Introduction à l'Europe médiévale V-XIIe siècle Isabelle ROSÉ Code cours : E2AF221 Document : CM LICENCE 1 - UEF 2 - SEM 2 Code UE : ET2F22/C 1 ISABELLE ROSÉ CONSEIL DE TRAVAIL POUR LES ÉTUDIANTS DU SUED Les cours au sued permettent aux étudiants qui les reçoivent une souplesse certaine du point de vue de l’organisation, mais nécessitent aussi un travail personnel et régulier. Ce document a pour but d’aider les étudiants à s’organiser, sans l’encadrement des TD. LES DIFFÉRENTS DOCUMENTS QUI FORMENT LE COURS AU SUED Il y a en tout deux supports papier, ainsi que l’accès à des powerpoints qui reprennent les séances. 1) Le principal volume est intitulé « Introduction à l’histoire de l’Occident médiéval (Ve-XIIe siècles) ». Il s’agit du cours magistral rédigé et c’est cela qui constitue la base indispensable du travail. Il faut absolument le maîtriser pour pouvoir ensuite faire les exercices requis. Tout le vocabulaire à connaître (mots techniques, personnes) est en gras et petites capitales : normalement, tous les termes techniques sont explicités dans le cours ; les personnes doivent faire l’objet de biographies complémentaires de votre part (la liste de ces personnes à connaître se trouve dans le fascicule de TD). Les dates à retenir sont également en gras. Le cours se suffit à lui-même (d’autant que la période a fait l’objet de mises à jour importantes en termes historiographiques). 2) Le deuxième volume est le fascicule des TD, qui suit l’organisation du cours magistral : il sert donc à la fois à illustrer le CM et à faire des exercices éventuels. Il commence par une bibliographie : il ne faut la lire que ponctuellement, dans trois perspectives : Éclaircir des points du cours demeurés obscurs (sur ce plan, se reporter seulement aux « Manuels de base » ; Approfondir certaines thématiques pour préparer les exercices proposés (ici, se reporter à la section « Histoire thématique ») : attention, les textes ne peuvent pas être traités – dans la plupart des cas – sans bibliographie complémentaire ; Trouver la définition claire de certains éléments ponctuels (et donc recourir aux instruments de travail). Une deuxième section de ce fascicule de TD consiste en une explication de la méthode du commentaire de document. C’est en effet là-dessus seulement que portent les exercices du semestre 2 (comme ceux du semestre 1 devaient théoriquement porter sur la dissertation). Le 2 commentaire de document est un exercice difficile, rendu complexe en médiévale par deux souscatégories dont la méthode est donnée ensuite : le commentaire iconographique et le commentaire de document diplomatique. A aussi a été ajoutée une partie sur les différents types de sources médiévales (qu’il faut bien connaître pour pouvoir faire une introduction). Le but, à la fin du semestre, est d’arriver à maîtriser ces éléments de méthode, ce qui suppose des entraînements pour les mettre en œuvre. L’idéal est de s’entraîner, pour chaque séance, sur l’un des textes, en élaborant une introduction et ensuite un plan détaillé (construit à partir des différents éléments de la lecture linéaire) : c’est ce travail régulier qui permet, à terme, de faire de bons commentaires. Une troisième partie consiste en plusieurs instruments de travail, généalogies des principales familles régnantes et cartes. Il y a également quelques éléments iconographiques pour illustrer le cours. La dernière partie, la plus volumineuse, est une série de textes (quatre par séance) qui viennent doubler les cours magistraux. Comment les appréhender ? Au minimum, il faut les lire en parallèle avec le cours magistral, afin d’avoir une idée de la manière dont les sources médiévales sont écrites. L’idéal (mais qui est bien difficile à mettre en œuvre dans le cadre du sued) est de choisir un document par séance et d’en faire l’introduction et le plan détaillé. 3) Des powerpoints, disponible uniquement en ligne, viennent apporter quelques illustrations complémentaires : ils contiennent le plan du cours (mais parfois un peu modifié attention : c’est votre version papier qui est la bonne) ; le vocabulaire qu’il faut retenir ; des schémas (repris dans le cours magistral pour la plupart), des cartes, des images. Ils servent donc surtout de compléments et d’illustration (vous pouvez très bien vous en passer). LES EXERCICES ET DEVOIRS : 1) Les exercices, à rendre en ligne via la plateforme cursus, sont proposés dans le fascicule de TD. Il n’y aura qu’une correction individuelle, vous pouvez me les rendre selon votre propre rythme. Vous les choisissez dans le fascicule de TD, en prenant par exemple un texte dont vous proposez le plan. Voici les exercices que vous pouvez faire et me rendre en ligne : a. Rédiger une introduction. b. Rédiger une conclusion c. Rendre un plan détaillé d. Rendre une lecture linéaire 3 e. Rendre un paragraphe rédigé (mais cela suppose d’avoir fait la lecture linéaire et le plan). 2) Les devoirs, qu’il faut cette fois rédiger entièrement comme le jour de l’examen et rendre en ligne, recevront une correction individuelle et une correction type proposée à tous et mise en ligne après le dernier stage. Les devoirs doivent être rendus au plus tard deux semaines avant le dernier stage. La correction sera disponible après le stage. Voici les textes que vous pouvez traiter en devoir (sans bibliographie supplémentaire) : a. La conversion de Clovis selon Grégoire de Tours (p. 35) b. La réforme sous Léon IX (p. 58). LES STAGES : 1) Lors du premier stage, je présente de façon générale le cours et je travaillerai sur la méthode du commentaire de documents, à partir d’un exemple du fascicule de TD. Il faudrait au moins avoir lu les quatre premiers cours pour tirer les bénéfices de cette séance. 2) Le second stage sert à la correction de l’un des textes proposés en devoir. LES EXAMENS : Vous passez un écrit de 3 heures qui consiste nécessairement en un commentaire de texte qu’il faut rédiger entièrement. Ce sera la quantité de travail fourni qui fera la vraie différence, notamment dans l’entraînement méthodologique au commentaire de texte. N’hésitez pas à me poser des questions sur le cours ou la méthode : un forum est ouvert sur la plateforme cursus pour cela. Je vous souhaite une bonne année universitaire. Isabelle Rosé Introduction à l’histoire du Moyen Âge occidental (Ve-XIIe siècle) « Clerc, chevalier et laboureur » (Aldobrandino da Siena, Li Livres dou Santé, vers 1285 ; British Library, manuscrit Sloane 2435 f. 85) 1 Chapitre I. INTRODUCTION Comme le montrent Les Visiteurs, mais aussi beaucoup d’autres films, l’image du Moyen Âge est souvent peu flatteuse au cinéma : les gens sont sales, laids, ont les dents pourries, parlent bizarrement et se comportent comme des animaux pour les plus humbles. C’est ce type de film qui continue de faire du Moyen Âge un repoussoir, tandis que d’autres canaux culturels, notamment les livres et adaptation d’Heroic Fantasy en font un monde fantasmé où les chevaliers côtoyaient fées, elfes et dragons. Afin de présenter le cours, je procèderai en trois temps. Je définirai d’abord la période d’étude (I). Je reviendrai ensuite sur ses caractéristiques générales (II). Enfin, j’évoquerai la problématique et les enjeux du cours (III). I. DÉFINITION DE LA PÉRIODE D’ÉTUDE A. Les bornes chronologiques Le Moyen Âge correspond, selon des critères conventionnels, à la période qui s’étend du Ve au XVe siècle, entre deux dates symboliques. En amont, on retient la date de 476. Il s’agit de la date à laquelle le chef barbare ODOACRE écrase les troupes romaines non loin de la ville de Rome. Après cette bataille, Odoacre dépose le dernier empereur romain d’Occident, ROMULUS AUGUSTULE. En dépit de cette déposition, L’Empire romain subsiste partiellement, puisqu’il avait été divisé au IVe siècle (395) en deux espaces : l’Empire romain d’Orient (dont la capitale est Constantinople) et l’Empire romain d’Occident (dont la capitale est Rome). À partir de 476, seul l’Empire romain d’Orient persiste. En aval, on retient généralement la date de 1453, date de la chute de l’Empire romain d’Orient, à la suite de la prise de Constantinople par les Turcs. Certains retiennent parfois la date de 1492, qui coïncide à la fois avec la découverte du continent américain et la conquête de l’émirat arabo-musulman de Grenade par la royauté espagnole. Pour résumer, on peut dire que le Moyen Âge correspond à une période extrêmement longue, mille ans, située entre deux morts successives de l’Empire romain. La période médiévale a été divisée, de manière conventionnelle, en trois grandes périodes. Du Ve au IXe siècle : on parle de « HAUT MOYEN ÂGE ». Du Xe au XIIIe siècle, on évoque le « MOYEN ÂGE TARDIF CENTRAL » ou « CLASSIQUE ». Du XIVe au XVe, on parle de « MOYEN ÂGE » ou de « BAS MOYEN ÂGE ». Le cours ne portera que sur les deux premières phases. 2 B. D’où vient le nom de Moyen Âge ? Le terme de « Moyen Âge » a été inventé aux XIVe-XVIe siècles en Italie, par des humanistes. À ce moment-là, les humanistes italiens redécouvrent en effet la culture classique et rejettent les siècles qui les précèdent où elle avait été plus ou moins oubliée, en mettant en avant la référence de l’Antiquité romaine. Pour parler de la période qui se situe entre le modèle antique et eux-mêmes, les humanistes adoptent alors l’expression de MEDIUM AEVUM, « âge moyen » ou « période moyenne », ce « moyen » (medium) ayant le double sens d’« intermédiaire » et de « médiocre ». L’expression est ensuite reprise par plusieurs groupes sociaux ou courants littéraires, toujours dans le sens d’une dévalorisation. Par exemple, dès le XVI e siècle, certains protestants reprennent l’expression pour dénigrer la période antérieure, car il s’agissait pour eux du temps de la domination absolue de l’Église catholique. De même, les philosophes des Lumières emploient l’expression pour stigmatiser une époque où le critère de la « raison » était laissé de côté par « l’obscurantisme religieux ». En revanche, à partir du XIXe siècle, le terme relève de la simple classification pour désigner la période qui se trouve entre l’époque antique et l’époque moderne. Malgré tout, certains lieux communs demeurent sur le Moyen Âge. On emploie ainsi encore l’adjectif, extrêmement péjoratif, « MOYENÂGEUX » pour désigner quelque chose de rétrograde ou de barbare (l’adjectif neutre étant « MÉDIÉVAL »). Pour parler de la spécialité scientifique, on parle de « MÉDIÉVISTE ». II. CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DE LA PÉRIODE D’ÉTUDE Le cours portera sur le Moyen Âge occidental qui se distingue par trois traits de l’Orient. Tout d’abord, il s’agit de régions qui pratiquent le christianisme romain et qui dépendent donc de l’autorité du pape qui se trouve à Rome. Toutes ces régions ont ensuite une langue commune : le latin (contre le grec en orient). Il s’agit enfin de régions où l’Empire romain a disparu, laissant un vide qui favorise l’émergence de nouvelles entités politiques : les royaumes. Du point de vue de la documentation conservée, le Moyen Âge a également une certaine cohérence. Il s’agit d’abord, globalement, de la période des « documents rares », au moins jusqu’au XIIIe siècle. Écrire était en effet une activité difficile, complexe et onéreuse qui nécessitait des structures pour préparer les supports (le parchemin qu’on obtenait en traitant une peau de mouton de manière très technique) et les instruments d’écriture (encre à 3 confectionner, stylets ou plumes à préparer). Les sources sont presque exclusivement écrites par des gens d’Église, que l’on appelle de manière générique les CLERCS (et pas « le clergé », qui est anachronique), qui détiennent un monopole de l’écrit, au moins jusqu’au XIIe siècle. Cela signifie que les sources sont imprégnées de culture, de références religieuses, mais aussi d’un point de vue qui est celui de l’institution ecclésiale (même si cette dernière est diverse). Les sources dont on dispose sont écrites soit par des gens de pouvoir (puisque les clercs se recrutaient socialement dans la noblesse à cette époque), soit par des alliés du pouvoir. Par conséquent, il existe très peu de sources sur la vie quotidienne : la seule manière de l’appréhender est l’archéologie, même si cette dernière a tendance aussi à se focaliser sur l’étude des couches sociales privilégiées (puisque ces dernières se faisaient inhumer dans des tombes plus pérennes, en pierre, et utilisaient moins de matériaux et d’instruments en bois). III. PROBLÉMATIQUE ET ENJEU DU COURS Malgré l’image que l’on a encore du Moyen Âge comme société anarchique et violente, le but de ce cours est de restituer la cohérence de la période, qui fonctionne selon des normes très différentes des nôtres. Au moment où s’ouvre la période médiévale, l’enjeu majeur réside dans la présence de trois forces, dont la coexistence explique l’originalité de la société du Moyen Âge, notamment en termes de culture et de conception du pouvoir. La première de ces forces est Rome, qui reste présente comme idéal, même après la chute de l’Empire, pendant tout le Moyen Âge. La force du modèle romain repose en particulier sur deux notions : tout d’abord la RES PUBLICA, c’est-à-dire l’idée d’un État public qui est indépendant des individus, ce qui signifie que le pouvoir ne se confond pas avec la personne qui le détient ; ensuite, les concepts de droit et de lois qui permettent le fonctionnement de cette Res publica. La deuxième force est celle des GERMAINS/BARBARES, très différents des Romains dans leurs structures sociales et leur culture. Ces peuples peuvent se caractériser avant tout comme ayant une « culture de la guerre », de divers points de vue. La guerre a ainsi des conséquences sur l’organisation sociale et sur la parenté, puisque, par exemple, les armées sont formées d’escadrons de parents. La guerre est considérée comme l’affaire de tous (hommes, femmes et enfants) et elle fédère une conscience de groupe. Enfin, le combat structure la vie, à l’échelle individuelle, puisque l’initiation aux armes a lieu dès 5-6 ans et les hommes se font enterrer avec leurs armes. Sur le plan de l’organisation sociale, et contrairement au Romains sédentarisés, ces peuples sont 4 SEMI-NOMADES et s’organisent en TRIBUS. On peut souligner d’ailleurs que leur sédentarisation découle de la guerre, dans la mesure où ils s’implantent dans des régions où ils exercent le combat. Enfin, du point de vue des structures politiques, ces peuples privilégient la ROYAUTÉ, c’est-à-dire que chaque tribu est dirigée par un roi issu de la noblesse. Ce dernier est élu en vertu de ses capacités militaires, puisqu’on choisit généralement le plus guerrier. À côté de la royauté, des prêtres exerçaient aussi un pouvoir important. La dernière force est L’ÉGLISE dont l’apport majeur consiste en une réflexion sur le pouvoir. Pour elle, tout pouvoir vient de Dieu et il est donc légitime. Plus exactement, le pouvoir selon les clercs, a en fait une double nature : d’une part, l’AUCTORITAS, qui est un pouvoir de nature religieuse et qui est donc d’essence supérieure ; d’autre part, la POTESTAS, qui est le pouvoir exercé par des laïcs et qui est par essence subordonné aux clercs. Ces trois cultures fusionnent au cours du Ve siècle pour donner naissance à une société originale : la société médiévale. 5 Chapitre II. DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE AU MOYEN ÂGE L’ « Antiquité tardive » est le nom donné depuis une cinquantaine d’années à la période des IVe-Ve siècles, qu’on appelait autrefois le « Bas-Empire » et qui se situe à l’extrême fin de l’Antiquité. Il s’agit de la période qui fait la transition entre l’Empire romain et la royauté barbare, dont on peut retenir deux traits, qui formeront les axes de ce chapitre : d’une part, la christianisation de l’Empire romain (I) ; d’autre part le phénomène des « invasions » ou mouvements de population (II). I. LA CHRISTIANISATION DE L’EMPIRE ROMAIN A. Le christianisme et l’institution ecclésiale au IVe siècle Le christianisme est une religion orientale, née des prédications d’un Juif nommé JÉSUS, au début du premier millénaire. Peu à peu cette religion se structure, autour de plusieurs traits originaux. Le christianisme est fondé sur un texte, la BIBLE (composée de deux parties pour les Chrétiens, l’Ancien et Nouveau Testament), ce qui en fait une « religion du livre ». Par ailleurs, cette religion est pourvue d’une DOCTRINE, c’est-à-dire d’une liste de choses à croire qui font l’objet de définitions successives. Le christianisme produit en outre un personnel spécifique, les CLERCS, qui, en tant que spécialistes des rites, ont un accès direct au sacré. Ils se distinguent ainsi du reste des hommes, que l’on appelle les LAÏCS. Enfin, certains rites chrétiens sont particulièrement valorisés car il s’agit de moments où le fidèle est en contact privilégié avec Dieu : ils sont alors qualifiés de SACREMENTS et consistent pour le fidèles en une réception de la grâce divine. Il convient d’ajouter que le christianisme véhicule la notion D’ « ÉGLISE » (ECCLESIA), qui signifie « assemblée ». Ce terme a trois sens au Moyen Âge, qu’il faut bien distinguer. L’église (avec une minuscule) a un sens très concret et désigne un bâtiment ecclésiastique. Par ailleurs, l’Église (avec une majuscule) est le terme utilisé pour qualifier l’ensemble des chrétiens, c’est-à-dire tous les adeptes du message du Christ, quelles que soient leur fonction ou leur position sociale. Enfin, dans un sens plus courant, l’Église (toujours avec une majuscule) désigne l’institution ecclésiale, c’est-à-dire les professionnels du sacré. L’institution ecclésiale est ainsi composée de c’est-à-dire qu’ils ont reçu une ORDINATION, CLERCS, hommes qui ont été ORDONNÉS, sacrement qui a en quelque sorte changé leur nature et qui leur permet eux-mêmes ensuite d’accéder directement au sacré et de délivrer des sacrements, notamment aux laïcs. Ils apparaissent donc à la fois comme des intermédiaires 6 entre Dieu et les laïcs pour permettre à ces derniers d’accéder au sacré, et comme des personnes les encadrant. Les clercs constituent une institution fortement hiérarchisée, en sept DEGRÉS ou ORDRES (majeurs et mineurs) qui exercent des fonctions précises dans l’Église. Ces fonctions sont toujours pensées de la même manière : chacune d’elle exerce son autorité, à partir d’un centre (qui est parfois un bâtiment ecclésiastique spécifique), sur un espace qui finit par devenir une sorte de circonscription et où sont parfois organisées des assemblées décisionnelles. Ces fonctions se diversifient et se hiérarchisent peu à peu. Au début du christianisme, on ne compte que deux fonctions de clercs, qui sont assignées au célibat et que l’on appelle les « ordres majeurs ». La fonction de base est celle du PRÊTRE dont l’activité principale est la distribution de sacrements dans le cadre d’une église particulière, puis (à partir du VIIIe siècle) sur un groupe d’hommes puis un territoire (au XI e siècle) qui dépend de cette église et que l’on appelle une PAROISSE. L’ÉVÊQUE se situe à un niveau supérieur, puisqu’il doit ordonner les prêtres ; il réside dans un ÉVÊCHÉ (c’est-à-dire une cité épiscopale où se situe son église particulière : la DIOCÈSE, CATHÉDRALE) et s’occupe d’un territoire appelé le où il organise des SYNODES. Peu à peu, au cours du Moyen Âge, se développent aussi certaines fonctions vers le bas de la hiérarchie des ordres majeurs. On voit notamment se multiplier les DIACRES, qui sont des auxiliaires des prêtres et qui ne sont pas assignés au célibat. Au cours du haut Moyen Âge, un degré supplémentaire se renforce : l’ARCHEVÊQUE/MÉTROPOLITAIN, qui est le supérieur de plusieurs évêques. Il réside dans son ARCHEVÊCHÉ/MÉTROPOLE et régit une PROVINCE ECCLÉSIASTIQUE regroupement de plusieurs diocèses), où il organise des (c’est-à-dire un CONCILES PROVINCIAUX. siècle, l’idée finit par s’imposer que l’évêque de Rome, le PAPE, Au XIe a une supériorité sur les autres évêques et exerce une sorte de monarchie, à l’échelle de l’ensemble des chrétiens (la CHRÉTIENTÉ), où il organise des CONCILES ŒCUMÉNIQUES. Auparavant, l’idée dominante est plutôt celle d’une direction collégiale de l’Église par tous les évêques et archevêques. 7 Figure 1 : La hiérarchie ecclésiastique Source : Isabelle Rosé. B. Le processus de christianisation de l’Empire romain Au IV siècle, l’Empire atteint son extension maximale et regroupe des peuples divers. On e recherche alors un dénominateur commun aux peuples qui le forment. Le christianisme constitue ce ciment permettant l’unification de l’Empire, car il s’agit d’une religion universaliste, destinée à être imposée à tous par la conversion. On assiste ainsi à une alliance politico-religieuse de ces deux universalismes qui se juxtaposent et se renforcent l’un l’autre : l’Empire est légitimé par le christianisme, tandis que l’empereur se pose en défenseur de l’Église. Le christianisme est donc imposé, en deux temps. Une première étape est la conversion de l’empereur romain CONSTANTIN, au début du IVe siècle. Plus exactement, à la suite de cette conversion, l’ÉDIT DE MILAN autorise, en 313, la pratique du christianisme dans l’Empire. Le christianisme passe ainsi du statut de religion interdite et persécutée à celui de religion tolérée. La deuxième étape se situe en 380, lorsque l’empereur THÉODOSE fait du christianisme une religion d’État. Il est alors imposé à tous les citoyens de l’Empire et devient donc sa religion officielle. À partir de ce moment, les chrétiens s’adaptent aux structures impériales. L’Église est divisée en DIOCÈSES qui se calquent sur les divisions impériales. En effet, un évêque se trouve dans chaque cité romaine (circonscription de base de l’Empire pour le pouvoir civil). 8 De la même manière, les provinces ecclésiastiques se superposent sur les provinces romaines. On a donc la mise en place d’une bureaucratie ecclésiastique hiérarchisée. En Occident, cette superposition explique la diffusion du christianisme, qui suit l’implantation de la romanité (plus claire au Sud qu’au Nord). Malgré tout, le christianisme se diffuse plus rapidement en Orient. C’est là en particulier que la doctrine chrétienne s’élabore, dans le cadre de CONCILES : il s’agit d’assemblées de clercs qui prennent des décisions en matière de foi ou de normes. Sur ce plan, on peut retenir en particulier le CONCILE DE NICÉE (325), important car il définit les croyances essentielles, exigées de tous les chrétiens, par la rédaction du CREDO. Ce texte affirme notamment la croyance en un Dieu unique qui se manifeste en trois personnes distinctes (Père, Fils, saint Esprit) qu’on appelle la TRINITÉ. L’Occident, au cours de cette période, ne participe pas à la doctrine. II. « INVASIONS », « MIGRATIONS » ET MOUVEMENTS DE POPULATION Les historiens du XIXe siècle ont construit l’idée que l’Empire romain d’Occident avait été envahi par des Barbares, puis on a pensé que ces Barbares avaient plutôt effectué des « migrations ». Les chercheurs actuels présentent un tableau bien différent de la présence barbare au sein de l’Empire romain dans l’Antiquité tardive. A. Quels peuples ? e À partir du II siècle, on sait par des sources impériales que certains peuples commencent à poser des problèmes aux frontières romaines, notamment en se livrant à des pillages. Pour désigner ces peuples, les Romains utilisent trois termes latins. BARBARI (barbares) renvoie à la notion gréco-romaine de « barbarité », par opposition à la « romanité », synonyme de civilisation. À partir du IIIe siècle, le terme désigne les peuples qui sont hors des frontières de l’Empire, au-delà du Limes. Les Romains emploient aussi GENTES, qui signifie « peuples » (/ « nations »). Le terme est aussi associé à la notion de « barbarité » et sous-tend une organisation fondée sur des caractères familiaux et non sur la loi, comme les Romains (les Romains, en effet, se pensent comme « populus », que l’on traduit aussi par « peuple », mais qui repose sur l’idée d’une organisation fondée sur le droit écrit). Enfin, le terme GERMANI (« Germains ») a plutôt une dimension ethnique et a été beaucoup employé à la fin du XIXe siècle, pour désigner en quelque sorte les « ancêtres des Allemands », dans un contexte de construction des nationalismes de part et d’autre du Rhin. Quoi qu’il en soit, le 9 mot est problématique car il est hérité de l’époque romaine classique et crée donc une continuité factice entre les Germains du I er siècle et ceux qui sont désignées comme tels au Ve siècle. Les historiens actuels emploient donc le terme de « Barbares », dépourvu de son sens péjoratif, et préfèrent ne pas parler de « Germains », anachronique. Qui sont ces peuples barbares ? Il ne s’agit pas de groupes homogènes sur le plan biologique et culturel : contrairement à ce que pensaient les historiens du XIX e siècle, il n’existe pas de Francs ou de Goths « purs », qui n’auraient jamais été en contact avec d’autres peuples. Ces peuples résultent en fait de brassages de population très lents, par agglomérat, au fil de leurs migrations : on appelle ce processus l’ETHNOGENÈSE. L’identité de ces peuples et les noms qu’on leur donne (Huns, Francs, Goths, etc) ne découle donc pas de l’appartenance à des groupes ethniques, mais résulte d’une construction identitaire, liée à la mise en place des nouvelles entités politiques que sont les royaumes barbares, à partir du VIe siècle. Les dirigeants de ces royaumes ont donné rétrospectivement à ces peuples le nom des entités politiques qu’ils gouvernaient (les rois francs ont appelé les peuples dont étaient issus leurs chefs « les Francs » ; les rois wisigoths ont appelé les peuples dont étaient issus leurs chefs les « Wisigoths », etc, etc). En gros, ces peuples barbares sont divisés par les historiens en deux groupes. Les « peuples du Rhin », qui se trouvaient au départ de l’autre côté du Rhin. Vers 406, les SUÈVES et les VANDALES s’installent ainsi en Péninsule ibérique, puis les seconds fondent un royaume en Afrique du Nord. Les FRANCS, plus nombreux, s’installent peu à peu en Gaule du Nord (Nord de la France, Hollande, Belgique). Les « peuples du Danube » se trouvaient au-delà du Danube (Ostrogoths, Wisigoths). Ils arrivent dans l’Empire vers 365 et s’installent en Turquie actuelle et en Macédoine. Ils sont alors repoussés par l’Empire romain d’Orient vers l’Occident. Certains se dirigent dans la péninsule italique (en 410, Alaric pille Rome) et s’y établissent (Ostrogoths), puis les troupes sont repoussées vers le Sud/Ouest et l’Espagne et fondent à terme le royaume des Wisigoths. 10 Figure 2 : Peuples du Rhin et Peuples du Danube Source : Isabelle Rosé, d’après http://vousvoyezletopo.blog.lemonde.fr/tag/invasions-barbares/ (consulté le 12/11/2013) B. Causes et conséquences des mouvements de population Les causes de ces mouvements de population sont complexes. Le plus probable est l’attraction des richesses de l’Empire romain. C’est ce qui explique les pillages par des armées errantes, notamment sur le Limes. À partir de la fin du IVe siècle, il y a en outre la poussée de peuples asiatiques fédérés par les Huns vers l’Ouest, qui chasse d’autres tribus. En fait, ces déplacements étaient peu violents et circonscrits. Il ne concernait que 4% de la population, notamment des guerriers. Peu à peu, l’ambition principale des Barbares est donc de s’insérer dans le système romain. De fait, cette insertion des Barbares a été bien reçue par Rome, et s’est déroulée en trois phases. Dans un premier temps (à partir du III e siècle), Rome utilise ponctuellement des troupes barbares, en les enrôlant dans l’armée contre d’autres troupes barbares. Par conséquent ces Barbares, qui se trouvent près du Limes, se romanisent (ils doivent parler latin un minimum pour comprendre les ordres et finissent par épouser des femmes de l’Empire). À partir IVe siècle, l’installation de troupes barbares dans l’Empire fait l’objet de tractations avec Rome, de différentes manières. Certains Barbares sont installés par Rome dans des COLONIES, c’est-à-dire qu’on leur donne des terres à cultiver. Plus fréquemment, des chefs barbares concluent un pacte (FOEDUS) avec les autorités romaines : ces chefs obtiennent alors un statut de ROIS FÉDÉRÉS et assurent la défense de l’Empire, en se mettant à son service. En 11 échange, ils obtiennent de Rome des droits (terres, une part des impôts, etc). Il en résulte qu’au IVe siècle, le haut commandement militaire de l’Empire romain est majoritairement composé de généraux barbares. Au cours du Ve siècle, certains Barbares sont installés dans des royaumes, au sein de l’Empire. C’est le cas des Burgondes, installés en SAPAUDIA en 443. Figure 3 : La Sapaudia Source : http://www.museemilitairelyon.com/spip.php?article146 (consulté le 12 novembre 2013) III. CONCLUSION : L’ACCULTURATION RÉCIPROQUE Au total, l’Antiquité tardive correspond à une « transformation du monde romain », auquel les Barbares participent, car ils en faisaient intimement partie. On note d’ailleurs un phénomène d’acculturation réciproque : la romanisation des Barbares s’accompagne d’une « barbarisation » des Romains. Les Barbares qui prennent le pouvoir dans les royaumes après la chute de Rome perpétuent d’ailleurs plusieurs traits de la culture romaine. Ainsi, dans l’Italie des Ostrogoths, le roi THÉODORIC († 526) se fait représenter sur ses monnaies comme un général romain casqué. La marque la plus importante de cette acculturation se manifeste dans la mise par écrit du droit barbare. Les « LOIS BARBARES » sont vraisemblablement des coutumes orales, mises par écrit sous l’influence du droit romain. Le premier code de loi barbare est wisigothique et date 12 du règne d’EURIC (466-484), mais le plus célèbre est un peu plus tardif : il s’agit du BRÉVIAIRE D’ALARIC (en 506). 13 Chapitre III. LES ROYAUMES « BARBARES ». ÉTUDE DU CAS MÉROVINGIEN (FIN DU VE-MILIEU DU VIIIE SIÈCLE) Trois types de royaumes barbares se développent au cours des Ve-VIe siècles. Les ROYAUMES « ROMANO-GERMANIQUES », plutôt au sud, qui correspondent aux anciens royaumes fédérés, nés d’un accord avec les Romains. Il s’agit du royaume des Wisigoths, qui se replie au VIe siècle sur la péninsule ibérique, du royaume éphémère des Ostrogoths (péninsule italique) et du royaume des Burgondes (Bourgogne + Provence). Un royaume résulte de la conquête : celui de Clovis, en Gaule. Enfin, un royaume est issu de l’arrivée d’un nouveau peuple : celui des Lombards, après 560, du Nord de l’Italie jusqu’à Rome. Le cours sera centré sur le royaume mérovingien, avec quelques points de comparaison avec les autres royaumes. On s’intéressera d’abord à la conquête franque et à ses conséquences (I). On évoquera ensuite les ressorts de la royauté mérovingienne (II). I. LA CONQUÊTE FRANQUE ET SES CONSÉQUENCES A. Origines des Francs Pendant longtemps, les historiens ont accordé foi aux textes sur les origines des Francs. Selon ces sources, ce peuple serait venu de Scandinavie, voire de la ville de Troie, et se serait installé en Germanie vers le Ier siècle. Il s’agit toutefois clairement de récits mythiques, écrits au VIe siècle à la demande de la royauté mérovingienne, pour légitimer ses origines. Les Francs constituaient en réalité plusieurs tribus, issues de peuples différents, dont le statut a évolué. Au cours du IIIe siècle, ces tribus se sont fédérées et sont désignées comme les « FRANCS », terme qui aurait une double étymologie en langue germanique (« hardi » et « libre »). À la fin du IIIe siècle, ces Francs sont battus par les Romains qui les intègrent dans l’Empire pour les neutraliser. Ils reçoivent des terres et deviennent donc des paysansguerriers. Ils doivent également défendre l’Empire. Au Ve siècle, ces Francs ont un statut de « fédérés ». On distingue deux groupes principaux de Francs. Tout d’abord, les FRANCS « SALIENS », qui étaient divisés en plusieurs tribus. Leur domination s’étendait de la Somme aux Pays-Bas. Les FRANCS « RHÉNANS » (ou Francs « RIPUAIRES ») étaient unifiés et s’organisaient autour de Cologne. 14 Figure 4 : Les principaux groupes de Francs D’après http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_Francs_entre_400_et_440.svg (consulté le 12 novembre). B. L’émergence de la famille mérovingienne et l’extension du royaume Si l’on excepte les ancêtres mythiques CLODION et MÉROVÉE, le premier représentant attesté de la famille mérovingienne est CHILDÉRIC († VERS 481), un franc salien, au service de Rome. Il est connu par sa tombe, trouvée par hasard à Tournai au XVII e siècle. Il a été inhumé avec ses armes, notamment son épée, des guerriers autour de lui et une fosse pleine de chevaux. Il était revêtu de la CHLAMYDE pourpre, le manteau des généraux romains. On l’a identifié grâce à son anneau sigillaire, avec son nom en latin : REX CHILDERICUS (« le roi Childéric »). Il y est représenté avec des cheveux longs et tressés. Ces différents traits montrent qu’il était à la fois barbare et romain. Childéric n’exerçait pas un pouvoir territorial : il avait la charge de certaines cités qu’il protégeait, au nom de Rome. 15 Figure 5 : Empreinte de l’anneau sigillaire de Childéric Source : http://mythique-histoire.jimdo.com/histoire-des-rois-childéric-ier-436-26-déc-481-mort-à-45-ans-règne-457-481/ (consulté le 12 novembre 2013) En 481, c’est son fils CLOVIS qui prend sa suite et règne jusqu’en 511. Au départ, son pouvoir est centré sur la région de Tournai, mais il s’étend rapidement, sans que la chronologie ne soit sûre (car elle est fondée sur Grégoire de Tours 1), en cinq étapes. À des dates diverses, Clovis unifie les tribus franques, jusqu’alors divisées (en jaune). Il conquiert probablement en 486 les espaces dominés par un chef de l’armée romaine, nommé SYAGRIUS, entre Somme et Loire (en rose). Après avoir épousé une princesse burgonde, CLOTHILDE, vers 497, Clovis intervient dans le royaume des Burgondes vers 500, sans véritable conquête (en mauve). Il mène plusieurs campagnes contre les ALAMANS entre 496 et 507, tue leur roi et annexe une partie de leurs territoires (l’actuelle Alsace-Lorraine) – en vert. Il finit par conquérir une partie du royaume wisigoth, de la Loire jusqu’à la péninsule ibérique (en 507-508), en orange sur la carte. Cette conquête est concrétisée par la bataille de VOUILLÉ où est tué le roi Alaric II. Au total, cette domination nouvelle aurait été reconnue en 508 par l’Empire romain d’Orient, qui aurait attribué à Clovis le titre de consul. 1 Grégoire de Tours (538-594) pose problème, en tant que source, pour plusieurs raisons. Même s’il s’agit de la source principale sur les Mérovingiens, il écrit près d’un siècle après le règne de Clovis, une distance chronologique importante. Par ailleurs, le prisme de la réflexion de Grégoire est idéologique : il souhaite montrer la grandeur de la dynastie mérovingienne lorsque cette dernière suit les prescriptions chrétiennes. Enfin, dans le cas plus précis du règne de Clovis, le problème est que la chronologie restituée par Grégoire place toutes les extensions territoriales après le baptême du roi, afin de démontrer que sa conversion lui apporte systématiquement la victoire (cf. plus loin). 16 Figure 6 : Les conquêtes de Clovis C. La question religieuse a) Les Barbares et le christianisme Lorsque Clovis prend le pouvoir en 481, il constitue une exception en termes religieux. Les Francs sont PAÏENS, c’est-à-dire qu’ils adorent des dieux germaniques. Les autres royaumes barbares (Wisigoths, Ostrogoths et Burgondes) étaient chrétiens, plus exactement adeptes d’une déviance chrétienne, l’HOMÉISME : ils étaient donc HOMÉENS. Malgré tout, les sources de la période décrivent souvent ces peuples comme ARIENS. Il faut revenir sur les différences entre ces déviances chrétiennes. L’ARIANISME est un courant oriental du christianisme qui provient des réflexions d’un prêtre d’Alexandrie, ARIUS, actif vers 320. Les Ariens ont une interprétation de la Trinité où le fils et le saint Esprit sont subordonnés au Père. Cette interprétation de la Trinité est condamnée en 325 au concile de Nicée comme HÉRÉTIQUE, différente, reconnue comme c’est-à-dire comme fausse et déviante, par une définition ORTHODOXE (ce qui signifie « doctrine juste »). Selon cette définition établie à Nicée, les trois personnes de la Trinité ont une même nature et sont donc égales entre elles. Les décisions de Nicée sont acceptées par les évêques occidentaux. 17 Dans les années 330-380, les empereurs romains cherchent un compromis plus proche de l’arianisme (dans le but de rallier le maximum de personnes). Ce compromis est la doctrine homéenne, désormais considérée comme seule orthodoxe et elle mêle des éléments du concile de Nicée et de l’arianisme. Alliés des Romains dans les années 360-380, les Goths et les Burgondes se convertissent au christianisme, mais dans sa version homéenne, qui était à l’époque la seule acceptée. En 381, l’empereur THÉODOSE considère à nouveau les dogmes de Nicée comme orthodoxes et rejette donc comme hérésie la doctrine homéenne. Les dogmes de Nicée sont désormais désignés comme « CATHOLIQUES » (c’est-à-dire universels). Le fait que les sources considèrent les Barbares comme des « ariens », et non comme des homéens, s’explique alors par des stratégies de délégitimation, puisque l’arianisme était une hérésie depuis plus longtemps. b) La conversion de Clovis La conversion de Clovis résulte, au moins partiellement, d’un calcul politique. Clovis avait en effet besoin d’appuis contre les royaumes homéens, notamment du soutien intellectuel (pour l’écrit) et logistique (en terres) que détenaient les évêques gallo-romains, catholiques. Pour les évêques, inversement, Clovis constituait une chance d’implantation du catholicisme. Les contacts furent noués tôt avec les évêques, puisque REMI DE REIMS fit partie rapidement de l’entourage du roi mérovingien. Les sources soulignent également le rôle de l’épouse burgonde de Clovis, CLOTILDE, catholique, qui avait fait baptiser leurs enfants. On ignore la date exacte du baptême de Clovis, qui eut lieu à noël, à Reims, entre 496 et 508. La décision de la conversion est située en 496 par Grégoire de Tours, lors d’une bataille contre les Alamans. Ce récit pose toutefois deux problèmes : tout d’abord, il imite les textes racontant la conversion de Constantin ; ensuite, sa datation précoce dans le règne permet de faire découler de la conversion de Clovis presque toutes ses victoires militaires. Grégoire de Tours fait donc de Clovis un « nouveau Constantin » qui mène une sorte de guerre sainte, contre les Wisigoths « ariens ». Les historiens actuels pensent que la date de 508 est plus probable. La cérémonie dut être spectaculaire. Ce fut REMI DE REIMS qui baptisa Clovis, par immersion totale (comme on le faisait à l’époque). Ce dernier était accompagné, selon Grégoire de Tours, de 3000 guerriers francs. Il faut souligner que cette cérémonie fut ensuite instrumentalisée, au IXe siècle, pour créer le « mythe de la sainte ampoule » : une colombe 18 représentant le saint Esprit aurait amené une petite gourde contenant de l’huile sainte pour baptiser Clovis (huile ensuite utilisée pour sacrer les rois francs). En définitive, en 511, au moment de sa mort, Clovis était le seul prince catholique avec l’empereur d’Orient : il est d’ailleurs parfois qualifié d’ « empereur d’Occident » par certaines sources. En 511, le CONCILE D’ORLÉANS règle les principes de l’organisation catholique mérovingienne. Le catholicisme est rapidement étendu à l’ensemble de l’Occident, au point qu’en 540, il n’y a plus d’homéens (sauf en péninsule ibérique). II. LA ROYAUTÉ MÉROVINGIENNE On se place là sur le long terme, à l’échelle de l’ensemble de la période mérovingienne, pour déterminer quelles sont les critères d’exercice du pouvoir à cette époque. A. La nature de la royauté a) Une royauté héréditaire, élective et guerrière La royauté dépend de l’appartenance à la famille mérovingienne, qui jouit d’un prestige lié au sang. La légitimité mérovingienne est symbolisée par le port de longs cheveux, qui explique la qualification des souverains comme « rois chevelus » (REGES CRINITI). Toutefois, pour régner, le roi doit être reconnu par ses guerriers et il est donc élu, même si c’est toujours au sein de la famille. La question ne se pose pas à l’époque de Clovis, mais dès le VII e siècle, il existe une multitude d’héritiers mérovingiens qui peuvent être élus comme rois. La royauté mérovingienne est donc héréditaire et élective. Cette royauté essentiellement guerrière, puisque c’est la guerre – et la victoire – qui procurent au roi le butin et le respect. La participation à l’armée royale (qu’on appelle l’OST) est d’ailleurs un devoir de tous les hommes libres. Une fois élu, le roi est hissé sur le pavois (bouclier), selon un rituel purement militaire. À partir de Clovis, le roi mérovingien porte le titre de REX FRANCORUM (« roi des Francs »). L’espace qu’il contrôle n’est toutefois pas composé que de Francs : au Nord, il règne en effet sur des populations franques, mais au Sud quelques Francs ont été assimilés par les élites gallo-romaines. b) Indivision et partage du royaume Au cours de son histoire, la transmission du pouvoir dans le royaume mérovingien oscille entre le principe de l’indivision et celui du partage entre tous les héritiers. On peut prendre 19 pour exemple le premier partage, qui a lieu en 511, à la mort de Clovis, entre ses quatre fils. Chaque royaume est centré sur une ville (qui est un centre important de la famille mérovingienne) : le royaume de Reims (en rouge) échoit à THIERRY ; celui de Soissons (en mauve) à CLOTAIRE ; celui de Paris (en jaune) à CHILDEBERT et celui d’Orléans (en vert) à CLODOMIR. Clotaire finit par réunir tous les éléments territoriaux, entre 558 et 561. À sa mort, en 561, le royaume est à nouveau divisé en quatre, puis à nouveau encore en 567, cette fois en trois. Figure 7 : Le partage de 511 Source : BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 139. Le royaume mérovingien est donc à la fois un et divisible. Il y a un sentiment d’appartenance à un royaume unitaire : le Cela n’empêche pas le partage en REGNUM FRANCORUM REGNA (le « royaume des Francs »). (= les « royaumes » au pluriel). Les divisions et réajustements résultent de guerres civiles très fréquentes, qui correspondent à des périodes de crises (on les appelle « guerres civiles » parce qu’elles opposent des Francs entre eux, sous le commandement de rois mérovingiens). Elles sont liées aux ambitions de certains héritiers, mais résultent surtout de l’absence de principes de transmission du pouvoir reconnus par tous. 20 On assiste malgré tout au passage d’une royauté guerrière à une royauté territoriale, fondée sur trois ensembles géographiques principaux, qui forment le cœur de l’espace mérovingien et qui finissent, à terme, par former des regna stables : la NEUSTRIE (en jaune) La BURGONDIE (en vert) et L’AUSTRASIE (en mauve). Il y a aussi des régions satellites, plus ou moins annexées en fonction des héritages et des conquêtes : l’Aquitaine et la Provence. L’apogée de la royauté mérovingienne se situe sous CLOTAIRE II et DAGOBERT (614-639). Figure 8 : Principaux royaumes mérovingiens et régions satellites au VIIIe siècle Source : d’après BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 263. B. Les attributs de la royauté a) L’entourage royal La cour royale se compose de trois types de fidèles. On y trouve des « NOURRIS », enfants de la noblesse qui sont éduqués et instruits à la cour du roi et qui deviennent ensuite comtes et évêques. La cour est ainsi un lieu de formation des élites. On y trouve aussi certains nobles qui sont liés au roi par un serment de fidélité : les LEUDES. Le roi a aussi une garde rapprochée, la TRUSTE, formée de guerriers liés à lui par un serment de fidélité. Ceux qui appartiennent à cette garde portent le nom D’ANTRUSTIONS et forment le noyau dur du pouvoir. Ces hommes sont liés au roi par un serment de fidélité, qu’on appelle la 21 COMMENDATIO. Ce dernier est prêté par le fidèle qui reçoit en échange un don, souvent en terres, en échange de contreparties militaires. Le « PALAIS » constitue le cœur du système mérovingien. À l’époque qui nous occupe, il y a en fait des palais, car la cour est itinérante et se déplace entre différentes résidences où elle demeure plusieurs mois. Les services de la cour sont dirigés par le DOMUS). MAIRE DU PALAIS (MAJOR Il assiste le roi sur les affaires courantes et il commande aussi les antrustions. Le pouvoir du maire du palais s’accroît surtout au VIIe siècle. En termes de gestion du royaume, la structure administrative de base, héritée de Rome, est la CITÉ qu’administre le COMTE, représentant du roi. Pour exercer sa charge, le comte reçoit du roi des terres dont les revenus sont attachés à sa fonction, que l’on appelle un OFFICE. À côté du comte, il y a dans chaque cité (parce qu’elle est aussi un évêché), un ÉVÊQUE. b) La justice On constate, à l’époque mérovingienne, l’existence de formes traditionnelles de règlements des conflits, qui ne passent pas par le roi. Le premier moyen de régler les conflits est l’exercice de la violence. Le procédé le plus connu est la FAIDE ou « vengeance privée » (parfois traduite par vendetta), qui fait partie de l’éthique aristocratique. Il s’agit d’un mécanisme qui repose sur la solidarité familiale : si le membre d’une famille a été tué par une autre, on règle le conflit en tuant un membre de la famille du coupable. Le principe est qu’on a le droit de venger l’honneur de sa famille par le sang. Un deuxième moyen de régler les conflits est le compromis, qui consiste en un arrangement entre les familles. À côté de ces formes traditionnelles, le recours au tribunal public et à la justice du roi existe. Le roi est le juge suprême et sa justice est en principe ouverte à tous. Sur le plan de l’idéologie du pouvoir, il doit protéger en particulier les veuves et les orphelins. Concrètement, il délègue ses pouvoirs de justice aux comtes. Les conflits sont réglés devant le MALLUS, c’est-à-dire devant le tribunal public présidé par le roi ou le comte. À leur côté, ou trouve les RACHIMBOURGS qui sont des juristes, chargés de dire ce qu’est la loi et qui conseillent dans les jugements. Lorsque l’accusé est un clerc, c’est le tribunal de l’évêque qui est compétent. On peut souligner deux principes originaux de cette justice barbare. Il existe le WERGELD (littéralement « le prix du sang »), c’est-à-dire le paiement d’une amende par les coupables qui permet d’arrêter la faide, parce qu’on rachète le sang versé. La justice barbare fonctionne selon le principe de la PERSONNALITÉ DES LOIS, 22 qui est le fondement du droit barbare. Chacun est jugé en fonction du droit émanant de son peuple (romain ou barbare principalement) et doit donc – au début du procès – dire selon quel droit il doit être jugé. Les lois qui existent sont les suivantes : la loi romaine qui permet de juger les Romains ; les lois barbares, notamment, pour les Francs, la LOI SALIQUE (composée au cours du Ve siècle) ou la LOI GOMBETTE pour les Burgondes ; les canons des conciles (pour juger les clercs ou les affaires de mœurs) ; les ÉDITS du roi (c’est-à-dire les lois qui émanent du roi et qui sont promulguées de manière ponctuelle). C. Les ressources de la royauté Il y a un TRÉSOR royal, gardé par le trésorier du roi, qui gère les comptes. Ce trésor accompagne le roi, dans des coffres et consiste en argent et objets précieux. Ce trésor est alimenté de quatre manières : Par le butin de guerre, prélevé sur les ennemis. Par le revenu que le roi tire de ses domaines. Il s’agit des anciennes terres publiques qu’on appelle le ROYAL. FISC. Ces terres, accaparées par le roi, sont devenus son DOMAINE Par les amendes de justice, levées par le roi dès qu’il juge (tout justiciable doit payer une amende quand il passe devant le mallus). Par ce qu’il reste du système fiscal romain, puisque les rois mérovingiens continuent à percevoir des impôts directs, mais qui ne sont pas prélevé efficacement, sauf dans quelques régions bien contrôlées. Ils prélèvent surtout des impôts indirects, qui sont des taxes, notamment sur les marchandises qui circulent (il s’agit de TONLIEUX, prélevées sur des péages), du DROIT DE GÎTE (qui consiste en une obligation d’hébergement du roi) ou bien de taxes pour l’entretien des routes. On a donc une sorte de mélange complexe de recettes renvoyant à la pratique traditionnelle du don et au système étatique hérité de Rome. III. CONCLUSION : STRUCTURES DE LA SOCIÉTÉ MÉROVINGIENNE La société mérovingienne est traversée par plusieurs lignes de partage. La première sépare les libres et les non-libres. Les libres ont la plénitude des droits juridiques : ils ont droit à la justice publique, de prêter serment, de transmettre ses biens et d’assister aux PLAIDS (ce sont les assemblées d’hommes libres convoquées par le roi ou le comte qui ont parfois une fonction judiciaire). Ils ont aussi le devoir de répondre à la convocation de l’armée (OST) et de faire la guerre. Les non-libres ont un statut différent de l’esclavage, mais qui les frappe d’incapacités juridiques (certaines choses leur sont interdites) ; ce statut se traduit parfois en outre par une exploitation économique. 23 Une deuxième ligne de partage sépare la noblesse ( PROCERES et OPTIMATES) des autres hommes. Cette noblesse a une double origine dans les royaumes barbares : L’ancienne noblesse romaine dont la puissance reposait sur la naissance et la richesse foncière, comme sur l’exercice de fonctions civiles publiques, militaires ou surtout religieuses (en tant qu’évêques principalement). La noblesse germanique dépendait de la naissance, de la proximité du roi et de l’exercice du service militaire, réservé à une élite, ce qui explique que les nobles francs exerçaient plutôt des fonctions civiles, en tant que comtes. Ces élites ont achevé de fusionner, par des mariages notamment, au VIIe siècle. Une dernière ligne de partage sépare les membres de l’Église et les laïcs, ce qui sera évoqué dans le chapitre suivant. 24 Chapitre IV. INSTITUTIONNALISATION DU CHRISTIANISME MÉDIÉVAL À côté de la royauté, un trait majeur du très haut Moyen Âge est l’émergence et la structuration de l’Église, en tant qu’institution. Pour cerner ce phénomène, il faut revenir rapidement sur la christianisation (ou ÉVANGÉLISATION) de l’Europe Occidentale, qui s’est faite en trois phases. Au IVe siècle, en Gaule, on assiste à une christianisation des Galloromains pour cimenter l’Empire, avec un christianisme centré sur les cités et défini selon les canons du concile de Nicée (ce que l’on appellera deux siècles plus tard le catholicisme). Parallèlement, il y a une christianisation de certains Barbares, dans la version homéenne du christianisme. Au début du VIe siècle, le catholicisme se diffuse largement grâce à Clovis et à ses successeurs. Du VIe au VIIIe siècle, on assiste à l’évangélisation des marges de l’Europe, au Nord (Grande Bretagne au VIe siècle) et plus tard à l’Est (actuelle Allemagne au VIIIe siècle). Cette christianisation est nécessairement un processus lent, pour imposer de nouvelles normes aux populations, même si on sait que le paganisme n’était pas actif. On s’intéressera à l’Église, notamment dans le royaume mérovingien, en deux temps : l’aristocratie épiscopale (I), puis le monachisme (II). I. L’ARISTOCRATIE ÉPISCOPALE A. Origines sociales des évêques La quasi-totalité des évêques (qu’on appelle aussi des PRÉLATS) vient de l’aristocratie sénatoriale. Il s’agit de familles dont au moins un membre a exercé, dans les trois dernières générations, une magistrature sénatoriale à Rome ou à Constantinople. Cette aristocratie possède, au Ve siècle, de vastes domaines fonciers. Elle exerce aussi des fonctions publiques (gestion de l’impôt), mais délaisse le commandement militaire, exercé de fait par des “ barbares ”. Cette aristocratie, devenue chrétienne aux IVe-Ve siècles, reste culturellement romaine et a remplacé les charges militaires qu’elle exerçait par l’exercice de charges épiscopales. Dans les cités, les évêques représentent donc la continuité du pouvoir romain. On peut même parler, aux VIe-VIIe siècles, de « familles épiscopales », qui monopolisent les sièges pendant plusieurs générations, pour deux raisons. Le contrôle des évêchés devient un moyen de conserver une influence dans une région. Depuis le IVe siècle, l’Église était riche, à la fois parce qu’elle possédait des terres cédées par les familles qui avaient exercé la charge et parce qu’elle était dotée par le roi. Or, c’est l’évêque qui administrait cette fortune, qui était exemptée d’impôts. 25 L’Église permet donc une mutation de l’aristocratie sénatoriale. Désormais, devenir évêque représente une fin de carrière idéale après des fonctions civiles, en exerçant un pouvoir local et politique de manière autonome, sans contrôle royal, impérial, ni pontifical. Cette évolution, qui accompagne la fusion des aristocraties romaine et barbare, permet une nouvelle définition de la noblesse, dont la puissance est justifiée par le service qu’elle rend au roi, mais aussi à l’Église. B. La fonction épiscopale a) Le recrutement épiscopal En général, le candidat à l’épiscopat a exercé des fonctions civiles. L’évêque est donc souvent marié et sa femme vit avec lui, malgré quelques pressions pour obliger au célibat. Au VIIe siècle, les évêques sont fréquemment d’anciens agents royaux : ÉLOI par exemple, était trésorier royal avant d’être évêque de Noyon-Tournai. La tradition ecclésiastique exigeait que l’évêque soit « élu par le clergé et par le peuple » de son diocèse, mais il y avait en fait trois acteurs principaux dans le choix d’un candidat (avec participation variable des uns et des autres): l’ ARCHIDIACRE (c’est-à-dire le principal conseiller de l’évêque), l’aristocratie du siège épiscopal et le roi. L’évêque était ensuite acclamé, confirmé par le roi, puis sacré, c’est-à-dire qu’on lui conférait une qualité sacrée par une ONCTION (une imposition d’huile sainte appelée le recevaient enfin des insignes, symboles de leur fonction : une lors des cérémonies liturgiques), une CROSSE MITRE CHRÊME). Les évêques (couronne voilée portée (bâton terminé par une volute qui symbolise la fonction pastorale du nouvel évêque) et un anneau représentant l’union de l’évêque avec son Église. b) Fonctions de l’évêque mérovingien L’évêque réside dans la cité, qui porte aussi le nom d’ÉVÊCHÉ, près de la l’église qui lui est attachée et près de laquelle se trouve le BAPTISTÈRE CATHÉDRALE, (un bâtiment indépendant à cette époque). L’évêque exerce des fonctions civiles et religieuses et il est souvent le personnage le plus important de la cité, ce qui le situe au-dessus du comte dans la hiérarchie (au point qu’il le nomme parfois). Au cours du VIIe siècle, les comtes quittent d’ailleurs fréquemment les villes pour s’installer à la campagne, qu’on appelle à cette époque le PAGUS. 26 Pour l’Église, la mission de l’évêque est de surveiller le diocèse et de l’administrer. En particulier, il contrôle les prêtres qu’il doit ordonner. Il organise des SYNODES où il invite tous les membres de l’Église de son diocèse pour discuter de questions de foi et légiférer. Au VI e siècle, les évêques des royaumes prennent l’habitude de se réunir, à l’instigation du prince ou à l’initiative et sous la présidence du prélat le plus important, dans le cadre de CONCILES. À l’échelle locale, l’évêque joue un rôle dans le CULTE DES SAINTS. personne qui est morte pour sa foi chrétienne (dans ce cas, on l’appelle un mené une vie exemplaire (il s’agit alors d’un CONFESSEUR). Un saint est une MARTYR) ou qui a Le saint est reconnu pour sa capacité à faire des miracles (notamment des guérisons), même mort, grâce à ses RELIQUES (il s’agit de « restes » du saint, le plus souvent sous la forme d’os ou de dents, mais parfois aussi d’objets touchés par le saint). Ce culte des reliques suscite des PÈLERINAGES, c’est-à-dire des voyages pour se rendre là où son corps est inhumé. C’est souvent l’évêque qui lançait et organisait ce culte des saints, notamment en faisant construire une église à son tombeau. c) Évêques et royauté mérovingienne : L’Église se transforme en organe de légitimation de la royauté. Le roi DAGOBERT (622639), par exemple, inscrit son règne dans un programme idéologique: mettre son royaume en conformité avec les lois divines. Dans tous les royaumes barbares, les souverains prétendent diriger leur Église. La royauté cherche donc à contrôler la nomination de fidèles comme évêques et s’appuie pour cela sur les « nourris ». Au VIIe siècle, les rois francs établissent d’ailleurs systématiquement avec les évêques des rapports de collaboration étroite, tandis qu’au VIII e siècle, ce sont les maires du palais qui distribuent les évêchés à leurs clients. Cette imbrication des sphères politique et religieuse était courante et n’était pas dénoncée : il s’agissait d’un mode de fonctionnement de la société et de la royauté mérovingiennes, cette dernière ayant besoin de relais fiables sur place pour pouvoir gérer son royaume. C. L’encadrement des fidèles À l’époque mérovingienne, l’évêque a théoriquement le monopole des deux SACREMENTS chrétiens (= rites liturgiques permettant de recevoir une partie de grâce divine). Le BAPTÊME fait entrer dans l’Église (essentiellement des adultes). Il se fait par une immersion 27 de l’impétrant dans l’eau et instaure des liens spirituels entre le baptisé et un parrain et une marraine (qui sont des parents spirituels). Le baptême efface le péché originel que chaque humain porte nécessairement en lui. L’EUCHARISTIE (ou « COMMUNION » de manière impropre) est distribuée par l’évêque ou, par délégation, par le prêtre, qui la célèbre sur un AUTEL [qui est une table sacrificielle], dans l’église. La grâce est reçue en consommant du pain consacré par un clerc, qui l’a ainsi “transformé” en corps du Christ, et de vin, “transformé” en sang du Christ. Ce sacrement donne lieu à un rite, la MESSE, que les conciles et édits royaux des VIe-VIIe siècles cherchent à imposer tous les dimanches, sans succès (en fait, on communie à cette époque une à trois fois dans sa vie). Le problème pour l’évêque est donc de parvenir à encadrer l’ensemble des fidèles, notamment ceux qui vivent dans les domaines ruraux, situés loin de son évêché. C’est ce besoin qui explique l’apparition d’« ÉGLISES PRIVÉES ». Elles ont deux origines : Depuis le IVe siècle, les évêques fondent des églises rurales, en installant des prêtres dans les bourgs. Aux VIe-VIIe siècles, l’aristocratie laïque fait bâtir des chapelles sur ses domaines, pour elle et ses dépendants. Le prêtre était souvent choisi dans la domesticité des fondateurs, puis confirmé par l’évêque. Ces prêtres étaient chargés de la célébration de la messe, le dimanche, puis ils se mirent à procéder à des baptêmes. Les églises, construites par l’aristocratie laïque, avaient un double but : Constituer des NÉCROPOLES familiales, c’està-dire des lieux d’inhumation d’une même famille aristocratique, souvent près de reliques (on appelle cela la « sépulture ad sanctos »). Les reliques permettaient ainsi de sacraliser le pouvoir des familles et de le pérenniser. Dans le cadre de la messe, le rassemblement régulier de la population qui travaillait sur ses terres, permettait à la famille aristocratique lui donner des ordres. Dans la pratique, le prêtre était donc là un instrument du pouvoir aux mains des grandes familles. II. Le LE MONACHISME MONACHISME n’est pas intrinsèquement lié au christianisme et il n’apparaît d’ailleurs qu’au IIIe siècle. Dérivant du terme grec monos (= qui signifie « seul »), le monachisme se définit étymologiquement comme une fuite de la société (que les adeptes du monachisme appellent le jusqu’au XIe siècle, les SIÈCLE MOINES ou le MONDE). Cette recherche de la solitude explique que, soient considérés comme bien distincts des clercs qui, eux, ont une mission d’encadrement des laïcs, et donc de présence dans la société. Le but de cette fuite est de vivre pleinement le message du Christ (c’est-à-dire la pauvreté et la prière), par la 28 recherche de l’ASCÈSE, une lutte contre ses pulsions (notamment corporelles) pour permettre la prière perpétuelle. A. Les origines orientales du monachisme Le mouvement monastique naît en Orient (Égypte, Syrie et Palestine) dans la seconde moitié du IIIe siècle. Il s’agit au départ d’individus isolés qui décident d’abandonner leur vie en société pour se consacrer à la prière, en vivant dans le désert. On appelle ces premiers moines des ERMITES ANACHORÈTES (terme qui vient du terme grec eremos, qui signifie le désert) ou des : ils entendent vivre dans une solitude totale. On connaît en fait plusieurs types d’expériences monastiques : des GYROVAGUES (errance solitaire ou en petit groupe, sans habitation) ; des RECLUS (enfermement par pénitence dans une fosse ou une cabane), des STYLITES (vie passée au sommet d’une colonne), enfin des CÉNOBITES (vie en communauté). Cette pluralité d’expériences atteste que le monachisme des origines connut une phase anarchique. Ces expériences orientales sont ensuite codifiées, et donc régulées, par des textes. Le premier ermite, SAINT ANTOINE († 356), fait ainsi l’objet d’un texte hagiographique (une Vie de saint) qui relate son existence et qui fut très diffusé ensuite en Occident. Le texte insiste en particulier sur l’ascèse, reposant sur la souffrance du corps, grâce à des privations alimentaires) ou à des pratiques de souffrance corporelle volontaire). La première MORTIFICATION JEÛNES (des du corps (c’est-à-dire la RÈGLE MONASTIQUE (c’est-à-dire un texte normatif codifiant les usages monastiques et organisant la vie des moines) est celle du moine égyptien PACHÔME († 348). Ces règles sont liées au cadre cénobitique, puisque la vie commune nécessite le respect de principes par tous et une certaine organisation de la vie à plusieurs. Elles valorisent en outre le rôle du supérieur de la communauté, qu’on appelle l’ABBÉ. Par extension, elles valorisent donc aussi la notion d’ OBÉISSANCE des moines à l’abbé. B. Le monachisme en Occident En Occident, faute de désert, cet idéal d’isolement vis-à-vis du monde débouche sur le MONASTÈRE. Ce dernier a des formes diverses : une cellule d’ermite isolée, une maisonnette qui abrite plusieurs personnes, un ensemble de cabanes groupées dans un enclos ou plusieurs bâtiments construits pour une vie communautaire. Certains essaient de transposer l’idéal oriental du désert et cherchent la solitude sur des îles, dans des forêts ou dans la montagne. Trois phases sont perceptibles dans l’organisation progressive du monachisme occidental : 29 Une phase anarchique, au cours du IVe siècle, qui fait l’objet de vives critiques sur les habitudes vestimentaires de ces moines (notamment les cheveux longs qui choque les codes de la romanité). Entre 385 et 428, ce premier monachisme est encadré par la traduction de certaines règles orientales et par les premiers textes monastiques occidentaux. Au cours du Ve et surtout du VI e siècle, des règles nouvelles et locales sont rédigées pour adapter les usages à chaque monastère. La tenue des moines se normalise, notamment par l’adoption de la TONSURE (cercle de cheveux rasés au sommet du crâne). C’est lors de cette phase que les monastères passent plus ou moins sous tutelle épiscopale. On identifie au départ deux impulsions monastiques en Gaule. Le monachisme lié à MARTIN DE TOURS († 397), un ancien soldat, qui mène d’abord une vie érémitique, puis fonde plusieurs monastères. Il devient ensuite évêque de Tours et fonde MARMOUTIER, qui devient ensuite un modèle, essentiellement au Nord de la Loire. Martin est donc un moineévêque qui mêle l’ascétisme oriental et le mode de vie du clergé en Occident, sans véritable règle. En Provence, un autre monachisme se développe, plus discipliné et qui dépend davantage des expériences orientales. Tout d’abord, en 416, CASSIEN (†433/435) fonde un monastère à Marseille : il diffuse l’idée d’organisation des communautés par une règle. Par ailleurs, en 400-410, LÉRINS est fondée par HONORAT (†430) : ce dernier a eu aussi une expérience orientale, puis il fait construire un monastère sur une île pour mener une vie communautaire. Une règle est écrite qui souligne l’importance du travail manuel. Ce monachisme du Midi est très aristocratique, ce qui se manifeste par la qualité des écrits de certains de ses membres, de grands intellectuels. Les rois francs s’intéressent au monachisme, car ils en tirent profit. Ils se mettent donc à favoriser les monastères : par des donations (les textes les appellent des AUMÔNES) en terres ou en objets précieux, en leur accordant le privilège d’IMMUNITÉ (l’interdiction faite aux agents du roi de pénétrer sur les terres pour prélever les impôts) ou en leur faisant accorder par des évêques le privilège d’EXEMPTION (les monastères sont alors moins soumis à la tutelle épiscopale). En échange, les monastères doivent prier pour le roi et pour le royaume. La logique est donc celle du « DON-ÉCHANGE » (des terres contre des prières). C’est en particulier le cas de DAGOBERT au VIIe siècle, qui a beaucoup donné aux monastères, notamment à l’abbaye de SAINT-DENIS, où il se fait inhumer. C. Monachisme celte/irlandais et monachisme bénédictin Le monachisme celte naît en Irlande au Ve siècle et s’organise dans les années 530. Ses formes spécifiques s’expliquent par la dimension rurale et tribale de la société irlandaise, 30 christianisée en 430-450 par saint PATRICK. Les monastères ont été installés sur les terres des tribus : les chefs en sont devenus abbés et transmettent leur charge de manière héréditaire. En l’absence de tradition romaine fondée sur les cités, l’Église épiscopale ne se développe pas : l’Église d’Irlande est donc une fédération de communautés monastiques, qui correspondent chacune à une tribu, et où les abbés remplacent les évêques pour l’encadrement des populations. Le monachisme irlandais se caractérise par trois éléments : une ascèse rigoureuse ; une culture latine qui innove dans l’illustration des manuscrits ; enfin, un statut de moines-prêtres missionnaires (c’est-à-dire évangélisateurs), qui devaient encadrer et évangéliser les populations, notamment au cours de leurs voyages (la PEREGRINATIO, qui fait d’ailleurs partie de l’ascèse). Les moines celtes ont ainsi évangélisé la Grande-Bretagne et une partie de la Gaule mérovingienne, phénomène bien visible à travers la figure de l’abbé COLOMBAN († 615) qui fonde LUXEUIL, puis BOBBIO. En s’installant, les moines celtes perpétuent des pratiques de relations étroites avec les familles nobles et d’indépendance par rapport à l’épiscopat. Figure 9 : Pérégrination de Colomban Source : d’après BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 238. Il y a deux conséquences à l’implantation du monachisme irlandais sur le continent. Il connaît un grand succès auprès de l’aristocratie franque, écartée de l’épiscopat par les familles gallo-romaines. Ces familles franques voyaient dans ce type de monachisme un moyen de garder la main sur les patrimoines qu’elles donnaient. Elles fondent donc des monastères familiaux (qu’on appelle EIGENKLOSTER) qui entretiennent leur mémoire par la prière, 31 légitiment leur pouvoir et leur servent de nécropoles familiales. Les moines celtes transforment en outre la notion de pénitence. Auparavant, le continent ne connaissait que la PÉNITENCE PUBLIQUE, un rite d’exclusion puis de réintégration orchestré par l’évêque qui permettait à une personne d’effacer ses fautes, mais une seule fois dans sa vie. Avec les Irlandais, la pénitence se fait de manière privée, en secret, après la confession à un prêtre et elle peut être réitérée. À chaque péché, correspond une certaine peine (on appelle cela la « tarification de la pénitence »). Assez rapidement se diffusent des PÉNITENTIELS, des livres indiquant le « tarif » pour chaque péché (récitation de psaumes, de châtiments corporels, de jeûnes au pain et à l’eau). Le monachisme celte a en fait très vite emprunté dans son organisation au BÉNÉDICTIN. BENOÎT DE MONACHISME NURSIE, un ermite italien, fonde le monastère du MONT CASSIN vers 530 et il élabore une règle de vie commune pour la vie quotidienne. La vie est équilibrée entre étude ou méditation, prière et travail manuel. Deux vertus fondamentales du monachisme bénédiction contrastent avec le monachisme colombanien : l’humilité (refus de l’héroïsme lié à l’ascétisme extrême) et l’obéissance à l’abbé, avec une moindre violence de l’autorité abbatiale. Concrètement, la plupart des monastères francs empruntent en fait à différentes règles, notamment bénédictines et colombanienne : on appelle ce panachage la REGULA MIXTA. 32 Chapitre V. L’ORDRE CAROLINGIEN (I) La notion « d’ordre carolingien » renvoie à la fois à une nouvelle conception du pouvoir, à une organisation sociale nouvelle et à une dynastie nouvelle, celle des CAROLINGIENS (terme qui vient du prénom familial Carolus, Charles). Ce changement résulte de la montée en puissance des maires du palais qui exerçaient de fait le pouvoir sous les Mérovingiens. Deux séances seront consacrées à cet ordre carolingien. Ce premier cours s’articulera autour de trois axes : le passage des Mérovingiens aux Carolingiens (I), l’émergence d’une nouvelle royauté à la tête d’une nouvelle société (II) et la restauration impériale (III). I. DES MÉROVINGIENS AUX CAROLINGIENS A. La fin des Mérovingiens La fin de la dynastie mérovingienne n’est pas liée à des « rois fainéants » comme l’a laissé entendre la propagande carolingienne, reprise sans critique par l’historiographie républicaine au XIXe siècle, mais à un triple phénomène. Le hasard dynastique, puisqu’il n’y a quasiment que des rois enfants qui montent sur le trône des trois royaumes mérovingiens (Neustrie, Bourgogne et Austrasie), après la mort de Dagobert. Malgré tout, certains d’entre eux (comme DAGOBERT III, 711-715) continuent à émettre des diplômes assez nombreux et à présider le tribunal royal. La diminution des ressources de la royauté, qui ont fait massivement l’objet de donations à l’Église (notamment aux monastères). En outre, il n’y a pas eu de nouvelles conquêtes susceptibles d’alimenter le trésor. Le roi ne peut donc plus puiser dans le trésor pour entretenir ses fidèles, puisque la fidélité reposait sur la concession d’un don. La montée en puissance des grandes familles aristocratiques dont le pouvoir s’exerce à l’échelle de chaque royaume mérovingien, dans le choix du roi, qui est élu à partir du “stock” des Mérovingiens disponibles. Dans chacun des royaumes, ces familles entrent en compétition pour exercer la fonction de maire du palais, seul moyen de supplanter les autres familles. On assiste ainsi à un ancrage territorial de certaines familles très puissantes dans les royaumes, chacune étant pourvue d’une mairie du palais. La force (et donc aussi la faiblesse) des rois mérovingiens dépend dès lors de leur capacité ou pas à écarter les familles trop puissantes pour pouvoir régner. L’une de ces familles finit par s’imposer. 33 B. Les PIPPINIDES La montée en puissance de la famille des Pippinides sont une famille originaire d’Austrasie. Son nom vient de son premier représentant connu : PÉPIN IER (DE LANDEN) († 640). Il exerce la charge de maire du palais d’Austrasie sous Dagobert. Les Pippinides finissent par transmettre héréditairement la charge de maire du palais d’Austrasie, puis aussi celle de Neustrie. Le premier à le faire est PÉPIN II (DE HERSTALL) († 714). Son fils, CHARLES MARTEL (714-741), est le maire du palais d’un royaume réunifié et semble tout-puissant, au point qu’en 719, il prend le Titre de « Duc et prince des Francs ». À sa mort, Charles partage le territoire franc entre ses deux fils : CARLOMAN (Austrasie) et PÉPIN (LE BREF) (Neustrie). Toutefois en 747, Carloman se retire dans un monastère et Pépin devient seul maire du Palais. Figure 10 : Les possessions des Pippinides Source : BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 278. 34 La montée en puissance des Pippinides s’explique de quatre manières. La famille a tissé des alliances matrimoniales prestigieuses avec d’autres Austrasiens et dispose donc d’un réseau aristocratique très large. Elle est richement possessionnée en Austrasie, autour de Liège. ses ressources sont accrues par la captation des domaines et ressources publics, au détriment du roi. La famille a pu ainsi s’assurer la fidélité de nombreux aristocrates qui ont reçu un don de terre en contrepartie de leur service militaire. Elle a fondé de nombreux monastères, notamment en Austrasie (en rouge sur la carte). Ces établissements lui apportent prestige, légitimité, ainsi que des contingents militaires dus par les monastères. En tant que maire du Palais, Charles Martel a en outre puisé dans les biens d’Église pour alimenter ses fidélités. Pépin II, puis surtout Charles Martel, jouissent d’un prestige militaire, appuyé sur leurs conquêtes : la FRISE, annexée partiellement sous Pépin II, puis à nouveau sous Charles Martel ; les régions de l’Est (THURINGE, BAVIÈRE, ALÉMANIE) qui sont intégrées par des missions évangélisatrices ; l’AQUITAINE, pillée et donc affaiblie par des raids sarrasins qui sont arrêtés par Charles à Poitiers, prête un serment de fidélité en 735 ; enfin la PROVENCE et le LANGUEDOC en 737-739, où Charles met fin aux raids sarrasins et met en place des fidèles comme comtes ou évêques, en s’appuyant aussi sur les abbayes. L’expansion politique par la guerre apparaît comme la cause majeure de la puissance de la famille. Figure 11 : Les conquêtes des Pippinides Source : d’après BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 263. 35 II. UNE NOUVELLE ROYAUTÉ À LA TÊTE D’UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ Sous trois règnes essentiellement le royaume Franc est uni : celui de PÉPIN LE BREF (751768), de CHARLEMAGNE (768-814) et de LOUIS LE PIEUX (814-840). A. Légitimer le coup d’État de Pépin le Bref Les clercs qui entourent Pépin le Bref se font une idée nouvelle de la royauté. Le pouvoir politique doit être dévolu à une seule tête, pour que le royaume connaisse la même organisation hiérarchique que celle de l’Église. Le pouvoir royal n’est plus magique, comme celui des Mérovingiens, mais il est sacralisé parce qu’il vient de Dieu. Cette dimension religieuse doit être marquée par un rite nouveau, le SACRE, qui consiste en une onction d’huile sainte, qui confère au roi une mission sainte (d’autant que, dans la société franque, le seul sacre existant auparavant était celui des évêques). Cette idée s’inspire de la Bible, en suivant l’exemple des rois de l’Ancien testament, notamment DAVID, qui étaient aussi sacrés. Le but de ce changement est de légitimer la destitution des Mérovingiens par une surenchère idéologique. C’est donc l’Église qui apporte sa légitimité au coup d’État en deux temps. En novembre 751, à Soissons, Pépin est élu roi par l’assemblée de « tous les Francs ». Il est sacré à l’instigation de BONIFACE, archevêque de Mayence, par les évêques. En 754, Pépin est sacré une seconde fois, à Saint-Denis, par le pape ÉTIENNE II, qui confère en même temps l’onction royale à ses deux fils : CARLOMAN et CHARLES. L’intervention du pape doit être replacée dans son contexte. Les relations de la papauté avec les Pippinides remontent à Charles Martel, puisque le pape avait fait appel à lui, puis à Pépin, pour le protéger des ambitions des Lombards sur Rome. Rome prend alors ses distances avec l’empereur byzantin qui n’est pas intervenu pour le protéger. Ce sacre de 754 par le pape, notamment avec l’onction des enfants de Pépin, instaure donc la dynastie héréditaire des Carolingiens – puisque l’on ne peut destituer un roi sacré –, tandis que Pépin reçoit le titre de « PATRICE DES ROMAINS » (anciennement attribué à l’empereur), c’est-à-dire qu’il devient officiellement « protecteur » de la papauté. Les intérêts de ce rapprochement papauté-Francs sont partagés. Pour le pape, il s’agit de s’assurer un allié contre les Lombards qui menacent Rome. Cette perspective débouche d’ailleurs sur une expédition militaire des Francs en Italie en 755-756 ; ils octroient un territoire au pape, l’ÉTAT PONTIFICAL, appelé à l’époque « Patrimoine de saint Pierre ». Pour les Francs, ce rapprochement leur a permis d’acquérir une dimension sacerdotale légitimante. 36 B. Une royauté sacerdotale Par ce sacre, le roi n’est plus un simple laïc : il est un peu "prêtre", puisque le sacre était réservé aux prêtres et aux évêques. Comme eux, le roi est doté d’un pouvoir surnaturel qui lui vient de Dieu. C’est le fils de Pépin, CHARLEMAGNE qui pousse le plus loin cette idée, grâce à son conseiller principal, un clerc, ALCUIN († 804). Alcuin affirme que Charles est SACERDOS REX ET (« roi et prêtre ») et l’appelle « Roi David ». Il lui confère aussi les titres de « recteur », « docteur » ou « prédicateur », employés habituellement pour les évêques. Ces titres confèrent donc à Charlemagne le pouvoir de gouverner les hommes et d’assurer le salut de son peuple. On appelle cette mission particulière le MINISTÈRE ROYAL, où le roi est au service de Dieu. Cette royauté sacerdotale implique totalement le peuple des Francs : comme les rois carolingiens sont assimilés aux rois bibliques, les Francs sont identifiés ÉLU, AU PEUPLE à l’Israël de l’Ancien Testament, comme le montre plusieurs formules qui qualifient les Francs de « peuple saint ». Cette idéologie explique l’intervention active du souverain dans la sphère religieuse, dans trois domaines particuliers : la réorganisation de l’Église (clercs et moines), qui sera évoquée plus loin ; l’évangélisation des populations (notamment en Germanie) ; enfin la lutte contre le paganisme. Le souverain se pense ainsi comme un médiateur entre Dieu et ses sujets, ainsi qu’en témoigne le programme d’Aix-la-Chapelle, nouvelle capitale politique du royaume, située près de Cologne. Au début des années 790, Charlemagne fait en effet construire à Aix un palais, terminé dix ans plus tard. Le plan du palais s’inspire des traditions des basiliques romaines et chrétiennes. La chapelle palatine, en particulier, se rattache aux exemples byzantins de Constantinople et de Ravenne, édifiés au VI e siècle. Elle est proportionnée et décorée à l’image de la Jérusalem céleste décrite par l’APOCALYPSE, dernière partie de la Bible. Au sommet se trouvait une coupole, qui a été reconstituée, et qui représentait le Christ en majesté, acclamé par les vieillards de l’Apocalypse. La position de Charles dans la chapelle affirme sa médiation (cf. Figure) : il siège sur un trône (à l’image de celui du roi biblique SALOMON) au premier étage, face à l’autel principal du Sauveur, que lui seul peut voir. Il se situe sous la coupole, qui représente le ciel, et peut l’observer en levant les yeux. Il est éclairé par le soleil levant, symbole divin. Le rez-de-chaussée est occupé par les membres de la cour qui ont les yeux tournés vers Charles et chantent des prières louant le roi. Le peuple regarde donc le roi en priant, qui regarde Dieu et le monde céleste en priant. L’architecture et la liturgie sont par conséquent au service du PROGRAMME THÉOCRATIQUE du souverain (= étymologiquement, il s’agit du « gouvernement de Dieu », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un système politique dont le souverain est le représentant de Dieu sur terre). 37 Figure 12 : La position médiatrice du souverain dans la chapelle d'Aix Source : d’après BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 347. C. Une société ordonnée en trois ordres Les intellectuels carolingiens construisent une image idéale de la société, assimilée à l’Église. Dans cette société idéale, les hommes sont répartis entre différents groupes que l’on appelle des « ordres ». Le principe est que chaque ordre exerce une fonction spécifique dans la société qui doit être correctement accomplie pour permettre la bonne marche de l’ensemble. On parle donc de VISION/THÉORIE FONCTIONNELLE de la société, même si, à l’époque carolingienne, ces ordres ne correspondent qu’aux élites. On peut ajouter que le roi carolingien se pense à la tête de ces ordres : c’est lui qui orchestre l’ensemble pour mener tout le monde au salut. À l’époque carolingienne, les intellectuels organisent généralement cette société en trois ordres (Figure 13) : les CLERCS se caractérisent par l’ordination et par une vocation à diriger la société, de concert avec la personne du souverain (gouvernant l’Église de manière collégiale) ; les MOINES se définissent par leur retrait du monde en communauté, tandis que leur fonction est la prière pour les autres, notamment pour le pouvoir royal ; enfin, les LAÏCS correspondent au reste des hommes qui ont droit au mariage et qui défendent l’Église par leurs armes. Le mariage est d’ailleurs largement redéfini à l’époque carolingienne, dans trois directions. Il doit désormais être MONOGAME 38 (une seule épouse), pour lutter contre la polygamie, hiérarchisée (plusieurs épouses de statuts différents) ou successive (plusieurs épouses les unes après les autres). Il doit être INDISSOLUBLE (un seul mariage dans sa vie), pour lutter contre les pratiques de RÉPUDIATION (renvoi de l’épouse), qui étaient courantes pour stérilité ou adultère. On assiste aussi à la redéfinition de la notion d’INCESTE, puique l’on considère désormais qu’il y a consanguinité en deçà des sept degrés de parenté. Ces redéfinitions influent sur les stratégies matrimoniales de la noblesse, qui a désormais besoin de dérogations pour mettre en œuvre certains mariages. Alors que les nobles pratiquaient l’HOMOGAMIE (le mariage au même rang social) et l’ ENDOGAMIE (le mariage dans le même cercle de parents), ces interdits les poussent à l’HYPERGAMIE (mariage à un rang nobiliaire plus élevé, du point de vue de l’époux) et à l’EXOGAMIE (mariage à l’extérieur d’un cercle de parents). On observe toutefois des pratiques de détournement des règles, en divorçant « à la carolingienne » (c’est-à-dire en assassinant des épouses) ou en pratiquant des mariages contraints, après un RAPT (l’enlèvement d’une jeune fille, qui oblige ensuite ses parents à la marier à son ravisseur car sa virginité n’est plus garantie). Le but idéalisé de ces redéfinitions matrimoniales et de faire cesser la faide, en prônant une société aristocratique brassée, où la vengeance est devenue impossible car toutes les familles seraient apparentées. Figure 13 : La société fonctionnelle carolingienne Source : Isabelle Rosé 39 III. L’EMPIRE RETROUVÉ A. La restauration impériale À la fin du VIIIe siècle, Charlemagne est le plus grand souverain d’Occident et se fait couronner empereur à Rome par le pape, lors du Noël de l’an 800. Ce couronnement est lié à des circonstances particulières. Dans l’empire byzantin, c’est l’impératrice IRÈNE qui exerce le pouvoir, en faisant crever les yeux de son fils pour régner à sa place. Cela signifie que, pour les Occidentaux, il n’y a plus d’empereur en Orient, dans la mesure où une femme ne peut porter le titre d’empereur. Il y a donc une fonction à prendre. Par ailleurs, le pape LÉON III est mis en difficulté par l’aristocratie romaine, en particulier parce que sa moralité est mise en cause en 799 (il est accusé de fornication et d’adultère). Il fait l’objet d’un complot et se réfugie auprès de Charles en Germanie. Un an plus tard, le pape est jugé à Rome pour les accusations portées contre lui, dans un concile présidé par Charles. La cérémonie du couronnement donne lieu à une importante mise en scène, qui valorise le pape. Pour procéder au couronnement, on ne disposait que du rituel byzantin opéré par le patriarche de Constantinople pour introniser l’empereur, en trois étapes : Acclamation de l’empereur par le peuple ; Couronnement du nouvel empereur par le patriarche ; Agenouillement du patriarche devant l’empereur (la PROSKYNÈSE). À Rome, en 800, les deux premières étapes sont inversées : Couronnement par le pape ; Acclamation par le peuple ; peut-être un agenouillement du pape. Le pape apparaît donc comme le grand ordonnateur de la cérémonie. C’est en effet lui qui « fait » l’empereur, qui lui donne sa légitimité (et pas le peuple). Soulignons qu’en 813, Charles, passa outre en couronnant luimême son fils Louis comme empereur ; ensuite, tous les empereurs furent couronnés à Rome. B. Quel Empire ? Lorsque le pape couronne Charlemagne en 800, deux conceptions de l’Empire s’opposent. Le pape souhaite un Empire ayant Rome pour centre : le pape entend donc incarner une réplique du trop distant Empire de Constantinople (ce qui explique son rôle dans la cérémonie du couronnement en 800). La conception de Charlemagne et des Francs était de promouvoir un Empire sans Rome. Charlemagne était en effet un empereur, mais pas spécifiquement romain : les textes substituent d’ailleurs souvent le titre d’ « empereur des Francs » à celui d’« empereur romain ». Son titre n’est donc pas lié au couronnement, mais à la reconnaissance de son pouvoir par les peuples qu’il gouvernait. Dès les années 790, l’Empire (IMPERIUM) apparaît ainsi comme une (super)structure intégrant plusieurs royaumes, issus 40 notamment de conquêtes (Erreur : source de la référence non trouvée) : le royaume des Lombards, devenu en 773-776 le « ROYAUME D’ITALIE » ; la SAXE, qui se révolte régulièrement entre 768 et 788 et fait l’objet de campagnes constantes, doublées de missions d’évangélisation. Figure 14 : L'imperium de Charlemagne (768-814) Source : BÛHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 342. En tout cas, il ne fait pas de doute que l’Empire est chrétien. La mission impériale est de bâtir sur terre la « cité de Dieu ». Il s’agit d’une référence à un ouvrage de SAINT AUGUSTIN (IVe siècle), qui établit un parallèle entre la Cité de Dieu (en gros, le paradis dans l’au-delà) et la Cité terrestre (l’existence des hommes sur terre). La mission impériale est de faire coïncider les deux cités, c’est-à-dire d’amener tous les hommes au salut. Cela explique notamment les missions d’évangélisation : les pays conquis doivent devenir des pays convertis. L’entité dirigée par Charlemagne n’est donc plus seulement un agrégat de territoires, mais une assemblée d’hommes partageant la même religion. L’uniformisation de cet Empire se fait par la religion chrétienne, véritable ciment social. 41 Chapitre VI. L’ORDRE CAROLINGIEN (II) : LE CONTRÔLE SOCIAL Ce deuxième volet sur l’époque carolingienne abordera davantage la société en trois axes : le gouvernement des hommes (I), le rôle central de l’Église (II) et l’économie carolingienne (III). I. LE GOUVERNEMENT DES HOMMES A. Les structures de gouvernement Le cœur de l’espace royal se situe désormais entre Seine et Rhin : on l’appelle la FRANCIE. Cet espace est ponctué par un réseau de palais (qui sont des résidences royales), car la royauté est toujours itinérante, même si elle privilégie cet espace. C’est souvent en Francie aussi que Charlemagne, presque chaque printemps, au mois de mai, convoque les hommes libres pour constituer son armée (OST). C’est là aussi, près d’un palais ou d’une résidence royale, qu’il convoque tous les hommes libres aux PLAIDS GÉNÉRAUX, afin d’établir des lignes politiques, de légiférer ou de tenir de grands procès. L’itinérance n’empêche pas le développement de la CHANCELLERIE (les services qui rédigent, authentifient et expédient les diplômes royaux, nécessaires à la gestion de l’Empire), indice d’un État embryonnaire. Les régions périphériques (Aquitaine, Provence, Septimanie, Gascogne) sont organisées en royaumes, confiés à des héritiers carolingiens. L’Empire est divisé en circonscriptions. La division de base est le PAGUS, espace soumis aux COMTES, représentants du roi (200 dans l’Empire). Ces comtes ont une triple fonction de juge au tribunal public, de chef militaire, et de percepteur d’impôts. Pour exercer leur fonction (qu’on appelle plutôt « OFFICE »), les comtes perçoivent les revenus du COMITATUS, c’est-à- dire une partie des impôts et des terres publiques. On constate d’abord une certaine mobilité des comtes, puisque les titulaires de l’office sont changés de région par le roi. Dans la deuxième moitié du IXe siècle toutefois, les fonctions de comtes sont accaparées à l’échelle régionale par des groupes de parenté : une tendance à l’hérédité de l’office de comte s’affirme donc, mais sans que le droit du roi à investir les grands de leur fonction soit remis en cause. Les régions frontalières (Bretagne, Espagne) sont organisées en vastes ordres de MARQUIS, avec des compétences militaires. 42 MARCHES, sous les B. La législation carolingienne Les Carolingiens légifèrent sous forme de CAPITULAIRES. Il s’agit, étymologiquement de textes « divisés par chapitres » (les CAPITULA) qui portent sur des sujets variés (80 ont été conservés pour Charlemagne). Les ¾ de ces capitulaires consistent en des mesures religieuses qui s’expliquent par la mission de l’empereur, évoquée dans le chapitre précédent. Le projet de capitulaire est élaboré par l’empereur et son entourage, puis il est soumis au plaid général, qui est donc aussi le lieu de discussion et d’approbation des capitulaires. Les capitulaires sont alors promulgués par la lecture à haute voix de l’empereur, puis copiés et envoyés aux comtes pour être diffusés. Sur le plan du fonctionnement de la justice, Charlemagne ne remet pas en cause le principe de la personnalité des lois. En 802, les conquêtes le conduisent à faire mettre par écrit la loi des Thuringiens, des Saxons et des Frisons, et à réviser la loi salique. Charlemagne tente par ailleurs de limiter le recours à la violence : il interdit la faide en 779 ; en 802, la faide, l’homicide, l’inceste et le parjure sont définis comme des crimes relevant du tribunal public, ce qui atteste une extension de la juridiction du roi et donc une emprise plus forte de ce dernier sur la société. Toutes ces initiatives sont liées à la définition du ministère royal : le roi est responsable devant Dieu de la paix et de l’ordre. C. Le contrôle des agents du pouvoir Le problème majeur des dirigeants carolingiens et de parvenir à transmettre la loi et des ordres sur un immense territoire. Ils recherchent donc des relais de leur pouvoir et des moyens de contrôle. Pour contrôler les comtes, Charlemagne a généralisé le système des MISSI DOMINICI (« envoyés du seigneur »). Les missi sont envoyés en tournée d’inspection pour transmettre les capitulaires, les convocations à l’armée, pour recueillir les plaintes, juger, surveiller les comtes. Ils vont par deux, un ecclésiastique et un laïc. Ce sont eux qui nomment les ÉCHEVINS (qui remplacent les rachimbourgs) pour juger avec le comte. Ce système n’existe que dans le noyau franc de l’Empire. À partir de 792, Charlemagne exige un serment de fidélité de ses sujets. Cette mesure concerne tous les hommes libres de plus de 12 ans. En 802, ce serment est renouvelé en faveur de l’empereur. Concrètement, le serment est prêté au comte, représentant et intermédiaire du roi, tandis que les comtes et marquis le prêtent directement au roi/empereur. 43 Figure 15 : Fonctionnement théorique du serment de fidélité carolingien Source : Isabelle Rosé Les Carolingiens généralisent le système de la COMMENDATIO, qui existait sous les Mérovingiens, mais sous une forme « privée », qui ne concernait que les aristocrates (notamment les leudes et les antrustions). La commendatio est le fait de devenir le VASSAL ou l’« HOMME » de quelqu’un, désigné comme le alors un don de terre (qu’on appelle le SEIGNEUR OU LE SUZERAIN. BÉNÉFICE), Le vassal reçoit en échange de son serment de fidélité, de son aide (militaire) et/ou de son conseil. Avec les Carolingiens, la relation de vassalité est utilisée comme un moyen de gouvernement. Les comtes et les agents royaux, deviennent obligatoirement vassaux du roi pour les HONNEURS qui leur ont été concédés. L’HONNEUR est une charge publique (abbatiat, épiscopat, comté), concédée par le roi. Il se compose d’une délégation de pouvoir (qui se concrétise par des revenus, comme par exemple les amendes de justice, récoltées au nom de la justice royale) et d’une rémunération de la charge, sous forme de terres (conçues comme « prêtées » le temps d’exercice de la charge). Les hommes libres puissants sont donc doublement liés au souverain : comme sujet, ils prêtent au souverain le serment public qui est exigé de tous ; pour leur honneur, ils prêtent un autre serment, plus « privé » (commendatio). Parallèlement, les formes de solidarité horizontale sont interdites : c’est le cas notamment des TRUSTES (différentes de celles de l’époque mérovingienne), puisqu’il s’agit de bandes de guerriers qui se pensaient égaux et qui servaient aux nobles à exercer leur domination sociale. Le but est donc de privilégier et de développer les formes de fidélité hiérarchique. 44 Figure 16 : Schéma de la commendatio Source : Isabelle Rosé Pour contrôler les guerriers sur le plan idéologique, les clercs carolingiens assignent aux nobles laïcs du royaume, qu’ils définissent comme une MILITIA (« milice »), la mission d’assurer la paix et de défendre l’Église, avec le roi et sous son autorité. La noblesse franque doit donc servir Dieu par les armes, notamment en protégeant les faibles. Il s’agit en fait de la mission royale qui est déléguée aux nobles aristocrates. II. LE RÔLE CENTRAL DE L’ÉGLISE A. Une Église impériale On appelle « Église impériale » une institution ecclésiale dont les représentants sont nommés et contrôlés par le souverain, qui se définit comme le chef de l’Église et du royaume. a) Le rôle central des évêques Les évêques sont issus de l’aristocratie et nommés par le souverain. Leur charge est considérée comme un « HONNEUR » (une charge publique, assortie de prérogatives et de terres). Les évêques prêtent donc un serment de fidélité au roi, comme les comtes. Ces évêques ont été formés dans des monastères liés au roi ou à l’école du palais, ce qui garantit leur fidélité. Ils vivent dans le quartier de la cathédrale, très souvent entourés de clercs qui vivent en communauté, que l’on appelle des CHANOINES. l’ÉCOLE CATHÉDRALE que gère chaque évêque. 45 Ce sont eux qui se chargent de Le rôle d’encadrement et de contrôle social des évêques est renforcé dans cinq domaines. On multiplie les cérémonies qui leur sont réservées : ordinations de prêtres, mais aussi désormais, consécrations d’églises (qui permet d’utiliser ces dernières) et bénédiction du chrême. Ils exercent un pouvoir de juridiction important : le tribunal de l’évêque juge tous les clercs, ceux qui contreviennent à la morale chrétienne, mais aussi les sacrilèges. Il s’agit donc d’une justice complémentaire et concurrente de celle du comte, qui contrôle davantage les justiciables au nom du roi et de Dieu. Ils gèrent des patrimoines ecclésiastiques importants qui sont souvent très éparpillés géographiquement. Ils encadrent, dans le diocèse, des clercs, des communautés monastiques et des fidèles, notamment par la PRÉDICATION. Il s’agit d’une prise la parole en public (que l’on appelle aussi « SERMON »), pour enseigner la foi chrétienne et appeler à la transformation des comportements dans un sens qui suive la norme chrétienne, en général à partir d’un passage biblique. La prédication en langue VULGAIRE ou VERNACULAIRE (c’est-à-dire dans une langue dérivée du latin) est demandée au concile de Tours (813). Les évêques sont plus clairement au service du roi : ils sont convoqués à l’armée avec un contingent, ainsi qu’au plaid annuel ; ils doivent exercer de temps en temps la fonction de missi dominici ; ils peuvent faire partie de l’entourage royal et conseiller le souverain (ce qui est le cas notamment sous le règne de Louis le Pieux, entouré exclusivement d’évêques). b) Appui des Carolingiens sur les abbayes Beaucoup d’établissements deviennent des « ABBAYES ROYALES » (environ 200 monastères sur les 650 qui existent à l’époque). Une abbaye royale est un établissement dont l’abbé est choisi par le roi, en général parmi ses proches ou dans sa famille. Les Carolingiens se servent des abbayes comme relais de l’autorité royale, en tant que centres intellectuels, lieux d’entretien et de logement des armées. Les autres établissements appartiennent à des familles aristocratiques qui, de la même manière, choisissent leur abbé. Parfois, l’abbé n’est pas un moine, mais un « ABBÉ LAÏC » : un noble laïc détient une abbaye comme n’importe quel bien qui lui apporte prestige et revenus, tandis que le titre d’ « abbé » n’a pas de contenu religieux. Pour diriger concrètement la communauté, il y a alors UN PRÉVÔT. La fonction d’abbé laïc permet de s’arroger une grande partie des revenus de l’établissement. 46 c) L’immunité des évêques et des monastères Les Carolingiens accordent massivement le privilège d’immunité aux évêques et surtout aux grandes abbayes. L’immunité soustrait le bénéficiaire au pouvoir comtal, pour les impôts et pour la justice, qui sont alors exercés par l’immuniste qui en conserve les revenus. En échange, l’immuniste prie pour le salut du souverain et du royaume. Ces immunistes sont donc des contre-pouvoirs régionaux au pouvoir comtal et permettent de maintenir un équilibre à l’échelle locale. Les hommes d’Église ne peuvent cependant pas verser le sang, ni porter d’armes et ils ont donc besoin qu’un laïc les représente pour exercer ces droits (exécution de sanctions judiciaires, levée de contingents). Ce représentant se nomme un AVOUÉ et il s’agit souvent d’un vassal de l’abbaye/évêque qu’il représente, contre une concession de terre. B. Uniformisation de l’Église Charlemagne utilise l’Église pour construire un monde commun pour les peuples très différents qui composent l’Empire. En tant que chef de l’Église, c’est le souverain qui intervient directement dans la sphère ecclésiale et qui prend les décisions, notamment en présidant les conciles. On assiste à un renforcement de la dimension hiérarchique de l’Église, à trois niveaux. La fonction de MÉTROPOLITAIN (ou archevêque), à la tête d’une province ecclésiastique, redevient un échelon majeur dans la hiérarchie ecclésiale (oublié à l’époque mérovingienne). Les archevêques sont rétablis par Charlemagne, tandis que les provinces ecclésiastiques s’étendent aux régions de l’Est, christianisées. Les métropolitains sont définis comme des échelons fondamentaux entre le pape et les évêques : ils reçoivent directement du pape le PALLIUM (une longue écharpe blanche ponctuée de croix noire). Au niveau épiscopal, les diocèses sont divisés en deux ou trois ARCHIDIACONÉS : dans ces circonscriptions, l’ARCHIDIACRE remplit les mêmes fonctions que l’évêque. La PAROISSE est définie comme l’ensemble des personnes dépendant d’une église desservie par un prêtre qui les encadrent pour les sacrements et les enterre. Cette redéfinition de la hiérarchie permet un meilleur encadrement des fidèles, et donc un contrôle plus strict. Le but de cette redéfinition de la hiérarchie est d’en faire une courroie de transmission des ordres pour uniformiser les pratiques dans quatre domaines. On cherche à uniformiser les modes de vie des professionnels du sacré. Les connaissances minimales des prêtres sont ainsi définies : Le Notre Père et le Credo pour les prières, un peu de latin, la connaissance des jours 47 de grandes fêtes. Ces connaissances doivent être contrôlées par l’évêque, lors de PASTORALES, VISITES par un questionnaire. On impose en outre à tous les moines la règle de saint Benoît (alors qu’auparavant, on panachait les règles, ce que l’on appelle la REGULA MIXTA). Cette réforme est mise en place, en 816-817, par Louis le Pieux et BENOÎT D’ANIANE. On assiste à une uniformisation de la liturgie sous Charlemagne (c’est-à-dire des modalités de célébration des rites et prières). Elle se fait grâce à un SACRAMENTAIRE, envoyé par le pape à Charlemagne : il s’agit d’un livre liturgique avec toutes les prières à dire pendant la messe. Ce sacramentaire est copié et envoyé partout. Les Bibles sont également uniformisées et leur texte est révisé. L’uniformisation liturgique est permise par la mise au point d’une nouvelle écriture, la MINUSCULE CAROLINE, faite pour la copie rapide. Au départ, cette écriture était destinée à la copie des Bibles, mais elle se répand partout et devient le symbole de la « RENAISSANCE CULTURELLE CAROLINGIENNE », un moment de ferveur des études, avec pour référence l’Antiquité romaine. Figure 17 : Le passage de l'écriture mérovingienne à la minuscule caroline III. L’ÉCONOMIE CAROLINGIENNE A. La gestion des domaines À l’époque carolingienne, il y a coexistence de petites exploitations et de grands domaines. Aux VIIIe-IXe et encore au Xe siècle, les ALLEUTIERS (paysans propriétaires de leurs terres) représentent une part importante de la paysannerie libre. Cette terre possédée en toute propriété s’appelle un ALLEU et elle est de superficie modeste. Toutefois, il y a une tendance à 48 la concentration de la propriété foncière entre les mains des puissants laïcs et ecclésiastiques, par l’extension des grands domaines (qu’on appelle une VILLA). L’origine du grand domaine remonte aux VIIe-VIIIe siècles, dans les régions centrales du royaume franc, autour de l’axe Paris-Aix-la-Chapelle. Le système, expérimenté là dans les abbayes, se serait ensuite diffusé entre Loire et Rhin, mais aussi en Germanie ou en Italie. De fait, on pense que ce système s’est aussi étendu aux domaines laïcs, mais on ne le connaît que par des sources monastiques qu’on appelle des POLYPTYQUES (il s’agit d’inventaires de biens et revenus des domaines monastiques). Le grand domaine se divise en deux : la proches du centre de l’exploitation, la COUR RÉSERVE, correspond aux terroirs les plus (où loge le maître du domaine). La réserve est exploitée en FAIRE-VALOIR DIRECT, c’est-à-dire que le propriétaire exploite lui-même la terre. Plus exactement, c’est sa FAMILIA qui la cultive (on appelle ainsi un groupe de dépendants qui ont un statut servile). Dans la cour, on trouve aussi des bâtiments d’exploitation (moulins, greniers, tanneries, etc). La deuxième partie du domaine, est divisée en MANSES. Les MANSES TENURES ou sont de petites exploitations, dont la taille doit faire vivre une famille. Ils sont composés d’un terrain agricole, d’une maison et de ses annexes. Ces manses sont cédées par le maître à des paysans, qui deviennent ainsi ses loyer, le CENS (redevance fixe, le plus souvent en argent), de en effectuant des CORVÉES TENANCIERS, en échange d’un REDEVANCES DIVERSES, et/ou dans la réserve (travail agricole gratuit exigé par le maître). Les paysans qui sont tenanciers ont différents statuts juridiques, mais apparaissent tous comme des DÉPENDANTS du maître car il leur concède la terre. Ceux qui sont libres portent le nom de COLONS. Ceux qui ont un statut servile sont dit ESCLAVES (SERVI), mais sont bien différents des esclaves antiques car ils ont certains droits (détenir une terre, se marier). Pour le maître du domaine, ce mode d’exploitation, caractérisé par des revenus provenant de loyers, correspond à du FAIRE-VALOIR INDIRECT. Les prestations dues au maître dépendent en fait du statut du manse (libre, servile ou affranchi) qui est donc aussi une unité d’imposition domaniale. Ce type de domaine a permis un essor économique relatif. 49 Figure 18 : Schéma théorique du grand domaine Source : Isabelle Rosé B. Le commerce (international) e Aux VI -VII siècles, l’axe commercial reliant la Méditerranée à la mer du Nord par le e Rhône, la Saône et la Meuse est encore fort actif. Dans la seconde moitié du VII e siècle, on note un amenuisement de ces échanges. La Manche et la mer du Nord deviennent alors la plaque tournante d’un commerce qui met en relation l’Angleterre et le nord du continent européen et où les Anglo-Saxons, les Frisons et les Norvégiens jouent un rôle majeur. Il y a donc un basculement économique de l’Occident vers le Nord. Figure 19 : Les routes commerciales à l'époque carolingienne Source : d’après LEBECQ S., Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, col. 1, Lille, 1983. 50 IV. CONCLUSION : LE DEVENIR DE L’EMPIRE Comme les Mérovingiens, les Carolingiens hésitent entre deux principes : l’unité ou le partage entre les héritiers. En 817, l’Empire est ainsi partagé par Louis le Pieux de son vivant entre ses trois fils, mais il y a un seul empereur qui a une suprématie sur les autres, seulement rois. S’ensuivent plusieurs guerres fratricides et en 843, on aboutit, au PARTAGE DE VERDUN, à trois royaumes distincts : FRANCIE OCCIDENTALE, FRANCIE ORIENTALE (qui deviendra la GERMANIE) et la LOTHARINGIE (actuelles Allemagne et Italie qui basculent à terme du côté germanique). Ces royaumes sont brièvement réunis à la fin du règne du dernier fils de Louis le Pieux, CHARLES LE CHAUVE (840-877), mais au final, deux blocs se forment. Figure 20 : Carte du traité de Verdun Source : http://www.gallimard-jeunesse.fr/encyclopediahistoiredefrance/moyenage/hdf_mage_009.htm Peut-on en définitive parler d’un État carolingien ? La construction mise en place par les Carolingiens ne fonctionne pas vraiment, dans le sens où l’État reste faible car dépourvu de véritables ressources fiscales. En revanche, l’Empire existe bien en tant qu’idéal forgé par les clercs autour de la personne du souverain. Très vite l’époque carolingienne apparaît d’ailleurs comme un âge d’or en Occident. 51 Chapitre VII. L’EFFACEMENT DU MONDE CAROLINGIEN (X E SIÈCLE) Le Xe siècle apparaît comme une transition entre l’époque carolingienne et l’époque seigneuriale. Il s’agit aussi du moment de la distinction définitive entre les deux ensembles de FRANCIE ORIENTALE (ou GERMANIE) et FRANCIE L’OUEST). Le dernier carolingien qui gouverne l’ensemble des territoires carolingiens est en OCCIDENTALE (ou ROYAUME DE effet le successeur de Charles le Chauve, CHARLES LE GROS (876-888). Le Xe siècle est aussi le moment où le PRINCIPE ÉLECTIF revient en force pour désigner les rois, en raison de l’extinction de la ligne directe dans la dynastie carolingienne. Ces nouveaux rois sont de grands aristocrates, souvent apparentés aux Carolingiens, et certains prennent le pouvoir, en fondant des royaumes restreints. C’est le cas de RODOLPHIENS en Bourgogne et des BOSONIDES en Provence. Dans les autres royaumes, le pouvoir est également dévolu à de grands nobles (cf. chapitre 11). Source : Isabelle Rosé Le chapitre sera organisé autour de trois axes : l’irruption de nouveaux pillards en Europe occidentale (I), l’éclosion des principautés territoriales en Francie occidentale (II) et le rève impérial des Ottoniens en Germanie (III). 52 I. L’IRRUPTION DE NOUVEAUX PILLARDS A. Le cas emblématique des Normands Le problème normand commence à la fin du VIIIe siècle et dure plus d’un siècle. Le terme NORMANDS signifie « hommes du Nord », mais on les appelle aussi VIKINGS. Ces hommes viennent de Norvège, Suède et Danemark et se déplacent vers l’Europe du Sud/Ouest. Les causes de ces déplacements restent obscures car ces peuples ont peu écrit (hormis des SAGAS, qui sont des récits plus mythiques qu’historiques). On peut évoquer d’abord la soif d’aventure et la recherche de l’or. Il y a aussi peut-être eu des bouleversements politiques dans les sociétés scandinaves, avec un renforcement des structures royales qui a contraint à partir les hommes qui s’opposaient à cette évolution. On peut évoquer enfin des raisons commerciales, car certains Normands apparaissent en fait plutôt comme des marchands. On identifie trois tournants dans la chronologie du phénomène. À la fin du VIIIe siècle, les Normands procèdent par raids saisonniers en petits groupes sur leurs DRAKKARS (des bateaux à fond plat, très rapides sur les rivières). Les Normands procèdent à des razzias, avec environ 100 bateaux par raids. Au milieu du IXe siècle, ils commencent à s’installer sur leurs lieux de pillage pour hiverner, continuant à soumettre la région à leurs expéditions, à moins que ses habitants ne paient une somme importante pour leur départ, un tribut, qui porte le nom de DANEGELD. Dans la deuxième moitié du IXe siècle, les incursions se font de plus en plus loin dans les terres : Paris, par exemple, est assiégée quatre fois (notamment en 885, avec un grand retentissement). Les succès normands s’expliquent par leurs tactiques, supérieures car ils évitent le combat frontal en remontant les rivières et en misant sur la surprise. Du coup, seules les places fortifiées peuvent résister. Les Normands sont décrits dans les sources médiévales comme des êtres sanguinaires qui auraient mis l’Europe à feu et à sang. Or, il y a un problème de sources : elles émanent en effet seulement d’hommes d’Église, c’est-à-dire des cibles principales des raids normands. Ils interprètent ces derniers, parce que leurs auteurs étaient païens, comme une punition de Dieu contre les Francs, notamment en raison des multiples guerres entre héritiers carolingiens qui ont conduit à un affaiblissement de la royauté. Il faut donc nuancer ces témoignages qui sont exagérés sur deux plans : il n’y a pas eu de disparition de villes, ni d’abbayes. En revanche, certaines communautés monastiques ont dû fuir très loin avec leurs reliques, ce qui a désorganisé leurs patrimoines. Les raids normands, qui avaient une dimension commerciale, ont eu des conséquences bénéfiques. Les Normands concurrencent en effet la domination des Frisons en Mer du Nord. Les pillages remettent en outre en circulation des 53 biens précieux qui avaient été thésaurisés par les églises. En Francie occidentale, une solution au problème normand est d’ailleurs trouvée en 911 : le roi CHARLES LE SIMPLE reconnaît à ROLON, chef normand, le droit d’occuper un territoire, la NORMANDIE. B. Autres pillards D’autres pillards sont également dénoncés dans les sources. Les SARRASINS sont des pirates musulmans qui viennent, entre autres, du royaume ibérique d’AL-ANDALUS et qui pillent les côtes méditerranéennes depuis les années 860. Ils s’installent durablement en Provence, au FREINET (vers 890-972). À l’Est le phénomène concerne plutôt les HONGROIS. Ils pillent la Germanie et, dans certains cas, vont jusqu’en Francie occidentale. Les Hongrois sont arrêtés par le roi de Germanie OTTON IER en 955, à la bataille de LECHFELD. Ces attaques jouent un rôle dans la mise en place des principautés territoriales. Figure 21 : Raids normands et sarrasins en Europe Source : BÜHRER-THIERRY G. et MÉRIAUX Ch., La France avant la France, 481-888, Paris, Belin, 2010, p. 370. 54 II. L’ÉCLOSION OCCIDENTALE DES PRINCIPAUTÉS TERRITORIALES EN FRANCIE A. Les origines des principautés e À la fin du IX siècle, certains grands aristocrates se distinguent du reste de la noblesse et deviennent ce que les historiens appellent des « PRINCES » (terme qu’on ne trouve pas dans les textes médiévaux, mais dans l’historiographie). Ils portent en réalité d’autres titres : « comte », « marquis » ou « duc ». Ils appartiennent à la REICHSARISTOKRATIE (« aristocratie impériale »), c’est-à-dire à la très haute noblesse qui participait directement au pouvoir carolingien. Ils détiennent un pouvoir plus important que les autres nobles par le cumul de comtés, qui découle généralement d’une concession royale. Très souvent, la légitimité de ces princes est guerrière et découle de leur rôle dans les combats contre les Normands, palliant ainsi la défaillance du roi qui préfère souvent payer le Danegeld. La force de ces princes est qu’ils MÉDIATISENT les fidélités : la fidélité n’est plus prêtée directement au roi par les comtes, mais aux princes, ce qui les place au-dessus des autres vassaux et leur octroie un pouvoir important, en tant qu’interfaces. Les PRINCIPAUTÉS apparaissent donc comme des regroupements de plusieurs comtés carolingiens entre les mains d’une même personne, puis d’une même famille. Ce sont de nouvelles unités de pouvoir, à l’échelle régionale, qui émergent véritablement après 888 et qui sont de taille variable : les comtes de Flandre détiennent quelques comtés, tandis que les ducs d’Aquitaine détiennent un grand ensemble. Certaines principautés deviennent rapidement des royaumes, en 888, comme la Provence et la Bourgogne. Figure 22 : Médiatisation des fidélités par les princes Source : Isabelle Rosé 55 Trois évolutions de la fin de l’époque carolingienne expliquent la montée en puissance des « princes » et l’éclosion des principautés. Un premier facteur réside dans les mesures que Charles le Chauve a prises pour lutter contre les pillards. Charles mène en effet une politique générale de fortifications, avec la construction de châteaux qu’il confie aux comtes. Par ailleurs, vers 860, Charles le Chauve permet le regroupement de plusieurs comtés entre les mains d’une seule personne, en créant ainsi de grands commandements militaires, les MARCHES, capables de se mobiliser rapidement (ces marches ne sont donc plus seulement situées aux frontières carolingiennes). L’arrêt des conquêtes déstabilise en outre le système des honneurs (qui devaient théoriquement circuler entre les nobles pour éviter que ces derniers ne se créent des clientèles à l’échelle locale). Cela provoque une hérédité du titre comtal dès la moitié du IXe siècle, favorisant un ancrage local de l’aristocratie. Le CAPITULAIRE DE QUIERZY, en 877, reconnaît d’ailleurs que la charge comtale est héréditaire et le souverain ne fait qu’en confirmer le titulaire. Ce capitulaire décrète en outre que les décisions royales doivent être prises avec les aristocrates ecclésiastiques et laïcs. La lignée carolingienne s’éteint en 888 et n’a plus d’héritier direct. EUDES, de la famille des ROBERTIENS, la plus puissante à l’époque, est élu roi en 888, mais sa légitimité est moins forte que celle des Carolingiens. Au cours de tout le Xe siècle, des rois carolingiens et robertiens alternent, mais ils n’ont jamais de légitimité très forte. Un peu partout, c’est l’élection par les grands nobles qui permet de désigner le roi. B. Les pouvoirs des princes Les princes exercent trois prérogatives, au titre du pouvoir conféré par le souverain. Ils exercent la justice dans le cadre de la mission royale de préservation de la paix. Elle est rendue par la convocation des hommes libres lors d’un PLAID, au tribunal comtal. Le prince exerce la justice lui-même dans le cœur de sa principauté, et elle est exercée par un comte (ou un VICOMTE) dans les périphéries. Ils doivent protéger les églises, ce qui se manifeste souvent comme une intervention directe des princes sur les monastères, sous deux formes. Vis-à-vis des institutions immunistes, le prince laïque peut exercer la fonction d’AVOUÉ et cette charge devient ainsi héréditaire. Dans d’autres cas, les monastères ont été fondés par la famille du prince et il en est alors l’abbé laïque. Ils détiennent une puissance militaire qui a trois conséquences concrètes : l’exigence du service militaire de la part des vassaux ; l’exigence de prestations associées à l’exercice de la guerre (taxes) ; enfin, sur le plan symbolique, le monopole de la chasse et la maîtrise des forêts. 56 Le prince dispose de divers moyens pour exercer son pouvoir. Il a d’abord un entourage qui forme sa cour, sur le modèle royal. Cette cour est composée de parents, de clercs chargés de la liturgie et de jeunes nobles nourris qui font leur éducation dans le cadre du FOSTERAGE (il s’agit de l’éducation des enfants dans le métier des armes, à la cour d’un noble de niveau social plus élevé). La cour règle les questions militaires, politiques, judiciaires et financières. Le prince dispose d’agents du pouvoir, notamment de VICOMTES qui sont des auxiliaires et représentants du prince sur une aire restreinte et qui participent à son entourage. Le prince détient des châteaux, puisque la construction défensive est le symbole et l’instrument d’une domination, mais également de l’exercice d’une autorité « publique » depuis l’époque carolingienne. Les châteaux offrent aux princes des points d’appui dans leur principauté. Les liens des princes avec le roi sont lâches, mais sont parfois resserrés à certaines occasions. La plupart des princes reconnaissent le cadre de la royauté et la personne du souverain, mais ils négocient davantage leur fidélité auprès de lui. Dans le rite du serment de fidélité (qu’on appelle l’HOMMAGE), on voit que les princes se considèrent désormais comme des égaux du roi. Ils adoptent en effet de moins en moins de postures d’humiliation (ils viennent à cheval et plus à pied et n’embrassent plus les pieds du roi). Certains princes, plus rares, se rebellent et refusent de prêter serment au roi. C. La légitimation du pouvoir des princes La légitimation du pouvoir princier se fait par des emprunts/imitation au modèle royal, pour se distinguer de la noblesse régionale et affirmer sur elle une supériorité. Cette supériorité se concrétise d’abord dans les TITULATURES (les titres des princes, plus ou moins développés). Les titres deviennent héréditaires, sans être toujours liés à l’assise territoriale d’origine (« comte » tout court et pas « comte de ») et s’appliquent aussi à l’épouse, qui se dit « comtesse ». Les princes utilisent en outre des adjectifs, souvent au superlatif, et se disent par exemple « très nobles », alors que le terme de « noble » était réservé à la fonction royale à l’époque carolingienne. Enfin, ils se mettent à utiliser la formule « comte/duc par la grâce de Dieu ». Cette formule a souvent été interprétée à tort comme la revendication d’une indépendance vis-à-vis du roi (parce qu’il s’agirait de l’affirmation de l’origine divine et non royale du pouvoir). Elle montre en fait l’imprégnation du modèle royal carolingien, qui l’avait mise au point pour se légitimer. Ces usages ne sont donc pas des revendications d’un pouvoir d’essence royale, mais une volonté d’imposer un pouvoir supérieur sur la noblesse régionale et de s’en distinguer. 57 La légitimation se fait aussi par la structuration des familles princières en LIGNAGES, dès la fin du IXe siècle. Le lignage est un groupe noble qui se reconnaît un ancêtre commun. Les structures lignagères se centrent sur les mâles, seuls à hériter du pouvoir, tandis que les cadets sont écartés. La structuration lignagère est véhiculée par un PATRIMOINE ONOMASTIQUE familial, c’est-à-dire par des noms de familles bien identifiés, qui sont associés à l’exercice du pouvoir. Chez les Robertiens par exemple, il s’agit des noms d’Hugues, Robert et Eudes. Les stratégies matrimoniales viennent consolider le pouvoir du lignage et le légitimer, soit par la recherche de princesses carolingiennes comme épouses, soit en donnant en mariage des filles aux vassaux, pour favoriser l’ancrage local de la famille. Le rapport des princes à l’Église se situe également dans la continuité de l’idéologie royale carolingienne, sur trois plans. Comme on l’a vu, les princes interviennent dans les abbayes et les évêchés, en affirmant leur rôle de « défenseurs de l’Église ». Ces interventions découlent d’une conception carolingienne où le tenant du pouvoir est à la fois le bienfaiteur et le protecteur de l’Église. Comme on l’a souligné, les princes sont avoués des monastères immunistes, interviennent dans l’élection abbatiale ou promeuvent des réformes monastiques. Les princes font aussi pression pour faire élire des membres de leur parenté comme évêques. Lorsque les abbés et évêques sont des parents du prince, il est donc artificiel de séparer pouvoir princier et pouvoir ecclésial. Il s’agit des deux faces d’un même pouvoir, qui relève de stratégies familiales à une échelle régionale. Les princes sont par ailleurs tous abbés laïques d’établissements prestigieux, dont ils font le centre symbolique de leur pouvoir et parfois leur nécropole. Par exemple, les Robertiens, sont abbés laïques de SAINT-MARTIN DE TOURS, de SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS et de SAINT-DENIS. La détention de ces abbayes procure divers types de légitimité. Elles sont d’abord symbole du pouvoir, parce que les biens d’Église étaient assimilés aux terres publiques. Les princes bénéficient en outre des prières des habitants de ces institutions. Les princes captent, en dernier lieu, le prestige conféré par les reliques des saints que détiennent les monastères. Enfin, les princes inscrivent leur rapport à l’Église dans une perspective de collaboration, reprenant ainsi à leur compte l’idéologie royale du maintien de la paix. La coopération du prince et de l’Église passe notamment par la réécriture des origines princières par des clercs, souvent sous la forme de généalogies. Par exemples, les ducs de Normandie font rédiger une Histoire des Normands à la fin du Xe siècle revenant sur leurs origines. Le but de ce texte est de couler une dynastie à l’origine païenne et viking dans les cadres de l’idéologie carolingienne. 58 III. LE RÊVE IMPÉRIAL DES OTTONIENS A. La résurrection de l’Empire en Germanie En Germanie, il y a des descendants de la famille carolingienne jusqu’en 911. L’absence d’héritier carolingien explique le changement dynastique, dû à l’élection, par les grands aristocrates, d’une nouvelle famille en 919. Son premier représentant élu est le duc de Saxe HENRI, surnommé « L’OISELEUR » ou HENRI Ier. Ses fils et descendants se nomment OTTON Ier, OTTON II et OTTON III. La famille des OTTONIENS conserve la royauté jusqu’en 1024, puis elle est remplacée par une branche cousine, les SALIENS. La Germanie reste dans une forte continuité avec l’époque carolingienne, sur trois plans. Une continuité idéologique du point de vue de la conception du pouvoir royal. Une pratique du pouvoir fondée sur le contrôle des DUCHÉS (entité englobant plusieurs comtés) par les membres de la famille royale, qui sont placés à leur tête. Une grande mobilité du souverain qui cherche ainsi à éviter les révoltes et qui assoit son autorité par sa présence itinérante. Cette continuité dans la pratique du pouvoir, de même que la légitimité militaire acquise par la victoire de Lechfeld contre les Hongrois, expliquent qu’Otton I er restaure en 962 la dignité impériale qui était restée plus ou moins vacante depuis Charles le Chauve. Les Ottoniens vouent d’ailleurs ensuite un véritable culte aux Carolingiens, et notamment à la personne de Charlemagne dont ils font une sorte de saint. B. L’Église impériale germanique Il s’agit du trait le plus caractéristique du fonctionnement du pouvoir germanique. Le pouvoir souverain s’appuie sur une forte collaboration avec les évêques, pour contrebalancer localement le pouvoir des ducs (qui sont l’équivalent des princes de Francie occidentale). Les rois germaniques mettent donc progressivement en place des stratégies pour contrôler les sièges épiscopaux. Ils y placent des personnes sûres, qui sont leurs fidèles et qui ont été formées à la cour impériale, plus précisément à la chapelle royale, considérée comme « une pépinière d’évêques ». Ces personnes sont ensuite envoyées pour diriger des diocèses, souvent loin de leurs origines géographiques familiales, et constituent donc des relais du pouvoir souverain, mais sans ancrage local. Leur pouvoir est ensuite accru par des immunités, c’est-à-dire que le pouvoir des évêques forme des îlots indépendants qui sont des points d’appuis pour le pouvoir du souverain. 59 On appelle ce fonctionnement politique le SYSTÈME D’ÉGLISE IMPÉRIALE (REICHSKIRCHENSYSTEM). Ce mode de gouvernement, qui est dans le prolongement carolingien, s’est mis en place progressivement, dès la première moitié du X e siècle, pour atteindre son apogée entre 980 et 1040 environ. L’intérêt de cette pratique est qu’elle permet au souverain de garder un contrôle accru sur les sièges, puisque théoriquement les évêques n’ont pas d’enfants. Ensuite, la charge est récupérée par le roi et confiée à un autre évêque. Les évêques ont des devoirs envers l’empereur. Le SERVICE D’OST : ils doivent fournir à l’armée des contingents plus importants que les grands laïcs. Ils doivent fournir l’hospitalité au souverain qui se déplace (le GÎTE). Ils agissent comme des représentants du souverain et disposent de certains droits régaliens (monnaie et contrôle des marchés). IV. CONCLUSION La situation est donc contrastée. Alors que le souverain germanique conserve son autorité sur son royaume, le souverain de Francie occidentale a moins de prise sur ses vassaux et de moins en moins d’autorité sur les régions périphériques de son royaume. C’est là en particulier que le pouvoir des princes est marqué, parce que le roi n’a plus vraiment les moyens d’y imposer son pouvoir. Plus largement, le X e siècle correspond dans le royaume de l’Ouest, au début d’un processus plus large de réduction de l’échelle du pouvoir, qui arrive à son terme avec l’émergence des pouvoirs seigneuriaux. 60 Chapitre VIII. LE MONDE SEIGNEURIAL (I) LE POUVOIR SUR LES TERRES ET LES HOMMES Les Xe-XIe siècles se caractérisent par une réduction progressive de l’échelle d’exercice du pouvoir par les membres de l’aristocratie : l’échelle est tout d’abord régionale, dans le cadre des principautés, tenues par le niveau supérieur de la noblesse, puis se réduit au niveau local. D’autres nobles, appartenant à de grandes familles locales, polarisent alors l’autorité autour de sièges de pouvoirs seigneuriaux. La seigneurie peut donc être définie avant tout comme un pouvoir qui s’exerce au niveau local, avec les mêmes prérogatives que le pouvoir royal (justice, maintien de l’ordre, commandement, gestion des voies de communication, etc), mais avec des formes de domination plus directes et plus contraignantes car plus proches. Les difficultés à appréhender la seigneurie viennent à la fois des débats historiographiques dont elle a fait l’objet au cours des dix dernières années et de la disparition de cette réalité (qui correspond à un cadre non territorial) après la révolution française. On procèdera en trois temps, en évoquant d’abord les seigneuries et les pouvoirs seigneuriaux (I), puis le pouvoir seigneurial et ses prélèvements (II), avant de terminer par les liens entre le pouvoir seigneurial et l’Église (III). I. SEIGNEURIES ET POUVOIRS SEIGNEURIAUX A. Définitions et chronologie Une seigneurie, que les textes désignent par les termes DOMINIUM, POTESTAS, DOMINATIO ou constitue un ensemble de droits pesant indifféremment sur des terres et sur des personnes. Il s’agit donc d’un concept pour penser l’exercice d’un pouvoir, dont l’originalité est de synthétiser des traits à la fois fonciers et “politiques”. Plus exactement, la seigneurie désigne une série de prérogatives exercées par un seigneur, homme ou institution. Il existe en effet des « seigneurs » (DOMINUS ou SENIOR) laïcs, ecclésiastiques et monastiques. Aux X e- XIe siècles, une seigneurie n’est jamais un territoire délimité. Lorsque l’on évoque une seigneurie à cette époque, on ne désigne donc pas une réalité matérielle, mais l’essence d’un pouvoir local, foncier et politique. Les seigneurs appartiennent tous à l’aristocratie et c’est à ce titre qu’ils exercent leurs droits seigneuriaux. Ces derniers résultent de leur richesse foncière et des cadres carolingiens qui associaient la noblesse à la gestion royale du pouvoir, au niveau local. Le pouvoir exercé 61 consiste alors en trois prérogatives, répliques du modèle royal (comme les princes, mais exercé à un niveau plus restreint) : la justice, la puissance armée et la participation au pouvoir ecclésial. Ces seigneurs, pour faire respecter leur autorité et pour concrétiser leur domination, font appel à certains de leurs vassaux, désignés dans les sources comme des CABALLERII MILITES ou des (« chevaliers »). Il s’agit de combattants à cheval, au service des seigneurs, qui appartiennent à la petite noblesse locale et qui forment l’entourage des princes et des seigneurs. L’existence de ces hommes atteste une transformation sociale importante. L’exercice militaire n’est en effet plus exigé de tous les hommes libres et se trouve réservé à une catégorie sociale : la noblesse. Les historiens s’accordent aujourd’hui sur une nouvelle chronologie de l’apparition des seigneuries (et ont abandonné l’idée d’un changement de société brutal autour de l’an Mil) : il y a eu une lente recomposition des rapports de pouvoir, entre le IXe et le XIIe siècle, avec trois ajustements successifs : Les recompositions à l’échelle des principautés (après 888950) ; Les polarisations à l’échelle locale (950-an Mil) ; Après 1050-1060, un réajustement consécutif à la crise grégorienne et à la réaffirmation du pouvoir royal. Ce chapitre ne sera consacré qu’aux deux premières phases (cf. le chapitre 11 pour la dernière). B. Centres du pouvoir seigneurial En milieu rural, les centres du pouvoir seigneurial prennent deux formes. La forme la plus connue est le CHÂTEAU (dans les textes, désigné comme CASTRUM ou « TOUR »), qui se multiplient entre 930 et le milieu du XIII e siècle. Le château, d’abord construit par le prince, devient le centre du pouvoir d’un CHÂTELAIN ou d’un « SIRE » (ce sont les noms que donne l’historiographie aux seigneurs laïcs). Un monastère peut également constituer le centre d’une seigneurie. On constate au demeurant que plusieurs monastères se fortifient dans la première moitié du Xe siècle, indice de l’affirmation d’un pouvoir. Au cours du X e siècle, le château devient donc le symbole de la domination aristocratique, car l’ensemble de la noblesse donne à son pouvoir une dimension militaire et monumentale. Les seigneuries peuvent aussi être polarisées autour de résidences ou de sièges urbains, également fortifiés. Ils sont de deux types : siège épiscopal (et/ou canonial) et palais comtal (et/ou vicomtal). Les évêques et comtes affirment ainsi leur domination sur l’espace urbain, mais ils détiennent aussi des droits importants dans le paysage rural environnant, en particulier des châteaux qu’ils confient à leurs vassaux. Les charges comtales et épiscopales sont en fait des honneurs qui se “seigneuralisent” aux X e-XIe siècles, c’est-à-dire dont le pouvoir s’exerce à une échelle locale (la cité), avec une transmission des charges de manière 62 héréditaire au sein des familles. On a donc un phénomène de PATRIMONIALISATION de ces honneurs. Souvent, l’un des pôles de la cité absorbe les fonctions de l’autre : en Germanie et au Nord de la Loire, les seigneuries épiscopales acquièrent ainsi les pouvoirs détenus par les comtes ; en revanche, en Provence, la fonction épiscopale de Marseille est contrôlée par la famille des vicomtes de Marseille. Les centres du pouvoir seigneurial regroupent des membres de l’aristocratie selon deux formes différentes. Les abbayes sont peuplées de nobles, élevés au monastère ou devenus moines à l’âge adulte, qui sont soumis au pouvoir de l’abbé. La plupart d’entre eux proviennent de familles puissantes de la région et l’abbé est généralement un parent des seigneurs qui exercent un droit de regard sur l’abbaye. Dans ce cas-là, le pouvoir seigneurial est donc détenu de manière collective, mais représenté par l’abbé qui représente lui-même le saint patron du monastère. Les monastères confient en outre la garde de leurs châteaux à des milites, qui sont des vassaux de l’abbaye. Dans le pôle castral, on appelle l’entourage du seigneur le « CONDOMINIUM » CHÂTELAIN. Il s’agit d’un partage de l’autorité entre le détenteur du château et des milites qui sont ses vassaux et qui séjournent fréquemment dans le château. Cette configuration se retrouve aussi dans les centres seigneuriaux urbains. Les évêques, comtes et vicomtes vivent entourés de leurs vassaux, des groupes de milites, qui les aident à consolider leur pouvoir. II. POUVOIR SEIGNEURIAL ET PRÉLÈVEMENTS A. Seigneurie « foncière », seigneurie « personnelle », seigneurie « banale » et seigneurie « ecclésiastique » Depuis les travaux de G. Duby, on distingue plusieurs types de droits seigneuriaux qui donnent lieu à des ponctions diverses sur des dominés, qui sont des paysans dépendants aux statuts extrêmement divers. L’autorité seigneuriale se caractérise concrètement par des droits qui nous semblent relever de sphères distinctes : une assemblée judiciaire était ainsi parfois l’occasion pour un seigneur de percevoir des redevances foncières. Il faut cependant garder à l’esprit que ces quatre catégories de droits formaient un tout et que leur distinction est faite artificiellement par les historiens pour comprendre les logiques seigneuriales. Comme toutes les seigneuries ont une assise foncière, les seigneurs détiennent en premier lieu des droits qui pèsent sur la terre qu’ils possèdent et concèdent à des paysans, qui deviennent ainsi leurs FONCIÈRE TENANCIERS (les historiens appellent cela la « SEIGNEURIE »). Les parcelles à cultiver, appelées TENURES, 63 sont ainsi cédées par le seigneur aux paysans en échange d’un loyer : le paiement se fait souvent de manière annuelle sous la forme d’un CENS (une redevance fixe et généralement versée en argent) ou d’un CHAMPART (pourcentage sur les récoltes). Lorsqu’un seigneur concède une terre, on dit qu’il procède à un CHASEMENT (ou que son tenancier est « CHASÉ »). Ce terme s’applique aussi aux terres données à ses vassaux par un seigneur. Il faut bien prendre conscience que les assises foncières des seigneurs ne forment pas un bloc unique, mais sont disséminées en plusieurs endroits : c’est une propriété très éparpillée. Le phénomène est particulièrement évident pour les seigneuries monastiques dont l’assise foncière, qui résulte de donations, est nécessairement “éclatée”. D’autres droits concernent les dépendants d’un seigneur, non libres et généralement paysans, les SERFS, désignés plus souvent dans les textes comme « ses hommes (propres) » (c’est-à-dire qu’ils appartiennent au seigneur). L’historiographie appelle cela la « SEIGNEURIE PERSONNELLE ». Le statut servile est marqué par un prélèvement particulier : le CHEVAGE. Il est versé lors d’un rituel où le serf doit présenter à son seigneur quelques deniers posés sur sa tête et s’incliner pour qu’il les reçoive dans sa main : il s’agit là d’un rite récognitif des droits du seigneur sur un homme et qui s’expriment surtout par l’exigence de redevances plus lourdes que celles qui sont ponctionnées sur les libres. Deux autres prélèvements sanctionnent également la dépendance, en établissant un contrôle seigneurial sur les grands moments de la vie : le FORMARIAGE, une redevance compensatoire au mariage d’un serf avec une personne relevant d’une autre seigneurie, et la MAINMORTE, taxe payée par les héritiers d’un serf pour pouvoir toucher son héritage, qui revient théoriquement à son seigneur. Ces hommes sont donc placés sous l’autorité judiciaire de leur maître, ont un accès restreint (mais pas impossible) à la propriété, au mariage ou à la mobilité géographique, ce qui entraînerait un manque à gagner pour le seigneur. À côté de ces serfs, il y a des paysans libres par leur statut, mais qui sont entrés dans la dépendance des seigneurs, en particulier pour avoir accès à des terres. Il n’y a plus vraiment D’ALLEUTIERS, c’est-à-dire des hommes qui exploitent leur terre en toute propriété : tous les paysans sont complètement ou partiellement tenanciers d’un seigneur. Globalement, les situations paysannes se sont donc nivelées dans une unique catégorie de DÉPENDANTS : le statut de liberté ou servitude joue alors sur la lourdeur des redevances et sur la mobilité théorique des hommes. Les seigneurs exercent en outre des droits qui répliquent ceux du roi, notamment sur les plans judiciaire, fiscaux et militaire, à l’échelle locale. Les historiens appellent cela le DE BAN (BANUM), DROIT une domination sur les hommes, matérialisée par l’exercice de la justice et 64 de la guerre (qualifiée aussi de « SEIGNEURIE BANALE »). Les textes évoquent de leur côté les « COUTUMES » ou d’autres termes selon les régions (« VICARIA » dans l’Ouest ou « COMMENDA » dans le Sud). Ces droits sont polarisés sur le centre de la seigneurie, lieu du déroulement de la justice. Ils s’exercent dans une aire géographique aux contours flottants, appelée « MANDEMENT », « DÉTROIT » ou « POESTÉ ». Dans ces aires, tous les non-nobles sont soumis au pouvoir de commandement seigneurial. Ce droit de ban se concrétise de trois manières. Les non-nobles sont justiciables de leur seigneur, c’est-à-dire qu’ils sont jugés par lui pour les crimes et délits qu’ils commettent. La justice consiste surtout en une contrainte et en levées d’amendes. Ils relèvent du commandement militaire du seigneur et doivent à ce titre des prestations. Ils participent par exemple à l’entretien du château, souvent par des corvées ; ils doivent héberger le seigneur (droit de GÎTE/ALBERGUE) ; ils doivent théoriquement participer à l’armée seigneuriale (le SERVICE D’OST ou de CHEVAUCHÉE), c’est-à-dire – dans les faits – acquitter une redevance compensatoire ; ils acquittent la TAILLE, redevance irrégulière versée pour la protection armée. Ils sont soumis à des taxes justifiées par la régulation seigneuriale de la vie sociale, c’est-à-dire par le rôle que joue le seigneur dans l’organisation ou la construction d’infrastructures quotidiennes. Les taxes sont ainsi levées pour les foires, les marchés et les péages, mais aussi pour les « BANALITÉS » (des redevances liées au contrôle seigneurial des moulins, des fours ou des pressoirs…). S’y ajoutent parfois des corvées de CHARROIS (service de transport gratuit) ou de LABOURS (service de labourage gratuit). Jusqu’à l’époque grégorienne, tous les seigneurs perçoivent des redevances ecclésiastiques, qui découlent de leur possession d’églises, auxquelles sont attachés des revenus. Ces redevances ne sont donc pas seulement versées aux seigneurs ecclésiastiques, mais font partie d’un ensemble de droits seigneuriaux présents dans toute seigneurie. Parmi ces redevances, on peut évoquer la DÎME, ponction d’environ 1/10ème des récoltes, théoriquement versée partiellement au clerc qui s’occupe de l’église pour le faire vivre. On peut aussi évoquer les DROITS DE SÉPULTURE ou de baptême, redevances versées au détenteur de l’église pour ces rituels dès que quelqu’un doit se faire inhumer ou baptiser. B. Enchevêtrement des droits Le pouvoir seigneurial se matérialise donc par une série de prélèvements qui touchent les hommes et les terres et qui sont des sources de profit. Ces prélèvements sont effectués par des agents seigneuriaux : les MINISTÉRIAUX. Il arrive que ces derniers soient issus de la paysannerie et passent au service du seigneur pour opérer des ponctions sur le monde paysan. 65 Les seigneuries entrent en compétition les unes avec les autres à l’échelle locale pour imposer leur autorité. Il ne faut pas se les représenter comme des circonscriptions, mais comme des enchevêtrements de droits qui pèsent de plusieurs manières. Par exemple, un même paysan pourra par exemple être le tenancier d’un seigneur monastique lointain, auquel il versera un cens pour la terre qu’il cultive. Il relèvera en même temps de la justice d’un seigneur châtelain, qui a son château à côté de son village et auquel il versera des amendes. Le jour où il voudra vendre les surplus de ses récoltes, il acquittera un droit de péage à un évêque pour se rendre au marché de sa cité. Figure 23 : Schéma sur l'enchevêtrement des droits Source : Isabelle Rosé L’enjeu que constituent les prélèvements explique les nombreux conflits entre les seigneurs. On les connaît lorsqu’ils opposent des seigneuries laïques à des seigneuries monastiques, qui ont mieux conservé leurs archives. La fréquence de ces conflits laisse penser que la légitimité du pouvoir seigneurial reposait aussi sur sa capacité à faire reconnaître sa domination, à la fois par les seigneurs concurrents et par ceux sur lesquels elle pesait. C. Le regroupement des dépendants On observe une tendance au regroupement et à la stabilisation de l’habitat paysan dans les campagnes, selon des modalités régionales différentes. Certaines régions présentent de fortes concentrations de l’habitat rural, soit sous la forme de VILLAGES-RUES (Lorraine ou Picardie), soit sous celle de VILLAGES FORTIFIÉS (Provence, Italie). D’autres régions présentent des regroupements plus faibles, avec quelques gros bourgs entourés de hameaux et de fermes isolées (dans l’Ouest de la Francie occidentale en particulier). Cette évolution, entamée au 66 milieu du XIe siècle, donne naissance aux villages que nous connaissons au cours du XIIe siècle. Malgré des divergences géographiques fortes, on observe trois facteurs de regroupement de l’habitat. La présence d’un château, notamment dans les régions méditerranéennes, autour duquel la population vient s’agglomérer dans un « BOURG CASTRAL ». L’église attire aussi l’habitat. Elle est désormais associée systématiquement à un cimetière où sont enterrés les morts de la communauté. On parle aujourd’hui de « VILLAGE ECCLÉSIAL », c’està-dire que c’est la présence de l’église qui explique le regroupement des hommes. On voit apparaître des communautés rurales paysannes qui prennent de l’importance face aux seigneurs et peuvent discuter avec eux pour faire mettre par écrits leurs droits (ce qui les limitent). III. POUVOIR SEIGNEURIAL ET ÉGLISE Comme son modèle royal, le pouvoir seigneurial laïque se caractérise par une forte participation à la forme de pouvoir qu’est l’Église, selon trois modalités, qui existaient déjà à l’échelon princier. Une emprise sur l’institution : Elle se fait d’abord par le contrôle des honneurs ecclésiastiques (sièges épiscopaux et abbatiaux) dans le cadre familial, souvent avec une transmission des fonctions d’oncle à neveu. L’emprise passe aussi par l’exercice de la fonction d’avoué, protecteur laïque des monastères immunistes. L’aristocratie laïque est enfin un “réservoir” d’hommes où sont recrutés les futurs moines et clercs, qui conservent des liens étroits avec leur milieu d’origine. Cet ascendant des familles seigneuriales sur l’Église diffère selon les régions, en fonction de leur propre puissance et de celle des pouvoirs princiers. L’instauration de liens complexes et croisés avec l’Église, qui passent par la circulation des biens. Ces liens se concrétisent d’abord par certains types de contrats qui fondent une possession partagée des biens ecclésiastiques, comme les PRÉCAIRES (qui sont des concessions temporaires d’une terre d’église à un laïc, en échange d’un cens modique). Toutefois, ces liens passent essentiellement par le système du « DON/ÉCHANGE » où les donations foncières ont des contreparties spirituelles. La participation aux mouvements de réforme monastique et à la fondation de nouvelles communautés cénobitiques. Il s’agit, là encore, de répliquer à l’échelle locale un modèle royal, qui est garant du bon fonctionnement des monastères, et d’en tirer un prestige social. 67 IV. CONCLUSION La seigneurie finit par devenir la forme de pouvoir qui caractérise le Moyen Âge central, au point que l’on parle de « SOCIÉTÉ SEIGNEURIALE » pour les Xe-XIIIe siècles. L’avènement de cette société seigneuriale constitue un changement d’échelle de l’exercice du pouvoir, du point de vue de l’encadrement des hommes : Est « seigneuriale » une société où le pouvoir s’exerce essentiellement à l’échelle locale, sans avoir de comptes à rendre à un pouvoir supérieur. Depuis le XIXe siècle, on parle aussi de « SOCIÉTÉ FÉODALE ». L’usage de cet adjectif met plutôt l’accent sur un ressort social : les relations d’homme à homme au sein de la noblesse, marquées par la domination et le service. Le FÉODALISME est la version marxiste de ce système, deuxième phase dans l’évolution des sociétés (phases qui sont les suivantes : esclavagisme, féodalisme, capitalisme, socialisme). Le féodalisme est caractérisé par la détention exclusive des structures et moyens de production par la classe dominante des seigneurs, qu’elles concernent la possession des terres ou le travail des hommes ; la sujétion des dominés dans un statut de SERVAGE, conçu comme une amélioration par rapport à l’esclavage. 68 Chapitre IX. LE MONDE SEIGNEURIAL (II) : LA SOCIÉTÉ ARISTOCRATIQUE On désigne par « ARISTOCRATIE » le groupe restreint exerçant une « domination sociale » sur les hommes, une « minorité considérée (par elle-même, comme par les autres), comme celle des meilleurs » (J. Morsel). Au Moyen Âge central, ce terme est quasiment synonyme de « NOBLESSE ». Nous allons nous intéresser ici surtout à l’aristocratie laïque/guerrière. Le groupe de la noblesse est hiérarchisé sur trois niveaux aux Xe-XIIIe siècles: La haute aristocratie d’Empire, alliée par le sang à la famille carolingienne. Ils exercent les fonctions de princes, de comtes et de vicomtes au cours des X e-XIe siècles. Cette aristocratie était mobile à l’époque carolingienne. L’aristocratie moyenne, qui détient des châteaux pour la haute noblesse (qu’on appelle les CHÂTELAINS ou les SIRES). La basse aristocratie qui forme l’entourage des châtelains et que l’on appelle les « CHEVALIERS ». On verra d’abord les transformations sociales et spatiales du monde nobiliaires (I). On s’intéressera ensuite à la vassalité et à la hiérarchisation du groupe aristocratique (II). On terminera le propos sur l’évolution des structures de parenté aristocratiques (III). I. LES TRANSFORMATIONS SOCIALES ET SPATIALES DU MONDE NOBILIAIRE A. Les critères de la noblesse Certains hommes sont dits nobles en fonction de trois critères. Le premier critère est la naissance noble. La noblesse se transmet par le sang, c’est-àdire par l’appartenance à une famille noble : elle relève donc de l’inné. Les familles nobles se rattachent à un ancêtre prestigieux, souvent parent de la famille royale, qui justifie leur pouvoir. Ce processus de GÉNÉALOGIE est une imitation du modèle royal, dès le IX e chez les princes, puis repris par les couches plus basses de l’aristocratie. Le deuxième critère d’appartenance à la noblesse est l’indépendance et la reconnaissance sociales. La noblesse est, par essence, associée au statut de libre et au fait d’être reconnu par les autres comme noble. Le noble se distingue d’abord des autres par sa richesse et l’usage qu’il en fait : il possède un trésor (biens mobiliers et surtout immobiliers) ; surtout, il doit faire la preuve de sa richesse en distribuant des largesses et des cadeaux à son entourage, ce qui est appréhendé par les historiens en termes de « GASPILLAGE » 69 OSTENTATOIRE. La générosité est en effet perçue comme une preuve de richesse, car donner crée la distinction sociale (on peut se permettre de le faire). Le noble se distingue également des non-nobles car il est entouré par des amis et des parents. Leur nombre est en effet un vecteur de puissance sociale, car cela offre l’accès à un réseau de relations. Le troisième critère est l’exercice du pouvoir au niveau local. Le noble encadre d’abord les hommes, à partir de sa maison : le pouvoir du noble est donc attaché à la possession de la terre. Le noble a en outre une vocation à protéger les personnes qui sont soumises à son autorité et les faibles. La noblesse médiévale est en effet par nature guerrière et sa vocation est symbolisée par le port des armes, notamment du BAUDRIER (le ceinturon qui maintient l’épée), mais aussi par la détention de châteaux. Enfin, le noble contraint et prélève, à la fois en exerçant la justice locale et en maintenant l’ordre, notamment sur ses terres. Le noble effectue également des prélèvements, liés à l’autorité qu’il exerce. Tous ces critères ont été définis à l’époque carolingienne, et on observe, aux X e-XIe siècles un renforcement de la dimension guerrière du pouvoir aristocratique, bien visible dans le monopole du combat et la généralisation des fortifications. Dès le X e siècle, un rituel vient sanctionner la dimension guerrière de la noblesse : l’ADOUBEMENT, une cérémonie de remise d’armes. Cette remise d’armes est faite par un noble plus âgé à un plus jeune. Il s’agit avant tout d’un rituel nobiliaire qui marque le passage à l’âge adulte. Le jeune homme y reçoit des armes (épée, baudrier et éperons) d’un parrain. Il est ensuite frappé par ce dernier à la base du cou (on appelle cela la COLLÉE), pour éprouver sa force. B. Châteaux et enracinement local de l’aristocratie a) Formes et chronologie des châteaux Un processus de fortification a touché l’Occident, avec des formes différentes. Les CHÂTEAUX MAÇONNÉS apparaissent clairement entre 930 et 1200, avec une généralisation au XIe siècle, et correspondent à un mode de domination seigneurial. Il s’agit de tours rectangulaires, appelées DONJONS, construites en pierre et entourées d’une palissade et d’un fossé, situées à l’écart et parfois sur des sites naturels (éperons rocheux, collines ou plaines où ils sont alors entourés d’eau). Ces châteaux maçonnés constituent souvent des occupations limitées dans le temps, avec des abandons fréquents de sites en cours de construction. 70 Un deuxième type de fortification correspond aux ENCEINTES et aux MOTTES. Les étapes de leur mise en place sont parfois connues grâce aux reconstitutions archéologiques, dans certains cas rares, comme le site germanique de Husterknupp. Dans une première phase, certains ensembles domaniaux auraient été fortifiés par des ENCEINTES CIRCULAIRES de bois garnies de fossés, dans lesquelles sont réunies des résidences aristocratiques et des bâtiments dédiés aux activités rurales. Figure 24 : Le site de Husterknupp (fin IXe siècle) Dans une deuxième phase, l’espace protégé par l’enceinte aurait été agrandi et divisé. La résidence aristocratique aurait été isolée matériellement, par des fossés, des bras d’eau et/ou des palissades, des bâtiments productifs et aurait fini par être exhaussée par des apports de terre. Figure 25 : Le site de Husterknupp (seconde moitié du Xe siècle) Dans une troisième phase, on renforce l’exhaussement et on construit sur le tertre de terre, une tour en bois quadrangulaire qui est entourée d’une palissade. Ce schéma évolutif ne peut pas être généralisé : il est clair que certaines tours ont été construites d’emblée sur un tertre de terre. 71 Figure 26 : Le site de Husterknupp (premier quart du XIe siècle) Source : MORSEL J., L’aristocratie médiévale, Ve-XVe siècle, Paris, Armand Colin, 2004, p. 92. Ce type de construction fortifiée s’appelle une MOTTE et se serait d’abord développé d’abord entre Loire et Rhin. Les sources appellent l’ensemble construit CASTRUM CASTELLUM ou et le bâtiment « tour » ou « maison ». On a donc une dissociation des lieux et surtout un isolement et une valorisation par l’exhaussement du caractère non-productif de la résidence. Au pied de la motte se trouve généralement une BASSE-COUR où sont rassemblés les bâtiments agricoles ou artisanaux, parfois une église. L’articulation de l’apparition des châteaux maçonnés et des mottes pose encore problème. On a cru longtemps que les mottes étaient les “ancêtres” des châteaux maçonnés, une sorte de première version d’un schéma castral qui se serait ensuite monumentalisé, en passant à la pierre. On sait aujourd’hui que les châteaux maçonnés ne succèdent pas aux mottes, mais ce sont plutôt les mottes qui les suivent chronologiquement. En fait, l’aristocratie construit en même temps des mottes et des châteaux maçonnés. Ces mottes sont érigées majoritairement par une aristocratie proche des comtes et des vicomtes. Elles font donc partie d’un processus d’ensemble, où les princes et leur entourage construisent des forteresses essaimées sur l’espace qu’ils contrôlent, et les confient à leurs vassaux pour les garder. Il s’agit là pour les princes, de partager leur pouvoir avec leurs vassaux, en leur confiant des lieux d’exercice de l’autorité. En dernier lieu, comme on l’a déjà souligné, on observe que les seigneurs ecclésiastiques, évêques et abbés, fortifient également leurs palais ou monastère. La généralisation des mottes et des fortifications aux XIe-XIIe siècles doit donc être interprétée comme la diffusion d’un modèle partagé par l’ensemble de l’aristocratie : le château. b) Analyse de la castellisation de l’Occident La très grande majorité de ces forteresses est due à la haute aristocratie et non à une aristocratie moyenne ou basse. Contrairement à ce que pensaient les historiens jusqu’aux 72 années 1980, il n’y a donc pas d’usurpation des forteresses : la garde des châteaux est confiée de manière légitime par les princes (évêques/comtes ou ducs) à des maîtres de châteaux (les sires) qui y exercent un pouvoir local. Le grand changement réside donc dans la transformation du rapport de l’aristocratie à l’espace, en tant que lieu de sa domination sociale. Certains historiens parlent ainsi d’un phénomène de L’OCCIDENT, CASTELLISATION DE qui montre un changement profond de l’aristocratie, sur trois plans. Le château est d’abord le signe et le moyen de l’enracinement spatial de l’aristocratie laïque, car il en devient le lieu de résidence principal. La haute aristocratie passe ainsi de la grande mobilité à un ancrage local plus marqué, où l’on réside dans des châteaux occupés les uns après les autres. Le château n’est donc plus un élément défensif (comme à l’époque carolingienne), mais un lieu de résidence plus ou moins permanent. Ce processus d’enracinement est perceptible dans la prise du nom du château par les familles seigneuriales, qui le transmettent du père aux héritiers. Le château devient également le centre d’une domination seigneuriale. Les historiens ne considèrent plus le château comme le signe d’une militarisation de la société ou comme le résultat des invasions normandes : leur fonction défensive est secondaire. À l’exception des marches, comme la Catalogne (800 châteaux, c’est-à-dire un tous les sept km), mottes et châteaux montrent que la verticalité est devenu le signe visible de la domination sociale. Le château est surtout le « point nodal d’un ensemble de droits seigneuriaux » (J. Morsel), le symbole d’un certain type de domination aristocratique qui organise l’espace. La transmission des châteaux devient un élément majeur du système de reproduction sociale. L’important n’est plus le nombre d’honneurs, mais le nombre de châteaux détenus par une famille. C’est donc le château qui devient le centre des possessions familiales et c’est autour de lui que s’organisent les familles aristocratiques. II. VASSALITÉ ET HIÉRARCHISATION DU GROUPE NOBILIAIRE A. Le système féodo-vassalique Les liens de fidélité structurent peu à peu les hiérarchies de pouvoirs internes à la noblesse : on appelle cela le SYSTÈME FÉODO-VASSALIQUE. La VASSALITÉ est un lien d’homme à homme hiérarchique, systématisé à l’époque carolingienne. Elle fait entrer quelqu’un (qui est désigné comme le « FIDÈLE » ou l’« HOMME » ou plus tardivement le VASSAL) dans la dépendance honorable d’un autre (le 73 SENIOR), par un serment de fidélité. Le FIEF est une dotation, octroyée en récompense de services rendus ou attendus. Il existe trois types de fiefs. Le CHASEMENT ou concession de terres et de droits. Le INFÉODATION : établissement d’un vassal par une FIEF DE HAUBERT (présent en Normandie) qui est le financement de l’équipement militaire du vassal et qui concerne donc surtout les chevaliers. Le FIEF-RENTE qui est une somme en argent versée au vassal par le seigneur. C’est donc le serment de fidélité qui structure en fait le groupe aristocratique : le fief n’est que l’une des conséquences scellant le pacte. Ces serments sont des contrats qui engagent les deux partenaires autour d’une clause assez neutre (« ne pas nuire »). Le senior s’engage à apporter sa protection à son vassal et c’est de lui qu’est tenu le fief, qui est parfois un château. C’est à ce titre que le senior peut exiger un droit d’albergue régulier : une fois par an, lui et sa troupe se font héberger au château tenu par le vassal. Le senior s’engage également à aider à récupérer le château s’il était pris par une autre personne. Les devoirs du vassal sont doubles : L’aide : elle peut être militaire (participation à l’ost et aux chevauchées du senior ; garde du château) et/ou financière (rançon à payer si le senior était otage ; participation financière si le senior marie ses enfants ou pour l’adoubement de ses fils) ; Un devoir de conseil, qui se concrétise par la participation du vassal à la cour seigneuriale et aux assemblées judiciaires. Figure 27 : Schéma du serment de fidélité Source : Isabelle Rosé Au cours du XIe siècle, la hiérarchie aristocratique qui résulte de l’entrée en vassalité se complexifie par la multiplication des serments de fidélité. Beaucoup de vassaux tiennent ainsi leurs pouvoirs de plusieurs seigneurs et ont donc prêté de nombreux serments de fidélité. On appelle ce phénomène les FIDÉLITÉS/HOMMAGES MULTIPLES qui posent parfois des problèmes en cas de conflits entre deux seniores. Certains vassaux sont ainsi accusés de renier 74 leur serment de fidélité : ils sont alors PARJURES et accusés de FÉLONIE. À partir des années 1020, l’aristocratie s’efforce donc de réguler les relations de fidélité, de deux manières. On définit d’abord les engagements respectifs et les situations qui les rompent. On définit aussi des HOMMAGES-LIGES, c’est-à-dire des fidélités préférentielles, qui l’emportent sur les autres en cas de conflits d’intérêt. B. Les rituels d’entrée en fidélité Peu à peu l’entrée en vassalité fait l’objet de rituels qui sont des reconnaissances publiques de la hiérarchie du groupe aristocratique. Ces rituels varient selon les régions, mais ils font toujours intervenir le senior, son fidèle, des serments, des gestes et souvent des objets symboliques, sous des formes distinctes. Le SERMENT DE FIDÉLITÉ est la forme retenue pour l’entrée en vassalité dans le Midi et il est prêté généralement au moment de la dévolution du fief (de nombreux serments sont conservés en Languedoc, dès le début du XIe siècle. La cérémonie commence par une interpellation du seigneur par le fidèle. Serment de fidélité du fidèle, en étreignant de sa main droite la main du senior. Énoncé des clauses de l’engagement. La main droite du vassal est enfin posée sur des reliques ou sur la Bible, soulignant l’engagement devant Dieu. L’HOMMAGE apparaît au XIe siècle, en particulier entre Loire et Rhin. La COMMENDATIO marque l’entrée en vassalité, par le placement des mains du fidèle entre celle de son senior (on appelle ce geste l’IMMIXTIO MANUUM). Le serment de fidélité du vassal, souvent prononcé en plaçant les mains sur des reliques ou sur la Bible, avec parfois ensuite un serment de protection prononcé par le senior. La remise du bénéfice par le senior, souvent sous une forme symbolique qui représente le bien concédé : une motte de terre ou un bâton pour un fief ; une crosse pour un évêque. Parfois un baiser sur la bouche (OSCULUM) vient clore le pacte, matérialisant l’union des contractants. 75 III. L’ÉVOLUTION DES STRUCTURES DE LA PARENTÉ NOBILIAIRES A. Les cercles de la parenté médiévale La parenté médiévale est un groupe élargi, la PARENTÈLE, qui fait intervenir trois cercles de parents. La parenté par le sang (« CONSANGUINITÉ »), c’est-à-dire par la filiation, ce que nous désignons par le terme de « parents » au sens large. Sont parents par le sang tous les descendants d’une même personne, qui constituent sa progéniture. La parenté par le mariage (« AFFINITÉ »), que nous désignons en français par le terme d’ « alliés ». Les AFFINS sont toutes les personnes d’un groupe familial uni par le sang qui deviennent des alliés d’un autre groupe familial, après le mariage de deux de leurs membres. L’Église a défini un cercle de parents non épousables, en-deçà du 7 ème degré de parenté, sinon les contrevenants pratiquent L’INCESTE. Les « amis » et la parenté spirituelle : Les AMIS sont les personnes avec lesquelles un individu entretient des relations égalitaires. La « PARENTÉ SPIRITUELLE » désigne tous les liens qui sont instaurés par l’Église hors de la parenté charnelle (c’est-à-dire hors des liens de sang et de mariage), notamment par le baptême. La parenté spirituelle est conçue comme une substitution à la parenté charnelle, considérée comme impure car découlant nécessairement de relations sexuelles. B. La modification des structures de parenté nobiliaires Entre le IX et le XIIe siècle, la noblesse change de structure de parenté, ce qui modifie les e règles des héritages et aussi de l’accès au pouvoir. Au haut Moyen Âge, la parenté est organisée autour de groupes larges et horizontaux : les SIPPEN. Ce type de parenté fonctionne de manière indifférenciée, c’est-à-dire que les héritages sont dévolus aux branches paternelles ou maternelles (les filles héritent autant que les garçons ; tous les enfants héritent). Au Moyen Âge central, la parenté se structure de manière verticale, autour de LIGNAGES, qui vont de pair avec la détention d’un patrimoine familial unique et indivisible, autour duquel se réorganise la parenté, en quatre principes. La transmission du pouvoir (et du château) se fait en LIGNE DIRECTE, c’est-à-dire en privilégiant les hommes, de père en fils. La 76 transmission repose sur la PRIMOGÉNITURE, c’est-à-dire que l’héritage se fait du père à l’aîné des fils. On restreint le mariage des cadets, qui sont placés dans des charges ecclésiastiques ou qui cherchent à s’établir ailleurs, en épousant des héritières. Les filles sont mariées pour renforcer l’influence du lignage, soit à degré d’alliance égal (pour pallier les accidents biologiques), soit elles épousent des vassaux et permettent donc leur contrôle, à degré d’alliance inférieur (désignée par le terme « HYPERGAMIE »). Ce dernier phénomène débouche sur une valorisation relative des femmes, considérées comme plus nobles et, par conséquent, comme transmettant la noblesse. L’ensemble de la parenté joue donc un rôle essentiel dans la stabilité du pouvoir lignager. Le lignage est en fait adopté progressivement. Comme on l’a vu précédemment, au niveau princier et comtal, les lignages se mettent en place dès la moitié du IX e siècle. Le lignage est ensuite adopté, par un phénomène d’imitation, par la noblesse moyenne vers le milieu du XI e siècle. 77 Chapitre X. L’ÉGLISE AU CŒUR DE LA SOCIÉTÉ SEIGNEURIALE (XE-XIE SIÈCLE) Entre la fin de l’époque carolingienne et le XII e siècle, l’Église s’impose comme médiatrice. Elle encadre en effet les hommes, de la naissance à la mort, grâce à ses rites : elle intègre les personnes en son sein dès la naissance, par le baptême ; elle dicte les règles du mariage et bénit les unions, contrôlant ainsi partiellement la reproduction sociale ; elle prend en charge l’inhumation des hommes dans un cimetière. L’Église impose par ailleurs à tous un temps chrétien, marqué par des fêtes, des temps de prières, des jeûnes. L’Église garde également le contrôle de l’accès au sacré, en imposant la médiation de professionnels : les prêtres, qui célèbrent l’eucharistie ; les reliques, souvent détenues par les monastères, font en outre l’objet d’un culte important, matérialisé par l’apparition de « STATUES-RELIQUAIRES ». Ce contrôle social est rendu possible par la lente affirmation des PAROISSES. Définie à l’époque carolingienne comme un regroupement d’hommes, la paroisse est désormais un territoire polarisé par une église et son cimetière, où les hommes sont soumis à l’autorité d’un prêtre. On s’attachera à étudier d’abord les pouvoirs des évêques (I) ; on évoquera ensuite le monachisme aux Xe-XIe siècles (II), avant de poser la question de l’existence d’une société d’ordres (III). I. LES POUVOIRS DES ÉVÊQUES A. Formes et fondements de la puissance épiscopale Le recrutement des évêques est toujours largement aristocratique. En théorie, l’évêque est canoniquement élu par le clergé et le peuple, puis confirmé par le souverain, avant d’être consacré par l’archevêque. En réalité, il s’agit d’un rapport de force entre le chapitre cathédral, l’aristocratie locale, l’archevêque et le roi. Dès la fin du IXe siècle, en Francie occidentale, le roi n’arrive plus à imposer ses choix, sauf sur les provinces de Sens et Reims, où son pouvoir est le plus marqué (ce qui n’est pas le cas en Germanie où le contrôle des évêques par le souverain est érigé en principe de gouvernement). La puissance épiscopale découle de trois facteurs. Un important patrimoine foncier et rentier, matérialisé sous trois formes : des domaines (terres et patrimoine urbain) ; des revenus multiples, sous forme de taxes, notamment des 78 TONLIEUX (qui sont des taxes sur les marchandises circulant prélevées sur les routes ou aux entrées de cité) et des droits perçus pour gérer son église (dîme, mais aussi toutes les taxes perçues dès qu’il exécute un rite) ; enfin, la détention de monastères, ce qui explique l’intervention de certains évêques dans le choix des abbés. Les évêques détiennent aussi un pouvoir d’exclusion des fidèles, avec des sanctions spirituelles. L’EXCOMMUNICATION est ainsi une exclusion de la communauté chrétienne, qui interdit tout contact avec la personne excommuniée. L’ ANATHÈME est une malédiction éternelle, qui suit souvent l’excommunication et qui est parfois synonyme de privation de sépulture. La réintégration est possible par la pénitence, qui est elle aussi contrôlée par l’évêque. L’évêque détient enfin un pouvoir de juridiction. Il s’exerce d’abord sur les clercs et les moines de son diocèse qui ne peuvent être jugés que par un évêque (on appelle cela le FOR ECCLÉSIASTIQUE). L’évêque juge aussi certains cas précis : les parjures ; les héritages ; les causes portant sur des églises du diocèse ; enfin, les affaires liées au mariage. Il juge donc souvent des laïcs. Les évêques exercent un pouvoir politique. Ce dernier passe par l’exercice de fonctions publiques. L’immunité rend en effet l’évêque directement responsable devant le roi de l’exercice des droits de ban sur ses terres et le soustrait ainsi à l’intervention du comte. L’évêque exerce alors un certain nombre de droits régaliens lucratifs : battre monnaie, lever l’ost, les tailles ou d’autres redevances Parfois, le comte s’efface au fil du X e siècle et c’est l’évêque qui acquiert les pouvoirs qu’il exerçait, en mettant en place ce qu’on appelle une SEIGNEURIE ÉPISCOPALE. Dans ce cas de figure, toute la cité est contrôlée peu à peu par l’évêque, au détriment du comte. Sur le plan chronologique, ce type de pouvoir se met en place au Nord de la Loire pendant le Xe s., s’affirme aux alentours de l’an Mil et recule au XIIe face à la réaffirmation royale. Dans le Midi de la Francie occidentale, ce type de pouvoir émerge aux XIe-XIIe siècles. Les évêques vivent souvent entourés de clercs : les CHANOINES. De manière générale, les chanoines sont des clercs qui accomplissent un service pastoral et liturgique dans une église. Lorsqu’il s’agit de la cathédrale, les chanoines en questions constituent alors le CATHÉDRAL qui assiste l’évêque ; l’église peut aussi être une COLLÉGIALE CHAPITRE dont des chanoines assurent le service du culte. Les chanoines ne prononcent pas de vœux et ont théoriquement une vie commune. Ils ont le droit de posséder des biens, sous forme de PRÉBENDE (terres et droits associés à la charge de chanoine). Le recrutement est aristocratique et régional et se fait par cooptation ou par nomination épiscopale. Souvent les charges se transmettent d’oncle à neveu et constituent un tremplin pour la fonction épiscopale. Les 79 chanoines exercent un pouvoir important, par leur richesse et leur influence, en tant que membres de l’élite locale et ils déterminent par ce biais l’élection épiscopale. Le chapitre cathédral gère une partie des ressources épiscopales, de manière indépendante de l’évêque, ce qui explique parfois l’existence de conflits avec ce dernier. B. Paix et trêve de Dieu Les mouvements de paix (PAIX ET TRÊVE DE DIEU) découlent de l’idéologie carolingienne où le roi, aidés de son aristocratie, épiscopale et comtale, doit assurer le maintien de la paix et prendre soin de ses sujets les plus humbles. Il s’agit d’assemblées, parfois appelés « conciles » qui réunissent évêques, abbés, grands laïcs et peuple, où chacun prête le serment, sur des reliques, d’œuvrer pour que la paix règne. Concrètement, on interdit la violence guerrière dans certains lieux et vis-à-vis de certaines catégories sociales (Paix de Dieu) ou à certains moments particuliers (Trêve de Dieu) : ces décisions font l’objet de canons qui doivent ensuite être appliqués à l’échelle du diocèse de l’évêque instigateur de l’assemblée. Ces mouvements sont initiés par les évêques et s’expliquent par le fait que, le souverain ne parvenant plus à exercer partout son devoir de justice et de paix, il faille trouver des moyens d’assurer ce rôle. Il s’agit principalement, en limitant la violence aristocratique, de protéger certains hommes et certains biens. Du côté des hommes, on protège les INERMES (les « faibles », c’est-à-dire ceux qui ne peuvent pas se défendre) : moines, clercs, paysans et marchands. Du côté des biens, on interdit de s’en prendre à ceux qui sont considérés comme sacrés (églises, cimetières). La chronologie de la Paix de Dieu est la suivante. En 975, il y a une première initiative épiscopale à SAINT-GERMAIN-LAPRADE par l’évêque du Puy, puis en 989, l’assemblée de CHARROUX est réunie à l’initiative de plusieurs évêques aquitains. En 990-1010, le mouvement s’étend à la Septimanie, à l’Aquitaine et au Lyonnais, puis, autour de 1020, à la Bourgogne et à la France du Nord. Pour la trêve de Dieu (qui ajoute aux canons de paix de Dieu l’interdiction de combattre pendant certaines périodes), on a une première attestation en 1027 avec le concile de TOULOUGES, puis le mouvement s’étend surtout en Provence et en Bourgogne dans les années 1040. Dans ces assemblées, les évêques agissent donc en princes temporels, imposant des normes sociales et se donnant les moyens terrestres de faire respecter leurs décisions (en formant par exemple des milices d’hommes d’armes, chargés de faire respecter les mesures prises dans leur diocèse). Ces conciles de paix ou de trêve sont ainsi un moyen pour les 80 évêques d’affirmer seuls leur autorité, notamment dans le Sud, où ils se substituent à une autorité royale ou princière défaillante ou inexistante. Au Nord, paix et trêve fleurissent dans des régions où une forte autorité centrale soutient l’initiative des évêques (Normandie, Flandre, province ecclésiastique de Reims). La paix des évêques se confond dans ces régions avec celle du prince, qui se présentent dès lors en héritier de l’idéologie carolingienne du maintien de la paix. II. LE MONACHISME AUX XE-XIE SIÈCLES A. La vie monastique La forme principale de vie monastique aux X e-XIe siècle est le CÉNOBITISME (l’érémitisme est très marginal). Les monastères sont toujours voués à un saint particulier, et estiment en être les représentants sur terre. La fondation des établissements est souvent le fait d’aristocrates laïcs : ces derniers cèdent des domaines, pour y installer une communauté sur laquelle ils auront souvent un droit de regard de diverses manières : ils contrôlent le choix de l’abbé ; ils deviennent avoués du monastère, c’est-à-dire qu’ils le représentent en justice ou qu’ils lèvent les impôts pour lui ; enfin, ils peuvent y exercer un abbatiat laïque. Théoriquement, l’abbé doit cependant être élu par ses moines, sans influence extérieure, ce qui reste assez rare. Le pouvoir abbatial est symbolisé par la crosse (métaphore de son rôle de pasteur). Le recrutement des moines reste aristocratique et se fait de deux manières : L’OBLATION : un enfant, l’OBLAT, est offert par ses parents à un monastère pour y être éduqué. La CONVERSION TARDIVE : on quitte son état de vie (souvent laïc), pour devenir moine à l’âge adulte. Parfois, cette entrée au monastère se fait juste avant la mort : on appelle cela la CONVERSION AU SECOURS. L’activité principale des moines est la prière collective, marquée par la succession des OFFICES quotidiens et chantés que l’on appelle les HEURES, au nombre de sept dans une journée. Aux Xe-XIe siècles, les moines connaissent une spécialisation dans la liturgie, au détriment de leurs activités manuelles. La prière collective s’est en effet développée, notamment en tant qu’intercession pour les morts de la noblesse. Ce phénomène a une double conséquence sur la vie des moines. Ils deviennent des intercesseurs privilégiés des laïcs, car leur prière est considérée comme plus pure. Ils s’enrichissent, puisque les donations foncières de laïcs, sont cédées en contrepartie de leur prière. Ces donations permettent aux 81 moines d’entretenir des liens étroits avec les laïcs, qui les historiens désignent comme de l’ « amitié » (AMICITIA). B. Les réformes monastiques Les abbés réformateurs sont porteurs d’un idéal qui entend soustraire l’Église à son insertion dans le siècle, en la coupant de ses liens avec l’aristocratie laïque. Il y a trois principes réformateurs : L’application de la règle de saint Benoît ; le remplacement de chanoines réguliers par des moines ; La fin des abbatiats laïques, en faisant élire comme abbé régulier un moine de la communauté. Ces mesures vont de pair avec une reprise en main du patrimoine de l’abbaye par les moines et la construction de la seigneurie du monastère. Ces réformes monastiques trouvent leur impulsion dans deux espaces : surtout à Cluny, en BOURGOGNE, qui essaima ses réformes principalement en Aquitaine, en Bourgogne, en Provence et en Italie ; dans la première moitié du Xe siècle, plusieurs abbayes de LOTHARINGIE envoient en outre leurs moines restaurer des établissements. Figure 28 : Carte des réformes monastiques du Xe siècle Source : Isabelle Rosé Au Xe siècle, ces restaurations reposent sur la collaboration entre des abbés réformateurs et des membres de la noblesse laïque ou cléricale. Le réformateur est appelé par la personne qui a des droits sur un établissement, en tant que fondateur ou abbé laïque. La réforme est ainsi un moyen, pour la famille aristocratique qui l’impulse, de tisser de nouveaux liens avec le saint 82 de l’abbaye. Certains abbés deviennent ainsi des “spécialistes” des réformes et dirigent simultanément plusieurs établissements : on appelle l’ensemble mouvant formé par ces établissements réformés un « MULTI-ABBATIAT ». À la fin du Xe siècle, certains multiabbatiats se transforment en CONGRÉGATIONS OU ÉGLISES MONASTIQUES. Il s’agit d’un ensemble composé d’abbayes et de prieurés, qui dépendent d’une abbaye centrale. Le meilleur exemple de cette évolution est Cluny. À partir des années 1020, ces congrégations sont de véritables « Églises dans l’Église », dans le sens où elles ont leur propre organisation interne, sur lesquelles l’institution ecclésiale a peu de prises. Figure 29 : La congrégation (ou Église) clunisienne Source : Isabelle Rosé Le but des réformes est de protéger les monastères de l’influence extérieure. Le premier moyen de le faire est une nouvelle IMMUNITÉ, développée à partir du Xe siècle. Personne, détenant un pouvoir, n’a le droit de l’exercer sur les biens de l’abbaye. C’est le cas par exemple pour Cluny en 931. Ces immunités tendent à définir des zones inviolables autour des monastères, qui sont placées sous la seule autorité abbatiale. Le deuxième moyen de protéger les monastères est l’EXEMPTION, qui se développe à la fin du Xe siècle, notamment à Fleury et Cluny. Théoriquement, les monastères sont soumis à l’évêque dans le diocèse duquel se trouve leur établissement (cet évêque est désigné comme le 83 DIOCÉSAIN). Les exemptions ont pour effet de rattacher les établissements monastiques directement à la juridiction du pape, les coupant ainsi de l’ingérence de leur évêque. Ces mesures juridiques permettent, dans une société où le pouvoir pèse à l’échelle locale, de se mettre à l’abri des revendications des seigneurs voisins et permettent donc aux moines de construire leurs propres seigneuries. III. UNE SOCIÉTÉ D’ORDRES ? A. La multiplication des modèles de société Après l’effacement du pouvoir royal à la fin du IX e siècle, on voit se multiplier, en Francie occidentale, les modèles de société aux Xe-XIe siècles. Cela s’explique par le fait que le pouvoir impérial, garant de l’ordre social, n’existe plus et il faut donc lui trouver un ou des substitut(s) dans cette fonction (le substitut étant monastique ou épiscopal). Le but est, comme à l’époque carolingienne, d’assigner une fonction sociale à l’ensemble des hommes et de les conduire au Salut. Ces modèles sont donc concurrents et émanent des différents acteurs de l’Église, qui entendent ainsi affirmer leur domination sociale, y compris sur le plan idéologique. L’opposition de ces modèles est claire vers 1000-1020/1030. On assiste en effet à la confrontation de deux manières de penser la société. Il existe un modèle monastique, théorisé autour d’ODILON DE CLUNY (vers l’an Mil) : il s’agit d’un ordonnancement hiérarchisé combattants/paysans/« troisième ordre » monastique (sans mention des clercs). Les moines, au sommet d’une hiérarchie, doivent être des modèles pour l’ensemble de la société et à lui servir de guides jusqu’au royaume céleste. Affirmer la supériorité des moines sur la société revient donc à affirmer l’autonomie monastique et à défendre son aptitude à diriger l’Église. 84 Figure 30 : La société selon Odilon de Cluny Source : Isabelle Rosé Un modèle épiscopal est construit en réaction au premier, par les évêques ADALBÉRON DE LAON et GÉRARD DE CAMBRAI. Leurs modèles ont la même source que celui d’Odilon, mais réinterprétée dans un sens épiscopal qui exclut clairement les moines : clercs (prière, prédication, distribution des sacrements), combattants (protection), serfs ou paysans (nourriciers). Le fonctionnement harmonieux est imposé par le souverain en collaboration avec les évêques. 85 Figure 31 : Les modèles d'Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai Source : Isabelle Rosé Malgré leur opposition, ces modèles présentent donc un point commun : la défense de la position prééminente de ceux qui prient sur le reste de la société, ce qui fait parfois l’objet de contestation. B. Les contestations de l’Église : le « printemps des hérésies » (10001020) L’« HÉRÉSIE » est une doctrine ou une opinion erronée émise au sein de l’Église et condamnée par cette dernière. Autour de l’an Mil, les mouvements, connus essentiellement par des auteurs monastiques, ne sont pas doctrinaux, mais mettent en cause le contrôle exercé par l’Église sur la société. Ces mises en cause s’expliquent comme des résistances à un essor général des moines et au modèle de société qu’ils véhiculent. Les personnes accusées d’hérésie sont généralement des paysans : les historiens parlent donc d’« hérésies populaires ». Plusieurs « affaires d’hérésie » sont dénoncées, sans liens entre elles, avec toujours la même structure de récit : La découverte d’un ou plusieurs hérétiques par un évêque, dans le cadre de ses tournées pastorales ; L’arrestation de ces personnes et leur interrogatoire par l’évêque ; Les hérétiques sont ensuite confondus par la science de l’évêque, puis ils se 86 repentent et sont réintégrés dans l’Église, s’en s’excluent eux-mêmes (suicide) ou sont condamnés et livrés au bras séculier pour être exécutés (bûcher à Orléans). Ces affaires d’hérésie sont donc réglées à l’échelle locale. Les hérésies de l’an Mil, dans ce qu’on en connaît et dans les discours qui sont prêtés aux hérétiques, peuvent être analysées comme une contestation de l’ordre social imposé par l’Église, sur trois plans. Il s’agit d’abord d’une contestation du système d’échanges matériels entre clercs et laïcs, que l’Église contrôle et au centre duquel elle se trouve. Les hérétiques refusent en effet la dîme, les aumônes ou des droits de sépulture. Il s’agit aussi d’une contestation de la médiation obligatoire de l’Église : refus des trois rituels (baptême, mariage, inhumation dans les cimetières) qui concrétisent le contrôle ecclésial sur les laïcs ; refus de l’Église, en tant que médiatrice entre ciel et terre, par l’eucharistie, le culte des reliques, ou l’adoration de la croix ou la liturgie ; enfin refus du monopole ecclésial sur le texte sacré, en revendiquant un accès direct à la Bible. Les hérésies apparaissent aussi comme une transgression de la société d’ordres proposée par l’Église. Les hérétiques, qui sont des laïcs, imitent en effet par leur comportement les clercs (en recherchant l’accès direct à la Bible et en prêchant) et surtout les moines (ils veulent vivre en communauté, être chastes, ne pas manger de viande et prier quotidiennement). IV. CONCLUSION : LE MILLÉNARISME Dans les ouvrages ou revues de vulgarisation, on évoque souvent le fait que les hommes, autour de l’an Mil, avait peur que la fin des temps n’arrive, croyance qui est souvent désignée comme du « millénarisme ». Le « MILLÉNARISME » est la croyance en l’existence d’un règne de mille ans du Christ avant le jugement dernier. Cette idée a été combattue dès le début du christianisme et ne fit en aucun cas l’objet d’une doctrine établie. L’idée des « TERREURS DE L’AN MIL » est une création du XVIe siècle qui a été popularisée au XIXe siècle par des historiens romantiques. On sait aujourd’hui que ces craintes n’apparaissent dans aucune source. Les mentions de miracles ou de signes étonnants autour de l’an Mil ne sont d’ailleurs jamais articulés à l’angoisse de la fin des temps. Ces deux notions, millénarisme et terreurs de l’an Mil sont donc des constructions historiographiques, destinées à véhiculer une image sombre du Moyen Âge. 87 Chapitre XI. LA RÉFORME DE L’ÉGLISE Quand on parle de « réforme de l’Église », on évoque la réforme de l’institution ecclésiale (c’est-à-dire des clercs et pas des moines) que l’on désigne aussi comme « RÉFORME GRÉGORIENNE ». Son but affiché était de moraliser les clercs qu’on considérait comme indignes. L’adjectif « GRÉGORIEN » a été formé à partir du nom du pape GRÉGOIRE VII (1073-1085), le pape le plus radical, mais dont le pontificat ne correspond qu’à un épisode d’un processus plus long. On considère généralement que ce processus s’étend de 1030 à 1122 : la date de 1030 correspond aux premières réformes canoniales, tandis que 1122 est le moment du CONCORDAT DE WORMS qui met fin au conflit entre le pape et l’empereur, qui a découlé des prises de positions radicales des réformateurs. Plus globalement, la réforme de l’Église consiste en une redistribution des pouvoirs, notamment en une CENTRALISATION de l’institution ecclésiastique sur Rome et le pape. Cette redistribution des pouvoirs aboutit à la première construction d’un État hiérarchique, avec des structures institutionnelles viables. On s’intéressera d’abord à la papauté réformatrice (I), puis à la réforme sur le terrain (II) et enfin aux conséquences de cette réforme (III). I. LA PAPAUTÉ RÉFORMATRICE A. Les combats réformateurs Dans deux domaines, les réformateurs luttent contre l’impureté des clercs. Le NICOLAÏSME désigne le mariage ou le concubinage des clercs (les sources appellent parfois cela l’« INCONTINENCE »). Auparavant, le mariage des prêtres était toléré, mais il ne l’est plus après 1030. La lutte contre le nicolaïsme s’explique par deux raisons. Un effort de moralisation des clercs, en plaquant sur eux les devoirs exigés des moines, sur le plan du comportement sexuel : la continence des clercs a pour but le bon accomplissement de leurs devoirs. Par ailleurs, certains clercs mariés transmettaient leur charge à leurs enfants. Il s’agit donc, pour l’institution ecclésiale, d’avoir un meilleur contrôle des charges ecclésiastiques. L’exigence du célibat accroît ainsi la distance entre le monde des clercs et celui des laïcs, tout en rapprochant le monde des clercs de celui des moines. 88 Le terme de SIMONIE vient de SIMON LE MAGICIEN, personnage biblique qui avait voulu acheter aux apôtres le don du Saint-Esprit. Au départ, le terme condamne l’achat ou la vente de charges ecclésiastiques. Peu à peu, la simonie désigne toute forme d’intervention des laïcs sur les biens, les droits et les fonctions ecclésiastiques, même si aucune somme d’argent n’a été versée. C’est surtout l’INVESTITURE des évêques par des laïcs qui est considérée comme un problème. On appelle investiture le fait, pour un roi ou un prince, d’installer un évêque dans un diocèse, en lui remettant sa crosse, puis en recevant son serment de fidélité. Pour les réformateurs, le problème réside dans le fait que le roi concède cet honneur, ainsi que les biens qui l’accompagnent, comme s’il lui appartenait. Or, les réformateurs partent du principe que chaque diocèse dispose de biens qui ne doivent pas passer entre les mains de laïcs. Dans ces deux domaines, nicolaïsme et simonie, l’important est donc la propriété ecclésiastique. B. La réforme de la papauté La réforme touche aussi l’institution pontificale, dans un lent processus où l’on passe du choix des papes par les empereurs à leur autonomie totale vis-à-vis de l’institution impériale, voire à l’affrontement avec eux. On qualifie la première phase de « PRÉ-GRÉGORIENNE » : elle se situe sous l’empereur HENRI III, entre 1039 et 1058. L’empereur Henri III place sur le siège pontifical plusieurs évêques germaniques, issus des milieux réformateurs monastiques lotharingiens. Parmi ces pontifes, on peut évoquer surtout l’ancien évêque de Toul, BRUNON, qui devient pape sous le nom de LÉON IX (1049-1054). Léon IX s’entoure de réformateurs monastiques, notamment le moine HILDEBRANDT (futur Grégoire VII), et PIERRE DAMIEN (grand théoricien de la réforme). Cette première réforme découle donc de l’implication impériale dans les affaires de l’Église : c’est l’empereur qui nomme des papes réformateurs car il détient des responsabilités vis-à-vis de l’Église. Pape et empereur organisent ensemble des conciles pour assainir l’Église, en luttant contre la simonie et le nicolaïsme. Une deuxième phase, parfois qualifiée de « GRÉGORIENNE » proprement dite (entre 1059 et 1085), correspond au moment de l’émancipation des papes vis-à-vis de l’autorité impériale, puis à celui de leur affrontement. NICOLAS II (1058-1061) réforme la procédure de choix du pape en 1059 : l’élection passe aux mains des CARDINAUX, évêques de la région de Rome dont le pouvoir est reconnu comme supérieur aux autres. L’empereur n’intervient que pour approuver leur décision. GRÉGOIRE VII (1073-1085), l’ancien moine Hildebrandt, radicalise 89 ses exigences et accroît les tensions avec l’empereur dans un texte célèbre, les PAPAE, DICTATUS composé en 1075. Le texte contient trois affirmations principales : Le pape exerce un pouvoir THÉOCRATIQUE (système politique dont le dirigeant est le représentant de Dieu sur terre). Le pape dirige une monarchie, qui se fonde sur le PRIMAT ROMAIN, c’est-à-dire sur la place prééminente du pape dans l’Église, en tant que successeur de Pierre. Cela met fin à l’idée d’une direction collégiale de l’Église, par l’ensemble des évêques. Les membres de l’Église, et notamment le pape, exercent un pouvoir supérieur par son essence religieuse à tous les autres pouvoirs : l’AUCTORITAS. Cette phase « grégorienne », se caractérise par des oppositions violentes, allant d’excommunications réciproques aux conflits armés, entre Grégoire VII et l’empereur Henri IV, souvent déclenchées par la destitution pontificale de clercs considérés comme simoniaques. La réforme grégorienne ne relève donc pas seulement de l’effort normatif et de la réforme individuelle des comportements : il s’agit de véritables affrontements où les évêques et les grands laïcs doivent prendre position. La troisième phase est « POST-GRÉGORIENNE », entre 1085 et 1124. Elle est marquée par le pragmatisme des papes, pour s’adapter aux réalités politiques et sociales et accepter, d’une certaine manière, le pouvoir impérial. Cette période est marquée par le pontificat d’URBAIN II (1088-1099). Malgré le maintien théorique des positions de Grégoire VII, ce pape et ses successeurs tentent de résoudre les affaires de simonie au cas par cas, en posant les bases de la coexistence des pouvoirs laïques et ecclésiastiques. C. Les instruments de la centralisation romaine Ces instruments sont théoriquement créés pour faire appliquer la réforme, mais ils conduisent surtout à une centralisation de l’Église sur Rome. On note d’abord un renforcement des LÉGATS. Les légats sont des envoyés spéciaux du pape qui le représentent avec les mêmes pouvoirs que lui (à l’origine ils sont abbés, évêques ou cardinaux). Les légats sont revêtus de pouvoirs renforcés sous Grégoire VII qui leur permettent de convoquer des conciles, mais aussi de déposer les contrevenants aux normes des réformateurs. Les légats constituent ainsi un instrument privilégié de la centralisation pontificale, parce qu’ils court-circuitent la hiérarchie ecclésiastique. L’application de la réforme se fait en outre par la convocation, par le pape ou son légat, d’assemblées ecclésiastiques, en particulier de conciles. Ces conciles sont un outil de centralisation dans le sens où ils répètent, dans divers lieux, les principes grégoriens de 90 moralité et d’élection des clercs. À partir de Grégoire VII, les conciles deviennent en outre l’instrument de la convocation, du jugement et de la déposition des clercs accusés de simonie. Le dernier facteur de centralisation est l’enrichissement du du droit de l’Église, qui circule sous la forme de DROIT CANONIQUE. COLLECTIONS, Il s’agit qui affirment la supériorité du spirituel sur le temporel. La plupart de ces textes fixent les normes de comportement exigées des clercs (mais aussi des laïcs) et définissent plus clairement les obligations sacramentelles. II. LA RÉFORME EN ACTION A. La réforme des évêques Les penseurs grégoriens conçoivent comme illégitimes les relations trop étroites entre clercs et laïcs, disqualifiées par l’accusation récurrente de simonie. Ils imposent donc de nouvelles normes pour le choix des évêques et l’octroi de leur charge. La chronologie est donc décalée par rapport à celle de la papauté, puisque c’est cette dernière qui impulse la réforme des évêques. La PREMIÈRE RÉFORME (1049-1073) concerne l’Est du royaume de France, la Lotharingie et le royaume de Bourgogne. Les premiers réformateurs sont des évêques traditionnels, issus de la haute aristocratie, soucieux de restauration morale et disciplinaire, sans rupture avec l’empereur ou le roi. La RÉFORME RADICALE (1073-1099) pose problème surtout en Germanie, en deux phases. De 1073 à 1075, l’Église germanique réagit de plus en plus en plus mal à la réforme telle qu’elle est radicalisée par Grégoire VII, pour deux raisons : tout d’abord, l’extension de la notion de simonie à tous les rapports entre clercs et laïcs fragilise les évêques qui entretiennent des relations étroites avec l’empereur, dont ils tirent leur puissance et leur richesse ; par ailleurs, les évêques refusent l’idée de la prééminence du pape et sont partisans d’une direction collégiale de l’Église. De 1075 à 1099, les conflits entre partisans et opposants à la réforme se cristallisent autour des investitures de clercs, ce que l’historiographie appelle la « QUERELLE DES INVESTITURES ». Pour les réformateurs, l’empereur, en tant que laïc, n’a pas le droit de conférer une fonction religieuse car il s’agit d’un pouvoir sacré qu’il usurpe. Pour l’empereur germanique, son intervention est légitime car, en tant qu’héritier de l’idéologie du pouvoir carolingien, il dirige l’Église et la société, en collaboration avec le pouvoir épiscopal, exercé de manière collégiale. S’ensuivent de 91 nombreux affrontements, notamment des excommunications réciproques du pape et de l’empereur. Après 1099, le « SECOND GRÉGORIANISME » est soucieux d’apaisement. C’est l’élection de l’évêque qui est mise en avant comme solution aux conflits, même s’il s’agit en fait d’une fiction juridique, qui masque l’intervention pontificale (fréquente jusqu’au début XII e siècle) et le rôle électif du chapitre. On note des différences géographiques, puisque la pression grégorienne est plus forte dans le Sud où les sièges échappent aux familles laïques avant la fin du XIe siècle, tandis que les interventions princières restent fréquentes dans le Nord. Pour l’investiture, un compromis est élaboré par le canoniste YVES DE CHARTRES. On distingue désormais deux moments dans l’investiture épiscopale : Le nouvel évêque est consacré et reçoit de l’archevêque de sa province l’investiture de sa charge pastorale, par la remise de la crosse qui représente son pouvoir spirituel. Il reçoit l’investiture de ses attributs régaliens et seigneuriaux de la part du roi ou du prince, au moyen d’un autre symbole (souvent un bâton), qui représente son pouvoir temporel. C’est pour ces attributs seulement qu’est prêté le serment de fidélité au roi. Cette procédure est adoptée à différents moments selon les royaumes : en 1107 dans le domaine anglo-normand, en 1108 en Francie occidentale et en 1122, lors du CONCORDAT DE WORMS, en Germanie. B. La réforme des communautés canoniales après 1030 Cette réforme épiscopale a parfois été précédée chronologiquement par une autre réforme de clercs, celle des chanoines. Les réformes canoniales sont portées par deux principes. Un mode de vie plus exigeant, avec deux règles au choix : soit une interprétation stricte de la RÈGLE D’AIX, soit la RÈGLE DE SAINT AUGUSTIN, qui repose sur l’ascèse. Ce qui compte, c’est d’avoir une « vie régulière », c’est-à-dire de suivre une règle. L’abandon de la propriété individuelle, ce qui rapproche les chanoines d’un mode de vie monastique. Cette mesure explique que de nombreux chapitres résistent à la réforme. La réforme des communautés canoniales commence dès les années 1030, où certains évêques du Midi introduisent la vie régulière dans leurs chapitres cathédraux, dans des initiatives isolées. La papauté amplifie ce premier mouvement, à partir de 1060 : la règle d’Aix est imposée, ainsi que la vie communautaire, tandis que la désappropriation n’est qu’une invitation. Les modalités de réforme font intervenir l’évêque et quelques chanoines, souvent aussi des abbés et de grands laïcs : l’évêque a souvent été élu canoniquement et 92 souhaite donc un entourage répondant aux mêmes critères grégoriens. Parfois néanmoins, les réformateurs se heurtent à un refus des chanoines : dans ce cas, seule une partie du chapitre pratique la vie commune et attend la mort des autres. La réforme touche aussi les chanoines des COLLÉGIALES, qui sont des « clercs réguliers » au service des fidèles et investis de missions pastorales dans le ressort de l’église à laquelle ils sont rattachés. Certains d’entre eux en viennent à former de véritables congrégations, sur le modèle des Églises monastiques, comme celle de SAINT-RUF (après 1040). Les chanoines de la collégiale de Saint-Ruf ont une vie commune, selon une interprétation stricte de la Règle d’Aix. Saint-Ruf devient ensuite un foyer de réforme canoniale, avec une mise par écrit des coutumes qui se diffusent surtout dans le Midi. Saint-Ruf finit par mettre en place un ensemble de communautés affiliées entre elles, dépassant les cadres diocésains et échappant au contrôle épiscopal. D’autres congrégations de chanoines réguliers se développent au XII e, notamment les PRÉMONTRÉS. III. CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME A. L’essor des pouvoirs épiscopaux En Germanie, le maintien de l’investiture par le roi lui permet de conférer aux évêques des seigneuries entières et les évêchés deviennent alors des principautés. Dans le Nord-Est du royaume de France, toute une série d’évêques parvient de même à capter progressivement la totalité ou une grande partie des pouvoirs comtaux. Plus souvent, dans le Midi surtout, les évêques imposent au comte un partage topographique des cités : on distingue alors la cité du comte ou du vicomte de la cité de l’évêque. B. Une nouvelle manière de penser la société La réforme grégorienne est l’occasion de la naissance et surtout de la diffusion d’un nouveau modèle de société. Ce dernier est cette fois dual : il oppose et hiérarchise très fortement les clercs aux laïcs. « L’ORDRE DES CLERCS » regroupe moines et clercs dans une même catégorie qui se consacre à la prière. Ce rassemblement découle d’un double phénomène : tout d’abord la généralisation de l’ordination des moines, qui sont devenus des moines-prêtres (cumulant la position de clercs et de moines) ; par ailleurs, l’imposition aux clercs, avec la réforme, de 93 normes de vie qui n’étaient jusque-là requises que des moines, en particulier le célibat pour tous et la vie en communauté dans le cas des chanoines. Le reste des hommes sont des LAÏCS et sont soumis aux clercs. Ils peuvent être mariés, posséder des biens et être engagés dans les activités séculières. Leur devoir principal est de faire l’aumône aux clercs. Cette division clercs/laïcs devient juridique par son incorporation dans le principal traité de droit canon, celui de GRATIEN, vers 1140. C. Le bouleversement des relations entre moines et laïcs On a vu précédemment que les seigneurs laïcs possédaient des biens ou des droits ecclésiastiques, soit de manière partagée (par des précaires), soit parce qu’ils détenaient des églises ou les profits et revenus qui leur étaient attachés. Or les discours grégoriens finissent par considérer comme de la « simonie » ce type de possession, car ils estiment que la propriété ecclésiastique est sacrée et ne doit donc pas être souillée entre les mains de laïcs. Ils réclament donc massivement leur « restitution » aux membres de l’Église. Ce type d’argument revient donc à disqualifier, à rendre illégitime, la détention de biens ecclésiastiques par les seigneurs laïcs. Autour de 1050, ce discours sur les biens ecclésiastiques a des conséquences d’abord sur les monastères, puisqu’il entraîne des conflits entre les moines et les laïcs qui, quelques décennies auparavant, entretenaient des relations très étroites. Ces conflits, réglés par voie judiciaire, contribuent donc à fortifier le pouvoir des moines sur leurs seigneuries, puisqu’ils captent à cette occasion des biens et des droits qui étaient auparavant détenus par les laïcs (notamment les églises, les dîmes et les revenus ecclésiastiques). La crise grégorienne a aussi des conséquences sur les seigneuries laïques, qui ont désormais un caractère exclusivement temporel, puisqu’elles sont contraintes de donner aux moines et aux clercs tout ce qui relève de la sphère ecclésiale. Le tournant grégorien remet ainsi profondément en cause l’amitié entre laïcs et moines, ce qui a des répercussions très concrètes. On constate ainsi partout une crise du système du donéchange, caractérisée par un effondrement des donations aux monastères après 1060. 94 D. L’irruption du « nouveau monachisme » e À la fin du XI siècle, plusieurs moines entendent revenir à un idéal érémitique, marqué par une vie de pauvreté et de prière. Ils s’inscrivent ainsi en opposition avec un « MONACHISME TRADITIONNEL » symbolisé par Cluny, accusé de s’être trop enrichi par le système du don-échange qui aurait affaibli la rigueur du mode de vie. Le « NOUVEAU MONACHISME », qui naît de ces initiatives, apparaît donc au moins partiellement comme la conséquence des discours grégoriens relatifs à la coupure franche avec le siècle. Les différentes formes de vie religieuse qui résultent de ces critiques s’accordent sur trois idées. Une rupture ferme avec le monde qui se traduit par l’isolement géographique des nouvelles communautés et par le refus des rapports étroits avec l’aristocratie laïque. Un retour à une plus grande pauvreté, concrète et ascétique, qui explique la remise à l’honneur du travail manuel, en exploitant directement leurs terres (contrairement aux moines traditionnels qui vivent essentiellement des loyers et des taxes que leur procurent leur patrimoines fonciers). Une hiérarchie duale interne qui reprend la division clercs/laïcs et scinde les communautés en deux groupes : d’une part les PROFÈS, moines à part entière qui se consacrent aux activités liturgiques et intellectuelles ; d’autre part les CONVERS, qui se trouvent à une place subalterne, liée à leur occupation aux tâches matérielles. On peut retenir – parmi d’autres – deux initiatives importantes, qui émergent fin XIedébut XIIe siècle. ROBERT DE MOLESME († 1111), après être passé par plusieurs expériences érémitiques, fonde en Bourgogne deux communautés, MOLESME (1075) et CÎTEAUX (1098). Le modèle mis en place par Robert est un cadre bénédictin avec des aspirations ascétiques qui conduisent à une lecture rigoriste de la règle bénédictine. Le grand tournant cistercien est donné par son successeur : BERNARD DE CLAIRVAUX. Les Cisterciens restent en définitive relativement proches du monachisme traditionnel, si ce n’est dans la gestion de leurs terres (cultivées en faire-valoir direct). On est dans un cadre bien différent avec l’ermitage de la GRANDE CHARTREUSE, fondé par BRUNO, près de Grenoble, en 1084. Il y instaure un mode de vie semi-érémitique, avec des possessions monastiques limitées et une vie communautaire réduite au minimum (la messe du dimanche célébrée ensemble, ainsi que le repas qui la suit), le reste du temps étant passé dans la solitude. À côté de ces deux voies cénobitiques (mais il en existe d’autres, les CAMALDULES en Italie ou les FONTEVRISTES dans l’Ouest, etc), d’autres expériences érémitiques choisissent plutôt l’institutionnalisation canoniale, comme les PRÉMONTRÉS, fondés par NORBERT DE XANTEN en 1120. 95 IV. CONCLUSION : UNE RUPTURE IDÉOLOGIQUE FONDAMENTALE On passe ainsi d’une vision impériale du monde, carolingienne-ottonienne, où les sphères laïques et ecclésiastiques sont confondues à une conception grégorienne et pontificale où le pouvoir temporel (REGNUM) et le pouvoir ecclésial (SACERDOTIUM) sont des domaines bien séparés, le second (incarné par la monarchie pontificale) pouvant trancher les conflits entre les princes puisqu’il est nettement supérieur au premier. C’est donc la conception même du pouvoir qui change lors de la réforme. 96 Chapitre XII. LES MONARCHIES À L’ÉPOQUE FÉODALE (X -XI E E SIÈCLES) La féodalité est souvent analysée comme une force contraire à la royauté. La féodalité consiste en effet en une recomposition des pouvoirs qui se fait au détriment du pouvoir central qu’ambitionne d’être la royauté, puisque les seigneurs exercent leur autorité sans en référer au souverain. La monarchie se définit donc comme un système antagoniste : elle repose sur le pouvoir d’un seul individu, le roi ; tous les autres sont ses sujets et lui sont donc soumis. Nous allons analyser les différents types de rapports entre royauté et féodalité, à travers 3 cas de figure : le royaume anglo-normand (I), l’Empire (II) et la Francie occidentale (III). I. LE ROYAUME ANGLO-NORMAND : LA FÉODALITÉ INSTRUMENTALISÉE A. La naissance du royaume anglo-Normand À la fin de l’époque carolingienne, les îles britanniques se composent de plusieurs royaumes saxons. Le royaume dominant est le WESSEX qui devient le royaume d’Angleterre au début du Xe siècle, et qui est réorganisé sur le plan politique et religieux. Au début du XI e siècle, le royaume d’Angleterre est partiellement conquis par les Danois. EDOUARD LE CONFESSEUR (1042-1066) est le dernier représentant de la dynastie du Wessex, parvenu au pouvoir en raison des querelles entre les Danois. De son côté, la Normandie est un territoire qui avait été concédée à des chefs normands en 911. Un duc contrôle la principauté en cumulant plusieurs comtés et parvient à en conserver le contrôle en les confiant à des parents. La Normandie reste fidèle au roi de Francie Occidentale jusqu’en 1050 et elle est la principauté la plus puissante et la plus peuplée du Nord. La puissance du duc repose sur le fait qu’il contrôle très bien ses vassaux. 97 Figure 32 : Les royaumes anglo-saxons en 878 Source : http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_England La puissance du duc de Normandie explique sa conquête de l’Angleterre. En 1066, le roi saxon Edouard le Confesseur meurt sans héritier direct et les seigneurs anglo-saxons élisent HAROLD comme roi. GUILLAUME « LE BÂTARD » (surnommé ainsi parce qu’il est un fils illégitime), duc de Normandie, conteste l’élection car il est parent d’Édouard le confesseur. Depuis son arrivée à la tête du duché, il a remporté plusieurs victoires militaires, contre des seigneurs rebelles, puis contre le roi de France. Guillaume part avec son armée en Angleterre et vainc Harold à la bataille d’HASTINGS en 1066. Il devient roi d’Angleterre la même année et se fait alors surnommer « le Conquérant ». Le contrôle de l’Angleterre prend en fait dix ans, pour mater les révoltes. Guillaume et ses successeurs contrôlent donc un territoire en deux parties, qui mêle des traits anglo-saxons et continentaux. B. Caractéristiques du royaume anglo-normand Le royaume anglo-normand reprend plusieurs éléments anglo-saxons. Une organisation administrative forte, puisque le royaume est divisé en COMTÉS (SHIRES). un agent du roi sont présents pour exercer la justice : le SHERIFF. Dans chaque comté, Des structures assurant les moyens d’un pouvoir central : un impôt direct qui à l’origine avait été créé pour permettre la lutte contre les Danois ; l’imposition d’un serment de fidélité à tous les sujets ; enfin, la régularité du service armé de la part de tous les libres. 98 D’autres éléments sont importés de Normandie. La construction d’un DOMAINE ROYAL important, c’est-à-dire de terres qui appartiennent directement au souverain et qui proviennent des confiscations de la conquête. On appelle ce domaine royal la « FORÊT » (bois et labours réservés au roi). Le contrôle de l’Église par le souverain, en installant des abbés et des évêques normands fidèles, qui sont autant de points d’appui au pouvoir souverain. L’installation d’une nouvelle aristocratie francophone et féodale, qui permet l’élimination progressive des nobles anglo-saxons (qu’on appelle des nobles normands (qu’on appelle des BARONS). EARLS), qui sont spoliés au profit de Mise en place d’une structure féodale rigoureuse et importée, c’est-à-dire où chacun est lié à des vassaux, le tout remontant hiérarchiquement vers le roi. Le résultat est un royaume au pouvoir royal fort qui utilise la féodalité. Le roi d’Angleterre a un pouvoir centralisé qui repose sur les structures féodales. Il dispose en outre de moyens financiers importants, qui résultent de la détention du domaine royal et des impôts. Tous les nobles, qui exercent des fonctions judiciaires au nom du roi, lui doivent par ailleurs un serment de fidélité. Il dispose enfin d’une armée qui est FÉODALISÉE, c’est-à-dire que ceux qui y participent ont été armés par le roi en échange d’un serment de fidélité. Soulignons pour terminer que le roi a une « double casquette », parfois difficile à gérer. Pour ses territoires anglais, le roi est souverain et ne se reconnaît pas de pouvoir supérieur. Pour ses territoires normands, en revanche, le roi d’Angleterre est duc et, à ce titre, il demeure vassal du roi de France et doit donc lui prêter hommage et lui jurer fidélité. Cet élément est un facteur de crispations entre les royaumes, en raison de la puissance du roi d’Angleterre. II. L’EMPIRE : LA FÉODALITÉ IGNORÉE L’Empire regroupe en fait plusieurs couronnes : celle de Germanie, celle d’Italie et celle de Bourgogne (qui se confond avec celle de Germanie de plus en plus). A. La Germanie Les OTTONIENS, puis les SALIENS exercent longtemps un pouvoir fort. Les grands sont en effet liés au roi par des liens de vassalité et donc par la féodalité. Le souverain germanique dispose d’ailleurs de trois atouts: La persistance de la tradition carolingienne qui lui confère un grand prestige, matérialisé par le couronnement impérial devenu systématique ; de nombreux succès militaires ; Le système d’Église impérial dans lequel le pouvoir royal 99 s’appuie sur des évêques qui sont ses vassaux et qui permet de contrebalancer le pouvoir des vassaux laïques. La réforme grégorienne modifie toutefois considérablement les moyens du pouvoir royal. La lutte contre la simonie, puis la querelle des investitures entravent en effet l’aptitude du souverain à nommer les évêques et les abbés, entre 1075 et 1122. Le roi perd donc partiellement les moyens de sa politique et les grands vassaux en profitent pour accaparer les anciennes prérogatives du pouvoir royal. Les princes laïcs et ecclésiastiques finissent par mener une politique autonome où le souverain a très peu de moyens d’action. Au début du XIIe siècle, on a donc en Germanie une configuration où la royauté est conservée par une féodalité dominante, d’autant que désormais le poids des grands dans l’élection royale est décisif et a pris le pas sur l’hérédité. B. La péninsule italienne La péninsule italienne se partage en trois entités. Aux Xe-XIe siècles, le D’ITALIE ROYAUME n’est plus vraiment autonome, dans le sens où la couronne est revendiquée de plus en plus systématiquement par les rois de Germanie. C’est avec l’empereur OTTON Ier que commence ce phénomène. La quête de la couronne d’Italie était en effet liée à l’association entre la royauté italienne et le titre impérial. Le royaume d’Italie (en vert) couvre l’Italie du Nord et du centre. L’ÉTAT « TERRITOIRE DE SAINT PONTIFICAL (en bleu), que l’on nomme à l’époque PIERRE », est la deuxième entité majeure. Sa formation remonte à l’alliance de la papauté avec les Carolingiens. Il s’agit d’une principauté qui couvre Rome et sa région. Enfin, le Sud de la péninsule (en rouge) est moins cohérent : d’abord contrôlé par Byzance, il voit s’installer des Normands au cours du XIe siècle qui fondent au XIIe siècle le ROYAUME DE SICILE. 100 Figure 33 : La péninsule italienne au Xe-XIe siècles (d’après http://www.bellitalie.org/histoire-italie-haut-moyen-age.php) Ce contexte structurel explique le développement de COMMUNES ITALIENNES. L’Italie présente en effet un réseau urbain dense et indépendant, tandis que l’éloignement structurel de l’empereur (qui ne vient en Italie que pour se faire couronner et mâter les révoltes) explique l’absence de pouvoir fort. Les villes constituent donc des lieux de pouvoir rééls, qui sont sous domination des évêques jusque dans les années 1050. L’évêque dirige en effet la cité et arbitre les conflits. Il est entouré par des groupes vassaliques qui appartiennent à l’aristocratie rurale. À la fin du XIe siècle, les COMMUNES remplacent un peu partout l’autorité épiscopale. Au départ, la commune désigne une assemblée de citoyens, mais souvent, il s’agit d’aristocrates et de notables qui s’allient pour exercer le pouvoir. Ce changement a souvent été facilité par la querelle des investitures qui appelait au boycott des évêques simoniaques et a donc induit une perte de pouvoir de ces derniers. La commune est donc une assemblée qui désigne ses représentants que l’on appelle des CONSULS. Le régime du CONSULAT se diffuse partout en Italie vers 1140, à deux exceptions près : Venise (où le pouvoir est exercé par un DOGE) et Rome (ou le pouvoir est exercé par le pape, assisté d’un SÉNAT). Les consuls sont généralement des nobles ruraux qui commencent à avoir des activités commerciales. Il n’y a donc pas de coupure ville-campagne, puisque la ville exerce une pression sur la campagne immédiate, qu’on appelle le CONTADO. Les consuls exercent le pouvoir sur la cité, en y faisant régner l’ordre avec des pouvoirs de police, en 101 rendant la justice et en prélevant des taxes sur les habitants. Les communes italiennes sont donc des VILLES-ÉTAT qui ne sont soumises à aucun pouvoir souverain (resté lointain) et qui exercent leur pouvoir sur un territoire restreint. III. LA FRANCIE OCCIDENTALE : UNE FÉODALISATION DE LA ROYAUTÉ A. L’avènement de la dynastie capétienne e Au cours du X siècle, il y a une alternance de deux familles sur le trône du royaume de Francie occidentale. La famille des CAROLINGIENS et celle des ROBERTIENS incarnent deux sacralités distinctes et c’est ce qui explique cette alternance. La légitimité des Carolingiens découle de la sacralité de leur famille elle-même, puisqu’elle est considérée comme ayant une vocation naturelle au pouvoir. La sacralité des Robertiens découle – comme celle de nombreux princes – de la victoire militaire (en particulier des victoire du premier roi, Eudes, contre les Normands, lors du siège de Paris de 885). Le roi guerrier disposerait en effet de qualités surnaturelles qui attestent sa relation particulière avec Dieu qui lui accorde la victoire. Cette alternance est rendue possible par le rôle que jouent les princes dans le choix du roi, désormais élu par les grands laïcs et ecclésiastiques. Ces élections faisaient l’objet de tractations pour remporter l’adhésion des principaux électeurs, qui choisissaient en fonction de leurs intérêts propres. Au total, cette alternance prend fin avec l’avènement du robertien HUGUES CAPET en 987. À partir de cette date, les Robertiens sont appelés les CAPÉTIENS. L’élection d’Hugues Capet reste malgré tout un choix par défaut. Cette alternance a eu trois conséquences sur la fonction royale et sur l’exercice du pouvoir souverain. Pour être reconnu, le roi doit être capable de rassembler la fidélité des grands. Cette évolution accroît donc le CARACTÈRE CONTRACTUEL de la royauté franque, entre le roi et les princes. Cet aspect contractuel de la royauté induit que le roi qui ne respecte pas ses engagements n’est plus considéré comme tel. Cela explique les nombreuses rebellions de princes qui ne sont plus freinées par la sacralité de la famille régnante. Le problème majeur du roi est la conservation des fidélités sur le long terme. Au XI e siècle, les grands vassaux viennent d’ailleurs rarement lui prêter hommage. Globalement, on considère que les rois des Xe et XIe siècles sont des souverains qui s’effacent devant les princes territoriaux. Ils sont encore arbitres entre les princes au Xe siècle, mais leur pouvoir est de plus en plus limité. Dans la première moitié du XI e siècle, le roi 102 capétien n’intervient plus que dans un vaste bassin parisien qui coïncide avec son domaine propre : il apparaît donc comme un prince territorial, tandis que certains de ses vassaux sont plus puissants que lui (notamment le duc de Normandie). B. Une royauté domaniale Le cœur du pouvoir est le DOMAINE ROYAL, l’espace où se concentrent les domaines que le capétien possède en propre et qui correspondent à peu près à l’Île-de-France, entre Orléans et Paris et à une partie du Nord/Est). Cet espace n’est pas entièrement soumis au roi et il ne s’agit donc pas d’un territoire, mais d’une nébuleuse de propriétés et droits multiples. Le roi y fait peser son autorité dans les domaines judiciaires, administratifs et fiscaux. Il en tire ses ressources par l’intermédiaire de ses agents, qu’on appelle les PRÉVÔTS, qui provenaient généralement de familles châtelaines d’Île-de-France et qui prélèvent dans le domaine royal des taxes et des rentes. L’autorité du roi est parfois mise en cause dans cet espace, puisque, très souvent, il doit y combattre des seigneurs châtelains qui refusent son autorité. La royauté reste itinérante, même si elle réside souvent dans le palais royal carolingien de COMPIÈGNE et dans les abbayes. Certaines cités robertiennes deviennent aussi des lieux de séjour royal, notamment Paris, lieu de résidence par excellence, dans la deuxième moitié du XIe siècle. 103 Figure 34 : Le domaine royal capétien aux Xe-XIe siècles (d’après GUYOTJEANNIN O., Atlas de l’histoire de France (IXe-XVe), Paris, Autrement, 2005, p. 54.) Le PALAIS joue toujours un rôle important dans les décisions royales. Il s’agit du groupe d’hommes entourant le roi en permanence et formé par ses familiers, notamment pour gérer et administrer leurs domaines. Au XIe siècle, l’entourage du roi n’est composé que par des petits seigneurs du domaine royal, au détriment des grands vassaux qui ne viennent plus à la cour. Le gouvernement s’organise selon un principe domestique, c’est-à-dire autour des officiers qui s’occupent de la cour, dont on peut évoquer les fonctions principales : le SÉNÉCHAL y joue un rôle majeur, en contrôlant l’entourage royal ; le royale ; le CHAMBRIER s’occupe du trésor CONNÉTABLE royal ; est en charge de l’armée l’ÉCHANSON s’occupe des approvisionnements ; enfin le CHANCELIER est un office tenu par de grands ecclésiastiques et gère à la fois les archives royales et la chapelle royale. Tous ces éléments donnent à la royauté une dimension quasi seigneuriale. Après une période d’effacement, le pouvoir capétien s’affirme néanmoins timidement à partir du règne de PHILIPPE IER (1060-1108), dans deux domaines principaux. Le premier est la chancellerie royale, qui se structure lentement dans la première moitié du XI e siècle et qui 104 devient un lieu de mémoire royale. Par ailleurs, après une restriction du contrôle royal sur les centres de frappe monétaire entre la fin du IXe et le milieu du XIe siècle, le roi contrôle à nouveau les centres en Île de France, dont le nombre augmente sous Philippe Ier. Ces deux aspects attestent que la reconstruction du pouvoir royal se fait à partir de la structuration et du contrôle du domaine royal. La force du domaine royal capétien est de se situer dans une région riche et peuplée. Les Capétiens y mènent une politique d’hommages systématiques au roi, qui est progressivement étendue aux principautés (fin XII e). Au final, cette politique affirme la position d’exception du roi dans cet espace, puisqu’il est le seul destinataire d’hommages-liges et seigneur suprême. C. Stratégies de légitimation de la nouvelle dynastie Les Capétiens compensent leur déficit de légitimité par cinq stratégies. L’association du successeur au trône (dès Hugues Capet), avec deux objectifs : d’une part, diminuer le rôle des grands dans l’élection royale, qui finit par devenir la sanction d’un droit à l’héritage ; ensuite et surtout, écarter du pouvoir les FRÈRES PUÎNÉS. Peu à peu, ces puînés sont placés à la tête de principautés (notamment le duché de Bourgogne, toujours confié au cadet). Le recours aux alliances matrimoniales et aux stratégies familiales. Au X e siècle, les futurs Capétiens contractent des alliances avec des princesses étrangères, à degré d’alliance égal, notamment avec des princesses ottoniennes. Au XIe siècle, les Capétiens donnent leurs filles à leurs vassaux, pour fortifier leur position interne dans le royaume et épousent euxmêmes des filles de vassaux. Par exemple, Adèle, fille de Robert le Pieux, épouse le duc de Normandie, puis le comte de Flandre. Les Capétiens cultivent une continuité symbolique avec les Carolingiens. Ils investissent tout d’abord les symboles de cette dynastie. Par exemple, il vont choisir comme résidence fréquente le palais carolingien de COMPIÈGNE, construit comme une réplique d’Aix-la-Chapelle. Les Capétiens développent en outre des STRATÉGIES ONOMASTIQUES (c’est-à-dire liée au choix des noms des hérétiers). Le roi Philippe I er donne à son fils le prénom de Louis (futur Louis VI, le gros), un nom à la fois mérovingien (Clovis) et carolingien (Louis le Pieux). Par-là, le changement de dynastie n’est plus usurpation, mais continuité avec la famille carolingienne. 105 Les Capétiens recherchent une légitimité historico-religieuse, qui sacralise leur famille. Ils développent ainsi le culte des saints Denis et Martin, associés à la domination neustrienne des Capétiens. Ils font écrire aussi, au milieu du XI e siècle, la PROPHÉTIE DE SAINT VALÉRY, qui aurait promis à Hugues Capet le royaume pour sept générations. Ce culte des saints faisaient l’objet de rituels royaux, notamment de largesses aux monastères détenant les reliques. Les Capétiens sacralisent enfin les grands événements et lieux de la royauté. Tout d’abord, le rite du sacre royal (c’est-à-dire le rituel d’entrée dans la fonction) se stabilise au X e siècle. Il permet une sacralisation de la personne du roi, qui est un ressort important de sa supériorité sur l’aristocratie. REIMS s’impose ainsi progressivement, devant Orléans et Sens, comme ville du sacre, en raison du « mythe de la sainte ampoule », développé au IXe siècle (cf. le chapitre 3). À la fin du Xe siècle, certaines funérailles royales attestent par ailleurs un faste particulier. En 986, lors de ses funérailles, le corps de Lothaire (qui est certes carolingien) est vêtu d’or et de pourpre, et placé sur un lit avec les insignes royaux. Le monastère de SAINT-DENIS ne devient néanmoins que progressivement le lieu d’inhumation des Capétiens (il ne l’est définitivement qu’au XIIIe siècle. 106 Chapitre XIII. L’EXPANSION DE L’OCCIDENT : PHÉNOMÈNE URBAIN ET CROISADE À la fin du XIe siècle, l’Occident entre dans une période d’expansion qui se concrétise surtout au XIIe siècle. On s’intéressera ici à deux aspects de cette expansion : l’émergence du fait urbain (I) et la première croisade (II). I. L’ÉMERGENCE DU FAIT URBAIN A. Conditions du développement urbain Alors que la société est largement rurale du Ve au XIIe siècle (puisque 80% de la population vit à la campagne), on voit peu à peu émerger des VILLES qui sont différentes des cités antiques. Ce développement urbain s’explique par une forte croissance rurale, entre le XI e et le XIIIe siècle. De meilleures récoltes ont deux effets : Une hausse démographique dans les campagnes, c’est-à-dire que les hommes, parfois trop nombreux, se dirigent vers les villes ; L’existence de surplus qui explique le développement de lieux où les vendre. Dans un premier temps ces surplus sont écoulés sur les marchés (pour les produits locaux), mais à la fin XIe siècle, émergent des FOIRES, qui attirent des clients à une large échelle géographique (attestant ainsi une accélération des échanges). Le fait que cet essor urbain soit dû à la croissance des campagnes explique des disparités géographiques à l’échelle européenne. Les premières régions concernées par la croissance urbaine sont ainsi les régions réputées pour leur production agricole : Italie du Nord, France du Nord et Flandre. Certains centres, situés sur les routes, se développent aussi. Le développement suit deux modèles : tout d’abord celui des régions méditerranéennes, où le réseau de villes était important depuis l’Antiquité et se maintient ; ensuite celui de Europe du Nord/Est, où le développement se fait ex nihilo. Cette VILLE médiévale se distingue par sa fonction de la CITÉ antique. Dans l’Antiquité, la cité était en effet un centre administratif, religieux et politique. Elle était aussi le lieu de résidence de l’aristocratie foncière : ainsi, la cité antique connaissait une continuité villecampagne. La ville médiévale (telle qu’elle se développe aux X e-XIIe siècles) est avant tout un centre économique et se distingue fortement de la campagne (sauf en Italie), par deux 107 fonctions principales. La ville est d’abord le lieu de transformation des produits agricoles : la ville médiévale est donc artisane. Les artisans y sont les plus nombreux et se divisent en deux catégories : tout d’abord, ceux qui vendent eux-mêmes ce qu’ils élaborent sur le marché ou dans une ÉCHOPPE (forgerons, orfèvres, tonneliers, métiers de l’alimentation) ; ensuite, ceux qui interviennent à une étape du processus de transformation des produits (métiers du cuir et de la laine, notamment la production de drap). La ville est aussi un lieu d’échange, parce qu’il s’agit de l’endroit où se tiennent les marchés et les foires : la ville médiévale est donc marchande. Dans toutes les villes, sont présents des « petits commerçants » dont le rayonnement est local. Peu à peu, on voit aussi émerger un autre profil sociologique de marchands spécialisés dans le commerce interrégional et lointain (les premiers apparaissent en Flandre). B. Chronologie et physionomie du développement urbain Au X siècle, les habitants sont polarisés par deux types de structures fortifiées. Les e anciennes cités antiques, qui restaurent leurs enceintes extérieures ou construisent des fortifications. Les châteaux ou monastères ruraux, où se développent des bourgs, souvent près des portes. Dans les deux cas, il s’agit toutefois de petites entités, à la fois en termes de surface (1 km2 en moyenne = c’est-à-dire un carré d’environ 300 m de côté) et de population (15 000 habitants en moyenne). Aux XIe-XIIe siècles, les villes médiévales se développent en fait POLYNUCLÉAIRE, DE MANIÈRE avec la croissance de plusieurs noyaux d’habitants autour de la cité antique. Ces noyaux sont des BOURGS, où s’agglomèrent des habitants : ils peuvent être de trois types. Des bourgs liés au marché, situés aux portes de l’enceinte, qui apparaissent davantage comme des faubourgs. Des bourgs qui naissent autour des monastères suburbains (c’est-àdire hors des murailles antiques), dont le développement supplante parfois celui de la cité voisine (souvent à quelques centaines de mètres). Enfin, des bourgs liés à la présence de voies de communication (débarcadère, route, croisement, pont), qu’on appelle des « BOURGS NEUFS ». Ces bourgs se rejoignent, sont parfois regroupées dans une nouvelle enceinte et sont ensuite polarisés dans la ville par des lieux de culte. Ce développement explique que les villes médiévales contiennent très souvent des champs, des jardins, des vignes ou des animaux. 108 Figure 35 : Le développement polynucléaire des villes médiévales (Source : Isabelle Rosé) Parallèlement, l’intérieur des villes se transforme. Plusieurs villes sont ainsi duales au début du XIIe siècle : il y a une partie ecclésiastique (cathédrale, monastères et églises) et une partie plus laïque, où s’installent des activités artisanales (dans des rues spécialisées) et où se tient le marché et parfois la foire. La cohésion de l’entité urbaine apparaît dans deux phénomènes : De nouvelles enceintes sont construites dès la seconde moitié du XI e siècle, qui englobent les bourgs et créent donc de fait une entité unique ; on voit se diffuser le terme de BURGENSIS (« bourgeois »), qui prend en 1100 le sens « d’habitant d’une entité urbaine » (ni aristocrate, ni clerc, ni paysan). C. Sociologie urbaine et pouvoir sur la ville Les habitants de la ville sont de statuts très divers (serfs et hommes libres). Un groupe restreint joue un rôle grandissant, à partir de 1050, que les sources désignent comme les « premiers » ou les « grands » de la cité (= élite urbaine). À partir de 1050, les villes, en tant que lieux d’échange, favorisent par ailleurs la richesse d’un groupe social nouveau : les marchands. Certains s’organisent en associations, les GHILDES, des sociétés d’entraide christianisées (qui financent par exemple les enterrements ou permettent aux veuves de vivre), qui finissent par exercer un monopole économique en fixant les prix. 109 Quatre types de pouvoirs seigneuriaux s’exercent sur les villes, enchevêtrés. L’évêque garde partout des droits dans les cités, plus ou moins étendus. Les comtes ou vicomtes gardent une autorité sur les villes, en particulier dans le Midi, avec parfois un partage de l’espace urbain avec l’évêque. Les monastères intra-muros et surtout suburbains ont une autorité sur les bourgs développés à leurs portes. Des familles seigneuriales parfois installées en ville. Dans certains cas, les habitants des villes parviennent à limiter les pouvoirs de ces seigneurs, par l’octroi de deux types de droits, exclusifs l’un de l’autre. Les « LIBERTÉS » concernent les bourgs d’origine seigneuriale, auxquels le seigneur fondateur concède des droits pour y attirer des hommes. Ce phénomène commence dans les années 1040 au Nord de la Loire et consiste à fixer par écrit, c’est-à-dire à borner, les exigences seigneuriales, ce qui donne la garantie que de nouvelles coutumes ne seront pas imposées. Dans ce cas-là, les droits résultent donc d’une concession seigneuriale. Le MOUVEMENT COMMUNAL, ailleurs qu’en Italie, concerne seulement les villes situées entre Rhin et Loire, entre 1070 et 1150. On appelle COMMUNE une association d’habitants d’une ville qui prêtent serment entre eux pour assurer le maintien de la paix. Ces communes ont pour but de limiter les droits seigneuriaux, en passant parfois par des révoltes contre leur seigneur. C’est le cas par exemple au Mans, en 1070, et à Laon, en 1111. Les membres de la commune se voient ensuite reconnaître deux types de droits : tout d’abord, des compétences judiciaires pour assurer la paix, avec des magistrats à la tête desquels se trouve un MAIRE ; ensuite, des compétences de police à l’intérieur. Les communes (quand elles ne sont pas italiennes), ne sont donc pas une soustraction totale au pouvoir seigneurial qu’elles se contentent de borner. Il ne s’agit pas non plus d’organisme démocratique, dans le sens où la direction de la ville échoit à l’élite urbaine. 110 II. On appelle LA PREMIÈRE CROISADE CROISADE une expédition militaire dirigée par le pape qui a pour but de conquérir sur les Musulmans des lieux saints. A. Genèse de la croisade a) Origines intellectuelles de la croisade Sur le plan des origines intellectuelles, la croisade fait la synthèse entre deux notions. La première notion est le PÈLERINAGE, la voie principale de salut pour les laïcs. Les pèlerinages sont des voyages à pied vers les lieux où se trouvent les tombeaux de saints. Dès le IIIe siècle, la destination idéale des chrétiens était la Terre sainte, pour rendre un culte au Christ. Les pèlerinages ont une forte dimension pénitentielle, puisque la souffrance physique est importante pour racheter ses péchés et d’autant plus méritoire que le lieu de destination est éloigné. Malgré ces pèlerinages, pour l’aristocratie laïque, le problème central demeure : acquérir le salut tout en pratiquant le métier des armes, car le meurtre reste un péché. La seconde notion est celle de GUERRE JUSTE (on ne parle pas de guerre « sainte » avant le début XIIe). L’idée de « guerre juste » vient de saint AUGUSTIN, qui légitime la violence en cas d’agression extérieure ou de spoliation de biens. La guerre juste est donc une défense pour récupérer ce qui a été volé. On peut ajouter qu’au XIe siècle, la guerre est sanctifiée, en tant que combat pour la cause de l’Église, en raison de trois facteurs. Les conciles de paix ont débouché sur la constitution de milices armées qui devaient faire respecter les serments pris lors des assemblées. Dans le cadre de la réforme grégorienne, ceux qui défendent le pape contre les troupes impériales sont considérés comme des CHEVALIERS DU CHRIST qui meurent en martyrs. La RECONQUISTA, au Nord de l’Espagne, contre les Musulmans d’AlAndalus, modifie en dernier lieu profondément l’idée de guerre contre l’extérieur. En 1063, le pape accorde en effet à ceux qui partent combattre les Musulmans la rémission de leurs péchés. En définitive, alors que le christianisme refusait au départ toute forme de violence, la guerre se soustrait progressivement au péché. La croisade apparaît donc comme un pèlerinage en armes, qui se donne pour but la délivrance du tombeau du Christ, à Jérusalem. 111 b) Le contexte géopolitique Jérusalem est une ville sainte pour les trois monothéismes. Pour les Juifs, il s’agit en effet de la ville du TEMPLE. Pour les Chrétiens, il s’agit du lieu du tombeau du Christ ( qu’on appelle le SAINT-SÉPULCRE). Enfin, pour les Musulmans, il s’agit de la troisième ville sainte (après la Mecque et Médine) car elle est la destination d’un voyage nocturne de Mahomet, qui aurait été transporté sur un rocher où est construit ensuite la mosquée AL-AQSA. La Syrie et Jérusalem ont été conquises au VIIe siècle par des Arabes musulmans, domination qui dure jusqu’au troisième quart du XIe siècle. Dans les années 1070-1090, les TURCS SELDJOUKIDES, convertis à l’Islam, s’installent en effet en Anatolie et au Proche Orient. Comme sous les dynasties arabes, aucun problème n’est posé aux Chrétiens qui se rendent en pèlerinage à Jérusalem. Le déclenchement de la croisade est lié plus clairement au SCHISME qui existe depuis 1054 entre les chrétiens d’Orient et d’Occident et qui a divisé la chrétienté en deux. De surcroît, l’Empire byzantin perd en 1071 la bataille de MANTZIKERT contre les Turcs SELDJOUKIDES. L’empereur byzantin demande donc l’aide du pape à plusieurs reprises pour mettre fin à la menace politique des Seldjoukides. Le pape URBAIN II réalise qu’à cause de l’aide dont il a besoin, l’empereur byzantin serait prêt à certaines concessions religieuses relatives au schisme et il reçoit donc une ambassade byzantine pour lui apporter de l’aide. Mais peu à peu, à travers la lutte contre les Seldjoukides, la délivrance de Jérusalem et du Saint-Sépulcre prend le pas sur l’aide apportée à Byzance dans les discours du pape. C’est donc le pape qui est à l’origine de l’appel à la croisade, une sorte de couronnement de la réforme grégorienne, puisque le souverain pontife commande au pouvoir temporel. B. Déroulement de la première croisade En 1095, Urbain II appelle au pèlerinage armé pour délivrer le tombeau du Christ des Musulmans, au CONCILE DE CLERMONT. Il s’agit d’un concile de paix et de trêve de Dieu étendues à la Chrétienté. Le pape y évoque les souffrances des chrétiens sous domination musulmane qu’il faut secourir. La prédication s’adresse donc avant tout aux hommes en armes, mais elle n’exclut pas les non-combattants. Le pape promet le salut éternel à ceux qu’il appelle à la croisade. On appelle cela « l’INDULGENCE DE CROISADE » : une rémission complète des péchés commis lors du combat contre les Musulmans, accordée par le pape, qui est rapidement comprise – à tort – comme un effacement de tous les péchés commis dans une 112 vie. Ceux qui partiront prononceront un vœu et s’appelleront des CROISÉS, en raison de la croix qu’ils cousent sur leur vêtement. Urbain II reprend son appel dans différents lieux du royaume de France. Le message est diffusé soit par des monastères, soit par des prédicateurs populaires. Ces prédicateurs caricaturent le discours du pape sur les Musulmans (ils évoquent par exemple des tortures de chrétiens qui ne veulent pas payer de droits de passage). Le plus célèbre de ces prédicateurs est PIERRE L’ERMITE. L’appel atteint ainsi tout le royaume de France et les pays d’Empire, plus particulièrement la Lotharingie et les régions rhénanes. La première croisade débouche en fait sur un double mouvement, bien distinct. La « CROISADE POPULAIRE » est une troupe hétéroclite et désorganisée dont la formation est liée aux prédicateurs itinérants, notamment à Pierre l’Ermite. Elle est composée de chevaliers et de seigneurs du Nord de la France et de Germanie, mais aussi de pèlerins humbles des deux sexes. Cette troupe menée par Pierre l’Ermite se met en route (avec 20 000 hommes) par voie de terre. Elle déclenche des POGROMS (c’est-à-dire des massacres de Juifs) sur sa route, voulant éliminer tous les ennemis des Chrétiens. Elle arrive la première à Constantinople, pille la ville, mais se fait massacrer par les Turcs très vite. Figure 36 : L'itinéraire de la « croisade populaire » (source : http://www.templiers.org/croisadepopulaire.ph)p La CROISADE DES BARONS, beaucoup plus organisée, part en août 1096. Cette armée est féodale et n’est pas sous un commandement unifié, mais sous les ordres de quatre chefs. Le premier est GODEFROI DE BOUILLON, qui commande des troupes composées de seigneurs 113 lotharingiens et rhénans (500 chevaliers). Le deuxième est le duc de Normandie ROBERT COURTEHEUSE qui dirige des troupes de nobles normands et flamands, et de barons du Centre-Ouest de la France (500 chevaliers). RAYMOND DE SAINTGILLES dirige les troupes de seigneurs provençaux et languedociens, les premiers touchés par le message du pape, qui constituent la troupe la plus nombreuse. Enfin, BOHÉMOND DE TARENTE mène une expédition composée de chevaliers normands d’Italie du Sud et de Sicile. Un légat part avec eux pour prendre la tête des opérations, au nom du pape. Figure 37 : Itinéraires des barons croisés Source : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kreuzzug.jpg (consulté le 12 novembre 2013)2 Ces armées prennent des chemins différents pour rejoindre l’Empire byzantin, puis la Palestine. Trois grands sièges ponctuent la croisade : NICÉE est prise en juin 1097 ; ANTIOCHE est assiégée pendant sept mois et prise en juin 1098 ; enfin, JÉRUSALEM est assiégée 5 semaines et prise en juillet 1099. S’ensuit un pillage pendant trois jours, avec d’importants massacres de Musulmans et de Juifs (on a des récits de rivières de sang, montant 2Contrairement à ce que laisse suggérer la carte, on ne compte pas Hugues de Vermandois parmi les grands barons chefs d’armée, puisqu’il rejoignit la troupe de Godefroy de Bouillon et n’atteignit jamais Jérusalem. 114 jusqu’aux genoux des cavaliers à cheval dans la mosquée principale d’après un chroniqueur ; on a aussi des descriptions des monceaux de têtes, de mains et de pieds). Par la suite, les croisés organisent leurs conquêtes en quatre États : le Comté d’Édesse, la principauté D’ANTIOCHE, le Comté de TRIPOLI et le ROYAUME dominant sur les autres. Godefroy de Bouillon est élu LATIN DE JÉRUSALEM, AVOUÉ DU SAINT-SÉPULCRE . Son successeur est BAUDOUIN DE BOULOGNE et il crée véritablement le royaume de Jérusalem en prenant le titre de BAUDOUIN Ier. On appelle l’ensemble de ces territoires les « ÉTATS LATINS D’ORIENT », dont les chefs sont les descendants des barons croisés. Figure 38 : Les états latins d'Orient Source : http://devinekisai.free.fr/medieval/index.php?page=croisade (consulté le 13 novembre) 115 III. CONCLUSION Cette première expédition marque le début d’une longue série de croisades (neuf en tout). Ces dernières sont toujours lancées par le pape (dans une bulle ou un concile), puis prêchées. Elles entraînent systématiquement à la fois des guerriers et des personnes inexpérimentées qui se font généralement massacrer. Plus le temps passe, plus la soif d’aventure devient un moteur de départ, ainsi que l’appât du gain. Jérusalem est reconquise par les troupes musulmanes de SALADIN en 1187. 116 Chapitre XIV. CONCLUSION GÉNÉRALE Le cours a donc tenté une synthèse des évolutions qui ont marqué la société du Ve au XIIe siècle, à travers l’étude du passage de l’Antiquité tardive au Moyen Âge classique. Sur le plan des structures économiques et sociales, on assiste ainsi au passage d’une société urbaine à une société où les lieux de pouvoir sont majoritairement dans le paysage rural. On passe aussi d’une société de l’écrit (la société romaine) à une société orale où l’écrit est un monopole de certaines catégories sociales : les hommes d’Église. On passe enfin d’un seul centre de pouvoir (Rome) à une multitude de centres, avec parfois, à partir du X e siècle, une réduction de l’échelle des pouvoirs (différents royaumes, puis différentes principautés, puis enfin différents pouvoirs seigneuriaux). Les grandes problématiques de cette période sont les suivantes. La mise en place de l’Église en tant qu’institution de contrôle des individus et des pouvoirs du Ve au XIIe siècle. En tant que détentrice de la culture et de l’écrit, l’Église contrôle l’ensemble de la société. On doit souligner que cette Église est très diverse, composée de clercs et de moines qui tendent à se confondre au XIe siècle. L’importance des initiatives de mise en ordre sociale et institutionnelle, comme la mise en ordre carolingienne ou la réforme grégorienne. Bien évidemment ces mises en ordre sociales, présentées comme des « réformes », sont l’occasion de légitimation de nouveaux pouvoirs. L’émergence d’une société nouvelle avec des valeurs propres : la société seigneuriale. Dans cette société, l’important est l’exercice du pouvoir à l’échelle locale, mais aussi la notion de domination des hommes. 117 Table des matières Chapitre I.Introduction................................................................................................................2 I.Définition de la période d’étude.......................................................................................................2 A.Les bornes chronologiques .........................................................................................................................2 B.D’où vient le nom de Moyen Âge ?.............................................................................................................3 II.Caractéristiques générales de la période d’étude.............................................................................3 III.Problématique et enjeu du cours ...................................................................................................4 Chapitre II.De l’Antiquité tardive au Moyen Âge......................................................................6 I.La christianisation de l’Empire romain ...........................................................................................6 A.Le christianisme et l’institution ecclésiale au IVe siècle ............................................................................6 B.Le processus de christianisation de l’Empire romain .................................................................................8 II. « Invasions », « migrations » et mouvements de population .........................................................9 A.Quels peuples ? ...........................................................................................................................................9 B.Causes et conséquences des mouvements de population ..........................................................................11 III.Conclusion : l’acculturation réciproque.......................................................................................12 Chapitre III.Les royaumes « barbares ». Étude du cas mérovingien (Fin du Ve-milieu du VIIIe siècle)........................................................................................................................................14 I.La conquête franque et ses conséquences ......................................................................................14 A.Origines des Francs ...................................................................................................................................14 B.L’émergence de la famille mérovingienne et l’extension du royaume .....................................................15 C.La question religieuse................................................................................................................................17 II.La royauté mérovingienne............................................................................................................19 A.La nature de la royauté ..............................................................................................................................19 B.Les attributs de la royauté..........................................................................................................................21 C.Les ressources de la royauté ......................................................................................................................23 III.Conclusion : Structures de la société mérovingienne...................................................................23 Chapitre IV.Institutionnalisation du christianisme médiéval....................................................25 I.L’aristocratie épiscopale ................................................................................................................25 A.Origines sociales des évêques ...................................................................................................................25 B.La fonction épiscopale ..............................................................................................................................26 C.L’encadrement des fidèles .........................................................................................................................27 II.Le monachisme ............................................................................................................................28 A.Les origines orientales du monachisme.....................................................................................................29 B.Le monachisme en Occident .....................................................................................................................29 C.Monachisme celte/irlandais et monachisme bénédictin ............................................................................30 Chapitre V.L’ordre carolingien (I).............................................................................................33 I.Des mérovingiens aux carolingiens ...............................................................................................33 A.La fin des Mérovingiens ...........................................................................................................................33 118 B.La montée en puissance de la famille des Pippinides ...............................................................................34 II.Une nouvelle royauté à la tête d’une nouvelle société .................................................................36 A.Légitimer le coup d’État de Pépin le Bref ................................................................................................36 B.Une royauté sacerdotale ............................................................................................................................37 C.Une société ordonnée en trois ordres ........................................................................................................38 III.L’Empire retrouvé ......................................................................................................................40 A.La restauration impériale ..........................................................................................................................40 B.Quel Empire ? ...........................................................................................................................................40 Chapitre VI.L’ordre carolingien (II) : Le contrôle social..........................................................42 I.Le gouvernement des hommes ......................................................................................................42 A.Les structures de gouvernement ...............................................................................................................42 B.La législation carolingienne ......................................................................................................................43 C.Le contrôle des agents du pouvoir ............................................................................................................43 II.Le rôle central de l’Église ............................................................................................................45 A.Une Église impériale .................................................................................................................................45 B.Uniformisation de l’Église ........................................................................................................................47 III.L’Économie carolingienne ..........................................................................................................48 A.La gestion des domaines ...........................................................................................................................48 B.Le commerce (international) .....................................................................................................................50 IV.Conclusion : le devenir de l’Empire.............................................................................................51 Chapitre VII.L’effacement du monde carolingien (Xe siècle)..................................................52 I.L’irruption de nouveaux pillards....................................................................................................53 A.Le cas emblématique des Normands.........................................................................................................53 B.Autres pillards............................................................................................................................................54 II.L’éclosion des principautés territoriales en Francie Occidentale...................................................55 A.Les origines des principautés.....................................................................................................................55 B.Les pouvoirs des princes............................................................................................................................56 C.La légitimation du pouvoir des princes......................................................................................................57 III.Le rêve impérial des Ottoniens....................................................................................................59 A.La résurrection de l’Empire en Germanie..................................................................................................59 B.L’Église impériale germanique..................................................................................................................59 IV.Conclusion...................................................................................................................................60 Chapitre VIII.Le monde seigneurial (I) Le pouvoir sur les terres et les hommes.....................61 I.Seigneuries et pouvoirs seigneuriaux ............................................................................................61 A.Définitions et chronologie ........................................................................................................................61 B.Centres du pouvoir seigneurial..................................................................................................................62 II.Pouvoir seigneurial et prélèvements ............................................................................................63 A.Seigneurie « foncière », seigneurie « personnelle », seigneurie « banale » et seigneurie « ecclésiastique » .......................................................................................................................................................................63 B.Enchevêtrement des droits ........................................................................................................................65 C.Le regroupement des dépendants...............................................................................................................66 III.Pouvoir seigneurial et Église ......................................................................................................67 119 IV. Conclusion..................................................................................................................................68 Chapitre IX.Le monde seigneurial (II) : La société aristocratique............................................69 I.Les transformations sociales et spatiales du monde nobiliaire.......................................................69 A.Les critères de la noblesse ........................................................................................................................69 B.Châteaux et enracinement local de l’aristocratie ......................................................................................70 II.Vassalité et hiérarchisation du groupe nobiliaire ..........................................................................73 A.Le système féodo-vassalique ....................................................................................................................73 B.Les rituels d’entrée en fidélité ...................................................................................................................75 III.L’évolution des structures de la parenté nobiliaires.....................................................................76 A.Les cercles de la parenté médiévale...........................................................................................................76 B.La modification des structures de parenté nobiliaires................................................................................76 Chapitre X.L’Église au cœur de la société seigneuriale (Xe-XIe siècle).................................78 I.Les pouvoirs des évêques ..............................................................................................................78 A.Formes et fondements de la puissance épiscopale ....................................................................................78 B.Paix et trêve de Dieu .................................................................................................................................80 II.Le monachisme aux Xe-XIe siècles .............................................................................................81 A.La vie monastique .....................................................................................................................................81 B.Les réformes monastiques .........................................................................................................................82 III.Une société d’ordres ? ................................................................................................................84 A.La multiplication des modèles de société .................................................................................................84 B.Les contestations de l’Église : le « printemps des hérésies » (1000-1020) ...............................................86 IV.Conclusion : le millénarisme ......................................................................................................87 Chapitre XI.La réforme de l’Église...........................................................................................88 I.la papauté réformatrice ..................................................................................................................88 A.Les combats réformateurs .........................................................................................................................88 B.La réforme de la papauté ...........................................................................................................................89 C.Les instruments de la centralisation romaine ............................................................................................90 II.La réforme en action.....................................................................................................................91 A.La réforme des évêques.............................................................................................................................91 B.La réforme des communautés canoniales après 1030 ...............................................................................92 III.Conséquences de la réforme .......................................................................................................93 A.L’essor des pouvoirs épiscopaux...............................................................................................................93 B.Une nouvelle manière de penser la société................................................................................................93 C.Le bouleversement des relations entre moines et laïcs..............................................................................94 D.L’irruption du « nouveau monachisme »...................................................................................................95 IV.Conclusion : une rupture idéologique fondamentale....................................................................96 Chapitre XII.Les monarchies à l’époque féodale (Xe-XIe siècles)..........................................97 I.Le royaume Anglo-normand : la féodalité instrumentalisée ..........................................................97 A.La naissance du royaume anglo-Normand.................................................................................................97 B.Caractéristiques du royaume anglo-normand ...........................................................................................98 II.L’Empire : La féodalité ignorée....................................................................................................99 A.La Germanie .............................................................................................................................................99 120 B.La péninsule italienne .............................................................................................................................100 III.La Francie occidentale : une féodalisation de la royauté ..........................................................102 A.L’avènement de la dynastie capétienne....................................................................................................102 B.Une royauté domaniale ...........................................................................................................................103 C.Stratégies de légitimation de la nouvelle dynastie ..................................................................................105 Chapitre XIII.L’expansion de l’Occident : phénomène urbain et croisade.............................107 I.L’émergence du fait urbain...........................................................................................................107 A.Conditions du développement urbain .....................................................................................................107 B.Chronologie et physionomie du développement urbain .........................................................................108 C.Sociologie urbaine et pouvoir sur la ville ...............................................................................................109 II.La première croisade ..................................................................................................................111 A.Genèse de la croisade...............................................................................................................................111 B.Déroulement de la première croisade ......................................................................................................112 III.Conclusion ................................................................................................................................116 Chapitre XIV.Conclusion générale..........................................................................................117 121