La pêche dans le lac Victoria : un exemple de mal

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La pêche dans le lac Victoria : un exemple de mal-développement
Groupement documentaire 1 : Le lac Victoria, élément du système fluvial du Nil
Le lac Victoria, qui couvre 68 000 km², est le plus
vaste des lacs d'Afrique. Alors que les lacs
Tanganyika, Nyassa ou Malawi sont des lacs
profonds, allongés, logés dans des fractures du rift
africain [1], le lac Victoria, dont la profondeur varie
de 60 à 100 m, s'étale dans une cuvette de forme
approximativement circulaire, de plus de 300
kilomètres de diamètre. À la différence du lac
Tanganyika, relié au bassin du fleuve Zaïre, des lacs
Nyassa ou Malawi, reliés au Zambèze, le lac Victoria
est relié au système nilotique (= du Nil). Il est
alimenté par la rivière Kagera en Tanzanie dont une
des branches supérieures, la rivière Luvironza au
Burundi, constitue la source la plus lointaine du Nil.
Ce lac, qui était à sec il y a environ 12 000 ans, est
dans sa configuration actuelle, récent. Comme les
autres grands lacs africains il hébergeait, dans les
années 1950, une faune lacustre d'une très grande
richesse, avec des centaines d'espèces endémiques,
pélagiques, benthiques, sabulicoles ou pétricoles [2]
dont la diversité a été alimentée par les processus de
spéciation [3], ce qui en avait fait un véritable
laboratoire de l’évolution.
Mais, depuis le début des années 1980, l'écosystème du lac est menacé par les activités humaines : pêche,
introduction d'espèces exotiques.
Source : Géoconfluences
[1] Rift : région où la croûte terrestre s’amincit. En surface, un rift forme un fossé d’effondrement allongé
[2] Pélagique : de pleine eau ; benthique : vivant près du fond ; pétricole : recherchant les caches et abri rocheux ;
sabulicole : vivant sur les fonds sableux.
[3] Diversification des espèces à partir d'une souche.
Groupement documentaire 2 : Les effets de l’introduction de la Perche du Nil
L'occupation humaine du pourtour du lac Victoria, aujourd'hui partagé entre trois États (Tanzanie, Ouganda,
et Kenya contrôlant respectivement 49%, 45% et 6% de sa superficie), s’est renforcée au cours du XXe siècle.
Cela a entraîné le défrichement des forêts riveraines pour la construction, la mise en culture, la fourniture de
combustible.
Le lessivage des sols par ruissellement s'est accentué, renforçant la turbidité des eaux du lac.
La transparence de l'eau depuis la surface s'est réduite depuis les premières mesures effectuées
dans les années 1930, tout particulièrement en saison des pluies et en bordure du lac (de 8
mètres à moins d'un mètre environ). Parallèlement, on observe une eutrophisation des eaux :
les apports de matière organique nutritive ont provoqué la chute des teneurs en oxygène, la
prolifération anarchique des plantes flottantes comme la jacinthe d’eau, ce qui entrave la
navigation.
La réduction de la lumière et de l'oxygène provoque des modifications de la faune et la
disparition de certaines espèces. Pour les espèces les plus recherchées par les aquariophiles, des
programmes de sauvegarde en captivité ou dans des sanctuaires préservés, à proximité du lac,
sont en cours de réalisation.
La Perche du Nil (Lates niloticus, appelée parfois, improprement, Capitaine), espèce
carnivore introduite dans le lac à la fin des années 1950 pour la pêche sportive, sans doute
importée du lac Albert, a proliféré. Du fait de sa voracité, de sa croissance rapide et de sa
grande taille (son poids moyen est de 50 kg, mais elle peut atteindre environ 100 kg), elle a
entraîné l'extinction de nombreuses espèces indigènes : les Cichlidés (tilapias en particulier)
qui représentaient 99% des captures il y a 50 ans n'en représentent plus qu'1% en 2005.
Certaines espèces ont résisté au prédateur. Il s’agit principalement des pétricoles qui s’abritent
dans les secteurs inaccessibles pour la Perche du Nil : rochers, eau peu profonde
Source : Didier Paugy, directeur de l’unité "Biodiversité des grands cours d’eau" de l’Institut de
recherche pour le développement (IRD) - La Perche du Nil victime de son succès. Le Monde, 11 mars
2005. Michel Alberganti
Mais, outre les effets sur les équilibres
écologiques du lac, l'introduction de la Perche
du Nil a modifié radicalement l’économie
locale. Dans les années 1980, l’irruption d’une
demande étrangère a provoqué une hausse
importante des prix du poisson et un boom
économique local. La population a afflué sur les
rives du lac. Les communautés de pêcheurs,
privées des espèces qu'elles consommaient
traditionnellement, se sont tournées vers la Perche
du Nil. Mais, alors que les poissons de petite taille
étaient traditionnellement séchés à l’air libre, la
chair de Perche est conservée par fumage, ce qui
accentue la demande de bois et le défrichement.
À l’initiative d’investisseurs étrangers et, en
partie, avec l’aide de l'UE, une pêche industrielle
s'est organisée : bateaux à moteurs, usines de
traitement du poisson, exportation des filets frais
vers l’Europe. Chaque semaine, environ cinq
avions cargos venus d'Ukraine, de Hollande ou de
Belgique atterrissent à l'aéroport de Mwanza pour
emporter environ 400 tonnes de filets de Perche
du Nil vers l'Europe ou l'Asie. Les données de la
base FishDat de la FAO indiquent que les
captures de poisson d'eau douce (principalement
Perche du Nil et Tilapia) provenant des pays
riverains du lac Victoria s'élevaient à 360 000 tonnes en 2001. Mais captures et exportations sont dépendantes, à la
fois, de l'écosystème très fragile du lac et des fluctuations des politiques d'importation des pays consommateurs
(normes sanitaires de l'UE par ex., source Agritrade et FAO)
L'Europe est donc un important marché pour la Perche du Nil, essentiellement écoulée par la grande distribution.
En 2003, les importations de l'UE se sont élevées à 45 000 tonnes, la Belgique et les Pays-Bas en étant les
premiers importateurs. La France en aurait consommé 2 200 tonnes en 2004 et, dans l'avenir, les nouveaux pays
membres pourraient aussi devenir des marchés intéressants. Par contre, les importations espagnoles, très
importantes au début des années 1990, ont tendance à décroître, du fait de campagnes de presse négatives et de
sources d'approvisionnement alternatives en produits de la pêche.
En janvier 1998, l'UE avait mis les produits de la pêche provenant du lac Victoria sous embargo, à la suite de rapports sur
une épidémie de choléra et de la présomption de conditions d'hygiène médiocres dans les usines de transformation.
L'interdiction a provoqué une chute de 66% des exportations de poisson vers l'UE et une chute de 32% des revenus en
devises par rapport à l'année précédente. En avril 1999, une nouvelle interdiction a été décidée, suite à des rapports faisant
état d'utilisation de pesticides pour capturer le poisson. Cette interdiction a provoqué une baisse supplémentaire de 66% des
exportations de poisson.
Dans le cas de la Tanzanie, en 1998, pour prévenir une épidémie de choléra, les embargos de l'UE sur les exportations du
poisson du lac Victoria ont eu des conséquences négatives sur les recettes en devises de ce pays, sur les revenus et l'emploi :
40% des travailleurs du secteur de la pêche avaient été licenciés et l'interdiction avait fait perdre 46,9 millions d'USD au
pays. La Tanzanie a contesté les bases scientifiques de cette interdiction, invoquant un rapport de l'OMS qui établit que le
choléra ne se transmet pas par le poisson.
Source : Sur Agritrade, portail du Centre Technique de Coopération Agricole et Rurale (CTA), consacré aux questions de
commerce international des produits agricoles dans le cadre des relations ACP-UE - Pêche
FAO : Food and
Agricultural
Organization :
Organisation des
Nations Unies pour
l’alimentation et
l’agriculture.
UE : Union Européenne
OMS : Organisation
mondiale de la Santé
USD : dollars américains
Les exportations de Perche du Nil du Kenya (volumes, en tonnes), par destination :
évolution de 1996 à 2001
Destinations
UE
1996
1997
1998
1999
2000
2001
10 388 6 882
2 320
742
1 680 3 818 (21%)
Moyen-Orient 1 801
2 664
2 201
2 722
4 146 4 650 (26%)
Israël
3 431
4 244
5 252
5 529
7 185 7 530 (42%)
Autres
1 120
929
1 394
2 894
2 468 1 947 (11%)
Total
16 740 14 719 11 167 11 914 15 479
17 945
Source : Kenya Fish Processors and Exporters Association (source Agritrade)
Groupement documentaire 3 : Un équilibre fragile
L’équilibre actuel du système fondé sur l'exploitation de la Perche du Nil est fragile. Il peut être remis en
cause tant dans ses dimensions économiques qu'écologiques. Les pêcheurs du lac Victoria sont de plus en plus
nombreux : en 1993, 4 000 bateaux ramenaient 15 000 t. de poissons, en 1980, 6 000 bateaux en ramenaient
100 000 t. (dont la moitié de Perches). En Tanzanie, de 40 000 t. en 1990 la production totale de pêche est passée à
environ 220 000 t. en 2001 (source : Lake Victoria Fish Processors Association of Tanzania). Mais on peut
constater, depuis le début des années 1990, une relative stagnation, puis une diminution des quantités débarquées,
estimées à 266 000 t. en 2003 (source FAO). Il faut y voir le résultat de l'intensification de l'effort de pêche et de
l'épuisement des stocks.
Les fluctuations observées des exportations (en volume et en valeur) proviennent, en partie, des effets des normes
sanitaires appliquées par l'UE. En 2003, la valeur cumulée des importations, par l'UE, de filet de Perche du Nil
provenant des trois États riverains du lac Victoria était estimée à 170 millions d'euros, mais en baisse par rapport à
2002 du fait de la concurrence, asiatique principalement (par ex., les importations de poisson-chat du Mékong en
provenance du Vietnam) et de l'attitude des consommateurs européens. Plus récemment, certains évoquent l'impact
négatif, sur les consommateurs européens, que pourrait avoir le succès du film de H. Sauper Le Cauchemar de
Darwin.
La réduction de la taille moyenne des prises, passée de 20 à 30 kg dans les années 1980 à 2 à 3 kg aujourd’hui,
montre que la pression de la pêche sur l’espèce est supérieure aux ressources et au renouvellement des stocks, les
prises se faisant désormais sur la population juvénile. La perspective de la disparition de cette espèce exotique,
propre à rassurer les tenants d’un retour à l’équilibre écologique antérieur, est perçue avec inquiétude par les
acteurs locaux. Les tensions entre les pêcheurs sont déjà manifestes (vols) et le responsable de l’Institut kenyan de
recherche sur la pêche et la marine (cité par Libération, 2 mars 2005) se dit favorable à une réintroduction
artificielle de la Perche du Nil si nécessaire, ce qui pourrait alors mettre les pêcheurs sur la voie de l'aquaculture.
Par ailleurs on observe, dans certaines régions où le stock de Lates a été surexploité et où les populations de
prédateurs ont diminué, un retour de certaines espèces d'Haplochrominés, par exemple. La "catastrophe"
écologique dénoncée par beaucoup n'est donc peut-être ni inéluctable, ni irréversible
Source : Didier Paugy, directeur de l’unité "Biodiversité des grands cours d’eau" de l’Institut de recherche pour le
développement (IRD) - La Perche du Nil victime de son succès. Le Monde, 11 mars 2005
Questions
Groupement documentaire n°1 :
1) Situer le lac Victoria. Quels sont les pays limitrophes du lac ?
2) Quelle est la spécificité du Lac Victoria par rapport aux autres lacs de la région ?
3) Pourquoi le lac Victoria pouvait-il être qualifié dans les années 1950 de « véritable laboratoire de
l’évolution ? »
Groupement documentaire n°2 :
4) Chercher dans le dictionnaire la définition d’eutrophisation et de turbidité + d’autres mots si besoins.
Créer un lexique.
5) A l’aide du texte et des expressions suivantes, compléter le schéma systémique
- Création d’emplois - Consommation par la population locale de la Perche du Nil et conservation par fumage Modification de la faune et disparition de certaines espèces - Lessivage des sols - Prolifération de la Perche du
Nil - Augmentation de la demande étrangère en poisson - Eau moins transparente / réduction de la lumière Eutrophisation - Hausse des prix du poisson sur le marché mondial - Turbidité des eaux du lac - Extinction de
nombreuses espèces de poissons - Organisation d’une pêche industrielle
6) A l’aide du schéma systémique, explique avec tes propres mots pourquoi il y a une modification de l’équilibre
écologique du lac et de l’économie locale
7) D’après le texte et le tableau « Les exportations de Perche du Nil du Kenya (volumes, en tonnes), par
destination : évolution de 1996 à 2001 », comment expliquer la chute brutale des exportations vers l’Union
Européenne en 1999 ?
8) A l’aide du schéma systémique, quelles peuvent- être les conséquences de cette chute brutale pour
l’économie locale ? Quelles peuvent-être les conséquences sur le plan social ?
Groupement documentaire n°3 :
9) Expliquer la phrase suivante : La "catastrophe" écologique dénoncée par beaucoup n'est donc peut-être ni
inéluctable, ni irréversible.
10) Expliquer pourquoi la disparition de la Perche du Nil dans le lac Victoria serait un bien pour les « uns », un
mal pour les « autres ». (N’oubliez pas de préciser qui sont les « uns » et les « autres » !)
Rédaction d’une synthèse :
A l’aide du schéma ci-dessous et des documents étudiés : rédiger un paragraphe d’une trentaine de lignes
minimum expliquant que le Lac Victoria est un système local qui dépend de ses relations avec l’étranger
Conclure en montrant que la situation des pêcheries du lac Victoria peut être considérée comme un symbole des
relations économiques Nord / Sud.
Schéma systémique du lac Victoria
Modification de
l’économie locale
Défrichements pour
la construction, la
mise en culture, la
fourniture de
combustible
Augmentation de
l’occupation humaine autour
du lac
Introduction de la
Perche du Nil dans le
lac
Equilibre
écologique du lac
modifié
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