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TALKING POINTS
Nouveau monde, nouveaux enjeux, nouvelle
pensée
2016, Primat du politique sur l’économie
11 janvier 2016, Paris
Talking Points
Sommaire
Nouveau monde, le fait de la semaine:
La Chine désoriente, la FED inquiète, la
géopolitique angoisse.
Nouveaux enjeux, la question de la semaine:
En 2016, le primat du politique sur l’économie?
L’année financière a commencé avec un très mauvais alignement d’étoiles: taux
d’intérêt, monnaies, décisions chinoises erratiques et inquiétudes géopolitiques se sont
conjuguées pour effacer près de 3 000 Mds de capitalisation boursière en seulement
une semaine. Il convient cependant d’élargir la perspective.
Sur le fond, comme en 2015, la conjoncture économique restera dominée par trois
questions fondamentales: la croissance, les inégalités, la géopolitique de la
mondialisation. Au contraire de 2015, les décisions des banques centrales auront une
efficacité marginale réduite. La couleur de l’année dépendra donc essentiellement du
courage des autorités politiques et de leur capacité à produire collectivement un monde
meilleur.
Philippe Tibi
11/01/16
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Très forte baisse des bourses mondiales
Actualité
Des règles boursières erratiques catalysent un krach à Shanghai. Très forte baisse aux Etats-Unis malgré de
bonnes nouvelles sur l’emploi. L’Europe suit, comme toujours…
Illustration
Pire début d’année boursière depuis 20 ans dans le monde
Une valorisation historiquement élevée du marché américain
Wall Street demeure le marché directeur des bourses mondiales. La valorisation élevée du S&P 500 a rendu l’ensemble des
indices vulnérables à des changements de perception sur la Chine, les banques centrales et les risques géopolitiques
Conclusion
Janvier 2016 ressemble à Août 2015, en pire. La Chine déçoit, le retrait des banques centrales inquiète,
le risque géopolitique angoisse.
①  Le ralentissement chinois était prévu. Le marché est surtout désorienté par les maladresses et les
contradictions exprimées par le gouvernement. Comment concilier le coûteux soutien du yuan avec le
maintien d’objectifs de croissance élevés?
②  Les banques centrales occidentales assuraient la hausse des cours de bourse. C’est terminé. La
FED est désormais engagée dans un cycle de hausse des taux, tandis que la BCE marque une pause pour
émettre un message très clair aux autorités politiques: « A vous de jouer pour ressusciter la croissance! »
③  Pour les marchés, le scénario du pire est celui d’une crise des pays émergents, nourrie par la
dette, les chocs sur les devises et la baisse du prix des matières premières. Des craintes attisées par le
regain des tensions en mer de Chine, en Corée et dans le golfe arabo-persique.
Les craintes des marchés sont fondées sur des réalités. Nous pensons cependant que l’économie
mérite un cadre d’analyse plus vaste. Elle sera en effet dominée en 2016 par trois thématiques plus
fondamentales: la croissance, les inégalités, la géopolitique de la mondialisation.
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11/01/16
Les problèmes de la croissance
La croissance ne dépend
plus des banques
centrales, mais de
décisions politiques.
L’innovation, un thème
central dans les grandes
économies
Changement de
paradigme chez les
émergents
La croissance demeure le premier grand sujet de l’économie. Elle est le paramètre directeur
des profits des entreprises et de l’emploi des ménages.
Pour la première fois depuis le début de la crise, les banques centrales occidentales ne
devraient pas jouer le premier rôle dans l’orientation de la conjoncture économique et la
direction des marchés financiers. Les conditions de crédit permettent désormais de financer
l’économie. Les banques centrales ont donc atteint leur objectif de lutte contre la déflation (1).
L’efficacité marginale de leurs interventions décroit.
En l’état, la croissance mondiale demeure faible (2,9%) et soumise à des révisions en baisse. Elle
ne suffira pas à traiter les impatiences sociales, partout dans le monde. Le retour au rythme
d’avant-crise (4-5%) exige désormais des initiatives politiques. Il s’agit d’apporter des
réponses constructives à quatre problématiques principales.
①  Les Etats-Unis ont-ils déjà atteint un haut de cycle, comme le suggèrent des créations
d’emploi importantes et des premières hausses de revenu des ménages? Avec 2,5% de
croissance et une intense création monétaire depuis 5 ans, ce résultat serait décevant. La
faiblesse de l’investissement et de la demande renforcent le thème de la stagnation séculaire.
②  Le gouvernement chinois parviendra-t-il tenir ses objectifs de croissance malgré sa
stratégie de ralentissement industriel? La politique de stimulation de l’innovation a commencé,
mais elle se heurte à des résistances et ne donnera pas des résultats instantanés.
③  L’Union Européenne a retrouvé le chemin d’une croissance modeste et de la réduction du
chômage, grâce aux efforts de la BCE. Parviendra-t-elle à se doter d’une politique
économique commune? Pourra-t-elle libérer le capital indispensable au développement de
stratégies industrielles innovantes?
④  Les économies émergentes ont jusqu’à présent bénéficié de la croissance industrielle
chinoise, du super-cycle des matières premières et de leur insertion dans une « économie du
dollar faible ». Résisteront-elles aux chocs qui affectent l’ensemble de ces paradigmes?
(1) même si la hausse des prix demeure en deçà de leurs objectifs, principalement à cause des matières
premières et de la désinflation importée de Chine.
11/01/16
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Les inégalités influencent la décision politique
Increasing inequality is the
defining issue of our time
Barrack Obama
Les inégalités régressent dans le monde. L’extrême pauvreté ne concerne plus que 10% de
l’humanité, contre 37% il y a 25 ans (1). Mais l’inégalité progresse dans chaque pays. Elle est
ainsi devenue est un thème social structurant depuis la crise financière, désormais très présent
dans le débat économique, selon trois axes:
①  La thèse de Thomas Piketty selon laquelle les rendements actuels du capital sont insoutenables
②  le lien entre inégalités croissantes et moindre croissance économique (cf OCDE et FMI)
(2).
③  Le discours neo-keynesien (Lawrence Summers) qui explique la stagnation séculaire par la
compression des revenus d’une classe moyenne incapable de consommer sans être stimulée
par des bulles financières.
Le squeeze des classes
moyennes et sa traduction
électorale
L’urgence d’une politique
économique
Derrière la notion socio-économique d’inégalité se cache en réalité le puissant concept politique de
« squeeze des classes moyennes ». Les mythes fondateurs de l’Occident moderne ne
fonctionnent plus convenablement, qu’il s’agisse du rêve américain ou du maintien de l’Etatprovidence en Europe. Ce malaise trouve une expression électorale. Les partis « mainstream »
sont contestés car ils ne tiennent plus la promesse de prospérité qui les a installés au pouvoir
depuis trois générations. La croissance a beau repartir, l’angoisse et le ressentiment des classes
moyennes expliquent les succès de Trump et Sanders aux Etats-Unis, de Corbyn et du UKIP au
Royaume-Uni ainsi que l’audience des partis populistes en Europe continentale.
Le « populisme » ne concerne qu’une minorité de l’électorat, mais il influence la totalité
du spectre politique. Mécaniquement d’abord, car il fragmente le champ politique et complique
la constitution de majorités gouvernementales. Idéologiquement ensuite car il impose ses thèmes
et conquiert l’hégémonie culturelle sur ses thématiques: fermeture des frontières, rapatriement
des emplois, mise au pas des entreprises. Depuis 2008, l’urgence était d’éviter le naufrage
économique. Cet objectif a été atteint grâce aux banques centrales. Elle est aujourd’hui d’offrir des
perspectives à des populations désemparées. Une mission que seuls des gouvernements légitimes
peuvent réussir. L’exemple de Roosevelt rappelle que le succès réclame une vision de l’avenir,
le goût de l’action et la capacité de proposer des politiques économiques mobilisatrices.
(1) http://blogs.worldbank.org/voices/Year-in-Review-2015-12-Charts
(2) http://www.oecd.org/fr/social/ameliorer-la-qualite-des-emplois-et-reduire-les-ecarts-entre-hommes-et-femmes-est-essentielpour-endiguer-la-montee-des-inegalites.htm
11/01/16
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Une mondialisation aux prises avec la politique
Indispensable
mondialisation
Le coût politique
de la croissance
faible
Changement de
paradigme dans
le monde
émergent
La mondialisation moderne a transformé l’économie depuis la chute du mur de Berlin et l’admission
de la Chine dans l’OMC. Elle continue de progresser car la majorité des populations et des
entreprises y ont intérêt. Elle est aussi profondément intégrée dans nos modes de production: la
moitié du commerce mondial est aujourd’hui réalisée à l’intérieur des firmes. Cependant, le rythme
des échanges ralentit et la mondialisation doit composer avec quatre difficultés croissantes:
①  Le raidissement des opinions publiques: La crise des classes moyennes insécurise le modèle
d’ouverture des frontières et de libre circulation du capital. Un sujet au cœur de la crise de l’UE
et de la campagne électorale américaine.
②  Les crises géopolitiques: les transformations historiques se conjuguent avec une moindre
croissance économique pour augmenter la conflictualité, sur des fronts multiples: l’apathie
américaine, l’affirmation chinoise, le rétablissement d’une « fierté » russe, les guerres civiles au
sein du monde musulman et l’effondrement des frontières au Proche-Orient.
③  Le changement de modèle chinois. Le gouvernement sait qu’il doit s’engager vers une
économie de l’innovation pour échapper au middle-income trap (le PIB chinois par habitant n’est
que de 7500$). Moins d’industrie, plus de services et de consommation. Ce nouveau régime
économique est moins favorable aux intérêts étrangers: moins d’importations, préférence
donnée aux entreprises et aux emplois chinois. Le reste du monde devra s’adapter à un marché
moins ouvert et plus demandeur de technologies innovantes.
④  La vulnérabilité des pays émergents: La baisse des cours des matières premières fragilise la
situation intérieure de pays importants (Russie, Nigéria, Arabie) sans offrir de perspectives
politiques enthousiasmantes. Les plus grands pays demeurent protégés par leurs réserves de
change. Pas pour l’éternité car les déficits budgétaires se creusent (cf Arabie) et leur dette a
beaucoup augmenté depuis 2007 (de 73 à 107% du PIB). En tout état de cause, ils ne seront
plus les relais de croissance du monde en cas de panne occidentale.
La question des émergents symbolise à elle seule les problèmes de la mondialisation.
Ces pays sont en première ligne face au changement du modèle chinois et aux variations du
dollar. Ils sont souvent situés dans des zones de conflits. Ils sont enfin désignés comme les
boucs émissaires du chômage et de la trop faible croissance en Occident.
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11/01/16
Quid pour les dirigeants?
Le sort de l’économie dépendra de la situations des grands risques politiques. Ces derniers sont
nombreux, on l’a vu. Ils interagissent entre eux. L’avenir n’est certainement pas écrit. Nous décrirons
donc les situations et les paramètres qui nous paraissent les plus importants.
Géopolitique
Paramètres macro
La situation au Proche-Orient: Elle rassemble la quasi-totalité des risques géo-politiques: conflits
arabo-perse et sunnite-chiite, tension sur le prix du pétrole, crise des migrants et impact délétère sur
l’UE, intervention de la Russie dans une zone OTAN, affirmation de la politique turque.
Les réformes de l’Union Européenne: Le statu quo est impossible dans une Europe dirigée par des
Eurosceptiques. La discussion sur le Brexit peut offrir l’opportunité de définir l’Europe du 21ème siècle, en
abordant de fond les sujets fondamentaux: convergence fiscale, politique étrangère, défense, etc.
La situation chinoise: Nous surveillerons la trajectoire de croissance, la réalité des réformes fiscales et
financières, la réforme des entreprises d’Etat, la progression vers la frontière technologique dans les dix
secteurs prioritaires. La communication du gouvernement chinois sera également intéressante. La Chine
souhaite accéder à des responsabilités mondiales, elle doit en tirer les conséquences à cet égard.
Les élections américaines: Deux sujets clefs. La politique étrangère, en particulier au Proche-Orient,
et la progression des revenus des ménages. La limitation du pouvoir des grandes firmes (et de leurs
bénéfices) est aussi à l’ordre du jour.
L’évolution du dollar: Nul ne souhaite déclencher une guerre des monnaies (et certainement pas les
chinois). Mais les parités obéissent aussi à des logiques de flux spéculatifs qui pourraient contraindre les
banques centrales à rentrer dans le jeu. Un désordre des monnaies aurait des conséquences
géopolitiques et fragiliserait à nouveau le système bancaire.
Les taux d’intérêt: Les politiques non conventionnelles des banques centrales n’ont pas réduit les
dettes. Elles ont réduit la charge financière supportée par les Etats. Les hausses de taux limiteraient les
marges de manœuvre des autorités politiques et leur capacité à réformer. Elles pourraient être motivées
par des tensions géopolitiques ou des ventes des banques centrales émergentes.
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11/01/16
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