. Notre cerveau nous « gouverne ». Néanmoins, l’homme « physique » et « physiologique » est aussi un homme « psychologique ». Il est constamment en quête de sens et en recherche d’équilibre interne, d’harmonie… À la recherche du « bonheur ». Difficile quête, entre un contexte dominé par le quotidien et une histoire personnelle qui projette souvent l’individu dans un conflit interne, conscient ou inconscient. L’homme perd alors sa cohérence, son « manque à être », qui le pousse, encore et encore, dans cette quête perpétuelle, entrecoupée de moments de répit. Comment cela se manifeste-t-il dans notre corps ? Et comment faire pour renverser la vapeur et apprendre à gouverner notre cerveau afin de ne plus être en proie à nos fantômes et éclaircir notre « côté sombre » pour mieux vivre ! 17 Cerveau, chimie et psychologie LE SYSTÈME NERVEUX Tout notre corps participe à notre « vie ». Il est composé de tissus, de muscles, d’organes, d’eau, de pensées, de croyances, de buts, de comportements, le tout régi par le système nerveux central (SNC) et le système nerveux périphérique (SNP). Que faites-vous lorsque vous lisez ce passage ? Je lis, me direz-vous… Certes, mais c’est votre système nerveux central, composé du cerveau, de la moelle épinière et des nerfs optiques, auditifs et olfactifs, qui vous permet de voir les mots, de les comprendre, d’être conscient que vous lisez, et d’avoir la réponse à cette question. Il permet aussi au système périphérique de fonctionner, et donc à vos mains de tenir ce livre. Ainsi, vous rendez-vous compte que vos yeux suivent les lettres et les mots quand vous lisez, et que vous venez de tourner une page ? C’est la partie somatique de votre système nerveux périphérique qui comprend les nerfs périphériques, sensitifs et moteurs qui innervent les muscles squelettiques et striés assurant les mouvements comme le déplacement du regard, le geste de la main pour tourner la page, mais aussi la production du langage, la marche… Cette partie du SNP gère également le tonus musculaire indispensable à votre posture assise et au fait de bien tenir le livre en main. Ce système permet d’engendrer des actions ou réactions, au travers de la perception tactile et de la motricité. Ici, la plupart des mouvements sont volontaires. Mais avez-vous arrêté de respirer pour autant ? Non ! Quels sont le rythme et l’intensité de votre respiration ? Plutôt une respiration lente, profonde, ou rapide et légère ? D’où vient-elle ? De l’abdomen ou du haut du thorax ? Vos fonctions vitales continuent de fonctionner sans que vous y pensiez. C’est la partie autonome du système périphérique qui permet à votre corps d’assurer ces fonctions vitales. Elle échappe à l’influence de votre volonté et innerve les organes internes pour régir la respiration, la digestion, la circulation sanguine… et les muscles lisses qui tapissent les intestins, les vaisseaux sanguins, l’iris et d’autres organes… 18 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c Êtes-vous curieux d’en savoir plus ou avez-vous envie de lâcher cet ouvrage et de fuir ? En fonction de votre état interne, votre système autonome va vous permettre de répondre physiquement, soit en lisant plus vite et de manière plus concentrée, soit en fermant le livre et en le fuyant de peur de vous ennuyer ou d’en savoir trop… C’est le système sympathique qui est à la base de la réaction physique de fuite comme de celle d’affrontement. Il donne la poussée d’adrénaline ou de noradrénaline nécessaire pour s’échapper ou pour se défendre face à un danger. Ce système d’excitation est aussi activé par les expériences positives et « dopantes ». Par exemple, il fait battre plus vite le cœur du chasseur quand il s’approche de la proie qu’il ne veut pas laisser s’échapper. Toute situation qui met en jeu un élément intéressant la survie, une situation de menace ou une bonne occasion, activera ce système sympathique. La réaction sera la même : une montée d’intense empressement ou d’excitation. Physiologiquement, cela s’exprimera par une accélération du rythme cardiaque, une élévation de la pression sanguine, une accélération de la respiration et une augmentation du tonus musculaire et de l’attention… Quelle que soit votre décision, votre corps dépensera de l’énergie pour se préparer à une action physique décisive. Vous laissez tomber ou vous continuez ? Apparemment vous continuez… Quoi qu’il en soit, en parallèle, un système parasympathique régit la conservation de l’énergie et le maintien de toutes les fonctions de base du corps en un équilibre harmonieux ; il assure les fonctions de récupération : il induit la relaxation, favorise la digestion – en assurant la vasodilatation des artères et capillaires, la contraction du tube digestif, des bronches –, distribue les nutriments vitaux, commande la croissance des cellules, mais aussi règle le sommeil. Il a une capacité à exercer une influence calmante et stabilisante sur le corps. Il agit par l’intermédiaire de l’acétylcholine, de la sérotonine et d’autres neurotransmetteurs régulés et contrôlés par des centres situés dans la moelle épinière et dans le cerveau. Notons une dernière caractéristique, dont nous parlerons davantage plus loin, car elle a son importance : à partir du bulbe rachidien, situé à la base de la tête, la plupart des fonctions assurées par le cerveau ont une latéralisation inversée par rapport à la zone contrôlée. Ainsi, votre cerveau 19 Cerveau, chimie et psychologie gauche gouverne votre main droite, votre cerveau droit gouverne votre pied gauche… De même, votre champ visuel droit est analysé par votre hémisphère cérébral gauche. Nous avons tous en tête l’image d’une cervelle d’agneau sur l’étal d’une boucherie. La nôtre est un peu plus grosse, heureusement !… Mais c’est la partie visible du système nerveux central (SNC), ou cerveau, que nous voyons : une petite masse grise, graisseuse, pleine de circonvolutions, appelée cortex cérébral. La partie interne, quant à elle, contient le système limbique. NOTRE CERVEAU (SNC, SYSTÈME NERVEUX CENTRAL) Notre cortex cérébral Apparemment vous continuez à lire… Savez-vous ce qui vous y pousse ? Votre curiosité ? Votre envie de comprendre, de vous faire une représentation du fonctionnement humain ? Votre envie de trouver des solutions ?… Ce sont là quelques-unes des fonctions de notre cortex cérébral. Celui-ci compte environ 100 milliards de cellules nerveuses, appelées neurones, sur quelques millimètres d’épaisseur en surface, et est subdivisé en deux hémisphères et différentes parties anatomiques appelées « lobes ». À cette organisation anatomique correspond grosso modo une organisation fonctionnelle. Le lobe frontal (sur le devant du crâne) s’occupe de la conscience, de la cognition, de la pensée abstraite et de l’action. Il a pour mission de coordonner les activités d’autres parties du cerveau ainsi que d’aider l’esprit à se fixer sur un point important, à définir un objectif, ou encore à prendre une décision et à commander les mouvements volontaires. C’est le siège des fonctions dites « exécutives ». Le lobe pariétal (partie médiane) gère la perception somato-sensorielle. Le lobe temporal (sur le côté) traite en particulier des éléments auditifs, linguistiques et de la vision des formes complexes. Et le lobe occipital (à l’arrière) est le siège principal de la vision. 20 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c Une des spécificités de l’organisation de notre cerveau repose sur l’existence d’asymétries ou de dissymétries, d’ordre anatomique, physiologique et fonctionnel. Cela indique que les deux hémisphères n’assurent pas les mêmes fonctions. Il est reconnu que l’hémisphère droit traite en général des données de la communication non verbale et des composantes musicales du discours : perceptions visuelles et spatiales, reconnaissance des visages, lecture des expressions du visage, intonation de la voix, qui nous permet de communiquer nos émotions. L’hémisphère gauche, quant à lui, se charge des éléments verbaux, linguistiques, et analyse les différents problèmes par un processus conscient. Il assure la fonction langagière (s’exprimer par la parole) dans la zone de Broca. Notre système limbique Imaginez maintenant un citron, voyez sa couleur, sa texture. Coupez-le en deux, et voyez sa pulpe, son jus… Et croquez dedans à pleines dents… Que se passe-t-il ?… Aimez-vous ou est-ce désagréable ? Peut-être avez-vous eu des sensations au niveau de la gorge ou de la langue, une salivation subite, des frissons, des picotements… Votre image mentale du citron, la modalité sensorielle visuelle imaginée, s’est associée à la sensation de plaisir ou de déplaisir et vous a fait réagir. C’est ce que permet le système limbique, qui est le carrefour où se rencontrent la valeur émotionnelle inconditionnelle ou acquise d’une expérience, ses modalités sensorielles réelles ou imaginées et les réactions associées. Un autre exemple bien connu est celui de la madeleine de Proust. C’est le goût de la madeleine qui déclenche des associations rappelant à Proust ses souvenirs d’enfance. Ce qui laisse supposer que ce goût a été bien ancré dans son esprit, c’est-à-dire bien mémorisé dans son enfance. Ici, la modalité sensorielle principale vécue, ou le canal de perception, est le gustatif. L’ensemble des modalités sensorielles regroupe le visuel, l’auditif, le kinesthésique, l’olfactif et le gustatif, souvent résumés sous le sigle VAKOG. Ces modalités correspondent à nos cinq sens – la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et le goût – et relèvent du système limbique. Ce système limbique, situé dans la partie interne du cortex cérébral, compte diverses structures : l’hypothalamus, le thalamus, l’amygdale et l’hippocampe pour les fonctions les plus importantes et les plus reconnues, 21 Cerveau, chimie et psychologie mais aussi les noyaux gris centraux (noyau caudé, putamen, pallidum), l’insula, le cingulum… La connaissance de leur existence, de leur fonctionnement et de leurs interactions est importante, car nos émotions ou états internes et nos représentations mentales ont une incidence sur leur fonctionnement ou dysfonctionnement. Notre hypothalamus Essayons, un instant, de prendre conscience de notre respiration, sans intervenir… et de ressentir la localisation de notre cœur. Il n’est guère aisé de prendre conscience de notre respiration, car cela demande du temps et de la concentration, mais ressentir les battements de notre cœur est encore plus difficile. Certains y arrivent, d’autres pas. Au bout d’un petit moment, nous pouvons ressentir, entendre et voir de légères secousses, des contractions, mais cela demande une attention soutenue, c’est-à-dire « être juste » dans le ressenti, « juste à l’écoute » de nos centres de perception, sans dialogue interne, dans l’instant présent. Malgré cette petite expérience, nous ne sommes pas en train de nous dire qu’il faut respirer, pour alimenter notre cœur en oxygène… Tout se fait automatiquement ! Au quotidien, pour que notre corps vive, respire, se nourrisse, nous n’avons pas besoin d’être conscients de tout ce qui s’y passe. Nous n’avons rien à faire : c’est l’hypothalamus, sorte de commandant en chef, qui régule les systèmes d’excitation et de tranquillisation, et nos comportements instinctifs ; il participe à la régulation de l’agressivité, de la sexualité et de certains comportements liés à la survie. Il régule aussi de nombreux systèmes hormonaux, de la reproduction, de la croissance, modère les fonctions immunitaires, la faim, la soif et la température corporelle. Maintenant, souvenez-vous d’une situation récente où vous avez dû éviter un trottoir, un poteau, quelqu’un, un serpent, une araignée, une souris… au dernier moment. Revoyez le moment, la scène, les images. Qu’avez-vous fait et comment avez-vous réagi ? Vos cheveux se sont-ils dressés sur votre tête ? Avez-vous eu la chair de poule, des palpitations, des sueurs ? Vous avez peut-être eu une réaction immédiate de peur ou d’évitement qui a activé l’hypothalamus, qui à son tour a influencé l’activité du système autonome, en augmentant votre fréquence cardiaque, votre pression 22 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c sanguine, provoquant des palpitations, voire des vertiges ou un sentiment d’oppression, et tendant les muscles. L’estomac est serré, les mains moites, la bouche sèche… Mais avant cela, et passant totalement inaperçus, car le processus est presque immédiat, votre thalamus puis votre amygdale sont entrés en action en amont de vos réactions physiologiques. Notre thalamus et l’amygdale Revoyez la scène d’évitement… Vous avez vu un poteau, une araignée, une souris, autre chose… Le stimulus sensoriel visuel, mais aussi peut-être auditif, évoquant la présence du danger a d’abord atteint votre thalamus, qui est entré en action, servant de relais entre les voies sensitives sensorielles (VAKOG) et le cortex cérébral et l’amygdale. De là, il sera pris en charge par deux voies parallèles. D’abord, peut-être que votre corps a eu un sursaut « instinctif » ? C’est la voie courte et rapide thalamico-amygdalienne. Elle véhicule une perception grossière et rapide d’une situation, car c’est une voie sous-corticale qui ne bénéficie pas de la cognition. Le stimulus active l’amygdale, qui fait naître les réactions émotionnelles avant même que l’intégration perceptuelle n’ait lieu et que le système ne puisse se représenter complètement le stimulus. Finalement, était-ce aussi grave que cela ? Votre réaction était-elle proportionnée ou disproportionnée par rapport à ce que vous avez vu ? Là, dans un deuxième temps, et en parallèle, le stimulus prend la voie longue et plus lente (thalamico-cortico-amygdalienne) : le traitement de l’information corticale arrive à l’amygdale et précise s’il s’agit d’un stimulus menaçant ou s’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Pour ce faire, différents niveaux de traitement cortical sont nécessaires – concernant les modalités de l’objet (couleurs, forme…), sa représentation, sa conceptualisation – avant que l’information ne soit transmise à l’amygdale. Ces fonctions corticales nous permettent d’analyser de manière plus différenciée les situations menaçantes, et éventuellement de reconnaître la réaction de l’amygdale comme une fausse alerte. Par exemple, s’il s’agissait d’une souris qui passait devant vous, sans doute votre corps a-t-il réagi en sursautant, en criant peut-être (voie courte), avant même d’avoir identifié, reconnu et conceptualisé (voie longue) qu’il ne s’agissait finalement que d’une petite souris qui ne mangera personne –vous avez eu peur, malgré tout. 23 Cerveau, chimie et psychologie Dans le cas particulier d’une phobie spécifique, il faut prendre en compte la « carte » de la personne phobique et lui venir en aide en modifiant ses représentations de l’expérience. Mais ce n’est pas le propos du passage de ce livre. Donc si vous n’êtes pas phobique des souris, continuons… En observant votre expérience, pouvez-vous dire si, en premier lieu, vous avez eu une réaction de peur ? Si oui, sachez que c’est l’amygdale qui gère les fonctions émotionnelles et surveille les stimuli sensoriels, leur attribuant, le cas échéant, la valeur émotionnelle « peur ». Elle recherche toute information qui présenterait une nécessité d’agir, un signe d’opportunité, ou de danger, ou quoi que ce soit d’autre qui vaudrait que l’esprit y porte attention. Son activité, accrue durant les états d’excitation, est un élément clé du système. Dans le cas de la peur, l’amygdale agit comme une sorte de centrale d’alarme qui enregistre très rapidement, et malheureusement sans grande différenciation, les situations menaçantes, ce qui se manifeste par une réaction physiologique immédiate et l’activation de l’hypothalamus. Ensuite, lors de votre expérience avec la souris ou tout autre stimulus inattendu, peut-être avez-vous été dégoûté ou en colère ? Jusqu’à récemment, les neuropsychologues pensaient qu’il existait une spécialisation hémisphérique dans le contrôle cortical des émotions autrement dit que l’hémisphère droit intervenait préférentiellement dans les émotions négatives alors que l’hémisphère gauche était davantage impliqué dans les émotions positives. Il avait été montré qu’une lésion de l’hémisphère gauche, ou son anesthésie par injection de barbiturique dans la carotide gauche, provoquait une dépression, des crises de larmes, des réactions catastrophiques, tandis que la « suppression » de l’hémisphère droit entraînait au contraire une indifférence ou des fous rires. L’imagerie cérébrale a fourni des résultats quelque peu différents. Les émotions dites « primaires », comme la joie, la tristesse, le dégoût, la culpabilité, proviennent des zones profondes de notre système limbique, d’aires spécifiques non latéralisées, autres que l’amygdale ; seule la colère proviendrait de l’activité du cortex orbito-frontal latéral. La joie relèverait des activations des noyaux gris centraux, la surprise serait associée à une activation de la région parahippocampique, la tristesse relèverait de l’activation de l’aire subgénuale du cortex cingulaire antérieur, le dégoût serait associé à l’activation de l’insula antérieure… Bref ! Des termes bien 24 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c complexes et difficiles à retenir… Malgré leurs nombreux avantages, les recherches en imagerie coûtent très cher, en sont encore à leurs balbutiements, leurs protocoles ne permettent pas toujours de bien cibler l’objet des recherches, et les résultats restent statistiques. Plus de la moitié des études confrontées aurait contribué à cette nouvelle anatomie des émotions. Notons qu’une étude faite sur des populations en ville et en milieu rural révèle que l’amygdale des habitants des villes connaît, en cas de stress, une activité plus intense que celle des habitants de la campagne. Ceci est révélateur du stress subi par les citadins ! Notre hippocampe Revenons au poteau, à l’araignée ou la souris que vous avez dû éviter : était-ce la première fois que vous viviez ce type de situation ? Sans doute que non… C’est grâce à l’hippocampe, siège de la mémoire à long terme, que votre cortex a pu se souvenir du concept de poteau, d’araignée ou de souris, et d’une situation similaire. Il y a comme une énorme armoire dans laquelle sont « catégorisés » tous nos concepts. Par exemple, la souris fait partie de la classe des animaux, de la sous-classe des mammifères, à poils gris avec une queue, deux oreilles, un museau… et elle est particulièrement vive et peut faire peur ! L’hippocampe a un rôle primordial pour engranger les nouvelles connaissances. Il est aussi le siège de votre mémoire spatiale et vous permet de faire des liens et associations entre toutes vos expériences vécues. Toutes vos expériences avec des souris ont probablement été enregistrées. Sans doute que si vous en aviez déjà trouvé une dans votre cuisine, vous aviez eu peur et aviez crié et sursauté. Dès lors, une certaine représentation s’est inscrite dans votre mémoire, et à la prochaine rencontre fortuite, vous réagirez de même. Par contre, si vous n’avez jamais vécu pareille expérience et n’avez jamais vu de souris que dans des livres d’enfants et des boutiques animalières, vous aurez en mémoire une autre représentation : des créatures toutes duveteuses, en train de dormir ensemble. Pourtant, quand un jour l’une d’elles vous passera entre les jambes, vous sursauterez… comme tout 25 Cerveau, chimie et psychologie le monde. C’est plus l’effet de surprise qui fait peur que la souris ellemême… Merci au circuit long thalamico-cortico-amygdalien ! Après avoir été perçue, l’information est transférée vers le système de mémorisation, l’hippocampe, qui la transforme en trace mnésique. Cet hippocampe est particulièrement sensible à l’encodage du contexte associé à une expérience. C’est pourquoi vous vous souvenez de l’endroit où votre anecdote a eu lieu, des personnes avec qui vous étiez, parfois de l’heure qu’il était… Il transforme la mémoire à court terme en mémoire à long terme. Tentez maintenant de retrouver les « couplages » ou associations visuelles, auditives, kinesthésiques, olfactives et gustatives de votre anecdote d’évitement. Autrement dit, en revoyant l’image de la scène, entendez-vous quelque chose ? Vous dites-vous quelque chose ? Ressentez-vous quelque chose ? Sentez-vous une odeur ou avez-vous un goût en bouche ? Si la scène est récente, vous vous en souviendrez en détail. Cependant, ces associations s’estompent naturellement pour ne pas encombrer la mémoire de données inutiles. Dans dix jours, ou même avant, vous aurez certainement oublié cette mauvaise expérience.Toutefois, un souvenir peut être renforcé et éventuellement consolidé dans la mémoire à long terme si interviennent des facteurs « limbiques », comme l’intérêt suscité par l’événement, sa charge émotive ou son contenu gratifiant, et la fréquence de l’événement ou de l’apprentissage. En conséquence, le système limbique est responsable du fait qu’un stimulus devienne une source d’émotion conditionnée, association qui peut s’étendre aux objets alentour, à la situation ou au lieu, car l’hippocampe est fortement influencé par l’activité de l’amygdale. D’ailleurs, l’hippocampe et l’amygdale, situés à côté l’un de l’autre, sont massivement interconnectés. Ces deux structures agissent de façon complémentaire pour focaliser l’attention de l’esprit sur les informations perçues par les sens, pour produire des émotions et pour relier ces émotions à des images, à la mémoire et à l’apprentissage. L’hippocampe semble aussi exercer un rôle de régulateur sur le thalamus et peut bloquer les informations sensorielles dans diverses aires du néocortex. Il a le pouvoir de réguler les réactions de tranquillisation et d’excitation produites par le système nerveux autonome, afin d’éviter des 26 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c états d’excitation extrêmes et de maintenir l’équilibre émotionnel. Il ne produit pas d’émotion, mais grâce à ses effets régulateurs, il exerce une grande influence sur l’état d’esprit de la personne. Cette petite incursion dans le cerveau nous montre que nos différentes structures fonctionnent en interrelation les unes avec les autres et remplissent des tâches diverses. Prenant le contre-pied de la plupart des théories « localisationnistes », qui attribuent à des zones spécifiques du cortex le traitement exclusif de chaque sens et donc une mission unique à chaque région correspondante (le cortex visuel, le cortex auditif…), Alvaro Pascual-Leone, chercheur d’origine espagnole et professeur en neurobiologie à Harvard, propose que le cerveau fonctionne avec une série d’opérateurs spécifiques, l’un prenant en charge les relations spatiales, un autre le mouvement, un autre les formes… autant d’informations qui font appel aux données de plusieurs sens. Cette hypothèse s’inspire de la théorie de la sélection neuronale groupale, qui postule que c’est toujours le groupe de neurones le plus efficace qui est sélectionné pour effectuer une tâche. Par exemple, lorsque nous lisons, l’aspect visuel des lettres est stocké dans un endroit, la prononciation des mots dans un autre, et leur signification dans un troisième. Les neurones de chaque secteur doivent être activés en même temps, « coactivés », pour que les trois fonctions (voir, entendre, comprendre) s’exercent simultanément. Enfin, ce que nous lisons crée des liens et des associations avec nos structures les plus profondes et peut avoir parfois une portée émotionnelle plus ou moins forte, en accord ou désaccord avec notre cohérence interne. Mais comment cela fonctionne-t-il plus précisément dans notre cerveau ? LES RÉSEAUX DE NEURONES L’unité fonctionnelle de notre cerveau est assurée par des neurones interconnectés entre eux, en un réseau, un maillage, complexe. Ces connexions peuvent être extrêmement nombreuses, chaque cellule peut en stimuler des milliers d’autres et être stimulée par des milliers d’autres. 27 Cerveau, chimie et psychologie Ce maillage est aussi « dynamique ». Il n’y a pas si longtemps, le cerveau était considéré comme immuable et l’on pensait que les neurones mouraient au fil du temps, surtout à partir de l’adolescence. Cajal, histologiste espagnol connu pour ses travaux sur le système nerveux et sa structure, écrivait, au début du siècle dernier : « Une fois le développement terminé, les sources de croissance et de régénération des axones et des dendrites sont taries de manière irrévocable. Dans le cerveau adulte, les voies nerveuses sont fixées et immuables, tout peut mourir, rien ne peut se régénérer. » Aujourd’hui, on reconnaît qu’il existe des milliards de neurones dans le cerveau et des milliards de milliards de connexions synaptiques en évolution constante, avec élagage de neurones et de connexions neuronales, mais aussi naissance de nouveaux neurones dans certaines zones du cerveau et développement des connexions neuronales. C’est ce que l’on nomme neurogenèse et plasticité cérébrale. Nous pouvons citer le cas d’un adolescent américain à qui l’on a dû enlever un hémisphère du cerveau pour raison médicale : progressivement, grâce à une longue rééducation, il a pu réapprendre à parler et à marcher presque normalement. L’hémisphère n’a pas « repoussé », mais le liquide céphalo-rachidien a pris sa place et il y a eu neurogenèse et réorganisation des réseaux neuronaux dans l’hémisphère restant. Les neurones naissent et meurent, la dynamique est constante jusqu’après la mort, encore quelques longs instants. LES NEURONES Ces neurones sont constitués d’un corps cellulaire (ou soma) comprenant des ramifications courtes, les dendrites, qui véhiculent des informations. Ces informations sont envoyées, par signal électrique via l’axone, de diamètre constant et de longueur variable, jusqu’au niveau de jonctions appelées synapses. C’est ce que l’on appelle la conduction des signaux électriques liée à la modification de l’état de repos du neurone. L’axone est protégé par une gaine de myéline composée de cellules graisseuses qui facilitent la conduction électrique et l’isole des autres fibres. Ensuite, il y a transmission des informations vers une autre cellule ou un autre neurone par libération de médiateurs chimiques au niveau des synapses. Freud, neurologue et médecin autrichien, rédigea en 1895, dans son Projet de psychologie scientifique, un des premiers modèles neurologiques globaux 28 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c intégrant l’esprit et le cerveau, et faisant le lien entre le vécu des patients et la neurobiologie. Quelque temps avant Charles Sherrington, scientifique britannique connu pour ses importantes contributions en physiologie et neurosciences, il introduit la notion de « barrière de contact » qui raccorde deux neurones entre eux. Cette « barrière de contact » sera effectivement découverte plus tard et rebaptisée synapse. D’après Freud, le cerveau et ses circuits neuronaux doivent se réorganiser de façon dynamique au cours de la vie de l’individu pour mettre en œuvre les fonctions où l’acquis culturel joue un rôle crucial. Il formule déjà à cette époque un premier concept de neuroplasticité et insiste sur le fait que ce qui lie entre eux les neurones, c’est leur réaction coordonnée dans le temps. Autrement dit, que des neurones réagissant ensemble se raccordent ensemble, et il appelle ce phénomène « loi de l’association par la simultanéité » : lorsque deux neurones réagissent simultanément, la décharge électrique renforce leur association – ce qui sera connu, soixante ans plus tard, sous le nom de loi de Hebb. Hebb, psychologue et neuropsychologue canadien, émet en 1940 une hypothèse concernant le raccordement de neurones en cours du processus d’apprentissage : lorsque deux neurones réagissent en même temps par des décharges électriques répétées (ou lorsqu’un seul réagit, provoquant la réaction de l’autre), des modifications chimiques se produisent dans les deux, de sorte qu’ils tendent à se raccorder plus fermement. Ce concept a été résumé plus clairement par la neurologue américaine Carla Shatz : « Deux neurones qui réagissent ensemble se raccordent l’un à l’autre. » « Ensemble » signifie en fait que les neurones réagissent électriquement dans un délai allant du millième au dixième de seconde. D’autre part, les neurones qui réagissent consécutivement se raccordent séparément. La promptitude réactive des neurones, la vitesse du transfert d’information détermine celle de la pensée (de l’ordre de 30 mètres par seconde) – paramètre essentiel de l’intelligence, donc de l’adaptation à l’environnement. Les tests de QI sont d’ailleurs basés sur le temps nécessaire à fournir une réponse correcte, et pas seulement sur la pertinence de celle-ci. Quand les neurones se raccordent, ils libèrent des substances chimiques, dites « neurotransmetteurs » ou « neuromédiateurs ». À l’arrivée du message nerveux (PLT, potentialisation à long terme), qui se fait par conduction électrique en microvolts, les vésicules dans lesquelles sont 29 Cerveau, chimie et psychologie stockés les neurotransmetteurs migrent vers la synapse, « barrière de contact » entre deux neurones. Ils libèrent des neurotransmetteurs qui se fixent sur les récepteurs du neurone suivant et génèrent une conduction électrique (autre potentialisation à long terme, éventuelle) qui produit une excitation ou une inhibition du neurone. Ces neurotransmetteurs ont une action fugace, car ils sont soit dégradés et évacués, soit recapturés par le premier neurone. L’action de ces neurotransmetteurs cesse et la trace mnésique disparaît – du moins, dans le cas de messages nerveux ponctuels, non répétitifs ou non chargés émotionnellement. Pouvez-vous décrire de mémoire le fonctionnement du thalamus et de l’amygdale que nous avons évoqué précédemment ? Sans doute que non ! Et c’est normal : comme ce sujet est un peu complexe et que vous n’avez pas d’intérêt personnel et urgent à mémoriser la chose, la trace des informations issues de votre lecture a disparu… Dans le cas contraire, bravo ! C’est que vous y avez trouvé beaucoup d’intérêt et eu envie d’en savoir plus, ou peut-être aviez-vous des connaissances antérieures, à moins que notre explication vous ait paru particulièrement claire… Maintenant, pouvez-vous vous souvenir de vos nom et prénom ? Savezvous encore faire du vélo ? Savez-vous vous brosser les dents le matin ?… Beaucoup de nos comportements sont des expériences régulières qui s’organisent en voies neuronales et établissent des changements plus durables : un réseau de neurones plus utilisé va « creuser » un « bassin d’attraction », à la manière des animaux qui creusent au fil de leurs passages un chemin dans un champ. Ce chemin neuronal devient plus facile et plus rapide à emprunter, et nous voilà capables d’agir sans réfléchir ni « cogiter », sans élaboration systématique. L’action se fait automatiquement… C’est un gain de temps et d’énergie ! Nous sommes ainsi conditionnés par des habitudes dont nous n’avons pas conscience. Ces traces, une fois creusées, deviennent très « glissantes » et très efficaces, induisant des habitudes… bonnes ou mauvaises. Elles s’enracinent et se consolident – c’est pourquoi les mauvaises habitudes sont difficiles à corriger. Avez-vous pour habitude de reboucher votre tube de dentifrice le matin ou de le laisser ouvert ?… Enfin, pour compliquer un peu les choses, il existe des neuromodulateurs, qui modulent l’action des neurotransmetteurs ; des neurotransmetteurs « agonistes » miment les effets d’un autre neurotransmetteur en prenant 30 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c sa place, et des neurotransmetteurs « antagonistes » bloquent les effets du neurotransmetteur. Quand vous pliez et dépliez l’avant-bras, par exemple, ils interviennent afin de contrecarrer la première action rapidement, ou de la moduler plus finement. DÉVELOPPEMENT ET PLASTICITÉ NEURONALE Au cours de son développement, le cerveau du fœtus associe des sons, des sensations, des goûts, des lumières à son vécu in utero ; puis à la naissance, il associe l’affection, les soins et la nourriture en un même vécu. Cette première expérience formatrice après la naissance se traduit par la poursuite d’un câblage cérébral à la fois temporaire, car en constante évolution, et déterminant. Vers dix ou douze mois, des circuits neuronaux se développent dans le système orbito-frontal, situé derrière l’œil droit : ils permettront à l’enfant de structurer ses relations affectives et de contrôler ses émotions. La mère qui partage la vie de son enfant communique constamment avec lui par des moyens verbaux, mais aussi non verbaux. Les phrases banales du langage de la mère et ses expressions contiennent énormément d’informations capitales. C’est le premier apprentissage de la vie émotionnelle et relationnelle, une période critique où ces échanges apprennent progressivement à l’enfant à se repérer dans la jungle des ressentis. Selon la description de Freud, ces périodes de la petite enfance (stades oral, anal, phallique) sont suivies d’une période de latence et du stade génital, « phases de réorganisation » qui ont des répercussions très importantes sur la construction du cerveau et sur la vie affective de l’adulte. Elles sont liées à la plasticité issue du développement sexuel et à la capacité à entretenir une relation amoureuse. L’acquisition de ces premiers apprentissages se fait sans effort au cours de ces périodes parce que le noyau basal est alors activé en permanence. Cela implique des modifications neuronales (grâce à la plasticité du cerveau) qui s’appliquent dans tout le système nerveux central, à l’hypothalamus, l’amygdale, l’hippocampe… Merzenich, chercheur américain dans le domaine de la plasticité cérébrale, a montré que si un des centres de commande du cerveau se modifie, ceux qui lui sont raccordés se modifient également. 31 Cerveau, chimie et psychologie Ensuite, grâce aux apprentissages familiaux, scolaires, sociaux, l’esprit de l’enfant accumule une foule de représentations qui forment le socle neuronal de ses perceptions, croyances, comportements ; elles tendent à se renforcer avec la répétition, et finissent par s’auto-entretenir. Lorsque l’enfant reproduit jour après jour les mêmes comportements, les connexions neuronales mises en jeu sont toutefois légèrement différentes chaque fois, à cause de ce qu’il a fait, et appris, dans l’intervalle qui sépare les répétitions. De multiples styles éducatifs existent, mais on peut les répartir selon les trois styles de commandement proposés par les psychosociologues : le style autoritaire, le style démocratique et le style du laisser-faire. Tout dépend de l’éducation, du contexte et de la culture dans lesquels nous sommes « immergés ». Nous savons par exemple que notre éducation, ou celle de nos parents ou grands-parents, ne laissait pas trop de place à notre expression et était plutôt de style « autoritaire ». Certaines recherches en psychologie prônaient l’éducation « conditionnée », c’est-à-dire qu’un stimulus entraînait un comportement et il n’y avait pas de place pour les émotions – qu’il s’agisse de les ressentir ou de les exprimer ; c’était l’approche watsonienne du courant behavioriste du milieu du siècle dernier. John Broadus Watson, en 1913, établit les principes de base du behaviorisme, dont il invente le nom. Il affirme, dans un article intitulé « La psychologie telle que le behavioriste la voit », que si la psychologie veut être perçue comme une science naturelle, elle doit se limiter aux événements observables et mesurables. Cela suppose de se débarrasser, sur le plan théorique, de toutes les interprétations qui font appel à des notions telles que la conscience. Sur le plan méthodologique, Watson condamne l’usage de l’introspection « aussi peu utile à la psychologie qu’elle l’est à la chimie ou la physique ». Il fait alors de l’apprentissage un objet central pour l’étude du comportement, qui doit être abordé uniquement sous l’angle de comportements mesurables produits en réponse à des stimuli de l’environnement. Peut-être êtes-vous né durant cette période des années cinquante ?… Vers la fin du siècle, le courant s’est inversé jusqu’à atteindre l’autre polarité, celle du « laisser-faire » et de l’enfant-roi, avec d’autres méfaits. De nos jours, et à cause du changement sociétal, l’ordonnancement des rôles de père et de mère n’existe plus. Certains parents doutent, et un adulte qui doute se questionne – sur lui-même, sur l’humain, sur le monde, et a fortiori 32 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c sur le changement. C’est une très bonne chose pour l’enfant à condition d’un développement « secure ». Apprentissages et éducation adaptée, fondée sur l’encouragement, contribuent à son bon développement, en lien avec le sentiment de sécurité, de reconnaissance, d’estime et de confiance en soi. Devenu adulte, il aura la possibilité de vivre selon ses propres valeurs et croyances. Cela correspondra à son choix de vie, pour peu qu’il ait conscience de ce choix et qu’il en ait, encore une fois, la possibilité. Il recherchera les stimulations familières, plutôt agréables pour lui ; par exemple, il privilégiera les personnes qui ont une tournure d’esprit voisine de la sienne pour se rapprocher d’elles… Les recherches montrent que nous avons tendance à oublier, ignorer, voire discréditer par habitude les informations qui ne recoupent pas nos convictions ou notre perception de la société, tout simplement parce que penser et percevoir autrement nous rebute ou… nous fait peur – voire nous échappe complètement. Cependant, plus l’individu vieillit, plus ses actes tendent à préserver les structures existantes, et quand il y a inadéquation entre ses réseaux neurocognitifs internes et le monde, eh bien ! c’est le monde qu’il cherche à changer. À son échelle, il va donc commencer à faire pression sur son environnement, à le contrôler, à tenter de le plier à son mode de pensée ordinaire. Poussé à l’extrême, ce processus amène souvent à imposer son point de vue. Ensuite, on constate un « épuisement de la plasticité », notamment chez les personnes âgées, qui deviennent alors « rigides », « figées », « incapables de changement » ; ce que Freud explique par la « force de l’habitude ». Tout ce qui implique la répétition des mêmes comportements peut figer la personnalité, et conduire à la rigidité. Certaines personnes demeurent néanmoins flexibles durant leur vie d’adulte, grâce à de bonnes facultés d’adaptation. LE PARADOXE PLASTIQUE ET LES COMPORTEMENTS NON ADAPTÉS Alvaro Pascual-Leone a montré que la plasticité, qui a priori favorise le changement, peut aussi conduire à des situations de blocage et de répétition dans le cerveau. C’est le « paradoxe plastique », que Norman Doidge, 33 Cerveau, chimie et psychologie psychiatre, psychanalyste et chercheur américain, explique par la nature même de la plasticité. Si la neuroplasticité peut susciter des comportements psychorigides aussi bien que psychoflexibles, c’est que nous avons tendance à sous-estimer notre propre potentiel de flexibilité, car il faut une contrainte pour imposer le changement. Il faut bloquer ou contraindre les autres circuits compétitifs, qui sont généralement les plus fréquemment utilisés. La plupart des individus ne se hasardent pas à exploiter ce potentiel de flexibilité, ou alors que très occasionnellement. Par facilité et soumission au « principe de plaisir », on évite la contrainte. La plupart des comportements sont à l’origine « adaptés » à un contexte et bénéfiques pour le sujet qui les adopte ; mais quand ils deviennent répétitifs, ils peuvent devenir gênants et inadaptés par rapport à la situation vécue. Avez-vous un comportement dont vous souhaitez vous débarrasser ? Voulez-vous arrêter de vous emporter, de crier, de vous ronger les ongles, de prendre du beurre, de fumer ? Est-ce facile ? « C’est plus fort que moi ! » direz-vous. D’ailleurs, tant que le comportement ne cause ni souffrance ni mise en danger, pourquoi changer ?… Par contre, s’il devient inadapté et nuisible, plus de doute : le changement s’impose. Mais savons-nous et pouvons-nous agir autrement ? Lorsqu’un réseau de neurones se développe, il acquiert une autonomie de fonctionnement à force d’être utilisé, et l’individu qui exerce les facultés qui en dépendent a du mal à désapprendre ce qu’il a « appris » ou mis en place. Le sujet reproduit obstinément les mêmes schémas inconscients et les mêmes comportements ou associations négatives, ce qui rend leur interruption et leur réorientation quasi impossible sans aide extérieure d’un professionnel. Le sujet est alors perturbé, consciemment ou inconsciemment, par des aspects de son propre caractère, par des symptômes névrotiques ou par de violents conflits intérieurs dans lesquels une part de lui-même devient « dissociée mentalement » : en incohérence avec lui-même et le reste du monde, il est déconnecté de la réalité, voire délirant. C’est une véritable souffrance psychologique. La psychothérapie va l’aider à verbaliser son vécu, sa problématique, ses besoins, ses souvenirs inconscients de la mémoire procédurale, et ceci grâce à la « loi de l’association par la simultanéité ». 34 NNotrNNotreNNoNNotreNNotre c La mémoire procédurale est sollicitée lorsque nous apprenons une procédure, ou série d’actes, ou vivons un événement sans avoir besoin de mobiliser notre attention – les mots y sont donc généralement inutiles. Les interactions non verbales avec autrui, de même que la plupart des souvenirs émotionnels, font partie du système mnémonique procédural, et ces souvenirs sont relégués dans l’inconscient. La « loi de l’association par la simultanéité » explique l’importance qu’a prise ensuite la notion de libre association en thérapie, où le patient verbalise tout ce qui lui vient à l’esprit, que cela soit décousu ou gênant. Freud s’est aperçu qu’en interférant le moins possible avec le flux de parole, il laissait au patient la possibilité d’exprimer des sentiments, des états d’esprit normalement refoulés ou perçus comme déplacés, et que cela permettait d’établir des rapprochements constructifs. La distance dans la relation qu’il imposait à ses patients leur permettait de retrouver des états internes qui les liaient à certaines personnes, en général leurs parents, et notamment durant les périodes critiques. C’est ce qu’il a nommé le « transfert ». Le patient revivait alors des épisodes de son enfance au lieu de se rappeler tel ou tel événement. Cette distance avec le thérapeute permet au sujet de projeter le contenu de son transfert sur lui et sur d’autres personnes qui jouaient un rôle dans sa vie. Le fait de l’aider à comprendre son transfert lui permet naturellement d’améliorer ses relations. Toutes nos associations de pensées, même les plus aléatoires (lapsus…), sont considérées comme l’expression de liens révélateurs formés dans les couches les plus profondes de la mémoire. Pour Freud, ces connexions correspondent à des neurones qui ont réagi, se sont raccordés et se sont consolidés ensemble des années plus tôt. Elles demeurent inchangées dans le cerveau et se révèlent par le biais de la libre association. Les connexions restent inchangées car elles n’ont pas été élaborées et la plupart du temps elles ont été refoulées dans l’inconscient. Mais un des phénomènes essentiels à mettre au compte de la neuroplasticité, c’est la possibilité de désapprendre ces schémas inconscients, comportements ou associations négatives. Ce désapprentissage joue un rôle crucial dans le développement psychosensoriel, permettant de s’adapter avec flexibilité quand on passe d’un contexte à un autre. 35 TTablTTabTTable de Table des matières Avant-propos......................................................................................................7 Introduction..................................................................................................... 11 Partie 1 Nous et notre monde intérieur 1. Notre corps et notre cerveau................................................................. 17 Le système nerveux..............................................................................................................18 Notre cerveau (SNC, système nerveux central)................................................. 20 Notre cortex cérébral................................................................................................... 20 Notre système limbique............................................................................................... 21 Les réseaux de neurones................................................................................................... 27 Les neurones.............................................................................................................................28 Développement et plasticité neuronale.................................................................... 31 Le paradoxe plastique et les comportements non adaptés.......................... 33 2. Notre monde intérieur............................................................................. 37 État présent, niveaux logiques et métamodèle...................................................... 37 État présent négatif et remontée des niveaux logiques................................... 40 État présent positif et remontée des niveaux logiques.................................... 41 Les émotions.............................................................................................................................43 L’encodage..................................................................................................................................45 3. Conséquences physico-chimiques de notre vécu................................ 47 Neurotransmetteurs, hygiène de vie, équilibre nutritionnel........................... 49 Hormonothérapie, compléments alimentaires...................................................... 50 Stratégies de l’industrie alimentaire.............................................................................. 53 Additifs et effets cocktail.................................................................................................... 54 383 Cerveau, chimie et psychologie Partie II Les bassins d’attraction du stress, de l’anxiété, des traumatismes, de la souffrance 1. Le stress........................................................................................................ 61 La noradrénaline.....................................................................................................................62 L’adrénaline.................................................................................................................................64 Conditionnement aversif.................................................................................................... 65 Les traumatismes....................................................................................................................67 2. Glu… glutamate, transglutaminase, gluten : le glutamate et autres découvertes............................................................. 73 Glutamate et alimentation................................................................................................. 76 Le syndrome du restaurant chinois........................................................................ 79 Le glutamate autorisé et controverse................................................................... 80 Glutamate et addiction.................................................................................................. 84 Glutamate et obésité...................................................................................................... 85 La transglutaminase...............................................................................................................88 Transglutaminase et thrombine, colles à viande.............................................. 90 Monopole de la transglutaminase........................................................................... 92 Se perdre dans les étiquetages…........................................................................... 95 Gluten...........................................................................................................................................99 Gluten, glutamate et alimentation........................................................................... 99 Implication dans les maladies.................................................................................. 102 Glutamate, mémoires, oubli, Alzheimer ?............................................................... 103 Différents types de mémoires et glutamate................................................... 104 Troubles de la mémoire............................................................................................. 107 Alzheimer et vieillissement cognitif..................................................................... 108 384 3. C3. Conséque33. Cons33. Conséq33.33. Co33. C3 . Partie III Les bassins d’attraction du mieux-être, du plaisir et de la récompense, et des fonctions exécutives 1. Le GABA..................................................................................................... 141 Du glutamate au GABA…............................................................................................. 142 Les médicaments contre l’anxiété et la dépression......................................... 147 Les benzodiazépines, à nouveau........................................................................... 147 Autres calmants et somnifères............................................................................... 151 Dépendances ?................................................................................................................ 155 La question du sevrage............................................................................................... 157 Le « miracle » d’Internet et le GABA industriel............................................... 160 Comment libérer naturellement son GABA ?.................................................... 162 2. La sérotonine............................................................................................. 169 Sérotonine, quand tu nous abandonnes................................................................. 170 Sérotonine et dépression.......................................................................................... 170 Pulsions suicidaires et meurtrières...................................................................... 175 Sérotonine et médications : les antidépresseurs.......................................... 175 Sérotonine et Internet................................................................................................ 196 Comment libérer sa sérotonine naturelle............................................................. 199 Sérotonine et alimentation....................................................................................... 199 Syndrome du côlon irritable................................................................................... 204 Maladie de l’intolérance au gluten : maladie cœliaque............................. 204 Sérotonine, dépendances et hygiène de vie................................................... 206 Homéostasie et sérénité sont bonnes pour la santé................................ 207 Les plantes utiles au stress........................................................................................ 209 3. La mélatonine............................................................................................. 211 Mélatonine et médications............................................................................................. 212 Nouvelles médications : les mélanomimétiques................................................ 214 Internet et automédication............................................................................................ 215 Interactions diverses.......................................................................................................... 218 Alimentation et mélatonine........................................................................................... 218 Comment libérer sa mélatonine naturelle ?......................................................... 219 Rôle de la lumière et de l’obscurité.................................................................... 220 Dormir…........................................................................................................................... 222 Réveils nocturnes........................................................................................................... 223 L’amour, le meilleur somnifère naturel............................................................... 225 385 Cerveau, chimie et psychologie 4. La dopamine............................................................................................... 227 Dopamine et médications.............................................................................................. 228 Ritaline, Concerta : amphétamines pour enfants…................................... 228 Diagnostic TDAH........................................................................................................... 230 Neuroleptiques............................................................................................................... 239 Dopamine et Internet....................................................................................................... 253 Dopamine et dépendance............................................................................................. 255 Dopamine et maladies neurodégénératives : Parkinson….......................... 258 Parkinson et pesticides............................................................................................... 259 Autres causes possibles : le stress oxydatif..................................................... 264 Traitements de la maladie de Parkinson........................................................... 265 Une autre hormone en cause : la testostérone ?........................................ 268 Parkinson et processus cognitifs............................................................................ 269 Dopamine et alimentation............................................................................................. 271 Régimes et perte de poids....................................................................................... 272 Libérer sa dopamine naturelle..................................................................................... 273 5. L’acétylcholine............................................................................................ 281 Maladies aiguës des circuits cholinergiques.......................................................... 282 Acétylcholine et maladies neurodégénératives.................................................. 284 Maladies, acétylcholine et pesticides......................................................................... 284 Médications, compléments et acétylcholine......................................................... 289 Les anticholinestérasiques......................................................................................... 289 La choline........................................................................................................................... 292 Les anticholinergiques................................................................................................. 294 Acétylcholine et alimentation : choline/cholestérol.......................................... 296 Libérer son acétylcholine naturelle............................................................................ 302 6. Les endorphines........................................................................................ 307 La fibromyalgie...................................................................................................................... 308 Médicaments antidouleur............................................................................................... 310 Endorphines et alimentation......................................................................................... 311 Comment libérer les endorphines naturelles ?.................................................. 311 7. L’ocytocine.................................................................................................. 315 L’hormone de l’amour et de l’attachement.......................................................... 315 Plasticité cérébrale.............................................................................................................. 316 Ocytocine et autisme........................................................................................................ 317 Ocytocine et médications.............................................................................................. 322 386 CConclusioConc Ocytocine et Internet....................................................................................................... 325 Ocytocine, tu nous tiens et t’évanouis inexorablement !............................. 326 Comment libérer son ocytocine naturelle ?......................................................... 329 Pourquoi libérer son ocytocine naturelle ?...................................................... 331 Ocytocine et sexualité................................................................................................ 332 Traitements autour de la sexualité...................................................................... 334 Recherches autour des médications du sexe................................................ 337 Ocytocine, ouverture et perte de vigilance, de discernement................. 338 Paradoxe plastique........................................................................................................ 340 Espoir, croyances, motivation et parfois guérisons...................................... 341 Croyances ressourçantes et respons/abilisation........................................... 344 8. Les facteurs de croissance des neurones FNIC................................. 347 Croissance des neurones................................................................................................ 349 Pathologies en lien avec le facteur de croissance des neurones.............. 349 Comment mobiliser son FNIC naturel................................................................... 351 Entretenir son physique............................................................................................. 351 Entretenir son mental.................................................................................................. 352 Partie IV Les stratégies mentales et comportementales Les valeurs essentielles..................................................................................................... 358 Les buts et les objectifs.................................................................................................... 358 L’identité.............................................................................................................................. 359 Les valeurs............................................................................................................................... 360 Les présupposés, les croyances.................................................................................... 360 Les capacités........................................................................................................................... 361 Les émotions.......................................................................................................................... 361 Les comportements........................................................................................................... 362 Conclusion...................................................................................................... 365 Sigles................................................................................................................. 368 Glossaire......................................................................................................... 370 Bibliographie................................................................................................... 372 387