TOXICITE RENALE DES ANTIBIOTIQUES B. Hoen, DIU CAI, 16 11 2006 INTRODUCTION z Tout antibiotique (tout médicament) peut être à l’origine d’une insuffisance rénale aiguë. z En fait : 2 grands mécanismes potentiels – Toxicité directe sur le rein (le tubule) atteinte dose-dépendante et prévisible – Hypersensibilité au médicament atteinte indépendante de la dose et imprévisible Etude coopérative multicentrique française z1 an – 58 services de Néphrologie IRA médicamenteuses (20 % des IRA) z 398 – 1/3 antibiotiques – 1/3 AINS – 1/3 divers (produits de contraste) z Parmi les IRA secondaires aux antibiotiques : les aminosides sont en cause dans 4 cas sur 5. Kleinknecht, Néphrologie 1994 1 Les antibiotiques néphrotoxiques z Aminosides z Pénicillines (péni G, A) z Céphalosporines de 1ère génération – Céfaloridine – Céfalotine à forte dose 107 8 7 4 3 z Cotrimoxazole 5 4 z Rifampicine 2 classes d'Ab néphrotoxiques z Ab dont la néphrotoxicité est connue et prévisible – Aminosides – Polypeptides – Amphotéricine B – (Céfaloridine) z Les antibiotiques exceptionnellement à l’origine d’IRA – pénicillines (M, A, G) – Rifampicine – Lincosanides – Ethambutol Les mécanismes en cause MECANISMES EN CAUSE TYPE LESIONNEL ANTIBIOTIQUE Toxicité tubulaire directe NTA Aminosides +++ Amphotéricine B Céphalosporines Immunoallergique NIA Pénicillines Céphalosporines Rifampicine Sulfamides (cotrimoxazole) Hémolyse NTA Rifampicine Pénicilline précipitation de cristaux Sulfamides aciclovir indinavir IRA obstructive 2 la néphrotoxicité des aminosides z Dose-dépendante z Risque d’autant plus grand que les taux sériques sont élevés z Toxicité en fait étroitement corrélée avec la concentration tissulaire, dans le cortex rénal z concentration corticale = 10 x concentration médullaire = 20 x concentration sérique Physiopathologie et anatomopathologie de la néphrotoxicite des aminosides (1) z Devenir précoce de l’aminoside (0-6 heures) – filtration glomérulaire – fixation sur la bordure en brosse de l’épithélium tubulaire proximal au niveau de récepteurs à haute capacité de fixation – mécanisme saturable – transfert intracellulaire et séquestration dans les lysosomes (où les concentrations peuvent devenir considérables). La pénétration des aminosides dans les cellules tubulaires corticales : un mécanisme saturable 3 Simulation des concentrations plasmatiques d'aminosides selon le mode d'administration A : 3 fois 1 mg/kg B : 1 fois 3 mg/kg Physiopathologie et anatomopathologie de la néphrotoxicite des aminosides (2) z Les lésions précoces (de 0 à 6 jours) – modification du pH Æ liaisons étroites avec les phospholipides – altération de l’activité phospholopasique lysosomale – accumulation de phospholipides dans les lysosomes qui augmentent de volume – altération grave des fonctions lysosomales – lyse lysosomale et largage des enzymes lysosomales dans le cytoplasme Physiopathologie et anatomopathologie de la néphrotoxicite des aminosides (3) z Les lésions constituées (à partir du 7ème jour) – souffrance cellulaire tubulaire – dégénérescence et nécrose des cellules épithéliales tubulaires – régénération cellulaire et prolifération interstitielle – retentissement sur la filtration glomérulaire 4 Physiopathologie et anatomopathologie de la néphrotoxicite des aminosides (4) D'après Tulkens, Am J Med 1986 Les facteurs prédisposants z Facteurs liés au patient – Age, dénutrition – Traitement récent par aminosides – Insuffisance rénale chronique préalable – Diabète – Hyponatrémie – Déplétion potassique – Insuffisance hépatique associée Les facteurs prédisposants z Facteurs liés au médicament – nature de l’aminoside (amik, nétil, isépa, genta) – posologie z ex Genta : toxicité assurée si posologie > 5 mg/kg/j pendant plus de 10 jours, z risques quasi nuls si posologie ≤ 3 mg/kg/j pendant moins de 10 jours sur rein sain – les taux sériques – durée du traitement – modalités d’administration 5 NEPHROTOXICITE Comparaison gentamicine vs tous les aminosides Doses multiples Dose unique 15/153 6/183 Gentamicine p < 0.05 86/1564 Tous les aminosides NS 73/1617 0 2 4 6 8 10 % Blaser et al, EJCMID, 1995 NEPHROTOXICITE Comparaison isépamicine / amikacine (1243 patients) Insuffisance rénale grave 6 Amika BD n=552 Insuffisance rénale 10 4 Isépa BD n=99 5 4 Isépa OD n=686 12 0 1 2 AK BD vs IS BD p < 0.06 IR: IS OD vs IS BD 3 5 % 4 AK BD vs IS BD p < 0.05 IR grave: p < 0.03 p < 0.007 IS OD vs IS BD AK BD vs IS OD NS AK BD vs IS OD NS Blum et al, J. Chem., 1995,2S,87-93 NEPHROTOXICITE Comparaison isépamicine / amikacine (169 patients USI) Insuffisance rénale grave 0 Amika BD n=57 4 Isépa BD n=55 8 0 Isépa OD n=56 3 0 IR: Insuffisance rénale 2 5 AK BD vs IS BD p < 0.04 10 IR grave: 15 % AK BD vs IS BD p < 0.05 IS OD vs IS BD p < 0.05 IS OD vs IS BD p < 0.05 AK BD vs IS OD NS AK BD vs IS OD NS Beaucaire et al, J. Chem., 1995,2S,165-73 6 Interactions médicamenteuses z Médicament qui potentialisent – Cefaloridine et Cefalotine – Ciclosporine – Cisplatine – Amphotéricine B – AINS – Diurétiques – Vancomycine ? z Médicaments qui – Fosfomycine – Ceftazidime – Pipéracilline la néphrotoxicité des AG "protègent" de la néphrotoxicité des AG Prévention de la néphrotoxicité des AG z Posologie adéquate, adaptée à la clairance de la créatinine (cf.) z Diminution de la fréquence d’administration z Réduction de la durée de traitement z Marqueurs précoces de la souffrance tubulaire – Cylindrurie – Enzymes tubulaires (β2 microglobuline) – Enzymes lysosomales (N-acétyl B-D-glucosaminidase) Conclusions pour la pratique clinique z Sélectionner les indications des aminosides (QS) la durée du traitement z Si administration prolongée (> 4 jours) z Limiter – Dosage des taux sériques – Surveillance bihebdomadaire de la crétininémie – Surveillance urinaire ? (diurèse) z Attention particulière à – sujets âgés – créatininémies « limites » – traitements associés – émonctoire hépatobiliaire 7 Monitoring concentrations sériques DUJ: fonction rénale normale DUJ (mg/kg) Pic** Vallée*** Amikacine 15 - 25 40 - 60 < 2.5 Gentamicine Netilmicine 4.5 - 7 6-8 15 - 25 15 - 25 < 0.5 <1 ** 30 min après la fin d’une perfusion de 30 min *** immédiatement avant l’administration suivante Néphrotoxicité des antibiotiques étude analytique par famille z BETALACTAMINES – Pénicillines (mécanisme immuno-allergique) z G, A exceptionnel zM rare (méticilline >> oxacilline) – Céphalosporines G1 z Risque toxique direct (Céfalotine) z immunoallergique (Céfaloridine) – Céphalosporines G2/3 – Penems risque exceptionnel z POLYPEPTIDES (colistine) – Néphrotoxicité +++, devaient passer à la postérité, mais… – Insuffisance rénale dose-dépendante (si dose >10 M UI /j), habituellement réversible à l'arrêt du traitement – Posologie recommandée : z z 50 000 UI/kg/j, administrées en 2 ou 3 injections IM ou en perfusions IV lentes (1 h) Pour un adulte de 70 kg : 3,5 MU/j – NB : 1 M UI = 80 mg z MACROLIDES (+ Synergistines et lincosanides) – Non néphrotoxiques 8 z SULFAMIDES – Risque de cristallisation intratubulaire – 2 facteurs de risque, presque toujours associés z à dose élevée z deshydratation z CYCLINES – Pas de néphrotoxicicté vraie – Effet anti-anabolique (augmentation de l’azotémie) – Tubulopathie toxique avec les cyclines périmées z PHENICOLES – Pas de néphrotoxicité. z RIFAMPICINE – Mécanisme immunoallergique – Prévention possible en évitant les prescriptions séquentielles z VANCOMYCINE – Néphrotoxicité actuellement contestée – Protéinurie – Hématurie – IRA – Plus d’accidents rapportés depuis plusieurs années – amélioration de la qualité du produit – Rôle de l’association Vancomycine – Aminoside ? z Probablement non (Malacarne, Chemotherapy 2006;52:178) z ACIDE FUSIDIQUE – Non néphrotoxique z AMPHOTERICINE B – Néphrotoxicité obligatoire – Toxicité tubulaire distale – Importance de la dose cumulative – Risque majeur si DC > 5 g – Risque modéré si DC < 3 g z FLUCYTOSINE – Non néphrotoxique. 9 CONCLUSION z L’insuffisance rénale secondaire aux antibiotiques n’est pas une fatalité. z La plupart des IRA médicamenteuses peuvent être évitées à condition de bien connaître : – Les propriétés des médicaments potentiellement néphrotoxiques – Leurs règles de prescription – Les circonstances qui favorisent l’expression de leur toxicité D. KLEINCKNECHT ANTIBIOTHERAPIE CHEZ L’INSUFFISANT RENAL MODIFICATIONS PHARMACOCINETIQUES SECONDAIRES A L’INSUFFISANCE RENALE z Biodisponibilité – Altérations de l’absorption digestive – Systèmes de transport des médicaments – Augmentation de l’effet de premier passage hépatique – RESULTANTE : moins bonne biodisponibilité dans l’insuffisance rénale chronique 10 z Volume de distribution – Augmentation du VD même en l’absence d’oedèmes (T1/2 peut augmenter sans modifications de clairance) – Diminution de la fixation intracellulaire de certains médicaments. z Liaison protéique – Augmentation fréquente de la fraction libre. z Elimination – Modification des clairances extra-rénales possible – La diminution de l’élimination rénale d’un médicament est grossièrement proportionnelle à la baisse de la clairance de la créatinine. CONDUITE A TENIR (1) z Raisonner en terme de clairance de la créatinine – clairance calculée (formule de Cockroft et Gault) +++ z Ajustement de la posologie : 2 options possibles – Modification de l'intervalle entre chaque dose – Modification de la dose d’entretien CONDUITE A TENIR (2) z Dans la mesure du possible, il faut en plus contrôler les taux sériques des antibiotiques – Quand c’est techniquement réalisable – Toujours pour les aminosides – Souhaitable pour la vancomycine – Pic ou vallée ? z S’aider des données de la littérature mais toujours privilégier l’observation clinique individuelle. 11 CAS PARTICULIER : LES AMINOSIDES z Calcul de l’intervalle T entre 2 – En fonction de la créatininémie doses de gentamicine z T = 0,8 x créatininémie (mg/l) – En fonction de la clairance de la créatinine z T = Tn½/Ke, Ke constante d’élimination z Application – Créatininémie = 25 mg/l (220 µmol/l) z z A. 25 ans – 75 kg – Homme B. 70 ans – 50 kg – Femme – Calcul de T z Selon 1. : T = 0,8 x 25 = 20 h, A ou B z Selon 2. : (Tn1/2 = 2 h) – A. Ccr : 48,4 ml/mn ; Ke = 0,114 ; T = 17 h – B. Ccr : 16,7 ml/mn ; Ke = 0,05 ; T = 40 h Calcul de l'intervalle de temps T entre 2 doses d'aminoside dans l'insuffisance rénale zT = Tn1/2 , où : Ke est la demi-vie théorique en l'absence d'IR z Ke est une constante d'élimination, fonction de la clairance de la créatinine, spécifique de chaque molécule z Tn1/2 – Amikacine: Ke = 0,003 Ccr + 0,008 – Gentamicine: Ke = 0,002 Ccr + 0,002 – Netilmicine: Ke = 0,002 Ccr + 0,006 – Dibékacine: Ke = 0,003 Ccr + 0,006 ADMINISTRATION DES AMINOSIDES EN DUJ CHEZ L' INSUFFISANT RENAL z C. créatinine > 30 ml/mn – Conserver poso DUJ, espacer les administrations – Calcul de T comme indiqué précédemment – Vérifier que les concentrations résiduelles sont conformes aux valeurs attendues – Ajuster les doses sinon z C. créatinine ≤ 30 ml/mn – réduire poso DUJ de moitié, et idem pour le reste – ou choisir un autre antibiotique 12 ADMINISTRATION DES AMINOSIDES EN DUJ CHEZ L' INSUFFISANT RENAL z Hémodialyse – Dose unique standard en fin de séance – Vérifier consentration résiduelle au branchement de la séance suivante z Hémofiltration continue – 1ère dose unique standard – dosage à 18 h – si concentrations sériques < 5 mg/l, dose suivante environ 75 % de la dose standard AB et IR : essai de classification (1) z Antibiotiques qui ne doivent pas être utilisés chez IR – – – – z polypeptides amphotéricine b acide nalidixique, acide pipémidique, nitofurantoïne Sulfamides Antibiotiques ne nécessitant pas d'adaptation de dose – – – – – – – oxacilline (< 100 MG/KG/J) macrolides et apparentés rifampicine (sous controle des taux sériques), acide fusidique cyclines de deuxième génération Fluoroquinolones (sauf ofloxacine) imidazolés isoniazide AB et IR : essai de classification (2) z AB nécessitant une adaptation modérée – méthicilline – céphalosporines – pénicilline G, A, uréidopénicillines – fosfomycine – 5 flucytosine – cotrimoxazole – ethambutol (5-10 MG/KG/J) z AB nécessitant – aminosides – vancomycine une adaptation rigoureuse 13 ANTIBIOTIQUES ET APPORT SODE Moins de 2 mmol Na +/g - Pénicillinate de sodium : 1,7 mmol Na+/1million d’unités - Céfuroxime : 1,8 mmol Na +/750 mg Entre 2 et 4 mmol Na+/g - Céfotaxime : 2,09 mmol Na+/1 g - Céfoxitine : 2,2 mmol Na+/1 g - Oxacilline : 2,5 mmol Na+1 g - Céfamandole : 2,5 mmol Na+/750 mg - Ampicilline : 2,7 mmol Na+/1 g - Ceftriaxone : 3,8 mmol Na+/1 g Plus de 4 mmol Na+/g - Céfotiam : 4,35 mmol Na+/1 g - Carbénicilline : 4,8 mmol Na+/1 g - Ticarcilline : 5,2 mmol Na+/1 g - Flucytosine : 13,6 mmol Na+/1g - Fosfomycine : 14 mmol Na +/1 g 14