harlemagne

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I
CHARLEMAGNE
l y a 1200 ans, Charlemagne unifia sous sa seule autorité
la majeure partie de l’Europe occidentale, de l’Èbre jusqu’à
l’Elbe. « Phare de l’Europe », comme le nomme un poète
contemporain, il a posé les principes de gouvernement dont ont
hérité les grands États européens.
Tout commence au VIIe siècle, lorsque ses ancêtres, les Pippinides,
deviennent maîtres du royaume d’Austrasie, puis de l’ensemble
du monde franc, en exerçant les fonctions de maire du palais.
Charlemagne poursuit alors l’ascension politique de sa famille en
accédant à l’Empire. Le couronnement de l’an 800 est le résultat
d’une politique territoriale, militaire, religieuse et culturelle sans
égale. L’extension du royaume grâce à de multiples campagnes
militaires, la conversion au christianisme des populations
nouvellement soumises, la réforme de la société ou la réalisation
de manuscrits somptueusement enluminés font du règne de
Charlemagne le point d’orgue de la « renaissance » carolingienne.
Ce mouvement dure un siècle, du règne de Charlemagne à celui
de Charles le Chauve, qui ouvre la lignée des Carolingiens de
Francie occidentale. Leur histoire est ici présentée jusqu’à celle
de Louis V, à qui aurait dû succéder Hugues Capet, fondateur
d’une dynastie qui construira la France pendant huit siècles.
Philippe Depreux, professeur d’histoire médiévale à l’université de Limoges, est
spécialiste du haut Moyen Âge occidental.
www.tallandier.com
Couverture : Charlemagne, empereur d’Occident.
Peinture de Louis-Félix Amiel.
© Photo RMN / Gérard Blot.
ISBN 978-2-84734-460-8
Imprimé en France 09.2007
GK 295414
13 m
PHILIPPE
DEPREUX
PHILIPPE
DEPREUX
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Charlemagne
et la dynastie carolingienne
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PHILIPPE DEPREUX
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DANS LA MÊME
COLLECTION
Jean Flori
Philippe Auguste
Gérard Sivéry
Saint Louis
Sylvie Le Clech
Philippe le Bel
Ivan Cloulas
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de Médicis
c’est votre histoire
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DU MÊME AUTEUR
Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840),
Sigmaringen, Thorbecke, 1997 (Instrumenta 1).
Les Sociétés occidentales du milieu du VIe à la fin du IXe
siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
Charlemagne. La naissance de l’Europe, Paris, Gallimard
Jeunesse, 2003.
Alcuin, de York à Tours. Écriture, pouvoir et réseaux dans
l’Europe du haut Moyen Âge, sous la direction de Philippe
Depreux et Bruno Judic, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2004 (Annales de Bretagne et des Pays de
l’Ouest, tome 111/3, 2004).
DANS LA MÊME COLLECTION
Philippe Auguste, Jean FLORI, 2007.
Saint Louis, Gérard SIVÉRY, 2007.
Philippe IV le Bel, Sylvie LE CLECH, 2007.
François Ier, Sylvie LE CLECH, 2006.
Catherine de Médicis, Ivan CLOULAS, 2007.
Henri IV, Janine GARRISSON, 2006.
Louis XIII, Christian BOUYER, 2006.
Louis XIV, Jean-Christian PETITFILS, 2006.
Louis XV, Catherine SALLES, 2006.
Louis XVI, Guy CHAUSSINAND-NOGARET, 2006.
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PHILIPPE DEPREUX
CHARLEMAGNE
et la dynastie carolingienne
TALLANDIER
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© Éditions Tallandier, 2007
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SOMMAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre premier. Les Pippinides au pouvoir (687-768)
Les Pippinides, une famille austrasienne . . . . . . . . . . . . . . .
Pépin II et Charles Martel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pépin le Bref, roi des Francs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La mainmise sur l’Aquitaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le contrôle de l’Église . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre II. Charlemagne (768-814)
Le roi et sa famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conquêtes et reconquista . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La soumission de la Saxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Alcuin, maître à penser de Charlemagne . . . . . . . . . . . . . . .
La cour d’Aix-la-Chapelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le couronnement impérial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Charlemagne, roi et empereur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre III. Louis le Pieux (814-840)
La longue attente du pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’enthousiasme des débuts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CHARLEMAGNE
Une politique missionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les forces de la désunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le « déshonneur des Francs » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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77
83
Chapitre IV. Charles le Chauve (840-877)
La guerre civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Une monarchie contractuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
D’Orléans à Metz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Faire face aux Vikings . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
La chimère impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Chapitre V. Le « renouveau du royaume des Francs »
(789-877)
Guider le peuple au salut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’importance des études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le contrôle du clergé séculier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une vie communautaire bien réglée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les arts au service de Dieu et du roi . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
111
117
123
126
131
Chapitre VI. Les derniers Carolingiens (877-987)
Une période de crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le règne de Charles le Simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Louis IV ou l’illusion d’une restauration . . . . . . . . . . . . . . .
L’essor des principautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La fin de la dynastie carolingienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
137
140
145
149
153
Généalogies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
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INTRODUCTION
Le nom des « Carolingiens » vient de celui de « Charles »,
porté par le père de Pépin le Bref, Charles Martel, et par son
fils, Charles « le Grand », c’est-à-dire Charlemagne. Cette
épithète, qui souligne l’importance du souverain sous le nom
de qui cet ouvrage est placé, vise d’abord Charles en tant
qu’empereur, comme en témoigne encore vers 1100 le début
de la Chanson de Roland : « Carles li reis, nostre emperere
magnes ». Mais très tôt, on parla tout simplement de
« Charles le Grand », tel Walahfrid Strabon, peu après 840,
dans son prologue à la Vie de Charlemagne due à Éginhard,
qui vécut à la cour d’Aix-la-Chapelle.
D’aucuns s’étonneront peut-être du poids accordé aux
questions religieuses dans un livre essentiellement consacré
à l’histoire politique. La raison en est simple : il n’existe pas,
alors, de distinction entre ces deux dimensions de la vie
sociale. D’autres s’étonneront de voir figurer les Carolingiens
parmi les rois de France – à juste titre : Charlemagne et sa
famille ne sont ni français, ni allemands. Ce sont des souverains francs, qui régnèrent sur la majeure partie de l’Occident chrétien. Il n’est toutefois pas inopportun de sacrifier à
la tradition, pour souligner la filiation franque dans laquelle
s’enracine la monarchie française (indépendamment du
« retour à la souche de Charles » du temps de Philippe
Auguste).
À la fin du Moyen Âge, Charlemagne, alors vénéré comme
un saint, était devenu un véritable modèle, comme l’illustrent
divers traités du XIIIe siècle. C’est à cette époque qu’apparut
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CHARLEMAGNE
aussi le thème des neuf preux : Charlemagne y figure avec
Arthur et Godefroy de Bouillon. Le grand empereur est alors
considéré à l’origine de la monarchie française – Charles V
(1364-1380) ne le fait-il pas représenter sur son sceptre ?
D’ailleurs, depuis la fin du XIIe siècle, l’oriflamme de
Saint-Denis est assimilée à celle de Charlemagne. Vers 1200,
l’Anglais Gervais de Cantorbéry écrit : « Le roi Philippe
emporta l’enseigne du roi Charles, laquelle est en France, du
temps de ce prince jusqu’à nos jours, l’enseigne de mort ou
de victoire. » De même, à partir du XIIIe siècle, l’épée du
sacre gardée à Saint-Denis est réputée celle de Charlemagne – la « Joyeuse » des chansons de geste. Ce livre n’est
toutefois pas consacré à la légende d’un empereur dont le
prestige tend à occulter les mérites des autres membres de sa
lignée. Au contraire, les pages qui suivent invitent à la découverte de l’histoire du haut Moyen Âge, par l’évocation des
temps carolingiens.
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Chapitre premier
LES PIPPINIDES AU POUVOIR
687-768
LES PIPPINIDES, UNE FAMILLE AUSTRASIENNE
Les Mérovingiens régnaient depuis plus de cent ans sur la
Gaule et ses marges lorsque les Pippinides firent leur apparition sur la scène politique. Leur fortune connut des intermittences entre le début du VIIe siècle et 751, lorsque Pépin
le Bref déposa Childéric III, se fit sacrer roi et fonda une
nouvelle dynastie. Cette promotion n’était toutefois pas due
au hasard : elle reposait sur la richesse d’une famille qui sut
se placer à la tête de l’aristocratie austrasienne.
La mairie du palais d’Austrasie
L’Austrasie était, avec la Neustrie et la Burgondie, l’un
des trois royaumes mérovingiens. Ce « royaume de l’Est »,
qui s’est formé vers la fin du VIe siècle, s’étendait du Jura à
la « forêt charbonnière » (du Brabant septentrional à la région
de Cambrai), et de la Marne au Rhin et au Main, jusqu’à la
Thuringe. Ses contours varièrent au cours des siècles, mais
la Meuse et la Moselle constituèrent toujours son centre de
gravité. En 613, le roi mérovingien Clotaire II réunit sous
son autorité l’ensemble des royaumes francs, dont l’Austrasie, où il s’imposa grâce au soutien de certains membres
de l’aristocratie locale ; Pépin Ier, dit « de Landen » († 640),
fut l’un des artisans de son succès. Il en fut récompensé dix
ans plus tard lorsque Clotaire associa au pouvoir son fils,
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CHARLEMAGNE
Dagobert Ier (le « bon roi Dagobert »), en le faisant roi d’Austrasie. Dagobert Ier fut doté d’un palais autonome, c’est-à-dire
d’un personnel qui le conseillait en matière de gouvernement
et gérait ses domaines. Le responsable de la cour, appelé
« maire du palais », fut Pépin Ier. Son influence déclina toutefois lorsque Dagobert Ier régna sur l’ensemble du territoire
franc (629-639), car le souverain s’entoura de conseillers
neustriens et confia la mairie du palais d’Austrasie à un autre
membre de l’aristocratie de ce royaume vers 633, lorsqu’il y
établit comme roi son tout jeune fils, Sigebert III. Pépin ne
recouvra la mairie du palais qu’à la mort de Dagobert Ier, et
pour quelques mois seulement : il décéda peu après.
Saint Arnoul de Metz
L’autre agent principal du succès de Clotaire II en Austrasie
fut Arnoul. Il avait fait carrière à la cour du roi d’Austrasie,
Théodebert II. Lorsque ce dernier fut assassiné sur l’ordre du
roi Thierry II de Burgondie, Arnoul et Pépin de Landen, redoutant l’influence de Brunehaut, favorisèrent la prise du pouvoir
par Clotaire II, alors roi de Neustrie. Arnoul et Pépin Ier
n’étaient pas parents, mais tous deux se trouvent à l’origine de
la dynastie des Pippinides, par le mariage de leurs enfants.
Comme c’était couramment le cas, la carrière d’Arnoul fut
couronnée par l’accession à l’épiscopat : il devint évêque de
Metz en 614. Il conseilla Dagobert Ier. En 629, il se retira dans
les Vosges, à Remiremont, où un monastère avait été fondé par
un moine de Luxeuil. Arnoul vécut ses dernières années en
ermite, au service des malades. Il mourut à Remiremont, mais
sa dépouille fut transportée à Metz quelques années plus tard.
Vers la fin du VIIIe siècle, les Carolingiens favorisèrent son
culte. Des reliques furent déposées en divers endroits, par
exemple à Gorze ou au Mans ; on célébrait un office en son
honneur à Fulda et à Saint-Gall. Quant à Metz, elle devint pour
la famille régnante une sorte de ville sainte.
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LES PIPPINIDES AU POUVOIR
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Saint Amand
Alors que saint Arnoul avait choisi de se retirer du siècle, d’autres
adeptes de la vie monastique, à l’image de saint Colomban,
s’engagèrent dans l’action missionnaire. Tel fut le cas de l’Aquitain
Amand, envoyé par Dagobert Ier dans la région de l’Escaut afin
d’y évangéliser les populations. Avec l’appui du roi et des Pippinides, il fonda plusieurs monastères, notamment à Elnone
(Saint-Amand-les-Eaux) et à Gand. Peu après avoir reçu le siège
épiscopal de Maastricht en 647, il abandonna ses fonctions pour
se consacrer à l’évangélisation des Basques, puis des Slaves de
Carinthie. N’ayant pas obtenu le succès escompté, il se retira à
Elnone, où il mourut vers 676.
Grimoald et Childebert l’Adopté
En 640, le fils de Pépin Ier, Grimoald, devint maire du
palais d’Austrasie, alors que le roi Sigebert III était encore
un enfant. Son destin est associé à celui de Childebert, dit
« l’Adopté » sous les Carolingiens. On a longtemps cru que
Childebert était le fils de Grimoald, qui l’aurait fait adopter
par Sigebert III pour permettre à sa descendance d’accéder à
la royauté. En 656, à la mort du roi, Childebert hérita en effet
de l’ensemble du royaume, au détriment de Dagobert II, le fils
de Sigebert III né après cette adoption ; Dagobert II fut exilé
dans un monastère d’Irlande : c’est ce qu’on a appelé le « coup
d’État » de Grimoald. Quant à ce dernier, il fut exécuté vers
662 aussitôt après la mort de Childebert, sur l’ordre de la veuve
de Sigebert III et du duc Wulfoald. En 679, Dagobert II fut tué
à son tour ; cet événement sonna l’heure du retour aux affaires
des Pippinides, en la personne de Pépin II. La rapidité de ce
retour et le jour assez favorable sous lequel Grimoald est
présenté dans les chroniques ont intrigué les historiens.
Actuellement, certains pensent au contraire que Childebert
était le fils du roi mérovingien et qu’il fut adopté par Grimoald,
un scénario qui fait ressortir encore plus clairement la position
éminente du maire du palais. On voit ainsi que l’analyse des
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CHARLEMAGNE
sources, peu nombreuses, de cette époque s’avère particulièrement délicate.
Les premiers parmi les grands
Pépin II, dit « de Herstal », était le petit-fils de Pépin Ier
par sa mère et celui d’Arnoul de Metz par son père. Il se
maria avec Plectrude, la fille du comte Hugobert, possessionné dans les vallées du Rhin et de la Moselle. Désormais,
les Pippinides comptaient parmi les plus riches propriétaires
de la région et confirmaient ainsi leur position éminente au
sein de l’aristocratie. Ils constituèrent un patrimoine foncier
important au cœur de l’Austrasie. Leur puissance fit taire les
opposants, qui se mirent à leur service, tels les Widonides,
appelés ainsi car le nom de Gui (Wido en latin) fut souvent
donné aux membres de cette famille.
Les Widonides
Les Widonides sont attestés depuis la fin du VIIe siècle dans la
Moselle moyenne et la Sarre, mais aussi aux alentours de Verdun.
Au début du VIIIe siècle, ils détenaient le siège épiscopal de
Trèves : à Liutwin (vers 705-722/723) succéda son fils Milo,
évêque à la fois de Trèves et de Reims († vers 761/762). Ce
personnage est fort célèbre, car il fut vivement critiqué par saint
Boniface pour avoir considéré les biens de l’Église comme son
propre patrimoine. Au début du IXe siècle, une branche de cette
famille est attestée en Bretagne, où plusieurs de ses membres
exercèrent des fonctions comtales, avant d’émigrer en Italie.
PÉPIN II ET CHARLES MARTEL
Pépin II et son fils Charles furent tous deux appelés
« princes des Francs » par les chroniqueurs du haut Moyen
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Âge, qui soulignaient ainsi l’autorité quasi royale dont ils
jouissaient. Ce titre fut reconnu à Pépin II en raison d’une
importante victoire militaire qui le rendit maître de l’ensemble du monde franc.
La bataille de Tertry
Pépin II, alors seulement maire du palais d’Austrasie, profita des conflits internes à l’aristocratie de Neustrie, qui,
grosso modo, comprenait les régions entre Loire et Somme :
en 687, certains opposants au maire du palais de ce royaume,
Berchaire, invitèrent le Pippinide à prendre le pouvoir chez
eux. Pépin se rendit en Neustrie à la tête d’une armée ; il
rencontra Berchaire et ses troupes à Tertry, près de Vermand.
Lors de cette bataille, Pépin remporta la victoire et Berchaire
prit la fuite, mais ce n’est qu’après le meurtre de ce dernier,
l’année suivante, que le maire du palais d’Austrasie put gouverner sur l’ensemble des territoires francs : il reçut le roi
Thierry III sous sa protection, prit le contrôle de ses trésors
et se fit reconnaître par lui comme unique maire du palais.
Bien que Pépin II mît quelque temps à s’imposer, la bataille
de Tertry fut très tôt considérée comme l’un des tournants de
l’histoire des Pippinides.
Pépin II, maître des trois royaumes
Pépin ne se contenta pas de cette victoire et de l’élargissement de son pouvoir au sud de l’Austrasie : l’une des entreprises majeures de son gouvernement fut l’amorce de la
conquête des terres au nord du royaume, dans le delta du
Rhin et au-delà. Dominée par les Frisons, un peuple de marchands et de navigateurs, cette région allait devenir l’un des
principaux axes commerciaux du haut Moyen Âge. Toutefois,
ses succès n’incitèrent pas Pépin II à revendiquer l’autorité
royale. Fort de son pouvoir, en 691, il fut en mesure de choisir
le successeur de Thierry III parmi les fils de ce dernier. Au
lieu de partager le royaume entre les héritiers, le maire du
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CHARLEMAGNE
palais, qui avait la haute main sur la Neustrie, la Burgondie
et l’Austrasie, imposa un seul roi (Clovis IV, puis son frère
Childebert III et le fils de ce dernier, Dagobert III). On
observe donc un loyalisme envers la famille régnante : mais
le garant de l’unité du royaume était désormais le maire du
palais pippinide.
Charles Martel, maire du palais
À la mort de Pépin II, en 714, une lutte acharnée eut lieu
pour sa succession : les fils qu’il avait eus de Plectrude étant
morts avant leur père, l’héritier était son petit-fils, Théodoald.
Il était soutenu par Plectrude, qui refusait que les richesses
de sa famille tombent aux mains de Charles. En effet, peu
avant sa mort, Pépin II avait privé de ses droits à l’héritage
ce fils qu’il avait eu d’Alpaïde, une concubine.
Pendant plusieurs années, le royaume fut en proie à une
guerre civile. Charles, emprisonné par Plectrude, réussit à
s’échapper et à rassembler des troupes pour combattre les
alliés de sa belle-mère et le parti neustrien, mené par le
nouveau maire du palais, Raganfrid. Charles s’imposa en
Austrasie après plusieurs batailles : à Amblève en 716, puis
à Vincy en 717. L’année suivante, il étendit son autorité sur
la Neustrie, en battant une coalition formée par les troupes
de Raganfrid et celles d’Eudes, le duc d’Aquitaine appelé en
renfort. Grâce à cette victoire, remportée à Soissons en 718,
Charles fut en mesure de s’imposer comme maire du palais
dans l’ensemble du royaume des Francs : ses pouvoirs étaient
désormais les mêmes que ceux de son père.
Charles Martel face aux ducs
Au début du VIIIe siècle, le pouvoir des maires du palais
était effectif seulement en Austrasie et en Neustrie. Partout
ailleurs, en particulier dans les régions allant de la Loire aux
Alpes et aux Pyrénées, les aristocrates locaux tendaient à
exercer de façon autonome le pouvoir initialement reçu du
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LES PIPPINIDES AU POUVOIR
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roi. On observe alors l’émergence de principautés, c’est-àdire de territoires gouvernés par une dynastie non royale. Il
pouvait s’agir de principautés épiscopales, comme à Auxerre,
où l’évêque avait les droits comtaux, mais surtout d’entités
régionales, comme l’Aquitaine, la Provence ou la Bavière.
Les personnages qui étaient à la tête de ces territoires sont
tantôt désignés comme des princes, car ils exerçaient l’autorité publique, tantôt comme des ducs : ce titre, qui désigne
un « chef militaire », montre qu’ils devaient bien souvent leur
légitimité à leur vaillance aux combats. C’est également par
les armes qu’ils tentèrent de sauvegarder leur pouvoir face
au maire du palais. Charles Martel multiplia les campagnes
militaires contre eux, moins pour les déposer de manière
systématique et s’emparer de leur pouvoir que pour les forcer
à reconnaître son autorité. C’est ce qu’il fit en Bavière, où,
à deux reprises, il intervint militairement pour imposer son
propre candidat à la succession du duc Théodon, mort en
725. Il profita de l’occasion pour se lier à la famille ducale
en y choisissant sa seconde épouse, Swanahilde. Un peu plus
tard, il mena également ses troupes en Alémanie. Toutefois,
c’est surtout en raison de ses victoires sur les Sarrasins qu’il
fut appelé « Martel » (autrement dit : le Marteau), à partir du
e
IX siècle.
La bataille de Poitiers
Charles Martel poursuivit l’œuvre de Pépin II en soumettant la Frise à son autorité. Depuis 719, la région d’Utrecht
et de Dorestad était définitivement passée sous la domination
franque. En 734, le maire du palais soumit la Frise centrale,
étendant son autorité jusqu’à la région de Groningue ; il s’agit
de la seule expédition militaire des temps carolingiens pour
laquelle nous savons que les Francs mobilisèrent une flotte.
Mais Charles est surtout célèbre pour ses victoires sur les
Sarrasins, notamment celle qu’il remporta en 732, la
« bataille de Poitiers » : par ce fait d’armes, il fut considéré
comme le rempart de la chrétienté contre l’islam. L’enjeu
était surtout symbolique, car les Sarrasins menaçaient de s’en
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CHARLEMAGNE
prendre à l’un des principaux sanctuaires du monde franc :
la basilique Saint-Martin de Tours. Après s’être rendus maître
de l’Espagne en quelques années à partir de 711, ils organisaient périodiquement des raids en Aquitaine. Le duc Eudes,
en 721, avait réussi à leur faire lever le siège de Toulouse ;
mais en 732, il n’était pas parvenu à contenir l’émir Abd
al-Rahman, qui avait poursuivi sa course jusqu’à Poitiers, où
l’église Saint-Hilaire fut incendiée. Eudes appela Charles
Martel à la rescousse. C’est en fait au sud de Châtellerault,
à Moussais-la-Bataille, que le maire du palais mit les envahisseurs en échec, le 25 octobre 732. Ce ne fut pas la seule
victoire de Charles sur les Sarrasins, auxquels il livra également bataille dans la vallée du Rhône.
Charles et l’Église
Le succès de Charles Martel tient tout à la fois à ses
victoires militaires et à sa politique religieuse. Le maire du
palais réussit à se faire reconnaître par le pape comme son
seul véritable interlocuteur dans l’espace franc ; Grégoire III
(731-741) est censé lui avoir fait envoyer les clefs du tombeau
de saint Pierre, pour lui signifier qu’il entendait se placer
sous sa protection. Le maire du palais a soutenu l’action
évangélisatrice de Willibrord, l’apôtre de la Frise, et de Boniface, un moine originaire du Wessex qui avait qualité de
représentant du pape en Germanie. Paradoxalement, Charles
fut ultérieurement décrié par certains clercs, qui désiraient
lui faire expier en enfer son attitude à l’égard des biens
d’Église, motivée par sa politique militaire. En effet, il avait
attribué à ses vassaux des terres appartenant à des établissements ecclésiastiques, pour rémunérer leur service armé.
Ces biens ou bénéfices, octroyés à la suite d’une « prière »
(d’où leur nom de « précaire »), n’étaient toutefois pas cédés
en pleine propriété.
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LES PIPPINIDES AU POUVOIR
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Pépin le Bref, « adopté » par Liutprand
Vers 737, Charles Martel conclut avec Liutprand, qui régnait sur
le nord de l’Italie depuis 712, une alliance politique : son fils Pépin
(le Bref) fut envoyé à la cour du roi lombard, qui lui coupa les
cheveux et lui offrit des cadeaux, avant de le laisser repartir en
Francie. Il s’agit d’un geste d’adoption : dans son Histoire des
Lombards, rédigée à la fin du VIIIe siècle, Paul Diacre affirme qu’en
lui coupant les cheveux, Liutprand était devenu comme un père
pour Pépin.
Le testament de Charles Martel
Après une vingtaine d’années passées au pouvoir, l’autorité
de Charles Martel était telle qu’il put gouverner, en temps
que maire du palais, sans qu’un roi fût à la tête du royaume.
À la mort de Thierry IV, en 737, le trône demeura vacant
jusqu’en 743. Le roi mérovingien était certes toujours le
dépositaire d’une force religieuse transmise par le sang, le
Mund : c’est en vertu de cette autorité, exprimée par le port
des cheveux longs, que la dynastie s’était maintenue au pouvoir. Mais la réalité du gouvernement était désormais aux
mains du maire du palais ; l’absence du roi ne faisait donc
pas obstacle au bon fonctionnement de la vie publique. La
vacance du trône ou les relations diplomatiques entretenues
par Charles Martel, par exemple avec le roi des Lombards,
ne sont pas les seules preuves de sa toute-puissance. Charles
avait lui-même pris des dispositions testamentaires. Le partage auquel il procéda montre qu’il considérait que le
royaume lui appartenait en propre : en effet, conformément
à la coutume du partage, il attribua l’Austrasie, l’Alémanie
et la Thuringe à Carloman, et la Neustrie, la Burgondie et la
Provence à Pépin. Grifon, le fils qu’il avait eu de Swanahilde,
devait recevoir quelques comtés. Par ailleurs, il demanda à
se faire inhumer à Saint-Denis, la nécropole mérovingienne
à laquelle Dagobert Ier avait donné un lustre tout particulier.
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CHARLEMAGNE
C’est donc véritablement un « presque-roi » qui s’éteint à
Quierzy, « emporté par une forte fièvre », le 22 octobre 741.
PÉPIN LE BREF, ROI DES FRANCS
L’événement le plus important dans l’histoire de la famille
pippinide est sans doute le sacre de Pépin le Bref. Cet avènement – en fait, une révolution de palais – fut patiemment
préparé par Pépin, qui profita de la renonciation de son frère
aîné à la mairie du palais pour s’emparer du trône.
L’héritage de Charles Martel
Quand les fils de Charles Martel, Carloman et Pépin le
Bref, étaient parvenus au pouvoir en tant que maires du palais,
aucun roi ne régnait. Ils furent toutefois bien vite contraints
de rétablir un Mérovingien sur le trône, en la personne de
Childéric III, celui-là même que Pépin déposerait en 751. En
effet, peu après la mort de Charles Martel, ses fils durent
faire face à une coalition de princes territoriaux que leur père
n’avait pas réussi à soumettre : Odilon de Bavière et Hunald
d’Aquitaine, auxquels se joignit Théodebald, l’ancien duc des
Alamans. La seule issue pour sauver leur pouvoir était de
s’abriter derrière l’autorité de la dynastie mérovingienne.
D’abord, Carloman et Pépin travaillèrent ensemble au maintien d’un pouvoir que leur demi-frère Grifon n’était pas seul
à contester. Son opposition était compréhensible : Carloman
et Pépin avaient voulu le priver de tout héritage, lors du
partage de Vieux-Poitiers, en 742, qui faisait fi de la distinction entre Austrasie et Neustrie. Carloman eut une politique
militaire active, pour soumettre les ducs nationaux au sein
du royaume ; en 746, il remporta une importante victoire en
Alémanie, à Cannstatt (actuellement, il s’agit d’un quartier
de Stuttgart). La situation était très tendue dans ce duché,
comme le prouve l’histoire de l’abbaye de Saint-Gall (en
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LES PIPPINIDES AU POUVOIR
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Suisse), à laquelle nombre d’opposants à la domination
franque avaient fait donation de biens pour les mettre à l’abri,
grâce à la mainmorte, et les recouvrer à titre de précaire. Ces
largesses excitèrent la convoitise de comtes de la région,
Warin et Ruthard, qui réussirent à faire emprisonner l’abbé
Otmar. Cette anecdote illustre les tensions suscitées par la
domination franque sur les régions périphériques. Carloman
entreprit également de consolider les confins septentrionaux
du royaume, en menant quelques campagnes contre les
Saxons, prélude aux conquêtes de Charlemagne.
La conversion de Carloman
En dépit de la qualité du gouvernement de Carloman, c’est
Pépin le Bref qui récolta les fruits de la politique à laquelle
il avait été étroitement associé. En effet, en 747, Carloman
renonça au pouvoir pour se faire moine et il se retira en
l’abbaye du Mont-Cassin, au sud du Latium, qui avait été
fondée vers 529 par saint Benoît de Nursie ; cet établissement, qui avait été détruit par les Lombards à la fin du
e
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VI siècle, fut restauré au début du VIII siècle grâce à l’appui
de la papauté, qui lui accorda l’exemption, c’est-à-dire le
privilège de dépendre directement du Saint-Siège. Le rayonnement de ce monastère, qui contribua à la diffusion de l’observance bénédictine dans la seconde moitié du VIIIe siècle,
est illustré par le séjour qu’y firent également d’autres hôtes
de marque, tels Sturmi, l’abbé de Fulda, ou Adalhard,
petit-fils de Charles Martel et futur abbé de Corbie.
Le fils de Carloman, Drogon, devait succéder à son père,
mais son oncle, Pépin, l’évinça dans des conditions obscures.
Les raisons profondes du choix de Carloman nous échappent :
peut-être réalisa-t-il le désir de son cœur. Il n’est cependant
pas exclu que Pépin l’ait convaincu de s’effacer – comme le
note un contemporain, le pouvoir de Pépin fut renforcé par
cette succession. Toujours est-il que Carloman tenta ensuite
de s’opposer à la politique d’alliance entre son frère et le
pape Étienne II. Il fut empêché de se rendre à la cour et
retenu à Vienne, où il mourut le 17 août 754.
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CHARLEMAGNE
Le sacre de Pépin
Pépin exerçait le pouvoir depuis presque dix ans lorsqu’il
envoya à Rome une ambassade composée de Burchard, évêque
de Würzburg, et du chapelain Fulrad, afin de demander au pape
Zacharie son avis sur la situation politique dans le royaume
des Francs. Le pape répondit qu’il valait mieux appeler roi
celui qui en avait la puissance, plutôt que celui qui en était
dénué. Ainsi, pour que l’ordre ne fût pas troublé, il ordonna
que Pépin fût fait roi. On a ici l’illustration de la conception
médiévale d’un ordre établi par Dieu, qui régit les rapports
sociaux. Quant à la composition de l’ambassade, elle résume
les aspects essentiels de la donne politique d’alors : Fulrad est
issu d’une famille ayant de riches propriétés entre Meuse et
Moselle et liée depuis longtemps aux Pippinides ; quant à Burchard, il s’agit d’un Anglo-Saxon, collaborateur de Boniface
qui l’a nommé évêque de Würzburg en 742. Cette ambassade
rappelle donc le poids de l’aristocratie austrasienne et le soutien apporté par les Pippinides à l’entreprise d’évangélisation
menée par les missionnaires anglo-saxons. Fort de la bénédiction du pape, le maire du palais fit tonsurer le roi Childéric III :
par ce geste, il privait ce « roi chevelu » du pouvoir. Pépin le
Bref se fit élire roi à Soissons, en novembre 751, et acclamer
par les grands du royaume.
C’est également là qu’il reçut l’onction royale de la main
de plusieurs évêques. L’acte liturgique du sacre était une
nouveauté dans le monde franc, bien qu’il fut connu dans
l’Espagne wisigothique ; il se fondait sur un précédent
biblique : l’onction que David avait reçue du prophète
Samuel. Désormais, la vigueur royale n’appartenait plus aux
Mérovingiens en vertu de leur sang, mais à la famille choisie
par Dieu.
Ce récit classique, qui correspond à la vulgate historiographique, est actuellement remis en question par certains historiens, qui arguent du fait que les sources – rédigées pour
la plupart environ une génération après les événements –
avaient pour principale raison d’être de légitimer le pouvoir
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