DROIT PRIVE COMPARE 1. PROPOS INTRODUCTIFS 1. Qu'est-ce que comparer? Comparer, c'est mettre en relation des droits différents, c’est étudier un droit à la lumière d'un autre. On étudie son propre droit à la lumière d'un droit étranger. C'est donc, d’abord, une manière de redécouvrir son droit national. Comparer signifie mettre en parallèle des matières pour faire apparaître des similitudes et des différences. Les comparatistes se divisent parfois entre ceux qui recherchent des similitudes entre deux droits (on parle alors de « comparaison intégrative » - A.Watson), tandis que d’autres ont une approche différentialiste (Legrand). Le comparatiste devrait pourtant être un observateur neutre et objectif. En réalité, la comparaison a mené et mène toujours à des résultats distincts selon le but visé. Le résultat de la comparaison dépend en effet des critères de comparaison qui ont été retenus à l’origine, ainsi que des objectifs poursuivis. 2. Pourquoi comparer? La comparaison permet d'obtenir une approche critique du droit. Dans une approche assez large, macro comparative, c'est un des grands mérites du droit comparé, qui provoque en effet une ouverture et permet de formuler une critique de son propre système juridique. C'est ce que certains appellent la « fonction subversive du droit comparé » d’après la formule de H. MuirWatt. Le droit comparé est donc un instrument contre le dogmatisme, l'ethnocentrisme en cela qu’il conteste l'idée que les normes juridiques internes sont les seules concevables. Il permet de formuler une critique du droit. Du point de vue de la doctrine, une des difficultés qui s'est présentée en France est qu’il existait assez peu de critiques du droit, contrairement aux USA. C’est grâce au droit comparé qu’ont pu être introduites certaines critiques du droit au sein de notre système. Le principe de la comparaison est simple : on va apprendre d'un autre droit, y trouver une source d'inspiration, des solutions applicables au sein de son propre système juridique. C’est ainsi que de nos jours, lorsqu’une réforme législative est envisagée, il est procédé en premier lieu à une étude des systèmes avoisinants, de manière plus ou moins efficace et pertinente d’ailleurs. 1 En effet, il faut être capable de traduire correctement les solutions qui ont pu y être appliquées. D’après le Doyen Carbonnier, c’est ici que réside les dangers de la comparaison, car peu sont à même de déterminer si ce qui a été extrait d’un autre système est juste : « a beau mentir qui vient de loin ». Le droit comparé sert également à convaincre. Dans le cadre judiciaire, ou en ce qui concerne l'interprétation du droit constitutionnel, il n’est pas toujours évident d'interpréter la constitution d'un Etat à l'aune d'un droit étranger. D’ailleurs le Conseil Constitutionnel ne semble pas être très favorable à une approche comparative. D’après le Doyen Vedel : « il faut se défaire de l'idée que telle ou telle théorie, telle ou telle pratique, adoptée par une cour constitutionnelle étrangère dans une démocratie parfois juvénile comme... ». Aux Etats-Unis, dans l’affaire Lawrence v. Texas de 2003, un argument comparatiste a été soulevé devant la Cour Suprême. Cette affaire concernait une loi texane prévoyant des sanctions pénales pour toute personne se livrant à des actes de sodomie entre adultes consentants. La question centrale était ici de savoir si cette loi était critiquable sous l'angle des droits fondamentaux ou des libertés constitutionnelles. Certains juges utilisèrent un élément de comparaison en affirmant que dans certains pays avaient été jugées inconstitutionnelles des lois de ce type, et contraire aux droits fondamentaux devant la CEDH. Le juge Scalia jugea pour sa part qu'il était impossible de faire usage du droit comparé en l’espèce, que cela était même impensable. Il jugea qu'il fallait se référer à l'intention des auteurs de la constitution américaine, et interpréter cette loi selon le droit interne uniquement. D’autres juges considérèrent pourtant qu'il était possible de développer une conception évolutive de la Constitution, sans pour autant gommer son originalité (opinion du juge Breyer notamment). Pour eux, il ne fallait pas que la conception américaine soit trop différente des conceptions européennes en matière de droits de l'homme. L'utilisation du droit comparé est tout de même toujours perçue comme une source de difficultés. Dans un premier temps en effet, il est nécessaire d’utiliser des décisions étrangères sorties de leur contexte, provoquant un risque certain de décontextualisation de ce fait. Pour contourner ce problème, il serait donc nécessaire qu'on n’utilise des références émanant d'un système assez proche. Exemple d’usage de la comparaison dans le domaine du droit civil. On peut remarquer que dans certaines décisions, les juges font appel à la comparaison, au droit étranger. Cf : Cass, Arrêt Perruche, 2007 (enfant handicapé dont les parents n’en avait pas été informés d’un risque de malformation suite à une erreur du médecin et du laboratoire). L’arrêt s’est appuyé sur un usage du droit comparé, ce qui apparaît clairement dans les conclusions de l’AG Sainte Rose. Les juges n’ont pas hésité pour trancher cette affaire à se référer au droit étranger. Une telle utilisation du droit comparé est souvent faite dans des affaires soulevant des polémiques importantes au sein de l’opinion publique. 2 L’utilisation du droit comparé par le juge n’a pas pour autant pour objectif de reprendre une solution au compte du système interne. Le juge trouvera en effet plutôt des supports dans le droit étranger, des arguments pour rendre son propos plus solide. Ex : House of Lords, 25 Novembre 1999, Mcfarlane case : Mr McFarlane avait subit une vasectomie dans une clinique anglaise. Sa femme tomba enceinte par la suite. Le couple demanda des d&I à la clinique auprès de la Cour. Le débat tourna ici autour de questions éthiques, plus que juridiques. Les juges anglais se sont référés à une décision rendue par la Haute Cour néerlandaise, qui avait donné raison aux parents dans un contexte similaire. A la différence de cette affaire, les juges anglais ont eux refusés d’indemniser les parents et en examinant les arguments soulevés devant le Haute Cour, ont expliqué pourquoi ils n’appliqueraient pas la même solution en droit anglais. Dans cette décision, à l’inverse des décisions de droit français, c’est la décision elle-même qui se réfère au droit étranger. Cela tient au style judiciaire différent de ces deux systèmes. Ex : High Court, 2000 : Tort law related case. La question était ici de savoir si l’on pouvait indemniser un préjudice psychologique subit par un conjoint pour la perte d’un être cher lorsque ce dernier avait lui-même contribué, par sa faute, à ce décès. L’inspiration fut ici puisée dans la jurisprudence allemande qui avait déjà tranché cette question. Il y a eu une consultation entre un professeur allemand, les avocats anglais et le juge anglais qui a pris en compte cette décision dans son jugement. L’usage de la référence au droit étranger peut être utilisé dans un contexte judiciaire, lorsqu’il s’agit de convaincre le juge. Cela peut avoir un poids assez fort devant le juge. Le travail des avocats sera de trouver des idées, plutôt que des solutions dans le droit étranger, et plutôt que la solution, l’argumentation développée devant les juridictions étrangères peut être utilisée. « Le droit comparé est un emprunt à la démarche juridique, non une transposition de la jurisprudence dans le système de droit interne », d’après l’ancien premier président de la Cour de Cassation. Une décision ne peut en effet être importée telle qu’elle, en raison des valeurs particulières de chaque système. Le droit comparé est également un outil de compréhension, que ce soit dans les relations entre Etats ou entre personnes privées. Il est en effet nécessaire de connaître l’autre pour le comprendre. Cette matière est donc très importante notamment dans le contexte d’intégration régionale actuelle (ex : UE) ou globale (OMC…). L’écart est parfois assez grand entre deux systèmes dans la conception d’une même notion. Ex : La bonne foi en matière de droit des contrats. C’est dans ce type de contexte qu’il est fondamental que chaque partie ait connaissance du droit de l’autre, de l’écart de conception et du risque que cet écart présente. 3) L’histoire du droit comparé 3 On a pu observer l’utilisation du droit comparé, c-a-d la référence au droit étranger, depuis très longtemps. L’un des exemples les plus anciens remonte à Solon, homme politique grec du 6e siècle avant JC. Au Moyen Age, on comparait le droit naturel avec le droit canonique. En Angleterre, on comparait le droit canonique et le Common Law. Dans L’esprit des lois de Montesquieu, on peut également observer des comparaisons en matière de systèmes politiques et juridiques (notamment des comparaisons avec le système anglais). En réalité, la discipline elle-même de droit comparé apparaît au cours du 19e siècle chez les anglais avec Henry Sumner Maine. En 1831 fut créé au Collège de France une chaire d'études juridiques comparatives et d’internationalisation (occupée par Mireille DelmasMarty depuis novembre 2002). Fut également créée en France la Société de législations comparées (1860). Est organisé en 1900 un grand congrès international de droit comparé, dont les fondateurs du droit comparé en France ont fait partie (Lambert et Saleilles : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_00353337_2000_num_52_4_18626 ). En Europe, le droit comparé reprend aujourd’hui une place très importante, très certainement en raison de l’intégration européenne. Pourquoi maintenant seulement ? Car pendant de nombreuses années, l’intégration européenne n’a touché qu’un nombre limité de domaines du droit. Maintenant qu’il y a des développements plus large, affectant la plupart des branches du droit privé, l’œuvre d’harmonisation provoque des questionnements renouvelés. Ex : Il existe aujourd’hui des chroniques, dans des revues très généralistes, de droit comparé. 4) Le droit comparé et le droit international privé 1e approche : les deux disciplines évoluent dans des sphères différentes et il n’y a pas d’interactions entre elles. 2e approche : deux disciplines doivent être conjuguées ensemble. Des tensions apparaissent à certains niveaux dans les deux matières en effet. D’un côté, une volonté d’uniformiser le droit en droit comparé, une volonté de limiter la diversité, volonté partagée, dans une certaine mesure, avec le DI privé. D’un autre côté, le droit comparé n’existe que du fait de la diversité des droits, et celle-ci n’a pas nécessairement vocation à être vaincue, selon certains courants (différentialistes), de même en dip, la technique centrale du conflit de lois repose sur l’existence d’une diversité de loi, dont il faut aménager le jeu. 3e approche : on considère que ces disciplines sont complémentaires, interdépendantes car le DI privé fait parfois appel au droit comparé. Il peut par exemple en DI privé y avoir une question de qualification qui implique l’étude du droit étranger. (Ex : reconnaissance du mariage homosexuel – à quelle institution correspond-t-il en droit français ?). En matière d’OP international, il est nécessaire de connaître les valeurs en jeu dans le système étranger pour savoir si oui ou non la loi étrangère est contraire à 4 l’OP international. Pour Bénédicte Fauvarque-Cosson, c’est la raison pour laquelle le droit comparé est essentiel, non seulement en raison de sa portée théorique mais en raison de ses enjeux pratiques. 4e approche : il existe un rapport de rivalité entre les deux disciplines car si le droit comparé vise à unifier le droit comme le suggère un de ses courants de pensées, les règles de conflits deviendront à terme inutiles. A l’échelle de la planète, une telle unification semble improbable, mais à l’échelle de l’UE, cela pourrait être possible, même si à ce niveau, l’objectif poursuivi est l’harmonisation, le plus souvent, et non pas l’unification. Or harmonisation ne fait que rapprocher les systèmes juridiques, elle ne crée pas de règles uniformes. 5) Le droit comparé et le droit européen Le droit de l’UE se construit à partir du droit des Etats membres de l’Union (c’est le « phénomène ascendant » d’après Mireille Delmas-Marty). Cf : Mécanisme de reconnaissance des Principes Généraux de droit communautaire + responsabilité de l’Etat pour violation du droit de l’UE, dégagés à partir des traditions constitutionnelles communes aux EM, inscrit dans le TUE depuis 1992.) En outre, le souci pour les juges de mettre en œuvre des solutions acceptables pour les EM est réel. L’Avocat général Lagrange de la CJUE a ainsi mis en évidence la nécessité de prendre en compte l’usage du droit comparé dans la construction du droit européen. Pb : Comment la CJUE procède-t-elle pour reconnaître une solution commune ? Il est rare que la cour souligne que tous les Etats retiennent une seule et même solution pour l’adopter. L’idée de « convergence des droits » (aussi reprise par la CEDH) est souvent invoquée. 6) Le droit comparé et la mondialisation du droit Les mondialisations du droit et de l’économie sont liées. La mondialisation du Droit s’apparente au fait que le droit ne peuvent plus se concevoir aujourd’hui uniquement au sein des frontières nationales, et que les mouvements se produisant au sein du droit ne peuvent plus se comprendre qu’en étudiant les mécanismes intrasystémiques. La mondialisation signifie donc que les systèmes juridiques sont désormais perméables. On voit ainsi émerger un droit mondial, qui s’étend à l’échelle de la planète (ex : droit de l’OMC, conventions internationales…). La Mondialisation entraîne également des formes plus ou moins variables de rapprochement des droits à l’échelle mondiale : on parle de « droit mondialisé ». Ce phénomène est abordé par François Ost (« De la pyramide au réseau»). Il dissocie le droit de la mondialisation (1e 5 catégorie) et décrit ainsi le droit international, découlant de la mise en place de structure de gouvernance mondiale, notamment dans le cadre de l’ONU. Il aborde également le thème du droit mondialisé – une « mondialisation douce » d’après lui, à tort ou à raison - qui résulte d’une perspective plus radicale d’interpénétration des systèmes, qui résulte elle même d’une convergence plus ou moins spontanée des droits nationaux, qui vont chercher à s’aligner sur des modèles soient dominants, soient séduisants, et qui vont ramener à eux d’autres systèmes. Ex : La grande influence de la théorie « Law and Economics » développée aux USA. Cela entraîne, d’après certains, des phénomènes « d’hybridation » au sein du droit. Ex : L’influence du système de Common Law sur les systèmes romano-germaniques. Diffusion de certaines notions, de certains mécanismes ou types de raisonnement Ex : Diffusion de la notion « d’harcèlement sexuel » dans les droits occidentaux. Une série de facteurs explique cette mondialisation : La dimension volontaire de cette mondialisation, construite à travers les différentes OI mises en place. Dénote de la volonté des Etats d’uniformiser les droits. Mais il existe aussi d’autres mouvements volontaires d’harmonisation qui découlent de groupes privés (groupes académiques par exemple dans le domaine de l’unification du droit des contrats – Commission Lando au sein de l’UE). L’initiative prise par le barreau américain aux USA au début du 20e siècle ont permis de mettre au point le « Uniform commercial code » visant à uniformiser les droits des différents Etats fédérés. L’évolution des techniques / technologies influe également sur le développement de cette mondialisation du droit, notamment le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La contrainte du temps et de l’espace qui n’existe désormais plus a des influences sur le droit. Le phénomène d’interdépendance des Etats joue lui aussi. Les Etats sont liés lié les uns aux autres, et pas seulement en raison des échanges économiques (v. aussi questions environnementales, par ex). Le sentiment qu’il y a une émergence de valeurs communes entre certains pays, des besoins et des questions communs, accentue lui aussi le phénomène. Ex : La protection de l’environnement entraîne le rapprochement des droits car il existe une préoccupation commune. Des questions éthiques (cf : McFarlane case) sont également partagées. Les conséquences de ce phénomène de mondialisation sont diverses : La domination d’un modèle juridique : c’est un phénomène qui s’est déjà produit dans l’Histoire (ex : l’influence du modèle allemand dans la 1e moitié du 20e siècle, l’influence du Code Napoléon en Europe au début du 19e siècle, l’« impérialisme » du droit des USA aujourd’hui). Cet impérialisme a d’ailleurs été critiqué, notamment 6 avec la publication des rapports de la Banque Mondiale intitulés « Doing business ». Ces rapports annuels sont destinés à classer les droits aux moyens d’indicateurs économiques (en 2006 : la France était classée au 44e rang sur 153, derrière le Botswana, la Jamaïque et les Iles Tonga). Les juristes civilistes français ont critiqué ce classement car d’après eux les systèmes civilistes étaient défavorisés par rapport aux systèmes de Common Law, car n’assurant pas une protection des droits de la même manière. Le rapport « Les droits civilistes en questions » fut ainsi publié par l’association Capitant et la Société de législation comparée en réponse au rapport de la Banque Mondiale pour défendre les systèmes civilistes. A quoi servent ces rapports de la BM ? A orienter les opérateurs économiques vers les pays qui sont sensés être le plus favorable sur le plan économique (« pour faire des affaires »). Les civilistes dénoncent ainsi un préjugé en faveur de la Common Law car les personnes rédigeant ce rapport sont plus favorables à ce système où les mécanismes de réglementation des Marchés (notamment aux USA) sont décriés. En 2009, la France était au 31e rang de ce classement. Pourquoi un si mauvais classement ? En raison de de deux critères : la réglementation du travail en France et de l’enregistrement des transactions immobilières. NB : Cette évaluation est très critiquable car l’approche est ici uniquement économique. C’est pourquoi une partie des comparatistes la critique, car elle ne prend pas en compte les différentes fonctions du droit. D’autres comparatistes trouvent que ces rapports ont l’effet d’un électrochoc, car ils permettent de réagir et de reprendre l’analyse comparatiste sous d’autres angles. Cette analyse économétrique est qui plus est originale pour ces juristes, car elle n’est pas utilisée en temps ordinaire et devrait peut être le devenir. Une dernière vision, plus nuancée, se fonde sur les échanges entre les systèmes. Pour eux, les rapprochements entre les systèmes se font non pas sous la forme de l’hégémonie d’un seul système, mais sous la force d’une hybridation des systèmes du fait de la Mondialisation. Le droit comparé est nécessaire pour pouvoir évaluer l’avancé de cette hybridation, ou de la mise en place de l’hégémonie d’un système (en fonction du point de vue adopté). Le Professeur Xavier Blanc-Jouvan, dans « L’avenir du droit comparé, un défi pour les juristes du nouveau millénaire », a précisé que « le 21e siècle sera le siècle de l’internationalisation et de la globalisation dans tous les domaines (…) et, pour les juristes, celui du droit comparé. Mais celui-ci devra s’adapter à la situation nouvelle en devenant à son tour - et ce n’est pas un paradoxe - de plus en plus international. » Plusieurs interprétations de cette affirmation son possibles : Le droit comparé ne se fait plus aujourd’hui à l’échelle nationale, mais à l’échelle internationale au sein des OI (ONU, Conseil de l’Europe…) ou au sein de groupes privés (Commission Lando). La comparaison ne se limite plus à la comparaison des droits nationaux, mais également des droits régionaux entre eux (UE / CEDH, UE /ALENA…). On compare aussi le DI et le droit régional (Droit social européen / droit de l’OIT). Sont donc introduites des comparaisons entre systèmes juridiques internationaux. 7 Paragraphe 2 : La diversité des droits A l’échelle de la planète, la multiplicité des droits est flagrante, et ce même au sein d’un même Etat. L’idée chez les comparatistes a été de penser qu’il existait une manière de regrouper ces droits en établissant des systèmes ou familles juridiques (ou encore cultures ou traditions juridiques). Cette diversité n’était pour eux qu’une apparence. Cette mise en place de systèmes juridiques permettra d’élaborer une comparaison plus efficace. Ce mode de pensée de regroupement des droits est aujourd’hui très critiqué. A l’époque où l’on observe de nombreuses hybridations entre les droits, cette classification devient obsolète. Pierre Esmein, au congrès international de Droit comparé de Paris, a proposé un classement des droits en familles, sur des fondements historiques, géographiques et religieux. Il proposa ainsi de distinguer 5 familles : Droit romain Droit germanique Droit anglo-saxon Droit slave Droit musulman. NB : Cette classification ne prend pas ou peu en compte les traditions juridiques africaines ou asiatiques. En 1913, un Professeur suisse proposera une classification des droits en fonction de la race. Il divisa alors le monde en 4 familles de droit : ariens et indo-européens, sémitiques, mongols et barbares. Le Professeur René David dans les années 50 reprendra la classification d’ Esmein et proposera de partir des conceptions de la Justice, qui d’après lui prévalent dans les systèmes juridiques, ainsi que des techniques juridiques employées. Il distingua alors : Système occidentaux Système socialiste Droit musulman Droit hindous Droit chinois NB : Il a rassemblé la famille des systèmes occidentaux dans un seul groupe. L’idée qui domine chez David et ses successeurs est qu’on peut admettre que le Droit ne se réduit pas à la diversité des règles qui le composent, mais qu’on trouve à l’intérieur de chaque droit des concepts, catégories et modes de raisonnement spécifiques à ce droit et témoignant d’une certaine permanence ou structure fondamentale du droit. 8 Aujourd’hui encore, la plupart des manuels de droit comparé sont divisés en fonction de cette classification en familles juridiques. (= 1 partie pour chaque famille). On distingue aujourd’hui 7 familles car la famille occidentale à été remplacée par les familles de droit romano-germanique et de Common Law. Le droit socialiste a lui été remplacé par le droit russe. Des auteurs allemands (Zweigert et Kötz) ont qualifié cette classification de relative. La plupart du temps, ces classifications sont en effet uniquement réalisées par des privatistes. Elles peuvent donc ne pas être appropriées au droit public. Selon le domaine qu’on observe, on peut donc avoir un classement différent d’après eux. Il faut dont nuancer cette approche en famille. De même, les classifications ne sont pas immuables dans le temps ; elles peuvent varier en fonction des époques. Ces auteurs préfèrent faire primer l’étude des traits juridiques, des styles de droit, des qualités distinctives, pour regrouper ces droits en familles juridiques. Un des critères qui doit guider la classification est l’effet d’étonnement produit par tel ou tel aspect du droit d’un autre système. Il utilise 5 critères pour aboutir à leur classement : Les racines historiques du droit Le mode de pensée juridique (= legal thinking) Des institutions distinctives (ex : le trust dans les droits de Common Law) Les sources du Droit (critère mineur d’après eux) L’idéologie du droit (= l’influence de la religion ou d’une idéologie politique). Ces différents critères leur permettent d’aboutir à une classification du droit en fonction de « cercles de droit ». 7 existent d’ après eux (4 grands groupes + 3 catégories). Ccl : Il existe donc une grande relativité des familles et une créativité dans l’approche comparatiste. Cela a été durant tout le 20e siècle une grande question chez les comparatistes que celles de l’établissement de ces familles. Critiques de ces classifications Il y a une part d’arbitraire dans l’établissement de ces classifications, ce qui les rend très contestables. Ces regroupements en familles sont trompeurs, très réducteurs, et incapables de saisir la catégorie de droit que constituent les droits mixtes (ex : droit civil et droit de CL / Common Law et droit musulman). 9 Ex : Le Canada possède un système juridique ou coexistent des règles de droit civil inspirées de la culture française et de Common Law inspirées des traditions juridiques anglo-saxonnes, au sein d’un Etat fédéral. Depuis les années 90, un programme d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil du Québec a d’ailleurs été mis en place. Dans la province du Québec en effet, règles de droit civil en français et en anglais et règles de Common Law en anglais et en français coexistent. L’harmonisation vise ainsi à faire fonctionner ensemble ces règles d’origines diverses. Pourtant, il reste nécessaire de comparer ces différentes familles de droit à l’heure actuelle, car aucune autre base de comparaison n’existe aujourd’hui. Même si leur établissement reste contestable, ces familles n’en reste pas moins des repères qui permettent parfois de comprendre ce qui se passe au sein des systèmes juridiques. (ex : au sein de l’UE, l’étude comparatiste nous permet de comprendre des conflits qui pourraient surgir entre conceptions de Common Law et conceptions romano-germaniques). Cette classification nous permet également d’évaluer le rayonnement des différents systèmes juridiques. En prenant l’exemple de la famille romano-germanique, on note qu’elle réunit une grande partie des pays occidentaux et d’Amérique latine (environ 100 pays à l’échelle du Monde). Les pays de Common Law sont quant à eux un peu moins de 50. Traits distinctifs des systèmes de CL et de droit romano-germanique : Les sources : le rapport entre la Loi ( le Code) et la jurisprudence. La loi est considérée comme la source centrale dans les systèmes RG, alors que les pays de CL ont exprimé très tôt leur rejet du système de droit civil, et notamment de l’idée de « Code ». Des juristes anglais, notamment A.V. Dicey et Charles Cooper, s’y sont fermement opposés même : « Comment peut-on former un code destiné à réguler les actions futures d’un peuple. » (Cooper). Cela a donc eu une influence sur la conception du droit dans les pays de CL. En France, on considère que c’est à la Loi de réguler les comportements. Lorsqu’on se rend compte de l’importance que prend la jurisprudence dans certains domaines, on se demande quelle valeur normative à cette jurisprudence, notamment si celle est source de droit ou pas. La jurisprudence est-elle inférieure à la Loi dans le système français (hiérarchie entre les sources que sont la Loi et la jurisprudence donc) ou la jurisprudence est-elle subordonnée à la Loi car elle découle de celle-ci en premier lieu (« hiérarchie » chronologique) ? Dans les pays de Common Law, notamment aux USA, ce n’est pas cette question qui se pose. Les questions ont surgis, et ont été considérées notamment par les auteurs réalistes américains (dont le juge Holmes). Ils ont ainsi critiqué les méthodes et procédés employés par le juge pour interpréter et créer du Droit. Existent-ils des critères de jugement ? Si oui, lesquels ? De nombreuses réponses ont été fournies, parmi elles beaucoup préconisaient que soit également prises en compte par le juge des critères externes au droit (critères sociologiques ou psychologiques par exemple). Cela reflète la nature ouverte, perméable du droit de la CL, qui fait appel à d’autres sciences sociales pour appliquer le Droit. 10 Il s’oppose en cela au droit romano-germanique, qui lui prône une certaine clôture du système, reflétée par la rédaction de codes, censés englober l’ensemble des règles qui doivent être prises en compte par les juges. Les raisonnements de ces 2 systèmes s’opposent également. Dans la famille de CL, on dit que la pensée juridique est empirique et qu’elle se fonde sur la mesure du phénomène, plutôt tâtonnante, refusant toute systématisation. Ce raisonnement est effectué à partir de l’expérience de cas concrets. Dans la pensée civiliste, c’est plutôt la pensée logique qui domine, la conception d’un système complet de normes qui se suffit à lui-même. On parle dans ce système de « sciences juridiques ». On se situe souvent à un certain niveau de généralité, d’abstraction. Une fois la règle générale trouvée, on l’applique aux faits d’espèce (déduction). Le juge sera qui plus est très soucieux de ramener la solution trouvée à des principes supérieurs. Cette méthode a l’avantage de la concision, mais le système civiliste décontextualise bien souvent le droit de cette manière. D’après G. Samuel, en droit anglais, cela ne signifie pas que la règle n’a pas d’importance. La formulation de la règle est uniquement différente, car elle découle du cas particulier et vise à s’appliquer de manière générale, alors qu’en droit civil elle découle d’une règle générale et est appliquée au cas particulier. NB : Les Massime italiennes sont l’extrême exemple de cette approche abstraite et généralisante des systèmes civilistes. Holmes disait en 1881 que « la vie du Droit dépend de l’expérience et non de la logique », et que « des propositions générales ne décident pas du cas concret. » En réponse à cette affirmation, un juriste français, René David, déclara que l’expérience n’était pas laissée de côté en droit civil non plus (Portalis le disait lui-même). En revanche, il existe un problème avec la logique formelle pour les juristes civilistes : selon eux, celle-ci s’impose, elle ne peut pas être mise de côté. 2. La méthode comparatiste La question de la méthode est une question centrale en droit comparé. En effet, beaucoup de juristes estiment que sans méthode, la comparaison est contestable voire inexistante, et qu’il n’en existe pas aujourd’hui. D’autres estiment qu’il ne peut exister de méthode de comparaison car tous ces droits sont incomparables. 11 Lorsque le droit comparé a commencé à se développer, aucune méthode n’existait certes mais on se livrait alors à des micro-comparaisons en comparant des législations étrangères. On parlait alors de « comparaison de législation ». Cette méthode a été rapidement critiquée, dans la mesure où il n’y avait aucun intérêt et bénéfice à procéder à de telles comparaisons, trop superficielles. Le problème majeur alors est qu’on n’attachait pas assez de poids à la jurisprudence. La prise en compte des législations étrangères seules était considérée comme risquée car l’on masquait alors tout un pan du Droit. Il fut alors décidé que le droit comparé devait contenir également le droit vivant (c-a-d la jurisprudence). De nombreuses méthodes furent alors dégagées pour tenter de mener des comparaisons pertinentes. La première d’entre elles, la plus instinctive, est la méthode conceptuelle. C’est une approche qui se fonde en effet uniquement sur les concepts juridiques, les institutions, pour comparer les différents systèmes. Ex : La comparaison du concept de « contrat » ou de « bonne foi » dans différents systèmes juridiques. Beaucoup d’auteurs appliquent cette méthode. Celle-ci a quand même un nombre important d’inconvénients. En effet, d’après R. David, il n’y a pas toujours de correspondance entre les institutions étudiées. Cela risque donc de bloquer l’analyse. De même, cette méthode peut être parfois dangereuse. On peut en effet retrouver le même concept dans un autre système, mais dont le sens est différent. Ex : Le concept français d’équité et d’Equity en droit anglais. Il existe également une grande difficulté posée par la traduction. La méthode conceptuelle exacerbe particulièrement cette difficulté. Pierre Legrand, dans son ouvrage, présente à cet effet toute une liste de traductions de diverses institutions. Ex : La ou Le Common Law ? Pour certains « la common law » s’apparente uniquement à « la Loi ». On devrait donc dire, pour désigner le système de Common Law, « le Common Law ». L’approche contextualiste ou culturelle a quant à elle pour vocation de se distinguer de l’approche textualiste. D’après les auteurs qui soutiennent cette approche, il est nécessaire d’appréhender le « droit en action », dans son mouvement et son environnement culturel, et non pas seulement en se fondant sur les textes. L’aspect décisif de cette méthode est donc qu’on ne peut pas bien comparer sans tenir compte du contexte, d’éléments périphériques au droit. Il faut donc pratiquer une 12 interdisciplinarité (Sociologie, Histoire…). Le problème est de ce fait que cette méthode devient très difficile à pratiquer pour les individus. La méthode fonctionnelle La méthode factuelle 13