ENTREPRISES ET CHANGEMENT : Les contraintes de l

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ENTREPRISES ET CHANGEMENT :
Les contraintes de l’environnement et le retour du politique
Pascal PICQ
Paléoanthropologue au Collège de France
« On ne commande à la nature qu’en lui obéissant ». Francis Bacon
« La seule véritable entreprise de l’Homme est de s’inventer lui-même». Francesco Savater
En tant qu’anthropologue, je mesure toute la signification évolutionniste de l’élection de
Barack Obama. Son discours annonce à la fois un changement politique, mais surtout un
changement économique et sociétal global, à l’échelle du monde.
Après la chute du mur de Berlin, Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire avec le
triomphe du libéralisme. On connaît la suite, le libéralisme entrepreneurial – l’économie réelle
– se retrouvant menacée en son sein par le capitalisme financier. Les créateurs de valeurs
réelles mis en difficulté par ceux qui se contentent de valeurs virtuelles. Les subprimes et leur
nébuleuse sont exactement comme un cancer : cela se multiplie sans limite jusqu’à la mort de
l’organisme. Il y a des thérapies, mais elles sont toujours très lourdes.
La politique économique de l’occident est arrivée au terme d’une logique qui, jusque là, avait
assuré sa suprématie tout en assurant un progrès comme jamais dans l’histoire de l’humanité,
mais très inégalement partagé. Depuis un siècle et demi – depuis l’émergence des théories de
l’évolution – cette logique s’appuyait sur la production, la croissance et la consommation
d’énergie. La production a servi les marchés des pays producteurs, puis on a continué dans les
autres pays avant que ceux-ci ne produisent à leur tour. Comme il n’existe pas de marché
extra-terrestre, cette logique a atteint une limite. La croissance fondée sur la consommation
fait qu’aujourd’hui il faudrait 15 fois les ressources de la Terre si tous les hommes voulaient
vivre comme les occidentaux, ce dont à quoi ils aspirent légitimement. (Qui sait que le pic des
ressources, c’est-à-dire le point à partir duquel la consommation globale de l’humanité
dépasse sa capacité de production, a été franchi en septembre 2008.) Enfin, les énergies
fossiles et non renouvelables ne suffiront certainement plus avant la moitié de ce siècle.
Si on avait une meilleure connaissance de l’évolution, on saurait qu’à un moment à un autre
les espèces, quelque que soit leur succès, rencontrent des limites imposées par
l’environnement, ce qui donne des phases de sélection, parfois drastiques, ce qu’on appelle
des goulots d’étranglement. Ensuite, une nouvelle évolution se met en place, à partir de ces
nouvelles bases. Les crises, avec leurs difficultés, ne sont pas la fin de l’évolution ; par contre,
les espèces qui prétendre continuer comme avant s’éteignent. L’évolution de la lignée
humaine en offre un bel exemple. Le problème avec l’Homme, c’est qu’il comprend
l’environnement au travers de ses représentations. C’est une magnifique caractéristique
humaine. Cependant, ces représentations peuvent aussi bien l’amener à changer, à s’adapter,
ou à le rendre aveugle. La transition Bush/Obama correspond à un immense changement de
paradigme. Pour le premier – comme tous les idéologues du progrès et du libéralisme non
régulé – l’environnement ne mérite aucune considération. Or, on sait que si on avait à
prolonger le système qu’ils défendent, on aurait très vite à payer un facture environnementale
– et sociale - bien plus lourde que celle des subprimes. Pour ces personnes, tenir compte de
l’environnement, c’est freiner leur modèle économique. En fait, ils sont incapables de changer
de paradigme, d’évoluer, pensant qu’il n’existe qu’un seul modèle. Il y en a d’autres et plutôt
que de percevoir l’environnement comme une contrainte – ce qu’il est de toutes les façons – il
convient d’en faire une source d’innovation. C’est bien comme cela que ce fait l’évolution.
Dors et déjà, on sait que les entreprises qui se sont engagées dans des démarches éthiques,
équitables et respectueuses de l’environnement traverseront mieux la crise. Dans ce contexte,
on assiste à un retour en force du politique, et heureusement, parce que les constructeurs
automobiles, après les banquiers, ont encore du mal à comprendre cet immense changement.
La démocratie a encore du sens.
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