Préface édition russe de la Nature de la Nature Ce livre est point d’arrivée et point de départ. C’est le point d’arrivée d’une aventure intellectuelle commencée depuis mes premiers ouvrages, L’An zéro de l’Allemagne et L’Homme et la Mort. Dans L’An zéro de l’Allemagne, écrit alors que je faisais partie de l’armée française qui occupait une partie de l’Allemagne et que je voyageais sans cesse dans ce pays ravagé, dépourvu d’Etat, à la recherche d’antinazis. J’ai essayé de comprendre pourquoi et comment la nation la plus cultivée d’Europe, celle qui avait produit tant de penseurs de portée universelle, tant de poètes traduisant les mystères et les beautés de l’âme, tant de musiciens de génie, avait pu produire et accepter le nazisme. Dans l’Homme et la Mort, pour traiter des attitudes et croyances humaines devant la mort, j’ai dû faire un voyage dans toutes les sciences humaines, préhistoire, ethnographie, science des religions, philosophies, histoire, psychologie, psychanalyses, littérature et poésie, et bien sûr la biologie puisque la mort est d’abord une réalité biologique. Il s’est agi ensuite pour moi de trouver une méthode pour relier, ordonner, organiser tant de connaissances qui étaient dispersées, et j’ai dû affronter deux paradoxes : le premier, pourquoi l’homme est le seul être mortel qui nie la réalité de la mort comme anéantissement et élabore des mythes de vie après la mort ; le second pourquoi l’être humain, qui a horreur de la mort, et est capable de risque et même donner sa vie pour les siens, sa famille, sa patrie, sa religion, ses idées... Tout cela me conduisait à une conception complexe de l’humain, au delà d’homo sapiens et homo faber, mais incluant ces termes, tout y introduisant les notions complémentaires, antagonistes et inséparables d’homo demens, d’homo mythologicus, d’homo ludens. Dès cet ouvrage, je compris que mon but était celui qu’avait indiqué Kant. Pour répondre aux questions fondamentales Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer, il fallait passer par l’anthropologie. L’anthropologie, dans le sens originel qui fut le mien, n’était pas une science réduite aux aspects culturels de l’humain. C’était la connaissance réflexive complexe essayant de relier et penser tous les savoir dispersés concernant l’humain, qui nous le savons aujourd’hui sont non seulement de nature culturelle et biologique, mais aussi chimiques, physique et cosmique. D’où mon ouvrage paru en 1973, Le Paradigme perdu, la Nature humaine. Mais entre temps, un séjour en Californie en 1969-70 m’avait fait connaître, non seulement la nouvelle biologie moléculaire et la nouvelle éthologie animale, mais la théorie de système, la cybernétique, les travaux de von Neumann, les premières théories de l’auto-organisation, la pensée de von Foerster, la thermodynamique de Prigogine, le théorème de Gödel et celui de Chaitin, qui m’ont fourni les outils et concepts nécessaires à affronter la complexité du monde naturel, physique et biologique et l’extrême complexité du monde humain. Dès lors s’imposa à mon esprit l’intention de travailler à l’élaboration d’une méthode, apte à favoriser une connaissance complexe. Je dus m’isoler quelques années à partir de 1973 en Toscane et en Provence pour entreprendre ce travail qui en 1977 produisit ce premier volume intitulé La Nature de la Nature. Il fut suivi par un travail persévérant qui s’acheva en 2008 avec la publication d’un ultime et sixième volume. La Nature de la Nature fut suivie par La Vie de la Vie, puis la Connaissance de la Connaissance (2 volumes), l’Humanité de l'Humanité, L'Identité humaine et L'Éthique.