Athènes, le 25 avril 2014 Audition La dimension sociale des politiques de la stratégie Europe 2020 pour combattre la crise La stratégie Europe 2020 Stefano Palmieri Remerciements En ma qualité de président du comité de pilotage Europe 2020 du CESE, je voudrais tout d'abord remercier M. Christos Polyzogopoulos, président du Conseil économique et social grec, d'avoir organisé cette audition sur la dimension sociale de la stratégie Europe 2020 pour combattre la crise. Je voudrais également remercier Mme Afroditi Makrigianni, du Conseil économique et social grec, et M. Juri Soosaar, du Comité économique et social européen, pour l'organisation pratique de cette manifestation. Disons-le d'emblée, afin de dissiper toute ambiguïté éventuelle, parler de la dimension sociale des politiques de la stratégie Europe 2020 pour combattre la crise, quatre ans à peine après le lancement de cette stratégie, est loin d'être un exercice facile. S'il n'est pas aisé d'en parler à Bruxelles, il est encore plus difficile d'en parler ici, au cœur d'une des nations qui a le plus souffert des conséquences dévastatrices de la crise et de l'incapacité à mettre sur pied des politiques adéquates au niveau national et surtout européen. Face à ce que l'on peut appeler la plus grave récession (de par sa durée et ses retombées sociales) qui se soit jamais produite depuis la grande crise des années 30, les dirigeants de l'Union européenne et les gouvernements des États membres de l’UE n'ont pas réagi de manière appropriée, faute d'avoir posé le bon diagnostic. EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 1/7 FR Diagnostic et pronostic Au lieu de reconnaître que le facteur déclenchant de la crise était essentiellement de nature financière et était imputable à un système financier surdimensionné (qui avait perdu son rôle fondamental d'instrument assurant le bon fonctionnement de l'économie réelle), l'on s'est focalisé sur les difficultés rencontrées par les finances publiques de certains États membres de l'Union économique et monétaire, avec la mise en œuvre de politiques économiques restrictives assorties de coupes budgétaires (qui ont notamment porté sur les dépenses sociales), ce qui s'est traduit par une augmentation de la fiscalité et de fortes pressions sur les salaires. Tout cela dans un contexte de récession qui a amplifié les difficultés liées à la réduction des déficits publics. [Je voudrais rappeler qu'avant la crise, pendant les années 2000 à 2007, tous les États membres à l'exception de la Grèce ont enregistré une diminution du ratio dette/produit intérieur brut.] À cela il faut ajouter le fait d'avoir erronément sous-estimé l'effet multiplicateur de ces politiques restrictives sur le revenu national. [S'agissant de la Grèce, nous avons assisté à la mise en œuvre par la Troïka de pas moins de deux plans de sauvetage d'une valeur de 200 milliards d'euros, qui n'ont toutefois pas empêché la dette grecque d'atteindre un niveau de 170 % et qui ont eu de lourdes répercussions sociales dans ce pays.] Je suis particulièrement reconnaissant au Conseil économique et social grec d'avoir rendu compte dans son excellent avis d'initiative des retombées sociales de la crise et de l'incapacité de l'Europe et des gouvernements nationaux à avoir su gérer celle-ci. Disons-le clairement: l’incapacité à gérer la crise a eu un impact aussi et surtout sur la stratégie Europe 2020. Une stratégie née des cendres d'une stratégie de Lisbonne qui avait déjà affiché de graves faiblesses [au point que l'on a même parlé d'échec de la stratégie de Lisbonne et de la voie de recours qu'a constitué la stratégie Europe 2020]. Une stratégie qui EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 2/7 s'est fixé pour ambitieux objectif de créer les conditions nécessaires pour faire de l’UE une économie plus compétitive, avec un haut niveau d'emploi, grâce à une croissance: - intelligente, fondée sur la connaissance et l'innovation; - durable, grâce à la reconversion vers une économie verte; - inclusive, via la promotion de la cohésion sociale et territoriale. Aujourd'hui, quatre ans à peine après le lancement de cette stratégie, la Commission européenne vient de publier (en mars dernier) une Communication sur l'état des lieux de la stratégie Europe 2020, dont la lecture (en dépit des tentatives faites par la Commission pour le dissimuler) met en évidence non pas tant l'échec de cette stratégie que les mauvaises conditions de son lancement. Quatre ans plus tard, aucun des objectifs n'a été atteint et, s'agissant de certains indicateurs, la situation s'est encore détériorée: - le nombre de chômeurs est de 26,2 millions; - depuis 2008, 6 millions d'emplois ont été supprimés (avec tout ce que cela implique en termes de pertes de qualifications professionnelles); - 5,5 millions de jeunes (moins de 25 ans) sont au chômage; - on compte plus de 12 millions de personnes au chômage depuis plus d'un an (et donc difficiles à reclasser). Le mode de vie des citoyens européens s'est profondément ressenti de cet état de fait. - Une fracture est apparue en Europe: o entre les pays; o entre les régions au sein d'un même pays; o creusement des inégalités entre les hommes et les femmes, ainsi qu'entre les différentes catégories d'individus et les classes d'âge. - Depuis 2009, en Europe, le nombre de personnes menacées par la pauvreté et l'exclusion sociale est passé de 114 à 124 millions. EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 3/7 Et le tableau qui se dessine au niveau européen montre la perte par l'UE – depuis quelques années désormais – de ce qui faisait l'âme de ce continent: nous avons perdu la capacité d'en assurer la cohésion sociale et territoriale. Tel est le coût social à payer pour n'avoir pas su réagir de manière appropriée à la crise, en faisant porter tous les efforts sur l'assainissement des budgets publics nationaux au moyen de politiques d'austérité (justifiées en période d'expansion économique mais tout à fait inappropriées en période de récession). C'est dans ce contexte que la stratégie Europe 2020 a perdu ses valeurs repères; il ne pouvait du reste pas en être autrement, parce qu'elle n'a pas été mise en condition d'opérer. Les priorités de la stratégie ont été subordonnées aux objectifs économiques du semestre européen (soumis à l'impératif prédominant de l'assainissement budgétaire). Malgré les timides résultats atteints à ce jour, la stratégie Europe 2020 représente une grande opportunité de par le potentiel de croissance (encore latent) qu'elle représente pour l'Union européenne. En 2015, la nouvelle Commission européenne devra présenter une évaluation à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 et, sur la base des points de force et de faiblesse de cette stratégie, en fixer la feuille de route. Je crois que cela constitue une grande chance pour les forces sociales et pour les différentes composantes de la société civile, qui doivent faire en sorte que la stratégie soit enfin relancée selon une approche totalement nouvelle. Dans une phase telle que celle que nous traversons aujourd'hui, il faut revoir radicalement la notion de compétitivité. Nous devons passer d'une compétitivité (quantitative) fondée exclusivement sur les prix à une compétitivité axée sur les résultats. Passer d'une compétitivité "par le bas" à une compétitivité "par le haut". EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 4/7 D'une compétitivité-prix exclusivement axée sur la compression des facteurs de coûts, notamment par les politiques de modération salariale, à une compétitivité orientée vers les résultats et fondée sur la capacité d'une économie à assurer à ses citoyens un développement durable du point de vue: économique, social, environnemental, et intergénérationnel. En d'autres termes, une compétitivité centrée sur les résultats, conçue comme la capacité à atteindre des objectifs allant au-delà de la simple augmentation du produit intérieur brut. Un nouveau concept de développement accordant le même degré de priorité aux moteurs économiques, sociaux et environnementaux du développement. En procédant de la sorte, l’Europe doit prendre un certain nombre de mesures: 1) Elle doit centrer ses priorités sur la qualité de l'emploi, conçue comme un moyen de s'opposer à la segmentation croissante du marché de l'emploi. La multiplication des contrats et des formes de travail précaires entraîne une déstabilisation du marché de l'emploi et la diffusion de la pauvreté et de la précarité sociale parmi les travailleurs. 2) Elle doit promouvoir un plan d'investissements sociaux afin de lutter contre la pauvreté et de favoriser l'emploi. Pour ce faire, il y a lieu de: a. promouvoir un programme d'investissements sociaux de l'ordre de 2 % du PIB; b. définir de nouvelles formes de recettes (comme la taxe sur les transactions financières, la seule proposition innovante faite par une Commission dont le mandat a été plutôt terne); c. inclure les investissements sociaux dans la stratégie Europe 2020 et dans le semestre européen; d. exclure les investissements sociaux du calcul du déficit; e. adopter des instruments permettant de suivre de près l'impact réel des investissements. EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 5/7 Ces investissements pourront concerner: - des services de santé, de soins et d'aide sociale étroitement liés à la dynamique démographique des États membres; - le système éducatif, la formation professionnelle de longue durée et la reconversion professionnelle; - le logement; - les entreprises sociales; - etc. 3) Il faut promouvoir les facteurs de renforcement de la productivité liés au système de protection sociale tels que: a. les politiques actives du marché de l'emploi; b. la participation de la main-d'œuvre féminine. 4) Il faut relancer une nouvelle politique industrielle "verte". La politique industrielle a été trop longtemps négligée en Europe. Il y a lieu de rétablir la compétitivité de l'Union européenne en tant que telle et non plus de ses États membres pris séparément. Il convient de faire en sorte que notre secteur manufacturier représente à nouveau 20 % du PIB (contre 15 % aujourd'hui). Cette nouvelle politique industrielle doit aller de pair avec: - une politique énergétique européenne; - une politique environnementale européenne; - une politique en faveur des micro-, petites et moyennes entreprises; - une politique en faveur des champions nationaux européens; - une politique en faveur des entreprises sociales; - une politique en faveur des entreprises de haute et de moyenne-haute technologie; - une politique en faveur des entreprises de services; - une politique en faveur des entreprises agro-industrielles. 5) Il y a lieu de mettre en avant le rôle du secteur public en l'orientant vers la restauration de la qualité des services qu'il offre aux citoyens et aux acteurs économiques et sociaux. EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 6/7 6) La société civile doit être véritablement associée au processus de gouvernance de la stratégie Europe 2020. Cette participation a jusqu'ici fait défaut dans la quasi-totalité des États membres. Il faut instaurer une approche du bas vers le haut dans la gouvernance de la stratégie au niveau local, régional, national et européen pendant toute la durée du semestre européen. En d'autres termes, nous devons nous orienter vers un nouveau processus de transition impliquant des défis multiples. D'innombrables personnes ont été durement frappées par la crise. Ces personnes attendent une réponse de la part des différentes institutions européennes et nationales et des corps intermédiaires de représentation dont nous faisons nous-mêmes partie: les représentants de la société civile, les partenaires sociaux, les conseils économiques et sociaux nationaux et le CESE. Si nous ne parvenons pas à proposer une réponse valable et claire, nous ne réussirons pas à nous démarquer de ceux qui ont permis que le rêve d'une Union européenne plus juste ne devienne le cauchemar d'une Europe de plus en plus inégalitaire et injuste, et nous serons jugés comme tous les autres. Aussi faut-il apporter une réponse qui convainque nos concitoyens qu'il est encore justifié de se battre pour un idéal européen qui soit le même que celui des pères fondateurs (il y a plus de 50 ans de cela). C'est pourquoi la relance de la stratégie Europe 2020 peut leur donner quelque espoir. Nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer une fois de plus et d'assumer une part de responsabilité dans cet échec. JE VOUS REMERCIE DE VOTRE ATTENTION. _____________ EESC-2014-02672-00-00-DISC (IT) 7/7