Institut de Formation en Soins Infirmiers Centre hospitalier de

publicité
Institut de Formation en Soins Infirmiers
Centre hospitalier de Rochefort sur mer
Promotion 2006-2009
Faire face à un refus de soin dans
la pratique soignante
Fabien Guiberteau
Sommaire :
1. Introduction
2.Constat
3.Analyse :
3.1 Qu’est-ce que le discernement ?
3.2 Une situation particulière ?
3.3 Comment s’est déroulé l’accueil ?
3.4 Quels sont les devoirs des infirmiers ?
3.5 Quels sont les droits des patients ?
3.6 Quels sont les devoirs du médecin ?
3.7 Comparaison avec une deuxième situation de refus de soin.
4. Stratégies
5. Conclusion.
7. Bibliographie
8. Annexes
2
INTRODUCTION
3
1. Introduction :
Le métier d’infirmier mélange le savoir théorique, le savoir faire et le savoir être. Ces notions
sont essentielles pour la bonne prise en charge du patient.
Au quotidien et par l’expérience, on peut parfois réagir de façon presque automatique aux
différentes situations de soin.
En effet, la répétition de certains soins et le nombre de patients pris en charge peuvent nous
éloigner de la réflexion et du recul nécessaires pour des soins individualisés et une bonne prise
en charge globale.
Les situations inhabituelles nous prennent parfois au dépourvu, nous laissant désarmés. C’est
après, et avec une analyse de cette expérience, que nous pouvons mieux faire face si la situation
se reproduit.
Une de ces situations a été pour moi un refus de soin. Je vous propose donc un éclairage et une
analyse de cette situation sur les plans juridique et éthique, et sur la prise en charge du patient.
Cette situation me paraît un sujet intéressant pour un travail de fin d’étude car je la retrouverai
très certainement dans les services en tant qu’infirmier et ce travail, grâce à son éclairage,
permettra je l’espère de mieux y faire face.
4
CONSTAT
5
2. Constat :
Durant ma deuxième année d’étude j’ai effectué un stage en Salle de Soin Post interventionnelle.
Durant ce stage j’accueillais les patients à leur arrivée pour les rassurer, poser une perfusion
destinée au passage des anesthésiants et des médicaments, et vérifier qu’ils soient bien à jeun
depuis la veille, sans bijoux ni prothèses. Cela faisait deux semaines que j’étais en stage.
Ce jour là, la pièce pour les accueillir était pleine, c’était l’effervescence.
En effet, après un déménagement des blocs pour une expertise, nous venions juste de réintégrer
les lieux. Le planning opératoire avait pris du retard et une urgence était arrivée entre temps.
Une patiente de 72 ans attendait depuis un moment côté réveil puisque la salle pré-opératoire
était pleine de patients, les brancards alignés les uns à côté des autres.
Cette patiente était là pour une opération au côlon. L’infirmière qui m’encadrait s’occupait
d’elle. Comme à son habitude elle lui demanda si elle était à jeun, ses éventuelles allergies etc…
mais la personne apparaît agitée, refuse la perfusion, ne veut pas qu’on l’endorme, qu’on l’opère.
L’infirmière essaie alors de discuter avec elle, de lui rappeler pourquoi elle est ici, l’importance
de la perfusion pour préparer l’opération.
La patiente refuse tout d’un bloc, dit « ne pas comprendre pourquoi elle est là ».
L’infirmière décide donc de passer la main et me demande d’aller voir la patiente en
m’expliquant rapidement la situation. Je m’approche, je dis bonjour, je lui demande comment
elle s’appelle : même discours, « je ne veux pas qu’on me touche, qu’on me perfuse et qu’on
m’opère ! je veux téléphoner à mon fils ! »
Nous décidons de lui laisser quelques minutes avant de revenir.
Entre temps, nous croisons le médecin anesthésiste qui la prenait en charge. Celle-ci tente sa
chance et réexplique pourquoi l’opération est nécessaire et comment elle peut être endormie :
même discours. Entre temps nous gérons les autres patients qui continuent d’affluer.
L’anesthésiste en parle au chirurgien qui vient voir
la patiente. Il se présente mais
manifestement elle ne le reconnaît pas et lui rétorque que ce n’est pas lui son médecin, qu’elle ne
veut rien, juste parler à son fils.
Malgré son refus le chirurgien demande à ce qu’on l’emmène de force dans la salle d’opération
« allez on l’emmène ».
6
La patiente est amenée de force en salle d’opération, elle se débat, deux infirmiers lui tiennent
les bras, elle nous traite de tous les noms mais finit par perdre connaissance avec le gaz
anesthésiant appliqué au masque de force.
Je n’ai pas suivi cette personne à sa sortie du bloc, je n’ai donc pas connu les suites de cette
opération forcée.
Ressenti :
Je me souviens avoir vécu cet épisode de façon hachée, sans avoir trop le temps de me poser de
questions, mais c’est avec le recul que notre façon de faire m’a choqué. Je constate que je n’ai
pas pu, su, ou voulu réagir. C’est pour moi une position délicate, en tant qu’étudiant d’exprimer
mon opinion. Je pense que j’attendais de voir la réaction de mes « pairs ». Nous en avons
rediscuté le lendemain mais sans apporter de réelles réponses à mes interrogations.
J’ai trouvé que le choix de la patiente n’était pas respecté, un manque d’information était
évident, ainsi qu’un manque de communication entre le chirurgien, la patiente et l’équipe
présente.
Il me paraît formateur d’examiner à nouveau ce qui s’est déroulé, avec plus de distance,
d’expérience et de connaissances.
Questionnement :
QUELLES ATTITUDES SOIGNANTES PUIS-JE ADOPTER DEVANT UN REFUS DE
SOIN ?
7
ANALYSE
8
3) Analyse :
Pour mon analyse, voici les différents points pour lesquels je vous propose un éclairage : une
définition du discernement, un regard sur se qui se passe autour de la personne, sur son accueil,
sur le côté juridique et éthique de la situation.
3.1 Qu’est-ce que le discernement ?
Etre capable de discernement, c'est avoir la faculté d'apprécier une situation et de prendre des
décisions en conséquence.
La capacité de discernement doit être déterminée en fonction de la situation bien précise dans
laquelle se trouve le patient et de la question qui se pose ; elle doit être évaluée chaque fois
qu'une décision est à prendre.
Toute personne est présumée capable de discernement, à l'exception des jeunes enfants et des
personnes qui en sont privées par suite de maladie mentale, de faiblesse d'esprit, de perte de
conscience, d'ivresse ou d'autres causes semblables.
Le fait d'être atteint de troubles psychiques, d'être très âgé, d'être sous tutelle ou d'être mineur
n'est pas synonyme d'incapacité de discernement. Cette capacité s'apprécie cas par cas.
Dans la situation nous ne pouvons pas juger de la capacité de discernement de la patiente. On
peut juste remarquer qu’elle a plus de 70 ans et ne reconnaît pas le chirurgien.
Ces signes ont peut être joué en sa défaveur, alors qu’ils ne sont pas du tout significatifs d’un
manque de discernement. Nous devons être vigilants pour ne risquer de mal juger.
Ils sont peut être simplement l’expression d’une anxiété, un sentiment de danger pour cette
personne qui va se faire opérer avec l’évocation de l’hôpital, de son ambiance et bien sûr de
l’image de la mort que tous ces signes représentent.
3.2 Une situation particulière ?
Il me paraît nécessaire de revenir sur le lieu et le moment. En effet du point de vue structurel on
s’aperçoit que le circuit des patients dans ce service n’est pas un circuit de marche en avant. Les
patients se croisent, entre ceux qui viennent d’être opérés et ceux qui attendent. De plus cette
dame était du côté des personnes en salle de réveil par manque de place.
On peut légitimement se demander si le fait de voir les personnes encore endormies, certaines
encore branchées au respirateur un tube dans la bouche n’a pas choqué cette personne ?
9
C’était l’agitation ce jour là. Voir le personnel faire des allers retours, croiser des brancards n’est
pas rassurant et attendre son tour peut devenir alors angoissant.
Ces simples éléments peuvent à eux seuls expliquer un moment d’agitation de la patiente et
amorcer un refus de soin.
N’oublions pas non plus que grâce à l’expérience, nous les soignants sommes habitués aux
locaux, aux odeurs à l’atmosphère du service. Pour cette femme de 70 ans qui peut être vient
pour la première fois à l’hôpital quelle peut être sa représentation ? Une période d’adaptation est
donc nécessaire, d’où l’importance d’accueillir, d’écouter et de personnaliser les soins.
3.3 Comment s’est déroulé l’accueil ?
Nous n’avons pas accueilli cette personne à son arrivée, et elle a dû attendre plusieurs minutes
avant sa prise en charge.
L’accueil, moment important du soin, ne s’est pas déroulé dans de bonnes conditions. C’est
pourtant une étape clé de la prise en charge.
L’accueil est le premier temps de la rencontre, de la mise en présence de deux
personnes. L’une reçoit, elle donne l’hospitalité, c’est en quelque sorte
« l’hôtesse » : la personne soignante. L’autre est reçue, elle a besoin d’une aide, elle
est en attente d’une prestation, c’est la personne soignée.
L’accueil englobe le cadre dans lequel est reçu une personne et les attitudes de celle
ou ceux qui la reçoivent. Nous considérons l’accueil comme un point
particulièrement important dans l’exercice des soins infirmiers. Nous qualifions
également les soins infirmiers comme une situation permanente d’accueil et comme
attitude relationnelle. Le cadre influe sur l’accueil. L’ambiance, le calme de
l’établissement, de l’unité de soins, la discrétion et l’assurance du personnel
soignant ont un impact non négligeable sur le projet de soins de la personne
accueillie. Nous savons aussi qu’un cadre idéal pour l’accueil peut avoir la froideur
d’une grande solitude en l’absence d’attention, de chaleur humaine.
C’est l’intérêt manifesté à la personne entrante, la considération dont chaque
demandeur de soins bénéficie de la part des personnes soignantes ainsi que l’écoute
et la compréhension développée pour répondre aux besoins des personnes qui
déterminent la qualité réelle de l’accueil.
L’accueil est un temps important parce qu’il s’agit du premier contact relationnel et
du moment des premiers gestes de soins, parfois dans l’urgence. De sa qualité
peuvent dépendre :
l’acceptation des soins proposés,
la participation active de la personne soignée au projet de soins dont il est le
centre. (1)
1
Yves THIEBAUD Du soin à la personne, Infipp, 1994, p 312
10
Intéressons nous maintenant au côté juridique de cette situation.
3.4 Quels sont les devoirs de l’infirmier ? :
Le respect de la vie et de la personne humaine est un devoir essentiel de la profession
d’infirmier : « l’infirmier ou l’infirmière exerce sa profession dans le respect de la vie et de la
personne humaine. Il respecte la dignité et l’intimité du patient et de la famille » (article
R4312.2) .
Il y a aussi un article sur la non-assistance à personne en danger qui expose à des poursuites
pénales : « L’infirmier ou l’infirmière est tenu de porter assistance aux malades ou blessés en
péril » (article R4312-6)
Comme le rappellent ces deux articles, l’infirmier est donc tenu de respecter la vie et de porter
secours aux personnes en danger tout en gardant le respect de la personne humaine.
3.5 Quels sont les droits du patient ? :
Un patient peut refuser de se soigner, il s'agit d'un principe fondamental du droit médical. Il peut
en effet refuser une méthode de traitement, une opération chirurgicale.
Afin de pouvoir approuver un acte médical, le malade doit être informé précisément du
diagnostic, de l'objectif de cet acte, de ses conséquences et des méthodes employées. L'article
16-3 du Code Civil indique que " le consentement doit être recueilli préalablement à tout acte de
soins hors le cas où l'état du patient rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il
n'est pas à même de consentir ".
Une charte du patient est annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995 suite à la
loi la loi numéro 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
L'objectif de cette Charte est de faire connaître concrètement les droits essentiels des patients
accueillis dans les établissements de santé, tels qu'ils sont affirmés par les lois, décrets et
circulaires dont la liste est annexée à la circulaire ci-dessus mentionnée.
L'application de la Charte du patient s'interprète au regard des obligations nécessaires au bon
fonctionnement de l’institution et auxquelles sont soumis le personnel et les patients. Le patient
doit pouvoir prendre connaissance du règlement intérieur qui précise celles-ci. Les dispositions
qui le concernent, en particulier, les obligations qui s'appliquent à l'établissement, aux personnels
et aux patients, seront si possible intégrées dans le livret d'accueil. « Afin que la personne malade
puisse participer pleinement, notamment aux choix thérapeutiques qui la concernent et à leur
11
mise en œuvre quotidienne, les médecins et le personnel paramédical participent à son
information et son éducation, chacun dans son domaine de compétences. »
Il est clairement établi que le patient reste libre de ses choix concernant les actes médicaux :
« Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient. »
Le patient ou la personne de confiance doit avoir eu assez d’informations pour être capable de
donner son approbation :
« La dimension douloureuse, physique et psychologique de la prise en charge des personnes
hospitalisées, ainsi que le soulagement de leur souffrance, constituent une préoccupation
constante de tous les intervenants. »
« Il doit être éclairé, c’est-à-dire que la personne doit avoir été préalablement informée des
actes qu’elle va subir, des risques fréquents ou graves normalement prévisibles en l’état des
connaissances scientifiques et des conséquences que ceux-ci pourraient entraîner. Si des risques
nouveaux apparaissent postérieurement aux actes d’investigation, traitement ou prévention,
toute mesure doit être prise pour en informer la personne. »
La loi 303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a
consacré parmi les droits des usagers celui de refuser les soins. Cette loi fait référence au cas où
le refus d'un traitement met la vie de la personne en danger, mais n' a posé qu'une seule limite
qui est l'obligation pour le médecin de " tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les
soins indispensables ". Pour conclure sur l'état du droit au refus de soin après l'entrée en vigueur
de cette loi, le patient est libre de refuser un soin et le médecin doit respecter ce choix.
Il est aussi stipulé que le patient a le choix d’une personne de confiance et que celle-ci peut faire
des choix à sa place en cas d’impossibilité :
« Lors de son admission, toute personne hospitalisée majeure est systématiquement informée de
la possibilité qui lui est offerte de désigner une personne de confiance. »
« Lorsque la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté, sauf urgence ou impossibilité, le
médecin ne pourra réaliser aucune investigation ni traitement sans avoir consulté au préalable
la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un de ses proches. Autre conséquence du
principe du consentement: toute personne hospitalisée, apte à exprimer sa volonté, peut aussi
refuser tout acte, diagnostic ou traitement ou en demander l’interruption à tout moment. »
Article 7 du code de déontologie médicale
12
Le consentement du patient : " La volonté du patient doit toujours être respectée dans toute la
mesure du possible. Lorsque le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, ses proches
doivent, sauf urgence ou impossibilité, être prévenus et informés. "
L'intangibilité de l'intégrité corporelle de chaque personne et l'indisponibilité du corps humain
sont des principes fondamentaux auxquels il ne peut être dérogé que par nécessité thérapeutique
pour la personne et avec son consentement préalable. C'est pourquoi aucun acte médical ne peut
être pratiqué sans le consentement du patient, hors le cas où son état rend nécessaire cet acte
auquel il n'est pas à même de consentir.
3.6 Quels sont les devoirs du médecin ?
L'article 9 du Code de déontologie médicale dispose que "tout médecin qui se trouve en présence
d'un malade ou d'un blessé en péril ou est informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui
porter assistance ou s'assurer qu'il reçoit les soins nécessaires".
Le médecin est autorisé à passer outre au refus de soins : lorsque le malade est hors d'état
d'exprimer sa volonté (article L.1111-4, alinéa 4 du Code de la santé publique, auquel cas la
famille ou les proches doivent être consultés, sauf urgence ou impossibilité, mais sans possibilité
de s'opposer aux soins dispensés).
Le médecin est donc pris entre le devoir de respecter le refus de soin et celui d’apporter des soins
en cas d’urgence.
Dans la situation nous manquons d’informations, ne sachant pas si il s’agit d’un risque vital pour
la personne ou si une personne référente a accepté l’opération pour elle.
Les informations sont un des éléments clés, nous y reviendrons dans les stratégies.
Conflit entre principes de bienfaisance et d’autonomie :
Ce type de conflit est courant, il oppose deux conceptions de la médecine, mais aussi
de manière plus globale, deux visions de la relation qui lie les individus entre eux.
On retrouve historiquement cette opposition entre les sociétés latines et anglosaxonnes. Dans ces dernières, chaque individu détermine lui-même ce qui est bien
pour lui. L’intérêt général est représenté par l’ensemble des intérêts particuliers. En
matière médicale, il existe ainsi un droit reconnu qui permet à l’individu de refuser
toute intervention du soignant, même en cas de risque vital, pourvu toutefois que le
patient soit considéré comme « compétent », c’est-à-dire en mesure de juger.
A contrario, dans les sociétés latines et particulièrement en France, l’intérêt général
est garanti par le pouvoir politique centralisé représenté par l’Etat. Au fond, il s’agit,
dans ce cas, d’admettre que l’on n’est pas autonome lorsqu’on n’est pas rationnel.
Les médecins, représentants en quelque sorte de l’Etat, se doivent de protéger les
13
citoyens contre eux-mêmes lorsque ceux-ci se mettent en danger de par leurs
décisions. (2)
Le système hospitalier français est basé sur un système de hiérarchie de type pyramidal. En effet
chacun a sa place, son métier, sa fonction sur l’organigramme.
Dans chaque service on retrouve des médecins, un cadre, des infirmières, des aides soignantes,
des agents des services hospitaliers. Chacun apporte sa pierre à l’édifice auprès des patients. Ce
qui manque parfois, c’est l’échange des informations entre tous ces intervenants, et la perte
d’informations précieuse pour une bonne prise en charge du patient.
3.7 Comparaison avec une deuxième situation de refus de soin.
Il est toujours intéressant de comparer deux situations. Celle-ci s’est passée durant ma première
année à l’IFSI. C’était dans un service de chirurgie orthopédique.
En début d’après-midi un infirmier rentre dans la salle de soin en vociférant : « Il commence à
m’ennuyer celui-là ! ; il ne veut rien, si çà continue , il va monter au bloc sans préparation ! » .
Je venais d’arriver dans le service et je me proposai d’aller voir ce patient avec une aide
soignante pour tenter de comprendre la situation. Le patient venait d’arriver pour une fracture du
fémur qui devait être opérée rapidement. Nous décidons donc d’aller voir ce monsieur pour
tenter de discuter.
Au premier abord il paraît tendu, parle sèchement, se demande pourquoi il est encore là et
exprime le souhait de partir. Nous nous présentons et entamons une discussion. Il est visible à
son visage, que le patient souffre mais il nous dit qu’il connaît l’endroit et désire partir. Je lui
demande alors pourquoi il dit cela et lui demande d’expliquer.
En effet il nous dit avoir déjà été opéré ici, que tout s’était mal passé et qu’il a d’autres choses à
faire que de rester ici… Nous lui rappelons qu’une fracture du fémur saigne beaucoup, que
l’opération est inévitable et que nous sommes là pour l’aider et le soulager. Nous lui posons alors
des questions anodines « où habitez vous ? ; vous vivez seul ? ». Le ton baisse d’un cran et il
nous explique qu’il est divorcé avec un enfant. Je lui demande alors où est son fils. « Justement il
faut que j’aille le chercher il va m’attendre à 16 heures 30 il faut que je parte ! »
Nous lui demandons si quelqu’un peut s’en occuper durant son hospitalisation et l’encourageons
en demandant si une personne de la famille peut le prendre durant quelques jours. Il réfléchit et
(2) Philippe SVANDRA, Comment développer la démarche éthique en unité de soins, Estem,
p 140
14
dit : « peut être sa grand mère… » mais je n’ai plus mon portable je ne peux pas la joindre !
Nous lui proposons de lui prêter le téléphone du service pour la joindre, lui expliquer la situation
et qu’une fois le problème de son fils traité, il pourra être opéré.
Effectivement un fois son appel passé, il a été visiblement soulagé d’apprendre que son fils serait
pris en charge et a accepté de faire lui-même la toilette à la Bétadine de sa jambe (il souffrait dès
qu’on le touchait).
Il a donc été opéré de son fémur, l’hospitalisation s’est bien passée et il nous a remercié en
partant pour les soins prodigués.
Dans cette situation on s’aperçoit que son problème était la garde de son fils, et qu’une fois son
problème résolu la situation à changé.
Ignorer que cette mère de famille se rendait à l’école pour y chercher ses enfants
lorsqu’elle a eu un malaise sur la voie publique risque de rendre inopérantes nombre
de propositions de soins. Dans l’instant, l’inquiétude de cette maman n’est pas en
effet son état de santé, même si elle est consciente des soins qu’elle doit recevoir.
Elle a une autre urgence : le devenir immédiat de ses enfants. En entendant sa
préoccupation de mère, nous lui permettons de devenir disponible pour ses soins.
L’entendre c’est trouver avec elle une solution pour pallier momentanément sa
disponibilité, dans le respect de sa façon d’envisager son rôle de mère.
Dans le cas contraire elle peut réagir en s’opposant, en agressant, ou en subissant.
Cette escalade a parfois comme conséquence l’intervention du prescripteur à la
demande du personnel infirmier. Or cette intervention est bien souvent évitable en
obtenant l’adhésion de la personne au projet de soins la concernant. Cette adhésion
sera rendue possible par nos qualités d’accueil, d’écoute, et l’attention que nous
pourrons mobiliser pour cette personne. (3)
Nous voyons donc que la différence essentielle entre ces deux situations se situe au niveau de la
communication et de la prise en charge de la personne.
Comme le souligne Walter Hesbeen dans ses livres, il y a souvent confusion entre le corps
« objet » et le corps « sujet ».
Le corps objet ou corps que l’on a est celui sur lequel s’est fondée la médecine
scientifique que nous connaissons actuellement et qui regroupe, nécessairement, tous
les médecins et tous les paramédicaux, du moins par la nature de leur formation
initiale. Le corps-sujet ou corps que l’on est est celui qui ne peut se limiter à un
ensemble d’organes, de membres et de fonctions. Il est différent de la somme des
parties qui le composent. Il est celui que l’approche systématique ne peut maîtriser
car animé d’une vie particulière, on peut dire exceptionnelle, faite de projets, de
désirs, de plaisirs, de risques, de joies et de peines, de sources de motivations, de
déceptions mais aussi d’espérance, etc., il est celui qui ne peut se soumettre
entièrement à la rationalité de l’autre, ni correspondre parfaitement aux théories et
outils utilisés par les professionnels. C’est pour cela que l’autre a besoin d’une
(3) Yves THIEBAUD Du soin à la personne, Infipp, 1994, p 312
15
attention qui lui soit particulière et non pas d’ actes ou de propos, ou encore de
démarches qui concernent les individus en général. (4)
« Le discours humain autant que l’intention humaine de nombreux professionnels de la santé se
trouvent ainsi enfermés, prisonniers dans l’approche scientifique du corps humain, réduit au
corps-objet. Or l’aide singulière véritablement soignante ne peut se fonder que sur une prise en
compte du corps-sujet dans les différents aspects qui le caractérisent. » (5)
De plus on peut dire que le chirurgien est considéré comme le « bon père de famille », on n’ose
pas le contredire, de par ses connaissances il a un « pouvoir » sur le reste de l’équipe :
L’aura qui entoure le médecin reste grande, surtout lorsqu’il s’agit d’un spécialiste.
Le médecin détient des savoirs qui fascinent et inclinent au respect car ils lui
permettent d’agir sur les corps, de modifier le cours des maladies, de reculer la mort.
C’est également le médecin qui est dépositaire de certains pouvoirs légaux tels que
ceux liés à la reconnaissance de la vie et de la mort, ceux relevant des prescriptions
médicamenteuses ou de la détermination des taux d’invalidité ouvrant droit à des
indemnités. (6)
Mais le médecin a-t-il toujours raison, jusqu’où peut il aller ? Notre métier est un travail
d’équipe et ce genre de décision devrait être collégiale.
Devant l’état de la patiente et ses responsabilités de chirurgien, celui-ci à pu décider d’intervenir
malgré le refus afin d’agir « en bon père de famille » comme l’y autorise la loi.
On peut aussi parler de notre logique soignante qui en situation de stress nous fait penser que
l’on doit accélérer pour « gagner du temps » et « montrer aux autres que nous sommes actifs »
alors que finalement c’est souvent l’inverse, la prise en charge est incomplète, il y a des oublis et
le patient se sent délaissé.
Le refus de soin est-il la dernière façon de s’exprimer ?
En effet, c’est parfois pour la personne le seul moyen qu’elle a trouvé pour prouver qu’elle
(4) Walter Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital, Masson, p10
(5) Ibid, p14
(6) Walter Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital, Masson, p16
16
existe, pour se différencier des autres et dire aux soignants : « vous faites tout pour moi vous
prenez toutes les décisions à ma place, mais j’existe !! »
La relation de confiance est essentielle pour comprendre le refus et avancer avec le patient…
Pourquoi le chirurgien n’a pas pris le temps , même de façon brève, pour informer la patiente et
l’équipe de la nécessité de l’opération ? Prendre ce temps nous aurait permis de mieux
comprendre et de nous sentir impliqués dans la prise en charge de la personne. On ressent que
chacun reste à sa place et ne fait que « son » travail sans concertation avec les autres membres de
l’équipe.
Il y aussi le temps de l’accueil que j’ai déjà évoqué plus haut et le temps et l’intérêt porté à la
personne. En effet dans le deuxième cas, des questions personnelles sont posées et on laisse
s’exprimer la personne.
5. Stratégies
Avec cet éclairage, les attitudes que j’aurais pu mettre en place pour ma première situation sont :
1) Connaître et s’informer : Prendre du temps pour récupérer le plus d’informations possible en
lisant le dossier, en appelant le service de la patiente pour connaître son attitude depuis son
entrée, depuis hier soir, savoir si elle avait effectivement une personne de confiance.
2) Appeler le service, demander le numéro de téléphone du fils et passer la communication à la
patiente. Comme je l’ai montré dans mon second exemple, cela aurait peut être suffi à
désamorcer la situation.
3) Eloigner la personne de ce lieu « anxiogène » pour mieux communiquer ou au moins l’isoler
des autres patients et de l’ambiance du service,
4) S’indigner de l’attitude du médecin et lui proposer d’en discuter à plusieurs pour mieux
comprendre la situation.
La capacité de s’indigner :
La capacité à s’indigner est celle qui, à l’instar de tout citoyen mais plus encore
quand il s’agit de professionnels de l’attention portée à l’autre, refuse de taire ou
d’accepter toutes les orientations politiques ou sociales et toutes les situations qui ne
sont pas profondément respectueuses des personnes, qui sont dégradantes pour
17
l’humanité. Qu’il s’agisse de telle prise de position dans la société, de l’organisation
d’un service, du comportement de tel ou tel partenaire professionnel, de telle
situation vécue par telle personne ou de faits qui la concernent… rien de ce qui est
inhumain ou participe au mépris des autres ne peut être accepté par les
professionnels du soin. (7)
5) Refuser d’emmener la patiente contre son gré et expliquer au chirurgien que son attitude ne
respecte pas la législation et l’éthique des soins.
* Eviter de s’enterrer dans une pratique routinière, se questionner au quotidien et tenter de casser
le rythme par des moments de concertation au sein de l’équipe.
* Oser amener l’équipe à se questionner sur ses pratiques en acceptant les regards extérieurs par
l’accueil d’étudiants, et la prise en compte de leurs remarques.
* La formation initiale de trois ans dispensée en institut de soins infirmiers qui nous donne les
bases sur la prise en charge du patient.
* Connaître la législation liée au refus de soin, pouvoir la partager avec le patient et l’équipe.
(7) Ibid, p116
18
6. Conclusion :
Après cet éclairage, on s’aperçoit que le plus important est une bonne prise en charge de la
personne dès le début, soit un bon accueil avec en amont un recueil de données le plus précis
possible pour individualiser cette prise en charge.
Un temps est donc nécessaire et même s’il est court, il permettra à la personne de se sentir
reconnue et différente, une base qui permettra de mieux communiquer et d’aborder de façon plus
efficace le refus de soin, s’il existe, avec la personne et l’équipe.
C’est donc à la base du soin que nous devons être vigilants pour que le patient se sente en
confiance et ainsi éviter les refus de soin.
Si, malgré tout, ce refus arrive, il sera important de reposer le problème avec la personne et en
équipe pour mieux le comprendre.
Bien sûr les soignants ne détiennent pas toutes les solutions et nous devons avant tout
comprendre le pourquoi de ce refus pour mieux y faire face dans l’intérêt du patient.
Les personnes que nous soignons ne sont plus simplement des « patients », ils se tiennent
informés sur les pathologies, les traitements et maintenant il existe des lois pour faire respecter
leur droits.
En tant que soignants nous devrons relever le défi de la réforme des hôpitaux et du respect des
droits du patient. Nous ne pourrons pas malgré tout faire l’économie d’une bonne mise en place
des bases nécessaires afin d’acquérir la confiance du patient et ainsi mieux gérer les refus de
soin. Cela sera profitable aussi bien du point de vue technique, éthique ou financier.
19
7. Bibliographie
Philippe SVANDRA, Comment développer la démarche éthique en unité de soins, Estem.
Yves THIEBAUD Du soin à la personne, Infipp
Walter Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital, Masson
20
8. Annexes
Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui la prendra en charge, dans la limite
des possibilités de chaque établissement. Le service public hospitalier est accessible à tous,
en particulier aux personnes démunies et, en cas d’urgence, aux personnes sans couverture
sociale. Il est adapté aux personnes handicapées.
Les établissements de santé garantissent la qualité de l’accueil, des traitements et des soins.
Ils sont attentifs au soulagement de la douleur et mettent tout en œuvre pour assurer à chacun
une vie digne, avec une attention particulière à la fin de vie.
L’informationdonnée au patient doit être accessible et loyale.La personne hospitalisée participe
aux choix thérapeutiques qui la concernent. Elle peut se faire assister par une personne de
confiance qu’elle choisit librement.
Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient.
Celui-ci a le droit de refuser tout traitement. Toute personne majeure peut exprimer ses souhaits
quant à sa fin de vie dans des directives anticipées.
Un consentement spécifiqueest prévu, notamment, pour les personnes participant à une
recherche biomédicale, pour le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain
et pour les actes de dépistage.
Une personne à qui il est proposé de participer à une recherche biomédicaleest informée,
notamment, sur les bénéfices attendus et les risques prévisibles. Son accord est donné par écrit.
Son refus n’aura pas de conséquence sur la qualité des soins qu’elle recevra.
La personne hospitalisée peut, sauf exceptions prévues par la loi, quitter à tout moment
l’établissementaprès avoir été informée des risques éventuels auxquels elle s’expose.
La personne hospitalisée est traitée avec égards.Ses croyances sont respectées. Son intimité
est préservée ainsi que sa tranquillité.
Le respect de la vie privée est garanti à toute personne ainsi que la confidentialité des informations
personnelles, administratives, médicales et sociales qui la concernent.
La personne hospitalisée (ou ses représentants légaux) bénéficie d’un accès direct aux
informations de santé la concernant.Sous certaines conditions, ses ayants droit en cas de décès
bénéficient de ce même droit.
La personne hospitalisée peut exprimer des observations sur les soins et sur l’accueil qu’elle a
reçus. Dans chaque établissement, une commission des relations avec les usagers et de la qualité
de la prise en charge veille, notamment, au respect des droits des usagers. Toute personne dispose
du droit d’être entenduepar un responsable de l’établissement pour exprimer ses griefs et de
demander réparation des préjudices qu’elle estimerait avoir subis, dans le cadre d’une procédure
de règlement amiable des litiges et/ou devant les tribunaux.
21
Téléchargement