Université Alger 1 Faculté de Médecine d’Alger-Département de Médecine Module Appareil Locomoteur La goutte DR F. RAHAL Maitre assistante-Rhumatologie EHS Ben Aknoun 2015-2016 Définition: la goutte Maladie fréquente Surcharge en cristaux d’urate de sodium Se déposent dans différents tissus de l’organisme: articulations, les reins, la peau. Épidémiologie Prédominance masculine Une prédisposition familiale: 1/3. Uricémie normale : homme : 50-60 mg/l, femme : 40-50 mg/l Hyperuricémie : homme : ›70 mg/l, femme : › 60 mg /l L’acide urique est le produit final du métabolisme des purines chez l’Homme. La goutte est la conséquence de l’hyperuricémie définie par un taux plasmatique d’acide urique> à 70 mg/l correspond au seuil de solubilité de l’ urate de sodium dans les conditions physiologiques de pH et de concentration sodée du plasma Les trois sources de l’acide urique Source exogène: Dans le tube digestif: catabolisme des acides nucléiques alimentaires. l’ acide urique non dégradé par les bactéries intestinales. Est absorbé à travers la muqueuse intestinale et rejoint le pool global d’acide urique de l’organisme. Source endogène " voie de sauvetage " (ou voie courte) de la purinosynthèse de novo: source la plus abondante. L’organisme synthétise lui-même ses propres acides nucléiques (molécules non puriniques) réactions enzymatiques purinosynthèse de novo. Si purinosynthèse: excédentaire, ces produits inutilisés sont catabolisés en acide urique sous l’action de la xanthine oxydase du foie et de la muqueuse intestinale. Une partie des purines produite est recyclée pour resynthétiser avec le phosphoribosyl pyrophosphate des nucléotides puriniques sous l’action de l’HGPRT. Troisième source Dégradation de l’ADN et l’ARN après la mort cellulaire (apoptose +++). Élimination de l’acide urique Uricolyse rénale La principale +++ sécrétion tubulaire distale et dans l’anse de Henlé. Selon le pH urinaire: l’élimination se fait sous forme libre ou sous forme de d’urate de sodium qui prédomine à pH acide (+ de risque de lithiase!). • Uricolyse intestinale Sécrétions digestives : salivaire, biliaire, pancréatique et intestinale Bactéries du tube digestif possèdent l’uricase permettant de transformer l’acide urique en allantoïne Pool d’acide urique : C’est l’acide urique libre disponible ou échangeable immédiatement dans l’organisme. En condition normale: équilibre entre les trois sources d’acide urique et l’élimination rénale. Chez le sujet goutteux, ce pool est très augmenté (jusqu’à plus de 25 fois). 3ème compartiment : les dépôts tissulaires ou tophus. Le pool miscible de l’acide urique Entrées sorties Catabolisme des acides nucléiques cellulaires urico-élimination rénale Pool miscible De l’acide urique Catabolisme des acides nucléiques alimentaires Purinosynthèse de novo Uricolyse Métabolisme de l’acide urique Phosphoribosyl pyrophosphate Amido-transférase Phosphoribosylamine Acide guanylique Acide inosinique Acide Adénylique Cycle long Cycle court Guanine Xanthine Adenine HGPRT Xanthine Oxydase Acide urique élimination rénale Urate oxydase Allantoïne CO2+NH3 Goutte typique Présentations cliniques Goutte – – – trois étapes : hyperuricémie asymptomatique, goutte aigue, goutte chronique ou tophacée, la phase d’hyperuricémie asymptomatique ne présente pas de manifestations cliniques rhumatologiques, environ 10% des patients hyperuricemiques développeront une goutte clinique Accès aigue 1- Arthrite métatarsophalangienne du I métatarsien : - Atteinte typique - Inaugurale : 60% des cas - « Podagre » = « pris par le pied », - Homme pléthorique de 50-60 ans. - Douleur à début brutal, la nuit++, très intense, Insomniante, hyperesthésie, signe du " drap " - Maximum en - de 24 heures. Prodromes : - malaise, - troubles digestifs - paresthésies Aspect: - œdème chaud sur peau lisse, sèche (pelure d'oignon) - coloration cutanée : rouge vif-mauve - parfois un aspect purpurique. Une résolution spontanée se fait en 5-6 jours. Rechercher des antécédents : goutte familiale ou personnelle, de lithiase urinaire, d’hyperuricémie. Devant ce tableau typique: pas d’examen complémentaire. Le traitement par colchicine ou par AINS permet la régression en 48h (test thérapeutique). circonstances déclenchantes : - Excès alimentaire et/ou alcoolique (alcool fort, bière avec ou sans alcool, sodas sucrés, viande, abats, poisson gras, crustacés) - Traumatisme ou microtraumatismes répétés (chaussure trop serrée), - Période postopératoire, - Infection, - Affection intercurrente avec alitement : (ex infarctus du myocarde…) - jeûne, sevrage alcoolique, - Médicaments hyper/ hypouricémiants (diurétiques, salicylés…) • 2-Autres mono-arthrites aiguës : - Localisations habituelles : le genou, la cheville, ou le pied (MTP d'un autre orteil), IPP, médio-pied, arrière-pied). - Parfois: bursite olécranienne ou pré patellaire, de tendinite surtout achilléenne ou encore ténosynovites. - Atteinte rachidienne est exceptionnelle. - Les récidives des crises de goutte peuvent devenir oligo voire polyarticulaires - Les accès goutteux ont tendance à devenir moins francs mais plus prolongés avec des intervalles libres de plus en plus courts. 3- Forme poly articulaire : - goutte secondaire +++ ou goutte chronique - forme d’oligoarthrite asymétrique des membres inférieurs. - Les signes généraux peuvent être importants. 4-diagnostic ponction articulaire : Indispensable: grosse articulation +++ - liquide très inflammatoire : - aspect macroscopique puriforme. - plus de 2 000 éléments par mm3 avec plus de 50% de PNN (il est fréquent d'avoir plus de 50 000 éléments nucléés par mm3 avec plus de 90% de PNN). - absence de bactérie à l'examen direct et cultures stériles. - cristaux d'urate de sodium extra et intracellulaires d’aspect effilé en aiguille à bouts pointus forte biréfringence . Biologie : - Syndrome inflammatoire biologique : - élévation VS, CRP hyperleucocytose. - Hyperuricémie: > 70mg/l - l'uricémie peut être normale au moment de la crise , à distance hyperuricémie). - !! Penser à dépister une atteinte rénale (créatininémie, bandelette urinaire). 4-Diagnostic différentiel: - Arthrite septique : monoathrite aiguë fébrile liquide articulaire: sans cristaux, avec un germe colchicine inefficace. La coexistence d’un accès goutteux et d’une arthrite septique est rare mais possible. - Chondrocalcinose : présentation proche mais terrain différent. - Rhumatisme inflammatoire : début moins brutal, fluxion moins forte et uricémie normale. Goutte chronique Non traitée crises récidivantes d'intervalle variable Elles sont d’autant plus fréquentes que la goutte est ancienne et l’uricémie élevée. Sous traitement bien conduit, l’évolution est favorable. En l’absence de traitement efficace, le risque est le passage à la goutte chronique qui regroupe trois syndromes : Arthropathie goutteuse Tophus Néphropathie goutteuse. Arthropathie goutteuse Arthropathie goutteuse - Synovites aigues persistantes, parfois symétriques épargnant classiquement hanches et épaules. - Les crises aigues inflammatoires sont peu à peu remplacées par un tableau d’arthropathie mécanique d’évolution chronique avec raideur articulaire et gêne fonctionnelle. - Elles résultent de dépôts d’urate intra osseux (dans les épiphyses) et siègent aux sites de prédilection de la goutte. Le tophus : - caractéristique de goutte chronique, - nodules indolores blanchâtre de taille variable - recouverts d’une peau amincie, et contenant une bouillie blanche crayeuse. - IPP, MCP, de l’olécrane, MTP, des tendons d’Achille et du cartilage de l’oreille. - peuvent êtres isolés ou réunis masse irrégulière bosselée, au début mou puis se durcissent , en cas d’ulcération il laisse échapper un contenu crayeux blanchâtre La néphropathie goutteuse : - dépôt d’urate dans la médullaire : hématurie, protéinurie, leucocyturie et acidose. - Elle est d’évolution lente vers l’insuffisance rénale chronique. Goutte atypique - Par leurs intensité : -Goutte pseudo-phlegmoneuse : présentation subaigüe fébrile: abcès :erreurs diagnostiques, -Formes atténuées signes inflammatoires locaux discrets -« Goutte asthénique »: crise torpide véritable « goutte asthénique » et trainante - Par leurs localisation : - rachis lombaire, cervical (épidurite) spondylodiscite infectieuse. - La hanche rare, évolution péjorative : destruction articulaire rapide. - Par leurs chronologie : - tophus avant la survenue de manifestations articulaire: décrite surtout chez la femme, - les femmes font plus de goutte poly articulaire IMAGERIE Radiographie standard : -Accès aigus: -Epaississement des parties molles ± -Goutte chronique: - pincement de l'interligne articulaire, - images géodiques épiphysaires à l’emportepièce - encoches en vue latérale + ostéolyse - ostéophytose marginale. - « pied hérissé » aspect caractéristique de l’arthropathie pied. - L’association d’une encoche distale et d’un tophus: très évocatrice. Tophus intra osseux: lésion très évocatrice localisation préférentielle :os tubulaires des mains et des pieds un aspect radiologique troué ou encoché « en hallebarde ». La déposition para articulaires des tophus: opacité nuageuse des tissus mous adjacents, d’entésopathies érosive et ossifiante. Échographie : - Diagnostic de l’accès goutteux, - Image en « double contour »: - Aspect: « tempête de neige »: - Image de « cône d'ombre » postérieur La tomodensitométrie osseuse : - peu étudié dans le diagnostic de goutte, IRM : - Pratiquée au cours d’un accès aigu - signes aspécifique d’inflammation articulaire aigue - aspect IRM des tophus est variable • Étiologies Goutte primitive idiopathique : - La plus fréquente (> 95% des cas). - terrain typique: l’homme pléthorique, bon vivant, de 30-60 ans avec antécédent familial et souvent une comorbidité (syndrome X dysmétabolique) - HTA, DNID, hyperlipidémie (hypertriglycéridémie ± hypercholestérolémie). Goutte de l’homme jeune : a) Enzymopathies : déficit partiel ou complet en HGPRT b) Néphropathie uratique familiale : l’hyperuricémie est secondaire à un défaut d’excrétion urinaire d’acide urique (hyperuricémie mais uraturie normale). Gouttes secondaires: - Les causes les plus fréquentes sont : - l'insuffisance rénale chronique - Iatrogènes : -traitements prolongés par les diurétiques , aspirine à faible doses, pyrazinamide, éthambutol, … - Il est impératif de ne pas laisser passer une hémopathie maligne ou un syndrome myéloprolifératif (faire NFS+++) Goutte et risque cardiovasculaire - L’association goutte et maladies cardiovasculaire est bien connue. - L’infarctus du myocarde est un facteur déclenchant classique de crise de goutte. - La goutte est un facteur indépendant du risque cardiovasculaire. Physiopathologie : - Réaction de défense de l’ organisme qui fait appel à l’immunité innée. - Activation directe des cellules phagocytaires de la membrane synoviale par le contact avec les cristaux - Orage cytokinique, IL1 +++ - cytokine pro inflammatoire clé de l’inflammation uratique , - Application thérapeutique par un antagoniste du récepteur de IL 1 ( Anakinra). Prise en charge La crise aigue : - Repos articulaire, vessie de glace. - Le traitement doit être institué le plus précocement possible. - Action des principaux traitements se fait par inhibition des PNN. - La colchicine : cp1mg - Elle est d’ autant plus efficace qu’elle est débutée en début de crise - doses décroissantes : 3 mg J1 en trois prises, 2 mg J2J3 puis 1 mg pendant 3 semaines. . - Les AINS sont aussi efficaces. - La corticothérapie est à éviter en raison du risque de corticodépendance rapide. - Des infiltrations cortisonées peuvent être envisagées en deuxième attention. - Immobilisation et glaçage : - Agent anti IL1( Anakinra) : - utiles chez des patients ayant une réponse insuffisante, - une contre indication ou une intolérance aux traitements usuels Anakinra : 100 mg 3/j en S/C Goutte chronique: - L’objectif à distance de la crise est de normaliser l’uricémie (<60 μml/l voire 50 si goutte tophacée) - Eliminer de l’organisme tout excès d’acide urique - Trois piliers : les mesures hygiéno-diététiques, la suppression d’un facteur de risque les hypouricemiant. Règles hygiéno-diététiques Modifications des habitudes alimentaires: - Interdire: alcools forts, bière avec ou sans alcool, sodas. - Limiter: aliments très riches en purines abats, gibiers, anchois, harengs, sardines, crustacés, les poissons gras et les crustacés, -Encourager: la prise de laitages maigres , le café, la vitamine C et les cerises. - Réduction: de la surcharge pondérale progressive par un régime hypocalorique et pauvre en glucides De façon systématique, chez tout goutteux, il faut rechercher un traitement hyperuricémiant et en particulier un diurétique ou de l’aspirine à petite dose, prescriptions fréquentes, et rediscuter de la légitimé de leur poursuite, voire de leur remplacement si possible. • Traitements hypouricémiants objectifs: maintenir l’uricémie de façon prolongée en dessous du point de saturation de l’urate de sodium. ce qui permet la dissolution des dépôts uratiques pathogènes et donc la guérison (60mg/l). en cas de goutte tophacée d’abaisser plus encore l’uricémie en dessous de 50mg/l. Quand introduire un traitement hypouricémiant ? - Initié puis maintenu à vie chez tous les patients ayant une goutte sévère - Tophus. - Atteinte rénale. - Arthropathie uratique. - La répétition des accès aigus est une indication à un traitement hypo-uricémiant Comment introduire un traitement hypouricémiant ? - L’abaissement de l’uricémie déstabilise les dépôts uratiques et augmente le risque de crise de goutte au début - traitement préventif de ces accès (colchicine) ou d’AINS est recommandé pendant 6 mois. - Il convient de ne jamais débuter le traitement hypo-uricémiant pendant une crise mais 2 à 4 semaines après traitement par colchicine, - commencer l’hypo-uricémiant à faible dose, puis d’augmenter sa posologie progressivement jusqu’à obtenir l’uricémie cible (60mg/l). Médicaments hypouricémiants - L'allopurinol-Zyloric (cp sécables à 100, 200 et 300 mg) : - diminue la synthèse d'acide urique par l’inhibition de la xanthine oxydase. - Débuter à 100 mg/j le matin après le repas. À adapter par paliers de 100 mg (max=600mg/j ) - Le début du traitement par allopurinol s’associera, pendant 1 mois à la colchicine, car la baisse de l’uricémie va s’accompagner d’une mobilisation du pool uratique et donc de nouvelles crises. - Ne pas l’introduire au décours immédiat d’une crise de goutte. -La benzbromarone-Desuric® - uricosurique - contre indiqué en cas d’antécédents de lithiase, d’hyperuraturie ou de néphropathie goutteuse. Peu utilisé (en cas de contre indication au Zyloric).1 cp à 100 mg/j. -Rasburicase- Fasturtec® : - Cette urate-oxydase recombinante - est réservée à la prévention des hyperuricémies majeures au cours des chimiothérapies des cancers, notamment des hémopathies malignes. -Le Fébuxostat : - Inhibiteur sélectif non purinique de la xanthine oxydase. - Peut être utilisé en cas d’insuffisance rénale modérée, - La dose quotidienne initialement recommandée de fébuxostat est de 80mg/j. Indications d’un traitement hypouricemiant : En cas d’échec du régime hypouricemiant, chez les patients présentant : -des accès goutteux aigus récidivants (›3/an) -une goutte tophacée ± rénale ± arthropatique -de lithiase urique. Débuter le traitement à distance de l’accès goutteux (3 semaines). toujours associé initialement à de la colchicine. Les hyperuricémies importantes asymptomatiques (>100mg/l) doivent être surveillées + mesures hygiéno-diététiques + contrôle de la fonction rénale et de l’uraturie.