Sylvie BERNAY, L`Église catholique et la persécution des Juifs

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Sylvie BERNAY, L’Église catholique et la persécution des Juifs pendant l’Occupation en
France, 1940-1944, entre incompréhension et sauvetages, thèse de doctorat d’histoire
contemporaine, sous la direction de Catherine Nicault, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne,
2 vol.
La thèse a été soutenue le 5 juin 2010 devant un jury présidé par le professeur JeanDominique Durand (Lyon III) et composé du professeur Catherine Nicault (directrice de
recherche, Reims), du professeur Philippe Boutry (Paris I), du professeur Ralph Schor (Nice
Sophia-Antipolis) et de Laurent Joly, chargé de recherche au CNRS.
Sylvie Bernay traite le sujet de façon globale en abordant à la fois la position générale de
l'épiscopat français pendant l'Occupation et la question des sauvetages opérés de concert par
la Résistance juive et les catholiques. Le travail croise systématiquement les sources privées
juives et israéliennes (fonds des œuvres juives conservés au CDJC et à la bibliothèque de
l'Alliance Israélite Universelle, fonds du Consistoire central israélite, dossiers de justes
conservés au Yad Vashem à Jérusalem) avec les sources privées catholiques. La recherche
s'appuie sur l'ouverture exceptionnelle de certaines archives épiscopales et d'un foisonnement
de fonds privés de congrégations religieuses. Citons notamment les papiers de Mgr
Chappoulie, délégué de l'épiscopat français auprès du gouvernement de Vichy. Mais l'auteur a
travaillé aussi dans les archives des diocèses de Paris, Lausanne-Fribourg, Lyon, Toulouse,
Albi et Nice. Il a également consulté certains papiers des pères jésuites conservés à Vanves, le
fonds des Dames de Sion à Paris et à Rome, le fonds des Dominicaines de la Présentation de
Tours, le fonds Edmond Michelet conservé à Brives, les témoignages des sœurs de la
Présentation de Marie, ceux des frères maristes, ceux des sœurs de la Congrégation SaintCharles, les papiers des Missionnaires du Seigneur. L'auteur a également consulté les archives
du Ministère des Affaires étrangères français et utilisé les nombreux travaux récents
concernant l'Occupation allemande en France1, la mise en route de la Solution finale2, la
situation des instances juives pendant l'Occupation3 et l'antisémitisme du régime de Vichy4.
Enfin, l'auteur s'appuie sur le dépouillement d'un grand nombre de titres de la presse juive et
catholique qu'il serait fastidieux d'énumérer ici.
La thèse s'articule en quatre parties, chronologiquement suivies autour des grandes phases de
la Shoah en France5. La première étudie les avancées et les reculs dans les relations judéochrétiennes pendant la montée du nazisme. Elle aborde également la question sous l'angle
théologique et fait le bilan des regards portés les uns sur les autres par les Juifs et les
chrétiens avant la guerre. Pendant la montée du nazisme, les Israélites français ont voulu
1
Barbara LAMBAUER, Otto Abetz et les Français ou l'envers de la collaboration, préface de Jean-Pierre
AZÉMA, Paris, Fayard, 2001, 894 p. ; Ahlrich MEYER, L'occupation allemande en France, Toulouse, Privat,
2002, 238 p. ; Gaël EISMAN et Stefan MARTENS, Occupation et répression militaire allemande 1939-1945, la
Politique de "maintien de l'ordre" en Europe occupée, Paris, Autrement, collection Mémoires n° 127, 2006.
2
Christophe BROWNING, Fateful Month, Essays on the Emergence of the final Solution, New York, Holmes &
Meier, 1985 ; Id., Politique nazie, Travailleurs juifs, bourreaux allemands, Paris, Les Belles Lettres, 2002,
336 p. ; Philippe BURRIN, Hitler et les Juifs, Paris, Seuil, 1995, 200 p. ; Florent BRAYARD, La "Solution
finale de la question juive". La technique, le temps et les catégories de la décision, Paris, Fayard, 2004, 650 p. ;
Édouard HUSSON, "Nous pouvons vivre sans les Juifs" Novembre 1941, Quand et comment ils décidèrent la
Solution finale, Paris, Perrin, 2005, 179 p. ; Id., Heydrich et la Solution finale, Paris, Perrin, 2008, 484 p.
3
Michel LAFFITTE, Un engrenage fatal, l'UGIF face aux réalités de la Shoah, 1940-1944, Paris, Liana Lévi,
2003, 392 p. ; Id., Juif dans la France allemande, Paris, Tallandier, 2006, 526 p.
4
Laurent JOLY, Xavier Vallat, Du nationalisme chrétien à l'antisémitisme d'État, Paris, Grasset, 2001, 446 p.,
Id., , Vichy dans la "Solution finale", histoire du commissariat général aux Questions juives, 1941-1944, Paris,
Grasset, 2006, 1014 p.
5
Serge KLARSFELD, La Shoah en France, Paris, Fayard, 2001, trois tomes, 2029 p.
1
former un front interconfessionnel de lutte contre l'antisémitisme. Depuis l'époque des
meetings contre le boycott des magasins juifs en Allemagne jusqu'à la déclaration de guerre,
l'épiscopat français a apporté son soutien. Le chef de file de cet épiscopat philosémite était le
cardinal Jean Verdier, dont la mort en avril 1940 est ressentie comme un véritable deuil
national. Dans le contexte de la montée de l'antisémitisme en France avant la guerre, la thèse
circonscrit le philosémitisme catholique, déjà étudié par la thèse de Catherine Poujol 6 et celle
de Laurence Deffayet7, en montre les limites mais aussi comment cette mouvance a préparé
les réseaux de sauvetage opérant sous l'Occupation.
La période de la défaite jusqu'en décembre 1941 correspond à la seconde partie. Elle analyse
l'évolution de la position de l'Église catholique face aux mesures antijuives du gouvernement
de Vichy et aux pressions de l'Occupant. L'historien allemand Thomas Brechenmacher8, a
défini la notion du double protectorat. Après le concile de Trente, le Saint-Siège impose dans
ses États le principe de ségrégation entre Juifs et chrétiens, au nom des droits d'un État à se
protéger contre un ennemi intérieur mais en soulignant tout autant que les Juifs doivent être
protégés dans leurs personnes et dans leurs biens car ils sont, depuis la plus Haute Antiquité,
citoyens de Rome. Cette doctrine a servi de point d'appui dans les discussions relatives aux
Juifs entre l'Église de France et l'État français au moment de l'élaboration des deux statuts.
L'épiscopat de zone libre a tout d'abord indiqué cette position à certains membres du
gouvernement avant la rédaction du premier statut des Juifs. Puis il a essayé d'atténuer la
rigueur de l'application du second statut, promulgué cette fois sous l'impulsion allemande en
août 1941. Le Consistoire central israélite s'est alors rapproché des évêques français, en
particulier du cardinal Gerlier, afin de ressouder le front interconfessionnel de lutte contre
l'antisémitisme. Mais les aléas des relations avec l'Occupant en zone occupée et le virage de
plus en plus autoritaire du régime de Vichy n'ont pas permis d'assouplir les mesures antijuives
qui ont conduit à la spoliation des biens juifs.
La troisième partie couvre la période de la mise en route de la Solution finale en France, de
janvier 1942 à l'automne 1942. Elle explique le retournement de l'opinion publique française
au moyen des protestations épiscopales de l'été 1942, que les travaux de Pierre Laborie
avaient déjà prouvées9. Elle étudie notamment comment se préparent les réseaux de sauvetage
qui unissent Juifs et chrétiens. C'est notamment le cas de l'aumônerie catholique des camps,
fondée par l'Assemblée des Cardinaux et Archevêques à l'automne 1941. Cette aumônerie
renforce les visites dans les camps d'internement de zone libre et de zone occupée au
printemps 1942. Le cœur de la thèse explique la position de l'Église de France au moment des
rafles de l'été 1942 et soutient que les cinq protestations des évêques de zone libre ont été
concertées avec le Saint-Siège, reproduisant à une autre échelle ce que le cardinal Pacelli avait
encouragé en Allemagne, en faisant lire en chaire l'encyclique Mit Brennender Sorge en mars
1937.
La quatrième partie, intitulée le temps des sauvetages, étudie les moyens employés par le
Saint-Siège, l'épiscopat, le clergé et les congrégations religieuses pour empêcher la reprise des
grandes rafles et protéger les persécutés, de l'automne 1942 jusqu'à la Libération. Elle tente
6
Catherine POUJOL, Aimé Pallière (1868-1949), Un chrétien dans le judaïsme, Paris, DDB, collection Midrash,
2003, 418 p.
7
Laurence DEFFAYET, La Redécouverte des origines juives du christianisme et l'émergence du dialogue judéochrétien dans l'Église catholique 1926-1962, thèse de doctorat sous la direction du professeur Philippe
BOUTRY, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, décembre 2006, 411 p.
8
Thomas BRECHENMACHER, Der Vatikan und die Juden, Beck C.H., 2005, 326 p.
9
Pierre LABORIE, L'opinion française sous Vichy, les Français et la crise d'identité nationale 1936-1944,
Paris, Seuil, 2001, 406 p.
2
une typologie des sauvetages, opérés par les sauveteurs de la Résistance juive avec les
catholiques. En zone nord, les filières organisées par l'archevêché de Paris avec l'UGIF ont été
démantelées par la Gestapo en juillet 1943. D'autres filières de sauvetage se mettent en place
autour de la congrégation des Pères de Sion et ont des ramifications dans toute la zone nord.
Le dernier chapitre de la thèse définit enfin comment se sont formés sept diocèses refuges en
zone sud autour du cardinal Gerlier et des évêques qui encourageaient le placement des
personnes dans les congrégations religieuses. Mais l'étude pourrait se poursuivre dans d'autres
diocèses de la zone sud. Ces diocèses refuges se mettent en place à la fin de la guerre, au
moment où la Milice et la Gestapo ont essayé de démanteler les réseaux de sauvetage de la
Résistance juive et où certains de ses membres ont gagné le maquis.
Le jury a souligné l'aspect novateur du travail accompli. La méthode, rigoureusement
chronologique, et le ton du travail, très nuancé, évitent soigneusement les partis pris et mettent
en valeur la richesse exceptionnelle des archives consultées. Ce travail replace les faits dans le
contexte des années noires, en montrant combien les relations étaient importantes entre les
instances juives et l'épiscopat français. Le rôle moral de l'épiscopat français auprès du régime
de Vichy contribue à expliquer pourquoi 75% des Juifs avaient la vie sauve à la Libération.
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