Les herbiers de zostère, un habitat exceptionnel

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Les herbiers de zostère, un habitat
exceptionnel
Description
Zostera marina Linné. Ce nom vient de zoster, dérivé de zonnynai qui veut dire
ceinture, à cause de ses feuilles étroites, en forme de ruban ; marina veut dire marine,
qui vit sur ou dans la mer. La zostère marine (zostera marina) est aussi connue sous
les noms suivants : herbe à outarde, arboutarde, algue de mer, des verriers, blé de
mer, chien-dent marin, crin végétal, foin de mer, herbe à bernache, herbet, liane,
mousse de mer, paille de mer, pailleule, paillole, pincette de mer, ruban, verdière et
vrak (Fleurbec 1985).
La zostère est une plante, et non une algue comme beaucoup le croient, d’une grande
importance pour les écosystèmes marins de la planète. En effet, contrairement aux
algues, la zostère possède des racines ancrées dans le sol. Presque invisible de la terre
ferme, elle pousse là où peu de plantes s’aventurent habituellement : sous l’eau salée.
Seulement 45 espèces du monde végétal tolèrent, comme la zostère, une submersion
continuelle dans l’eau de mer (Fleurbec 1985). Cette plante possède de longues
feuilles vertes en forme de ruban d’une largeur d’environ 3 mm (fig. 1). Les racines qui
lui servent d’ancrage sont fixées sur un rhizome brun. Un rhizome est une tige
modifiée qui pousse le long et en dessous de la surface du sol et qui produit des
racines et des pousses réparties irrégulièrement sur toute la longueur. Les tiges et les
feuilles, aussi nommées rameaux, mesurent généralement entre 20 et 50 cm de
hauteur. Cependant, dans leur quête de lumière en eaux plus profondes, les plants
peuvent atteindre 2 m de long.
10 cm
Figure 1 : Sur
cette photo, on
voit bien la forme
en ruban des
feuilles et
l’apparence des
plants ondulants
sous l’eau.
(Photo : Ronald
Arsenault)
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Les estuaires, les lagunes côtières (incluant les barachois) et les baies peu profondes
constituent les endroits propices au développement des herbiers de zostère (fig. 2). La
forme linéaire des feuilles et le rhizome qui lui sert d’ancrage sont les deux
caractéristiques qui permettent à la zostère d’exister en zone des marées et d’onduler
au rythme des courants faibles (Thayer et al 1984).
Figure 2 : Ces cartes nous
montrent plusieurs zostéraies :
de la baie de Gaspé, des Îlesde-la-Madeleine et de la Baie
de Cascapédia. On voit les
différents endroits où la zostère
est présente : estuaires,
lagunes et baies peu profondes.
Distribution géographique et bathymétrique
La zostère marine n’est présente que dans l’hémisphère Nord. Elle se retrouve en
Islande, en Europe, dans le nord de l’Afrique, sur la côte Est et Ouest de l’Amérique du
Nord et dans l’est de l’Asie (fig. 3) (Fleurbec 1985). La distribution bathymétrique,
c’est-à-dire la profondeur à laquelle peut pousser la zostère est variable. Cette plante
est affectée par le manque de lumière dû à la profondeur ou à la turbidité de l’eau. En
eau claire, la zostère peut pousser à une profondeur maximale de 14 mètres. (Fleurbec
1985). Cependant, au Québec, les herbiers de zostère se développent généralement en
faible profondeur (moins de deux mètres). Sur les sites propices à sa croissance, la
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zostère colonise les littoraux salés ou saumâtres (mélange d’eaux douces et salées) en
formant de vastes herbiers aquatiques, aussi nommés zostéraies.
Figure 3 : Répartition mondiale de la zostère marine. Les secteurs verts représentent les
endroits connus où poussent la zostère, tandis que la zone rosée présente les secteurs où l’on
peut retrouver la zostère. (Carte : UNEP-WCMC préparée par Corinna Ravillous, 2004)
Au Québec, on retrouve la zostère dans la Baie-des-Chaleurs, sur les côtes du SaintLaurent, dans la Baies James et dans la Baie d’Hudson. Elle est aussi présente autour
de l’archipel des Îles-de-la-Madeleine et dans les lagunes qu’on y retrouve. Des
inventaires de zostère réalisés entre 1989 et 1995 (Lemieux et Lalumière. 1995.) ont
permis de cartographier l’étendue, la forme et la densité de plusieurs herbiers au
Québec.
Mode de vie
Les herbiers de zostère ont besoin de conditions environnementales bien spéciales
pour coloniser un milieu. Il s’agit d’une plante peu robuste qui peut se détacher durant
les tempêtes. Alors, pour qu’une zostéraie s’implante, le courant ne doit pas être trop
fort, la pente doit être douce ou nulle, le substrat doit être sableux ou vaseux ou
sablo-vaseux et la turbidité doit être modérée. Par exemple, les zostéraies sont
absentes de la baie de Fundy à cause des trop fortes marées (Fleurbec 1985). La
zostère est une plante qui tolère bien les variations de salinité et de température. Elle
peuple ainsi des milieux très différents les unes des autres. Cependant, suite aux
travaux de transplantation effectués par Lalumière (1991), la zostère installée à un
endroit, doit trouver les mêmes conditions dans le nouveau milieu pour que la
transplantation soit un succès. C’est donc une plante qui colonise des sites différents,
mais qui une fois implantée, devient dépendante des caractéristiques du site colonisé.
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Le mode de vie de la zostère change selon les caractéristiques du site qu’elle colonise.
La plante peut être vivace ou annuelle selon les caractéristiques environnementales.
Un cas de zostéraie annuelle est décrit par Thayer et al. (1984). Dans une zostéraie du
Golfe de la Californie, toutes les pousses donnent des fleurs et meurent après une
première saison de croissance. La mort des plants, dans ce cas-là, est due à des
chaleurs excessives. À l’inverse, dans d’autres conditions, certaines colonies produisent
très peu de fleurs et se reproduisent d’années en années de façon presque
exclusivement asexuée. Ainsi, le mode de reproduction des plants de zostère varie
d’une zostéraie à l’autre. Setchell (1929) a établi un modèle général que l’on peut voir
à la figure 4.
Figure 4 : Ce schéma montre les principaux aspects du cycle de vie de la zostère. La pousse
végétative ou multiplication végétative, c’est l’allongement des rhizomes qui donnent de
nouvelles pousses. Au printemps ou au début de l’été, les tiges matures peuvent fleurir si les
conditions de reproduction sexuée sont adéquates.
Reproduction
La zostère s’étend par multiplication végétative (reproduction asexuée) et par la
dispersion de graines (reproduction sexuée). La multiplication végétative désigne la
croissance du rhizome et par l’ajout de nouvelles feuilles sur le rhizome. Le rhizome
est une sorte de tige modifiée et son rôle est de supporter les nouvelles feuilles et les
nouvelles racines en plus de favoriser l’ancrage de la plante dans le sol. Olesen et
Sand-Jensen (1994) mentionnent aussi qu’un bout de rhizome, détaché du plant
parent et entraîné par le courant, peut générer d’autres plants s’il se dépose sur un
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substrat adéquat. En d’autres termes, la zostère peut se reproduire par bouturage. Ces
moyens favorisent l’établissement de la zostère dans de nouveaux milieux ou le
rétablissement des herbiers de zostère dans des milieux perturbés.
Dans le cas de la reproduction sexuée, les fleurs de zostère sont formées par la
métamorphose de feuilles matures. Ces feuilles métamorphosées supportent les
organes mâles et femelles : respectivement, les étamines et les pistils (fig. 5). Suite à
la pollinisation de fleurs, les feuilles métamorphosées vont également contenir les
graines de la plante. Une concentration élevée de sel peut nuire à la production de
fleurs. Par contre, le stress causé par les glaces hivernales (qui peuvent arracher une
parcelle de fond marin qui contient les rhizomes), seraient à l’origine d’une floraison
accrue (Thayer et al. 1984).
Figure 5 : Sur cette photo, le brin du haut
porte des étamines (ressemblent à des
grains de blé), celui du centre est un brin
non modifié et celui du bas porte les pistils
(sont plus petits et ont la forme d’un Y).
(Photo : CREGÎM)
Contrairement aux plantes terrestres, la pollinisation de la zostère marine ne se fait
pas par le vent ou les insectes mais par les mouvements de l’eau (courant et marée).
Habituellement, les pistils, organes femelles, mûrissent avant les étamines sur un
même individu et une pollinisation croisée se produit. C’est-à-dire que le pollen des
étamines d’un individu rencontre un pistil mature d’un autre individu. Parfois les deux
organes (mâle et femelle) sont matures simultanément et le plant peut se polliniser
lui-même (Thayer et al. 1984).
Le pollen de la zostère est filiforme (en forme de fil) et collant, ce qui lui permet
d’adhérer plus facilement aux pistils. Lorsque les étamines sont parvenues à maturité,
elles laissent échapper le pollen filamenteux dans le courant. Ce pollen est assez léger
pour rester en suspension dans l’eau plusieurs jours. Cette caractéristique augmente
les probabilités de rencontre entre le pollen et les pistils (Davison et Hugues 1998).
Une fécondation fructueuse se traduira par une graine dans un fruit (fig. 6).
La couleur verte du fruit trahit la présence de chlorophylle, le pigment vert qui permet
aux plantes de faire de la photosynthèse et ainsi de fabriquer des molécules
organiques. Pour les fruits, la photosynthèse sert à produire une petite bulle d’oxygène
dans la capsule de la graine. Cette bulle fera éclater la capsule pour relâcher la graine
lorsqu’elle sera mature (Davidson et Hugues 1998). Les graines matures sont
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dispersées par les courants et les vagues et finissent tôt ou tard par couler dans le
fond de l’eau.
Figure 6 : Nous voyons sur cette photo les fruits
qui contiennent les graines de zostère. En haut
de la photo, un fruit est détaché de la feuille de
zostère. (photo: CREGÎM)
La germination des graines est influencée par plusieurs facteurs comme : la
température, la salinité de l’eau et la disponibilité des sels nutritifs. Des expériences de
laboratoire démontrent que, plus l’eau est douce, plus les taux de floraison et de
germination sont élevés (Lamounette 1977 ; Phillips et al. 1983). Ainsi, les milieux de
plus faible salinité comme les estuaires de rivières seraient des sites propices à la
reproduction sexuée. Par contre, les milieux plus salés, comme les lagunes et les
barachois lagunaires, seront propices à une reproduction asexuée.
La reproduction sexuée a plusieurs rôles à jouer dans les processus d’adaptation et de
colonisation de la zostère. La sélection qui se produit lors de la germination des graines
favorise les plants les mieux adaptés aux conditions particulières du milieu : salinité,
température de l’eau, luminosité et nutriments disponibles. C’est pourquoi l’herbier
installé est dépendant des conditions particulières de son milieu. Un autre rôle que
remplit la reproduction sexuée est de permettre la colonisation de nouveaux sites
situés loin des herbiers existants. Parfois, des bulles d’air se collent aux graines, leur
donnant une plus grande flottabilité et permettant de franchir de grandes distances
(Churchill et al. 1985).
Un Herbier « donneur » de qualité
Les colonies où il y a floraison possèdent une plus grande diversité génétique que
celles dont la multiplication est végétative. En effet, les plants d’une colonie qui se
développent par reproduction asexuée (sans fécondation) donnent les mêmes gènes à
leurs nouvelles pousses puisque ces dernières sont, en fait, des clones. Tandis que
lorsqu’il y a floraison, les graines formées proviennent de plusieurs donneurs de gènes
différents. La diversité génétique des plants formés se trouve ainsi augmentée par les
combinaisons possibles entre les différents parents. Ces processus naturels favorisent
la production de graines qui permettront une adaptation à une gamme plus large de
milieux.
En observant les herbiers de zostère, on peut juger de leur mode de reproduction et
ainsi évaluer si l’herbier est un bon donneur pour de la transplantation. Un herbier
qualifié de bon donneur serait un herbier où les caractéristiques du milieu sont
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semblables à celles du site de transplantation et où la reproduction par floraison est
abondante.
Rôle de stabilisation
Les herbiers de zostère modifient la structure physique du sol des sites colonisés. Le
courant et les vagues qui pénètrent dans ces herbiers se trouvent ralentis par la
friction exercée entre l’eau et le feuillage. Ce ralentissement provoque une
sédimentation des particules en suspension dans le courant, particules qui peuvent
être organiques (provenant du vivant) ou inorganiques (minéraux). Généralement, les
caractéristiques des sédiments recouvrant le sol des herbiers subissent une transition.
En effet, un tri se produit et les matériaux deviennent de plus en plus riches en
matière organique et en sédiments fins plus on avance vers le centre de l’herbier
(Wood et al. 1969 ; Marshall and Lukas 1970 ; Orth 1977 ; Kenworthy et al. 1982). De
plus, les rhizomes et les racines de la zostère retiennent le sol. De par le
ralentissement du courant et la sédimentation qui s’ensuit, la zostère favorise ainsi la
stabilisation du littoral. Ce processus aide à limiter l’érosion du littoral.
Rôle de l’habitat
Les herbiers formés par la zostère constituent un habitat ayant une grande diversité
d’espèces. Quelques facteurs associés contribuent aussi à ce phénomène. D'abord, les
feuilles de zostères constituent des sites de fixation très accessibles pour les algues
épiphytes (qui vivent sur les plants sans leur soustraire de matières nutritives) et les
micro-organismes comme le phytoplancton (flore microscopique) et le zooplancton
(faune microscopique).
Deuxièmement, étant donné la disponibilité dans les herbiers de lumière, de matières
organiques et inorganiques abondantes, la productivité de ces micro-organismes est
très grande. Troisièmement, cette abondance de nourriture (algues et microorganismes) attire une grande variété d’organismes, créant plusieurs chaînes
alimentaires. Ainsi, un habitat d’une qualité exceptionnelle est créé. Les herbiers de
zostère sont habités ou fréquentés par des organismes qui constituent la base d’une
chaîne alimentaire nous incluant. Ainsi, un poisson ou un canard qui se retrouvent
dans notre assiette est dépendant directement des herbiers de zostère ou
d’organismes qui eux en dépendent.
Les herbiers servent donc de cachettes, de garde-manger, de pouponnière,
d’incubateur ou de maison pour plusieurs organismes marins, d’eau douce, terrestres
et aviaires. De plus, les herbiers de zostère peuvent, dans certaines conditions,
enrichir le milieu en diversité d’espèces et assurer leur abondance. Dans ces
conditions, la zostère favorise aussi l’état de santé général de ces espèces puisque
plusieurs organismes sont mieux nourris et présentent un meilleur taux de
reproduction, une plus grande diversité génétique et une meilleure santé.
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Organismes en relation avec la zostère
Au Québec, quelques études réalisées dans les zostéraies nous donnent une idée des
organismes qui les fréquentent. Les mollusques, les crustacés, les polychètes (vers
marins) et les ascidiacées (petits organismes filtreurs) ont été inventoriés dans les
herbiers de l’Isle-Verte (Lalumière, 1991). En voici quelques exemples (Fig. 7).
Figure 7 : Littorine, Crabe tourteau, et excréments de Néréis. (Photos : Littorine, Alain
Richard ; Néréis et Crabe tourteau, Denis Caissy)
Ces organismes représentent une source de nourriture pour plusieurs espèces de
poissons dont certaines exploitées à des fins commerciales comme la plie rouge
(Pseudo pleuronectes americanus) et le hareng Atlantique (Clupea harengus harengus)
(Lemieux, C et G. Michaud 1995). La Figure 8 présente quelques exemples de poissons
que l’on retrouve dans les herbiers de zostère.
Figure 8 : Épinoche à trois
épines et plie rouge.
(Photos : Ronald
Arsenault et Denis Caissy)
Des pêches exploratoires ont été effectuées dans les herbiers de l’Isle-Verte où 10
espèces de poissons ont été recensées à différents stades de développement
(Lemieux, et Michaud. 1995). Le Tableau 1, présente ces résultats selon les différents
stades de développement.
La zostère accueille également de nombreux oiseaux. Les hérons, sternes, goélands,
fuligules, bécasseaux, balbuzard pêcheur et spécialement les bernaches se retrouvent
dans les zosteraies pour se nourrir de zostère ou des organismes qui vivent dans les
herbiers (Thayer et al 1984). La Figure 9 présente des photos d’oiseaux fréquentant
les zostéraies.
Les herbiers de zostère supportent une grande variété d’organismes qui eux en attirent
d’autres. Créant plusieurs chaînes alimentaires plus ou moins complexes, la
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biodiversité exceptionnelle des zostéraies en font un des habitats les plus riches du
Québec et les habitats les plus importants à protéger du littoral québécois.
Nom
Épinoche
Éperlans arc-en-ciel
Plie
Poulamon Atlantique
Capelan
Limace Atlantique
Omble de fontaine
Chaboisseau
Hareng Atlantique
Merluche écureuil
Stades
juvénile
juvénile
juvénile
juvénile
adulte
adulte
adulte
adulte
adulte
adulte
adulte
adulte
larvaire
larvaire
juvénile
Juvénile
Tableau 1 : Poissons recensés, selon leurs stades de développement dans les herbiers de
zostère de l’Isle-Verte. (Lemieux, et Michaud 1995)
Grand Héron
Balbuzard pêcheur
Sterne Pierregarin
Pluvier Kildir
Goéland
Tournepierre
Bernache du Canada
Cormoran à aigrette
Figure 9 : Oiseaux des zostéraies. (Photos de gauche à droite et de haut en bas : Alain Richard,
Alain Richard, Bioparc de la Gaspésie, Gaston Chiasson, FAPAQ, Bioparc de la Gaspésie, Alain
Richard et Bioparc de la Gaspésie)
Maladie
Ces précieux habitats ont subi un grand bouleversement dans les années 1930. Une
maladie, appelée « wasting disease », a affecté durement la zostère tuant près de
90% de la biomasse de l’Atlantique entre 1930 et 1933 (Tutin 1942). Les causes de
cette hécatombe restent encore un mystère, mais selon l’hypothèse principale il serait
dû à un organisme nommé Labyrinthula zosterae. Les symptômes de cette maladie
apparaissent sous forme de tâches noires sur les feuilles de zostère. Cet organisme
étant nocif pour la zostère par son impact négatif sur la photosynthèse des cellules,
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réduite jusqu’à 50%. Nous savons donc maintenant que Labyrinthula zosterae est
l’agent pathogène primaire de la « wasting disease ». Cependant, les causes, la gravité
et l’ampleur de l’épidémie des années 30 n’ont toujours pas été élucidées. Qu’est-ce
qui aurait déclenché la virulence épidémique de labyrinthula ?
 Impact géomorphologique
Les impacts du déclin des herbiers de zostère ont eu des répercussions tant au point
de vue géomorphologique que biologique (Thayer et al 1984). Un impact notable de
leur disparition sur la géomorphologie des littoraux a été décrit par Rasmussen (1973,
1977). Ce dernier signale un changement dans la structure du sol qui était colonisé par
les herbiers. Les sédiments du lit des herbiers, maintenant exposés aux vagues et à
l’action du courant, se font lessiver et les fins sédiments se trouvent déplacés. Là où
s’était établie une classification des sédiments, par l’action des herbiers de zostère, on
trouve maintenant des sédiments plus grossiers. Les plages de sable qui étaient
autrefois protégées par les herbiers ont subi l’effet accru des courants de marées, des
vagues et des courants littoraux. Le sable fin fut entraîné plus au large pour former
des barres et les plages devinrent plus graveleuses. La maladie, en tuant les herbiers
qui stabilisaient le sol, changea la forme des littoraux.
 Impact biologique
Les déclins des spécimens vivants dans les herbiers de zostère suite à la « wasting
disease » ne sont pas connus quantitativement, étant donné les moyens restreints de
l’époque, excepté pour quelques espèces (Thayer et al 1984). Aux États-Unis, les
populations de pétoncles de baie (Argopecten irradians) ont subi une dégringolade
catastrophique des suites du déclin de la zostère. Le pétoncle a besoin des feuilles de
zostère pour se fixer lorsqu’il est au stade post-larvaire (Gutsell 1930; Thayer and
Stuart 1974; Fonseca et al. 1984). Les populations de pétoncles de « Chesapeake bay
» aux États-Unis, n’ont jamais retrouvé l’abondance d’avant la « wasting disease » et
aucune récolte commerciale n’a pu reprendre son cours (Orth and Moore 1982). Les
pêcheurs ont observé une brusque diminution des stocks de morues, de pétoncles, de
crabes, de mollusques et de crustacés sur la côte Est américaine (Milne and Milne
1951, p. 53). Dexter (1947) mentionne aussi un déclin dans l’abondance des
populations de homards, d’anguilles et de crabes de vase au Massachusetts.
La bernache cravant qui se nourrissait à l’époque presque exclusivement de zostère, a
quasiment disparu suite à la maladie (fig. 10). Elle a dû changer son régime
alimentaire pour la laitue de mer et d’autres plantes de littoral (Thayer et al 1984). La
bernache du Canada a, dans une moindre mesure, souffert de cette perte de
nourriture. Rasmussen (1973, 1977) note que la reconstitution du couvert végétal ne
s’est pas étendue avant 1945 et que certains herbiers ont pris entre 30 à 40 ans avant
d’être reconstitués. Dans plusieurs endroits, les herbiers ne se sont pas encore
rétablis. Cette maladie a donc eu et a encore plusieurs impacts sur la faune bénéficiant
de la zostère.
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Figure 10 : La bernache cravant et le pétoncle de baie sont des
exemples d’organismes affectés par le déclin drastique de la
zostère. (Photos : Alain Richard et http://www.cas.neu.edu/)
Rôle relié à la production de carbone et autres apports au
milieu
La zostère est une grande source de matière organique pour le milieu. En effet, chaque
année, certaines feuilles meurent et se détachent des plants formant ainsi de la
matière organique accessible aux organismes décomposeurs. En apportant ainsi une
source constante de matière, la zostère entretient l’habitat qu’elle a créé. Par sa simple
présence, elle active les populations de microorganismes. Comme les arbres d’une
forêt, qui à chaque année perdent leurs feuilles et engraissent le sol, la zostère enrichit
son milieu.
Valeur économique
La zostère marine est une plante d’une grande valeur économique. Elle était utilisée
autrefois par nos ancêtres et elle l’est encore de nos jours. La zostère marine morte
possède une caractéristique qui lui conférait un intérêt de la part de la population
côtière où elle est présente. Lorsque séchées, les feuilles de zostère sont
imputrescibles. Autrement dit, elle se ne décompose pas ou que très lentement.
Présentes en quantité abondante sur les grèves à l’automne, elles furent recueillies,
puis séchées afin d’en obtenir un matériel de rembourrage. Ainsi l’intérieur de divans,
matelas et banquettes de voiture pouvait être fait en zostère. Les feuilles de zostère
séchées étaient aussi utilisées comme isolant et on retrouve encore de vieilles maisons
avec des boules compactes de zostère entre les murs.
Dans la région de l’Isle-Verte, de 1883 à 1929, la plante était récoltée et séchée puis,
servait d’isolant et de matériel de rembourrage (Michaud 1985, 1989). On la vendait
entre 15$ et 25$ la tonne. Aux Îles-de-la-Madeleine, elle servait à engraisser les
jardins l’automne et a été utilisée comme produit isolant résidentiel bon marché jusque
dans les années soixante.
Cependant, ce n’est pas tellement la plante morte qui a de la valeur mais plutôt les
herbiers vivants. Ces herbiers forment des incubateurs qui permettent aux populations
de poissons, de crustacés et d’oiseaux de croître en abondance. Comme mentionné
plus haut, les espèces qui utilisent les herbiers sont nombreuses et l’économie des
pêcheries dépend, à un niveau difficilement monnayable, mais combien notable, des
zostéraies pour assurer l’abondance des populations exploitées.
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Dans une autre optique, l’économie des régions où croissent les herbiers de zostère est
souvent étroitement liée au tourisme et aux activités de plein air. Les visiteurs
reconnaissent la valeur d’un paysage enrichi d’espèces animales comme les hérons, les
canards et les bernaches qui se nourrissent dans les herbiers.
Quel est son futur?
Étant donné la valeur de l’habitat que créent les herbiers de zostère marine, il est
présentement interdit de l’arracher, de la détruire ou d’effectuer toute autre
intervention qui pourrait lui nuire. La Loi sur les pêches de Pêches et Océans Canada
interdit la destruction de l’habitat du poisson et aussi des plantes marines. Donc, il est
doublement interdit de détruire la zostère marine.
On cherche même à réimplanter la zostère dans les endroits où elle était abondante
avant la « wasting disease ». Dans la région de l’Isle-Verte, au début du siècle, les
travaux de Michaud laissent croire que l’on récoltait, chaque année, jusqu’à 3500
tonnes de zostère tandis qu’aujourd’hui, les superficies permettraient tout au plus la
récolte de 200 tonnes.
Dans cette même région, la transplantation de zostère a été tentée dans les années 90
par Denis Lehoux du Service canadien de la faune et Richard Lalumière du Groupe
environnement Shooner. En 1990 et 1991, différentes techniques ont été mises à
l’essai. La technique faisant appel à des rhizomes nus a été ainsi comparée à celle où
on transplantait des plaques de zostère. Ils ont aussi expérimenté différentes formes
ou agencements d’unités de transplantation. Les premiers résultats de suivi
démontrent que les transplantations faites au printemps sont prometteuses, mais qu’il
faudra assurer le suivi des trous de prélèvement. Les conclusions tirées de ces travaux
favorisent la mise en place d’un programme visant à recréer certaines des conditions
qui permettraient aux herbiers existants de se développer beaucoup plus rapidement
et ce pour le bénéfice de l’écosystème marin.
Les bienfaits des herbiers de zostère doivent être reconnus par les secteurs de gestion
et d’aménagement des ressources, par le secteur scientifique ainsi que la population
afin que nous puissions mettre temps et efforts dans une approche holistique de la
zostère et ainsi éviter que nous représentions un facteur de changements
environnementaux majeurs comparable à la catastrophe de la zostère des années
trente (Thayer et al. 1984).
Le manque de connaissances sur la diversité biologique des herbiers du Québec et sur
leur distribution soulèvent l’importance d’établir un temps zéro qui permettrait une
comparaison entre les herbiers et une appréciation plus juste de leur valeur.
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