RENFORT Vingt mille soldats envoyés en renfort en Irak : c’est ainsi que se présente, selon la presse d’aujourd’hui et d’hier, le nouveau dispositif militaire américain annoncé par George Bush. Mais ce n’est pas exactement le terme employé par George Bush lui-même. Souvenons-nous d’abord que Bush s’exprime en anglais bien sûr, et que nous parlons d’un mot français. Mais les mots ont des équivalents dans les deux langues. Bush a donc parlé « d’augmenter le niveau des forces américaines… » et il a décidé « d’assigner à l’Irak un effectif supplémentaire de vint mille hommes ». La langue n’est pas innocente, qu’elle soit anglaise ou française. On comprend bien que le président américain a utilisé des mots et des expressions positifs dans son discours, alors que le mot « renfort » a un caractère beaucoup plus défensif. En effet le mot « renfort » évoque une situation délicate, dans laquelle on est en difficulté : on envoie des renforts quand les troupes engagées ne suffisent pas à gagner la bataille, et même qu’on peut penser qu’elles rencontrent des obstacles. Les renforts c’est même souvent ceux qu’on attend pour éviter la catastrophe : Grouchy à Waterloo, dont les forces, arrivées à temps, auraient peut-être sauvé l’armée napoléonienne (mais c’est Blücher qui arriva !), ou les trompettes de la cavalerie qui, dans les vieux films hollywoodiens, signalent que l’armée américaine (encore elle !) arrive à la rescousse, en général au dernier moment, quand tout semble perdu… Mais là, il est vrai qu’il faut tenir compte du suspens cher aux scénaristes, et des techniques de l’histoires au cinéma… Et puis, puisque c’est de langue française qu’on parle, il faut tenir compte de l’inconscient linguistique, et des jeux de mot qui se cachent, se tapissent au fond des mots : le renfort, c’est… ce qui vous rend… fort ! Ce qui vous apporte la force qui vous manquait. Etymologiquement c’est faux, bien entendu. Mais c’est bien ça qu’on entend ! Alors cette idée d’aide est très présente, d’autant que l’adverbe ou adjectif « fort » (il est tantôt l’un tantôt l’autre) se retrouve dans une autre expression qui n’a rien à voir grammaticalement – sa construction est toute différente – mais qui porte parfois la même idée : prêter main forte à quelqu’un, c’est lui donner un coup de main. Et le premier sens de la formule évoque une assistance apportée au combat, à celui qui pourrait avoir le dessous. A la fin du Moyen Âge, l’expression s’employait à propos du secours apporté par la troupe à la justice ou même à la police. Et pourtant, l’origine du mot « renfort » est à chercher ailleurs : ses premiers sens n’étaient pas militaires. Le mot dérive du verbe « renforcer », et on renforce ce qui menace ruine, ou tout simplement ce qu’on veut consolider. L’adjectif « renforcé » désigne donc ce qu’on a rendu plus solide en le doublant, en l’épaississant : on parle de carton renforcé, ou d’un pull renforcé aux coudes, lorsqu’on veut éviter les trous ! Curiosité peu connue : le mot « renforts », au départ, signifiait enchère, comme si renchérir chaque fois sur l’enchère de l’autre, c’était renforcer. Et l’expression « à grand renfort de » qui utilise le mot au singulier, alors que le plus souvent, on l’emploie au pluriel, est une formule toute faite pour désigner qu’on s’aide d’une grande quantité de choses : s’excuser à grand renfort de sourires.