II. La consécration conditionnelle et limitée de la cession

publicité
Yvan BOYRIVENT
TD Civil - Séance 7
Les conditions de formation du contrat
Commentaire de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 nov. 2000
Il est un principe que seules les choses dans le commerce juridique peuvent faire l’objet de conventions. Il est un autre un
principe que par leur définition même, certaines entités soient placées comme hors commerce et par conséquent exclues
de la vie juridique. Il advient que certaines de ces entités, intègrent suite notamment à un revirement jurisprudentiel le
commerce juridiques après en avoir été exclues C’est le cas de l’arrêt du 7 novembre 2000 de la première chambre civile
de la Cour de cassation qui s’intéresse à la notion de clientèle civile et à la licéité de sa cession.
En l’espèce, M.Y, chirurgien de son état, met son cabinet à la disposition de son confrère, M. X, en créant avec lui une
société civile de moyens. Ils concluent le 15 mai 1991, une convention aux termes de laquelle M.Y cède la moitié de sa
clientèle à M. X contre le versement d’une indemnité de 500 000 francs. Les deux confrères concluent également une
« convention de garantie d’honoraires » par laquelle M.Y s’engage à assurer à M.X un chiffre d’affaires annuel minimum.
M.X, qui avait versé une partie du montant de l’indemnité, estimant que son confrère n’avait pas respecté ses
engagements vis-à-vis de sa clientèle, a assigné celui-ci en annulation de leur convention. M.Y a demandé le paiement de
la somme lui restant due sur le montant contractuellement fixé.
Dans un arrêt du 2 avril 1998 de la Cour d’appel de Colmar, la juridiction prononce la nullité du contrat litigieux,
condamne M.Y à rembourser à M. X le montant des sommes déjà payées par celui-ci et le déboute de sa demande en
paiement du solde de l’indemnité prévue par la convention.
M.Y décide par conséquent de se pourvoir en cassation au motif que la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales
de ses propres constatations et a violé les articles 1128 et 1134 du Code civil. En effet, en décidant que le contrat était nul
car il portait atteinte au libre choix de son médecin par le malade puisqu’il prévoyait l’obligation aux parties de proposer
aux patients une « option restreinte au choix entre deux praticiens ou à l’acceptation d’un chirurgien différent de celui
auquel ledit patient avait été adressé par son médecin traitant », la Cour d’appel n’a pas constaté qu’en réalité le malade
conservait son entière liberté de s’adresser à M.Y, à M.X ou à tout autre praticien et que par conséquent il n’était pas
porté atteinte à son libre choix.
M.Y ajoute que la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1128, 1131 et 1134 du Code civil
en s’abstenant de rechercher si l’objet du contrat était en partie licite en prévoyant l’ obligation à M.Y de présenter M.X à
sa clientèle et de mettre à la disposition de celui-ci du matériel médical, de bureautique et de communication, si bien que
l’obligation de M.X au paiement de l’indemnité prévue par le contrat était pour partie pourvu d’une cause.
Il convient de rappeler que l’article 1128 du Code civil dispose que « Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce
qui puissent être l'objet des conventions. ». Dès lors, il convient de se demander si la clientèle civile est considérée
comme étant dans le commerce et par conséquent, si des opérations juridiques la concernant à l’exemple d’une cession
peuvent constituer l’objet licite d’une convention.
La Cour de cassation, dans un arrêt de la première chambre civile du 7 novembre 2000, décide de rejeter le pourvoi de M.
Y en considérant que si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds
libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient.
La cour d’appel a donc pu souverainement retenir qu’en l’espèce, cette liberté de choix n’était pas respectée et a donc
légalement justifié sa décision.
Apparaît alors la nécessité d’expliquer en quoi la position adoptée par la Cour de cassation constitue un revirement
jurisprudentiel retentissant bien qu’attendu et espéré par la doctrine et nombre de praticiens avant d’indiquer que la Cour
de cassation en profite pour consacrer l’existence d’un fond libéral de sorte que l’apport de l’arrêt semble si important
(trop ?) pour pouvoir échapper non pas seulement à des réserves mais à véritables critiques qui craignent un statu quo
ante (II)
*
***
I. La consécration progressive et attendue de la licéité de la cession de la clientèle civile
Après un refus catégorique puis une acceptation partielle progressive notamment causée par un débat sur la notion même
de clientèle (A), la Cour de cassation admet (enfin) clairement que la cession d’une telle entité peut constituer l’objet
licite d’une convention à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession (B)
A. L’attitude craintive des juges quant à l’autorisation de la cession d’une clientèle civile
Dès les origines de son existence, la cession d’une clientèle civile à l’occasion et par le biais d’un contrat est apparu
juridiquement impossible au regard de l’article 1128 du Code civil qui dispose que « il n'y a que les choses qui sont dans
le commerce qui puissent être l'objet des conventions ». La clientèle civile était considérée comme étant hors commerce
et donc ne pouvant constituer l’objet d’un contrat de cession par exemple. L'être humain en ce sens de la personne
humaine comme la personne juridique est par définition hors commerce et ne peut être aliéné. Elles ne peuvent faire
l’objet d’une cession. Ceci explique que la cession d’une clientèle civile, c’est à dire, la cession des clients en tant que
personnes humaines était impossible sur un plan juridique.
Cette conception appelle à s’interroger sur la réalité qui se cache derrière ce que l’on désigne par le terme de « clientèle. »
En effet, la notion même de clientèle a fait l’objet d’un vif débat doctrinal même si aujourd’hui, il semble qu’un
consensus soit apparu. Pour le Doyen Savatier, la clientèle désigne les clients, « un peuple d'hommes et de femmes ».
Selon une seconde approche, le terme de « clientèle » désigne un facteur ou plutôt un pouvoir attractif de clientèle ainsi
que les éléments attractifs de cette clientèle. C’est cette seconde définition élaborée par le Pr. F. Zenati Castaing qui
retient les faveurs de la doctrine. Certes, la clientèle civile a ceci de commun à la clientèle commerciale qu’elle est somme
des clients attachés à un service Mais, l’apport du Pr. Zenati Castaing est de considérer que la clientèle et plus
particulièrement la cause de l'attachement d'un ensemble de personnes à un service ou un bien est un facteur attractif.
En matière commerciale, l’attraction provient d'une réunion d'éléments corporels et incorporels qui existent de manière
objective (marque, nom, droit au bail, machines, stocks, les brevets, situation géographique). La clientèle commerciale
constitue l'élément essentiel du fonds de commerce et elle est principalement attachée aux éléments objectifs du fonds. La
cession de ces éléments objectifs est donc présumée transmettre le pouvoir attractif sur la clientèle. Lorsque la
transmission du pouvoir attractif provient d'une réunion d'éléments objectifs, la cession de ces éléments entraînera la
transmission de ce pouvoir sur les clients.
En ce qui concerne la clientèle civile, entendue comme la clientèle d’un professionnel libéral, ce pouvoir d’attraction
résulte d’éléments non pas tant objectifs, perceptibles et matériels mais bien plus subjectifs comme l'activité même du
professionnel libéral, son savoir-faire, ses qualités personnelles, ses compétences. Ainsi, la clientèle civile est toujours
attachée aux qualités personnelles du professionnel libéral. Dès lors, seul un contrat de présentation était susceptible de
conférer au successeur un pouvoir d'attraction sur les clients puisqu'il présente un caractère intuitu personae, c’est à dire,
intimement personnel dans sa définition même. Le report de la confiance des clients ne peut ainsi se faire que par le biais
d'une collaboration préalable suivie d'une présentation du successeur à la clientèle.
Et, en effet, beaucoup considèrent que la Cour de cassation s’est timidement et (très) progressivement orientée vers
l'acceptation de la cession de la clientèle médicale en tolérant différents procédés juridiques pour contourner la difficulté
même qu’est son incessibilité. Elle a admis par exemple la cession partielle en 1997 et a insister sur l'éloignement de la
clientèle de la personne du professionnel en 1993. Elle contournait l’impossibilité d’accorder la pleine licéité de la
clientèle civile en imposant la voie de la présentation du coassocié ou du successeur à la clientèle. L'objet de la
convention devenait alors licite. Elle utilisait aussi le concept de droit d’entrée ou de droit d’indemnité d'intégration dans
les groupes médicaux depuis 1977 ou encore la possibilité pour un professionnel libéral de monnayer différents
engagements pris envers un confrère comme celui de ne pas le concurrencer. Il apparaît même les ordres professionnels
proposait des contrats types pour réaliser ces opérations juridiques. Comme l'a indiqué la Cour de cassation « le droit pour un professionnel - de présenter un confrère à sa clientèle constitue un droit patrimonial... »
Des voix se sont peu à peu élevées pour que soit reconnue purement et simplement la cession directe de la clientèle civile
et donc que le contournement de cette difficulté par différents moyens prenne fin. Plus récemment, à travers différentes
publications, la Cour de cassation s’est montrée hostile à ce que devienne licite la cession d’une clientèle civile. En 1991,
la nullité de toute « cession » d'une clientèle médicale avait été réaffirmée afin de ne pas léser l’installation de jeunes
médecins qui se seraient trouvés désavantagés par une telle pratique. Encore, en 1997, même si la Cour était consciente de
la valeur représentée par une clientèle civile, les juges considéraient qu’en raison de la liberté de choix du client, la
clientèle civile ne pouvait être cédée.
B. La cession de la clientèle civile devenue clairement licite
Dans son arrêt du 7 novembre 2000, la Cour de cassation considère que « si la cession de la clientèle médicale, à
l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la
condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ».
Nous serions même tentés de dire que la cession de la clientèle médicale n’est plus illicite. Et, c’est en ce sens que cet
arrêt constitue un revirement de jurisprudence. La position de la Cour s’inscrit également en contradiction aux
conceptions qu’elle avait développées dans les années 1990. Il n’est pas inutile de préciser que l’apport de cet arrêt est, en
toute vraisemblance et en toute logique, transposable aux autres professions libérales à l’exemple des avocats ou encore
des architectes.
Certes, la reconnaissance de la licéité de la cession de la clientèle civile avait pu être pressentie par les avancées
jurisprudentielles successives mais rien ne laissait présager qu’un tel pas puisse être franchi.
La Cour de cassation prend en considération la seconde définition de la clientèle à savoir celle d’un pouvoir d’attraction.
Ainsi, s’il est impossible de conférer une valeur économique et patrimoniale à un ensemble de femmes et d’hommes c’est
à dire les ramener à l’état de chose que l’on peut entre autres aliéner car il n’est pas dans le commerce, il n’en est pas
autant si l’on conçoit la clientèle comme un pouvoir d’attraction exercé sur des personnes physiques.
Longtemps, l’on a compensé l'inaliénabilité de la force de travail par la poursuite, indirecte, des effets que produirait une
aliénation si elle était possible. Tel est, spécialement, l'objet des obligations attachées à la fort classique convention dite
de présentation de la clientèle, de l'investiture officielle du « cessionnaire » par le « cédant » à l'interdiction, pour le «
cédant », de concurrencer ultérieurement le « cessionnaire » La Cour de cassation admettait la validité de ces
engagements depuis 1861, dans le même temps, donc, où elle refusait de voir un bien dans le facteur personnel
d'attraction des clients civils. Or les obligations considérées n'ont de sens qu'au regard de la patrimonialité du facteur
personnel d'attraction des clients, à laquelle elles donnent l'essentiel de sa réalité en organisant un équivalent de «
circulation » de l'effet attractif de la force de travail, dans le respect de l'inaliénabilité de ce composant de la personne.
C'est pourquoi la position jurisprudentielle consistant à autoriser la convention de présentation sans admettre la
patrimonialité de la force de travail était illogique. L'arrêt commenté met fin à cette incohérence.
II. La consécration conditionnelle et limitée de la cession de la clientèle civile
La Cour de cassation ne s’est pas limitée à considérer que la cession d’une clientèle civile est licite puisqu’elle en a
profité pour consacrer l’existence d’un fonds libéral (A). Sur ce point précis et concernant la condition qu’a posé la Cour
de cassation pour que la cession soit licite à savoir que la liberté des clients doit être respectée, les critiques sont vives et
tendent à croire que la portée de l’arrêt n’est que théorique, difficile à mettre en pratique voire ne conduit qu’a un statu
quo (B)
A. La consécration de la licéité de la clientèle civile conditionnée par la constitution ou la cession d’un fonds
libéral dont l’existence est par la même affirmée.
« la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la
profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient. »
A la lecture de l’attendu de principe de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2000, il apparaît comme étant
évident que la Haute juridiction ne s’est pas contentée d’affirmer la licéité de la cession de la clientèle civile mais qu’elle
la soumise à la condition à l’hypothèse que cette cession intervienne lors de la constitution ou de la cession d’un fonds
libéral. Le fonds libéral est par là même né (après avoir été suggéré par le TGI de Meaux en 1999) et côtoie désormais le
célèbre fonds de commerce, le fonds agricole ou encore le fonds artisanal. Non seulement, le fonds libéral est né mais il
semblerait qu’au delà de la licéité de la cession de clientèle civile, ce soit bien la constitution/cession du fonds libéral qui
soit licite. La cession de la clientèle civile ne semble être que l’accessoire de la constitution ou de la cession d'un fonds
libéral.
Le fonds libéral est consacré juridiquement sans qu'il contienne pour autant la clientèle (elle n’est pas un élément d’un
cabinet médical pour la jurisprudence) à l’inverse du droit commercial ou la clientèle est l'élément essentiel du fonds de
commerce (qui existe depuis 1909 et 1996 pour le fonds artisanal) et indispensable à son existence. Les tous premiers
prémisses de la reconnaissance d’un fonds libéral malgré l’illicéité de la clientèle civile peuvent s’observer dans
l’organisation timide, déjà décrite, de la transmission de cette clientèle (droit de présentation). En outre, la clientèle civile
intègre chaque jour davantage la sphère juridique car elle est la cause (et désormais l’objet) de conventions.
La Cour de cassation reconnaît le caractère patrimonial de la clientèle civile et prend en considération mieux en compte sa
valeur économique mais réaffirme l'importance du facteur personnel d'attraction des clients.
Elle contourne l’impossibilité de patrimonialisation de la clientèle civile fondée sur le rôle du facteur personnel dans la
formation du courant d'activité libérale.
L'arrêt marque un progrès de la patrimonialisation de la clientèle civile : La Cour déclare, comme étant dans le commerce
juridique, le facteur personnel d'attraction des clients civils. L’avènement du fonds libéral n'est que la conséquence, le
facteur intègre le fonds libéral et accéder à la vie juridique.
La cession de la clientèle civile est licite même si elle n'est pas attachée à un fonds libéral puisqu’elle peut être réalisée en
vue de la création de ce dit fonds. Le caractère patrimonial du facteur personnel d'attraction des clients est affirmé
puisqu’en l’absence de fonds, la clientèle civile ne peut reposer que des réalités subjectives (compétences, talents,
qualités) et non pas objectives.
Plus précisément, en l'absence de fonds, la clientèle civile est la force de travail du professionnel libéral. Sa cession n’est
pas l'aliénation de ce facteur attractif. Notons, par ailleurs que la cession de la clientèle civile ne peut intervenir qu’à
l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral. Cette cession désigne alors le transfert, non de la
propriété du facteur attractif mais de l'effet attractif de la force de travail qui passe au fonds libéral lorsque celui-ci est
constitué en vue de prendre le relais de la force de travail dans l'attraction des clients, cette dernière intégrant,
évidemment, le fonds nouveau. C’est le cas notamment lors de l’exercice en commun de la profession.
B. La consécration de la licéité de la cession de clientèle civile limitée par le nécessaire respect de la liberté de
choix des clients : un exemple parmi d’autres traduisant le statu quo provoqué ( ?)
De prime abord, l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2000 semble marquer, à l’aube d’un nouveau millénaire,
une avancée considérable en ce sens qu’après près d’un siècle et demi d’hésitation et une acceptation a demi-mot, la
Haute juridiction reconnaît officiellement et clairement la licéité de la cession d’une clientèle civile. De plus, les
professionnels libéraux peuvent, a priori, se réjouir de la consécration de l’existence d’un fonds libéral.
La Cour de cassation indique en effet que « la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la
cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la
liberté de choix du patient. »
Ainsi, pour que la cession de clientèle civile soit licite, ces clients doivent conserver leur libre choix de leur médecin et ai
delà, la liberté de choix du professionnel libéral auquel ils font appel. Dès lors, le terme de cession apparaît comme
impropre quelle que soit la définition que l’on donne à la clientèle. En effet, que ce soit un ensemble de femmes et
d’hommes ou que ce soit un pouvoir d’attraction, la cession d’une clientèle dont chaque individu doit rester libre de
décider si oui ou non il souhaite rester avec le professionnel libéral est difficile à comprendre. Le caractère hypothétique
de la cession d’une clientèle civile irradie l’opération juridique en question puisque rien ne garanti au bénéficiaire du
contrat qu’il conservera en tout ou partie la clientèle de son prédécesseur.
La nécessité de respecter la liberté des clients existait déjà en droit médical dans les cliniques et plus généralement en
droit hospitalier. C’est même ce qui symbolise, en droit civil, la confiance nécessaire à l'établissement d’une relation
thérapeutique.
La liberté de choix des clients justifiait même le caractère hors du commerce de la clientèle civile. Que la Cour de
cassation assortisse la consécration de son principe de cette exigence semble contraire à l'affirmation même du principe
selon lequel la cession de clientèle civile est dorénavant licite. La sécurité juridique est menacée d’autant plus que le
respect du principe de la liberté du client est laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond. La Cour de cassation
n’aura ainsi pas de droit de regard sur le respect d’une telle liberté, appréciation qui reposera autant sur des éléments
objectifs que subjectifs…
De plus, le respect de la liberté de choix est également contraire à l’objectif même d’une cession de clientèle. En effet,
cette opération entend guider, influencer et orienter les clients et donc par définition limiter la liberté de choix de ces
clients. Ainsi, il paraît inconciliable d’exiger que les clients restent libres alors que la cession d’une clientèle civile a pour
nature même que ces clients restent attachés au successeur du professionnel libéral.
D’autres auteurs considèrent que la clientèle était incessible lorsqu’elle était perçue comme l'ensemble des clients mais
lorsqu’elle est considérée comme un facteur attractif de clients, la liberté de choix n’est pas un obstacle à sa
patrimonialité. Selon eux, la Cour a appliqué cette conception en estimant désormais que le respect de la liberté de choix
du médecin par les patients n’est plus un obstacle à la cession de clientèle mais une condition de validité de cette cession.
Or, le développement précédent quant à la finalité poursuivie par la cession de clientèle civile se pose dans les mêmes
termes.
Une autre question se pose quant à la traduction dans les faits cette cession de clientèle civile. Là encore, on semble
devoir se tourner vers les pratiques antérieures pour trouver une solution et la seule envisageable est d’avoir recours à la
présentation des clients/patients au successeur. L’arrêt en ce sens semble inutile puisque cela revient à la position adoptée
durant de nombreuses années par la Cour et qui constituait l’une des seules opérations possibles sur la clientèle civile.
Notons que dans le cadre de la pratique de la médecine en clinique, un quelconque fonds libéral n'existe pas. Dans ce cas,
en effet, le médecin est lié contractuellement à la clinique qui lui permet d'exercer dans ses locaux et d’utiliser son
matériel moyennant le paiement d’une redevance. Le matériel ne lui appartient donc pas et ne peut être constitutif, ne
serait ce qu’en partie, d’un fonds libéral. De plus, le contrat de cession de clientèle civile entre deux confrères semble sans
effet et inopposable à la clinique puisque cette dernière n’est pas partie à ce contrat La portée de l’arrêt est donc limitée à
la cession d’une clientèle civile lors de l’exercice de la profession à titre individuel ou de la constitution de groupes
médicaux.
La cession d’une clientèle civile est une vente mobilière qui échappe à la rescision pour lésion. L’éventuel contrôle du
prix n’est donc possible qu’en utilisant les règles, à l’issue aléatoire, des nullités alors qu’auparavant les juges du fond
avaient un pouvoir d’appréciation quant au prix du service de présentation. Le successeur ne bénéficie, là encore, pas
d’une sécurité juridique pleine et entière.
A l'occasion de certaines cessions de clientèles, des clauses de non-concurrence peuvent être inclues dans les contrats afin
que le successeur puisse se développer sans crainte d’une concurrence de son prédécesseur. Lors de la cession d’une
clientèle commerciale, cette obligation est implicite, de plein droit et prévue par la loi. En cas de cession de clientèle
civile dans les conditions particulières en vigueur avant le 7 novembre 2000, l’obligation de non-concurrence était
volontaire.
Certains auteurs considèrent qu’en raison de la position adoptée par la Cour de cassation, le 7 novembre de cette année, la
nature et le régime de l'obligation de non-concurrence sont modifiées : l’ obligation de non concurrence ne serait plus
volontaire mais légale par analogie au fonds de commerce lors de la cession de clientèle commerciale. Cette conception
serait conforme à la tendance qu’ont les juges de reconnaître des obligations de non concurrence de plein droit lors de la
cession de certaines clientèles civiles.
Mais, d’un point de vue purement pratique, cette obligation de non concurrence n’a pas lieu d’être en cas de cession
partielle de la clientèle ou lorsqu’il n’existe pas pour le successeur un danger particulier d’une concurrence de la part du
prédécesseur . L’obligation volontaire a, en outre, l’avantage de permettre aux contractants de déterminer avec précision
les modalités de cette obligation dans les circonstances d’espèce qui les entourent.
Mais, qu’importe le régime et la nature de cette obligation, si les clients sont attachés par des éléments objectifs du
cabinet libéral, une clause de non-concurrence est inutile. S’ ils sont attirés par les qualités personnelles de l'ancien
professionnel et c’est le recours même à la notion de cession de clientèle qui est inutile voire absurde d’autant rappelons
le, que la liberté de choix des clients doit être respectée.
Beaucoup regrettent que la Cour de cassation soit allée trop loin et n’ait pas préféré adopter une position plus timorée
mais plus conforme à la réalité : n’admettre que dans certaines circonstances uniquement l'existence d'un fonds libéral et
considérer également, que dans certains cas, la cession d’un fonds libéral, l’importance de facteurs personnels et
subjectifs est telle que la cession des seuls éléments objectifs du fonds ne peut permettre la transmission d’un fonds
libéral.
C’est en raison de ces différents développements, que certains auteurs n’hésitent pas à dire que, « désormais, on fera
comme d’habitude ». Au delà de la dimension humoristique de la formule, beaucoup craignent que la portée de l’arrêt soit
trop peu limitée malgré l’avancée spectaculaire qu’il semble constituer.
***
*
Téléchargement