Rachis, 1997, vol. 9, ,,°2 PI' 81-84 ARTICLE ORIGINAL MORBIDITÉ DE LA CHIRURGIE DES SPONDYLOLISTHÉSIS SÉVÈRES THE MORBIDITY OF SEVERE SPONDYLOLISTHESIS SURGERY R. LOUIS, S. NAZARIAN, C. LOUIS 'CHRU - Hôpital de la Conception, Service d'Orthopédie traumatologie et Chirurgie Vertébrale, t47 B/d Baille, t3385 Marseille Cedex 05 RESUME SUMMARY L'auteur analyse les complications rencontrées dans sa réduction des spondylolisthésis sévères, c'est à dire égaux ou supérieurs à 50%, traités par sa technique du double abord antérieur et postérieur. La série comporte 85 malades opérés entre 1972 et 1994, dont 80 ont pu être analysés. Cette série ne déplore aucun décès, aucun trouble sexuel ni aucun sepsis. Par contre, 4 malades ont présenté des complications au niveau des prélèvements de greffes péronières avec parésie régressive du SPE. Nous n'avons pas rencontré dans cette série de syndrome de la queue de cheval alors que nous l'avions rencontré dans une série précédente avant que notre technique ne soit améliorée. Il est survenu 15 problèmes radiculaires également régressifs qui sont apparus immédiatement après le temps antérieur. Ces complications sont dues à un excès d'étirement de la racine L5 au cours de la réduction car le spondylolisthésis aboutit à un raccourcissement progressif de cette racine. La prophylaxie de cette complication consiste donc à apprécier la tension au moment de la réduction des racines L5 et à l'arrêter en cas d'excès. Pour la même raison, nous avons constaté deux parésies crurales bilatérales régressives. A signaler une blessure minime d'une veine iliaque qui a nécessité quelques points de suture, et un i1éus postopératoire fonctionnel. The author analyzes the complications encountered in his reduction of severe spondylolisthesis, i.e. greater than or equal to 50%, using his double anterior and posterior approach technique. The series consists in 85 patients who underwent surgery between 1972 and 1994. Eighty cases were evaluable. ln this series there was no death, sexual disorder or sepsis. However, 4 patients presented with complications at peroneal graft level regressive paresis of the sciatic external poplitealnerves. No cauda equina syndrome was observed in this series. This phenomenon was encountered in a previous series before the surgical technique was improved. Fifteen nerve root problems, which regressed, developed immediately after the anterior phase. These complications were related to excess stretching of root L5 du ring reduction, since spondylolisthesis regularly induces gradual shortening of that root. Prophylaxis of this complication thus consist's in assessing the tension at the time of reduction of the L5 roots and discontinuing it in the event of excess. Similarly, for the same reason, two cases of regressive bilateral crural paresis were observed. A minimal les ion of an iliac vein, requiring a few stitches, and postoperative functional ileus were a/so observed. Mots clés: Morbidité. Keys words : Spondylolisthesis Morbidily. Spondylolisthésis - Complication - Traitement chirurgical - 81 - Complications - Surgical treatment - R. LOUIS, S. NAZARIAN, Nous avons déja présenté dans notre revue notre technique du double abord avec réduction par voie antérieure et rétablissement de la continuité des trois colonnes lombo- réparation chirurgicale; Rarement, le seul problème esthétique par une déformation importante lombosacrée a pu motiver l'intervention. Quoi qu'il en soit, nous récusons cette technique de réduction chez les patients ayant dépassé la cinquantaine ou ceux présentant des signes de rigidité arthrosique sous traction vertébrale De même, l'obésité n'est pas propice à cette chirurgie. Notre série comporte 80 cas de malades revus et analysés sur une série de 85 opérés entre 1972 et ] 994. Il s'agissait de 46 femmes et 34 hommes, d'un âge de 13 à 58 ans avec une moyenne de 23 ans. Leurs activités se répartissaient en 20 travaux lourds, 52 métiers légers et 8 malades inactifs, et 11 patients avaient déja été opérés par d'autres techniques. Les causes de ces spondylolisthésis sont dans 68% des cas une spondylolyse bilatérale, 3 cas un cal vicieux de fracture-luxation L5-S 1 et dans 9 cas une agénésie des articulations postérieures avec allongement des isthmes. Le niveau du spondylolisthésis a été pour 72 cas L5-S 1, soit 90%, et dans 8 cas L4-L5 soit 10%. Un des malades présentait une association avec un spina-biflda de L5 et/ou une scoliose. Les signes fonctionnels de ces malades étaient des lombalgies dans 96% des cas, et des radiculalgies dans 65% des cas. 3 malades présentaient un syndrome de la queue de cheval, discret pour 2 d'entre eux, et une véritable paraparésie pour le 3ème, sacrées pour les spondylolisthésis sévères, c'est à dire de plus de 50% de glissement. Longtemps considérée comme impossible ou trop dangereuse, la réduction des spondylolisthésis sévères fut réalisée par quelques rares chirurgiens, d'abord Scalietti puis Harrington, Schollner, Ohri, Bradford, O'Brien, Roy-Camille, Vidal et Rigault. Contrairement à notre méthode, la plupart des auteurs effectuèrent leurs réductions par voie postérieure. Nous présenterons tout d'abord la série des malades opérés, les complications rencontrées, et nous terminerons par la discussIon. MATÉRIEL Nous avons choisi d'opérer par double abord les sujets atteints d'un spondylolisthésis sévère égal ou supérieur à 50% lorsque ce spondylolisthésis était mal toléré, c'est à dire entrainant des douleurs pour les activités physiques ou sportives. Beaucoup de malades sont soulagés par la suppression de ces activités, mais nous avons indiqué notre opération toutes les fois que le sujet souhaitait ne pas les abandonner. Quelquefois, l'aggravation progressi ve du glissement vertébral ou l'apparition d'un syndrome neurologique, même discret, a pu nous engager à réaliser une Notre technique utilisée comporte deux temps chirurgicaux: un premier temps antérieur par voie trans-péritonéale et, 8 jours plus tard, un temps postérieur médian lombosacré, Figure 1: Schéma de la physiopathologie du spondylolisthésis qui crée un raccourcissement des parties molles pré-sacrées, surtout la racine LS mais également le psoas, les vaisseaux fémoraux et les vertébraux. Contrairement, sont étirées. C. LOUIS les racines sacrées 82 MORBIDITÉ DE LA CHIRURGiE DES SPONDYLOLISTHÉSIS Lors du premier temps antérieur le malade est opéré sous traction vertébrale avec une légère lordose par angulation de la table sous le sacrum. La traction ne dépasse pas 15 kgs et la première réduction ainsi obtenue est contrôlée sous amplificateur de Brillance. L'abord est médian, à cheval sur l'ombilic, trans-péritonéal, avec mobilisation des gros vaisseaux suivant le type anatomique rencontré. Le plexus présacré est disséqué au tampon monté et respecté. Le disque L5-S 1 est excisé progressi vement et des élévateurs sont introduits de façon à prendre appui sur le plateau sacré et à élever le corps mobile de L5. L'ouverture de l'espace permet une excision plus complète du disque avec élévation arrêtée lorsque notre élévateur plat est capable d'élargir l'espace au point de voir 8 mm en hauteur de la partie postérieure du disque, dont le tiers moyen est excisé, visualisant ainsi la face antérieure du sac duraI. Nous utilisons SÉVERES malades ont vu disparaitre leur syndrome douloureux lombo-radiculaire. La rétraction des muscles ischiojambiers a cédé chez tous nos opérés. Les syndromes neurologiques ont disparu, seul un malade présente une difficulté à se surélever sur la pointe du pied. Le pourcentage de glissement mesuré avant l'opération était de 75% en L5 et de 62% en L4. La reduction du glissement est passée de 45% lors des premières années de la méthode à 74% depuis 1986. La perte de réduction à long terme n'a été que de 1,7% en moyenne La cyphose lombosacrée qui était en préopératoire de 80° est passée à 108°, soit une réduction moyenne de 27° avec un maximum de 65°. Nous n'avons eu aucun décès, aucun trouble sexuel ni aucun sepsis dans cette serie. Lorsque nous utilisions du matériel en chrome-cobalt, nous avons constaté quatre ruptures des vis antérieures sans conséquence car la consolidation fut malgré tout obtenue grâce au temps postérieur associé. 4 malades ont présenté des complications au niveau du prélèvement de greffe péronière avec trous paralysies régressives du SPE, dont une a nécessité malgré tout un allongement du tendon d'Achille. Si au début de notre expérience nous avons déploré deux syndromes régressifs de la queue de cheval pour des spondylolisthésis inférieurs à 50%, n'entrant donc pas dans cette série, il est à noter que nous n'avons plus constaté cette complication ultérieurement, et en particulier dans cette série. Par contre, il s'est produit 15 problèmes radiculaires également régressifs qui sont apparus immédiatement après le temps antérieur. Il s'est agi de paralysies le plus souvent unilatérales de L5 pour lesquelles nous avons trouvé deux causes différentes. Dans 2 cas il s'est agi d'une compression foraminale due à la présence d'osselets surnuméraires dans le défect isthmique; lors du temps postérieur nous avons pu libérer les racines. La deuxième explication est l'étirement de la racine L5 sur les ailerons sacrés. Depuis dix ans que nous avons compris ce problème nous contrôlons les racines L5 en cours de voie antérieure en les palpant de chaque côté du promontoire sur les ailerons sacrés. Si les racines apparaissent trop tendues, nous diminuons la réduction ou nous la stoppons. Nous pouvons également expliquer par ce mécanisme deux cas de paralysie crurale bilatérale, et deux autres cas de paralysie unilatérale de tout un membre inférieur. Toutes ces parésies ont rapidement disparu dans les semaines postopératoires. Il est survenu enfin une blessure minime d'une veine iliaque ayant nécessité quelques points de suture et une phlébite iliaque externe gauche résolutive grâce au traitement anti-coagulant. Une patiente a présenté une occlusion postopératoire compliquée ultérieurement d'éventration. alors notre réducteur permettant de rétropulser le corps de L5 en prenant un appui par le crochet axial du réducteur sur le bord postérieur du plateau sacré, alors que le cylindre extérieur vissé prend appui par une butée sur la face antérieure du corps de L5. Celui ci se trouve ainsi rétropulsé jusqu'à ce que le bord postérieur du corps vertébral s'aligne avec le bord postérieur du sacrum, ce qui est visualisé par de Brillance. La réduction est l'écran de l'amplificateur bloquée provisoirement par deux broches de Steinman introduites à travers le bord antéro-inférieur du corps de L5 vers le plateau sacré, puis le montage de reconstitution de la colonne antérieure est réalisé par une grande vis axiale de 7,5 mm de diamètre introduite à la hauteur du plateau supérieur de L5 ou devant lui vers l'axe du plateau sacré, pénétrant de 3 ou 4 cms dans le corps du sacrum. Quatre fragments de diaphyse péronière prélevés extemporanément sont disposés de facon à avoir deux fragments de 8 à 10 mm de haut derrière la vis et deux fragments de 18 mm de haut environ au devant de la vis Le serrage complet de la vis permet de bloquer le montage. Le péritoine est refermé et le malade est mis à la diète hydrique, sous anticoagulants et antibiotiques. L'alimentation est reprise lorsque le transit est rétabli. Le malade est maintenu au lit jusqu'au deuxième temps postérieur qui va comporter une arthrodèse L5S 1. Les deux zones isthmiques et les articulations postérieures L5-S 1 sont exisées. Des copeaux corticospongieux prélevés au dépens des deux épineuses sont mis en place dans ces zones avivées et une plaque-papillon est installée en vissant sagitalement dans les pédicules de L5 et obliquement dans les ailerons sacrés. Un corset plâtre est réalisé au deuxième ou troisième jour pour 4 mois. Le malade est autorisé à se lever dès la réalisation du corset plâtré et il peut progressivement recommencer une vie normale. DISCUSSION MORBIDITÉ Beaucoup d'auteurs se demandent toujours, après 20 ans de réduction des spondylolisthésis, si celle-ci est toujours bien Les résultats obtenus dans cette série sont excellents dans l'ensemble avec très peu de complications. Ainsi, 83% des justifiée. Notre méthode, pratiquée depuis 25 ans act~elle83 R. LOUIS. S. NAZAR1AN, C. LOU1S sent au devant du sacrum se trouvent raccourcies lorsque le corps vertébral de L5 se situe plus en avant, raccourcissant ainsi la distance du pédicule de L5 à la face antérieure du sacrum. De même, les parties molles présacrées - psoas, vaisseaux et nerfs fémoraux - se trouvent également raccourcies. Lorsqu'on désirera réaliser la réduction du spondylolistésis, on va donc allonger les formations présacrées raccourcies, ce qui aboutira à un étirement. C'est la raison pour laquelle actuellement lors du temps antérieur transpéritonéal nous explorons au cours de la réduction progressive la tension d'abord des muscles psoas, des vaisseaux iliaques, du nerf crural et surtout de chaque côté du promontoire la tension des racines L5. Toute tension excessive doit nécessiter l'arrêt de la réduction, voire un léger relâchement. A cette condition on peut éviter toute complication radiculaire postopératoire. Bien entendu, devant un tel mécanisme de raccourcissement préopératoire et d'étirement peropératoire des racines lombosacrées, on peut souhaiter modifier la technique en réalisant, comme certains l'ont fait (Bradford), une traction continue progressive de quelques semaines à quelques mois avant l'intervention. Cette méthode semble en effet beau- ment, avec très peu de complications graves et d'excellents résultats fonctionnels et morphologiques, permet donc de justifier cette technique. Mais il faut bien avouer qu'il s'agit d'une technique délicate dépassant le cadre de l'orthopédie ou de la neurochirurgie habituelles. Il faut en effet maitriser les abords antérieurs et être sufffisamment raisonnable pour savoir quand il faut d'une part contre-indiquer la technique pour les rachis rigides et stopper la réduction lorsque les parties molles présacrées sont trop tendues. La voie antérieure se justifie-t-elle encore étant donnée la possibilité par voie postérieure d'introduire des cages ou des greffons inter-somatiques? En effet, la première manœuvre qui vient à l'esprit pour réduire un spondyJolisthésis est d'utiliser des vis pédiculaires qui ramènent vers l'arrière la vertèbre olisthéstique. Mais pour ce faire, on est obligé de prendre un appui sur le sacrum et un appui susjacent sur L4, ce qui entraîne le plus souvent la fusion d'un segment mobile sus-jacent sain. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré opter pour le repoussement vers l'arrière du corps vertébral de L5, ce qui permet un appui beaucoup plus résistant d'une surface métallique plane contre le corps vertébral plus solide qu'un pédicule. Le double abord se justifie donc par la nécessité de réaliser la reconstruction des trois piliers lombo-sacrés, le gros pilier antérieur et les deux piliers postérieurs. Sans cela, le montage est trop fragile, ce qui explique d'ailleurs qu'entre les deux temps opératoires on puisse avoir avec une vis trans-osseuse trop faible des incurvations immédiatement après la réduction. Etant donnée l'importance de la musculature lombo-pelvienne, on ne peut concevoir après réduction que des montages extrêmement solides. Le problème de la voie antérieure est le problème de toute la chirurgie abdominale, pouvant donc entraîner des complications d'occlusion, immédiates ou tardives. Ces complications peuvent être évitées par des précautions peropératoires, manipulations douces des anses intestinales avec des champs humides et repositionnement correct des anses au moment de la fermeture. De même, la reprise de l'alimentation per-os ne doit se faire qu'après le rétablissement certain du transit. Ces voies antérieures nécessitent obligatoirement l'adjonction d'anticoagulants pour éviter les phlébites iliaques. Le seul problème réel de ces techniques de réduction de spondylolisthésis sévère est celui des lésions radiculaires de la queue de cheval. Nous avons vu que ces lésions peuvent être compressives lorsqu'il existe par exemple des ossicules dans l'aire des défects isthmiques: la réduction tasse ces osselets dans le foramen, créant ainsi une compression radiculaire L5 bilatérale. Donc, toutes les fois que les radiographies pré-opératoires montreront l'existence de tels ossicules, un temps préalable postérieur de libération sera nécessaire. De même, les lésions radiculaires peuvent être dues à un mécanisme d'étirement. Depuis plus de dix ans, nous avons bien compris le mécanisme de ces étirements. En effet, un spondylolisthésis sévère allonge progressivement les racines sacrées dont les orifices passent en arrière du disque L5-S 1. Par contre, les racines L5 ou L4 qui pas- coup plus sûre, mais elle est très contraignante pour les malades. Que la voie soit postérieure ou antérieure, cela ne change rien au mécanisme d'étirement. CONCLUSION La chirurgie avec réduction des spondylolisthésis sévères peut menacer les racines lombosacrées de compression et d'étirement. Ces deux complications peuvent être évitées par une bonne étude pré-opératoire des osselets inter-isthmiques et par des manœuvres peropératoires lors du temps antérieur, raisonnables, évitant de dépasser la limite de tension des racines L5. Il faut récuser pour cette technique les spondylolisthésis rigides et les sujets obèses. Le chirurgien doit être entraîné à la chirurgie antérieure transabdomiriale. Ces conditions étant respectées, il s'agit d'une chirurgie très satisfaisante sur tous les plans, fonctionnel, morphologique et douloureux. BIBLIOGRAPHIE P. THOREUX, CAMILLE.: I.P BENAZET, _ G. SAILLANT, R. ROY- Les complications neurologiques de la chirurgie du rachis. L'expérience de la Pitié. 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