L’Encéphale (2008) Supplément 6, S219–S222 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p APA et trouble borderline M. Corcos*(a), A. Pham-Scottez(b) (a) Institut Mutualiste Montsouris, Département de psychiatrie des adolescents, 42, boulevard Jourdan, 75674 Paris cedex 14 (b) CMME, 100 rue de la Santé, 75014 Paris Le trouble de la personnalité de type borderline peut être une « appellation anglo-saxonne contrôlée » : elle répond à une certaine classification qui a son intérêt, surtout pour la comparaison de travaux. En France, de nombreux psychiatres ne reconnaissent pas le trouble de la personnalité de type borderline, mais parlent d’état limite, de fonctionnement limite, de cas limite, des appellations qui témoignent d’une continuité entre troubles psychotiques et névrotiques. Cependant cette présentation aura pour objet le trouble de la personnalité de type borderline tel qu’il est décrit dans le DSM IV, et plus précisément la place des antipsychotiques atypiques dans ce trouble. Qu’attendre d’un APA chez le patient borderline ? De nombreuses molécules ont été testées dans le traitement des troubles de la personnalité de type borderline [9] : olanzapine, rispéridone, aripiprazole, clozapine, ziprazidone, quétiapine. Il n’existe pas de données avec l’amisulpride. Les laboratoires Lilly sont les plus investis dans cette utilisation de leur molécule, olanzapine. Olanzapine Un essai contrôlé randomisé [18] a inclus 28 femmes présentant ce trouble : elles ont reçu de l’olanzapine à une dose en moyenne de 5,3 mg par jour pendant 6 mois, * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. versus placebo. L’amélioration a été modérée, portant sur les aspects périphériques du trouble tels paranoïa, colère, anxiété, sensitivité interpersonnelle, mais pas sur le sentiment de vide, ou l’insécurité. Dans notre service tous nos patients présentant un trouble borderline sont évidemment traités par antipsychotiques atypiques pour diminuer cette sensibilité, cette paranoïa, et accéder à un espace psychique commun partagé et non plus paranoïaque intrusif. Un autre essai contrôlé randomisé [3] a testé l’olanzapine contre placebo chez 40 patients borderlines, avec des doses plus importantes en moyenne 6,9 mg par jour et pendant une durée plus courte (de 3 mois) ce qui permet une amélioration globale significative. Cette amélioration est retrouvée au prix d’une prise de poids selon ces deux études. Un autre essai randomisé contrôlé [17] sur 3 mois a concerné 60 patients ambulatoires présentant à la fois trouble de la personnalité de type borderline, dépression, idéations suicidaires et automutilations. Il s’agit ici de « vrais » patients borderlines et non pas sur un versant plus hystérique : patients borderlines déprimés avec des idéations suicidaires et des automutilations. Dans cette étude sont comparés les effets d’une psychothérapie structurée cognitivo-comportementale (Dialectical Behavioral Therapy de Marsha Linehan) avec olanzapine (en moyenne à 8,8 mg par jour) versus les effets de cette même psychothérapie avec placebo. Olanzapine a montré un effet sur la dépression, l’anxiété, les comportements impulsifs agressifs, et aucun S220 effet patent sur les automutilations, le nombre de passages aux Urgences, ou le score CGI. Cette étude a été répliquée sur une population différente. Cette nouvelle étude [8] de 6 mois a porté sur 24 femmes dites « borderlines irritables » : cette dénomination se réfère à des patients indemnes d’automutilations, sans idéations suicidaires. Ainsi il s’agit d’une population différente de la précédente. Ce type de patients est d’ailleurs bien plus facile à recruter. Le recrutement du réseau borderline en France, montre qu’il existe de très nombreux patients perdus de vue dès le premier questionnaire. Ces perdus de vue sont probablement ceux qui ont été qualifiés plus haut de « vrais » borderline. En revanche, ceux qui restent malgré les questionnaires sur automutilations, impulsivité, antécédents traumatiques, abus sexuels… correspondent à une autre catégorie de borderlines, probablement tels que ceux recrutés dans cette étude. Psychothérapie de Linehan plus olanzapine versus même psychothérapie plus placebo montre une amélioration significative de l’irritabilité, l’agressivité, la dépression, les automutilations dans le groupe olanzapine. Un essai de 2 mois, randomisé, à trois bras (olanzapine seule, olanzapine associée à fluoxétine, fluoxétine seule), portant sur 45 femmes borderlines non déprimées a permis de conclure que olanzapine seule et olanzapine associée à la fluoxétine améliorent les patients significativement plus que la fluoxétine sur deux dimensions périphériques : la colère (cotée par l’OAS-M) et la dépression (cotée par la MADRS). À noter une étude pilote en ouvert [4] utilisant l’olanzapine en intramusculaire à 10 mg chez 25 patients borderlines agités aux Urgences. Cette étude de qualité médiocre, rapporte une diminution de l’agitation après 2 heures avec une bonne tolérance. Enfin notre équipe a participé à un essai contrôlé randomisé, de grande envergure, avec 314 sujets borderlines, traités par olanzapine à doses flexibles (en moyenne à 7,1 mg) pendant 3 mois en double aveugle puis pendant 3 mois en ouvert versus placebo. Cette étude n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes aux scores de la ZAN-BPD. Les deux groupes se sont améliorés plus rapidement pour le groupe olanzapine. Les effets secondaires significatifs dans le groupe olanzapine ont été la prise de poids (2,8 kg en moyenne), l’augmentation de l’appétit, la sédation et la somnolence. Cette étude a fait l’objet d’une communication. Un autre essai contrôlé randomisé a fait l’objet d’une communication au même congrès : l’étude HGKK, comportant 451 sujets borderlines traités par olanzapine à doses fixes (soit 2,5 mg, soit 5-10 mg) ou par placebo, conclut à une différence significative aux scores de la ZANBPD en faveur du groupe « olanzapine 5-10 mg » par rapport au groupe « placebo », le groupe « olanzapine 2,5 mg » approchant la significativité, avec une plus grande vitesse d’amélioration dans le groupe « 5-10 mg olanzapine ». Il s’agit d’une différence significative globale et non sur des items choisis. Les effets secondaires sont identiques à ceux déjà cités. M. Corcos, A. Pham-Scottez Risperidone La rispéridone n’a fait l’objet que de 4 publications pour le trouble de la personnalité type borderline. Un case report [7] sur un unique patient, traité par rispéridone (4 mg par jour) mentionne une diminution de l’auto-agressivité (auto-mutilations). Une étude en ouvert [14] a porté sur 15 patients traités par rispéridone 3,3 mg par jour en moyenne pendant 2 mois. Une amélioration de la dépression, de l’agressivité, du fonctionnement global est rapportée. Le Risperdal Consta a été utilisé sur une série de 12 patients borderlines dits « sévères » pendant 6 mois : il est conclu à une efficacité avec une bonne tolérance. Un seul essai contrôlé randomisé [16] a été mené sur 8 semaines, la posologie variant de 1 à 4 mg par jour. Aucune amélioration n’a été relevée : ni sur l’impulsivité ou l’agressivité, ni aux scores de la SCL-90 ou de la BPRS. Aripiprazole Il n’existe qu’un seul essai clinique contrôlé randomisé [10, 11] traitant 52 borderlines avec 15 mg par jour d’aripiprazole pendant 8 semaines. Un effet favorable est rapporté sur : dépression (HAM-D), colère (STAXI), pensée paranoïaque (SCL-90) et un effet modéré sur anxiété (HAM-A) et insécurité (SCL-90). Cet impact sur l’insécurité semble primordial : à 18 mois la supériorité de l’aripiprazole sur le placebo est confirmée. Clozapine Deux case reports et trois études en ouvert (36 patients en tout) laissent supposer une possible action de la clozapine, avec les effets secondaires connus : hypersialorrhée, sédation, prise de poids, neutropénie. Quétiapine Un case report, quatre études en ouvert (41, 29, 24 et 14 patients), et une étude naturaliste (13 patients) rapportent une efficacité. Ziprazidone La ziprazidone a fait l’objet de deux études en ouvert, aux Urgences, et d’un essai contrôlé de 3 mois, avec une posologie moyenne de 84,1 mg par jour. Celui-ci s’est révélé négatif, ne montrant pas de différence entre le groupe ziprazidone et le groupe placebo. Pour conclure, la littérature apporte surtout des données concernant l’olanzapine. Certains essais sont concluants, parfois en « add-on » d’une psychothérapie structurée. En pratique quotidienne, il est fréquent de prescrire ces médicaments en fonction des symptômes cibles (colère, irritabilité, agressivité, dépression…), avec le souci d’un rapport bénéfice/effets secondaires avantageux. À défaut d’un tel traitement l’accès à la mentalisation, la représentation, la symbolisation semblent difficilement concevables, la psychanalyse n’est pas adaptée. APA et trouble borderline L’excitation provoque une anarchie du sens. Quand un point signifiant est verbalisé, ce n’est que dans l’après coup ; le sujet ne comprend qu’après coup, il n’est pas dans une psychopathologie ancienne. De même pour l’humeur, on ne peut parler d’émotion structurée, dans sa dimension hédonique, du plaisir qui lie à l’autre objet, qui permet de s’apaiser, comme chez le sujet névrotique ou sain ; il s’agit ici d’un conglomérat d’affects et de pré représentations. Le traitement pharmacologique est donc indispensable, de même que les hospitalisations de contenance (les plus courtes possibles, au risque d’une dépendance massive) mais ne peuvent résumer à eux seuls la prise en charge du patient borderline. Qu’attendre de la psychothérapie chez le patient borderline ? Le traitement de première intention chez le patient borderline reste la psychothérapie [1]. Quelques essais contrôlés randomisés concernant des psychothérapies structurées ont été publiés [12]. Mais notre pratique psychothérapique quotidienne avec les patients borderlines est peu conciliable avec les contraintes méthodologiques d’un essai clinique… L’étude la plus informative [2] a consisté en un suivi sur 8 ans avec une psychothérapie structurée. Il existe un défaut de mentalisation chez ces patients. La mentalisation étant le processus d’analyse et d’interprétations des comportements cherchant à identifier les intentions et les pensées qui y sont associées. Il ne s’agit pas d’une représentation, mais de quelque chose qui donnerait une possibilité de sens. Devant ce défaut de mentalisation, est proposée une psychothérapie structurée qui permet dans le lien avec le psychothérapeute d’essayer de raccorder un lien de sens dans ce qui est vécu ici et maintenant en rapport avec l’histoire du sujet. Elle a pour but d’optimiser la capacité à améliorer les comportements dans les relations interpersonnelles notamment lors de situations avec une charge émotionnelle importante. Dans cette étude, la thérapie basée sur la mentalisation (MBT) s’est avérée plus efficace sur le long terme que des programmes reposant uniquement sur des hospitalisations ou certains suivis ambulatoires même intensifs (avec d’autres approches psychothérapiques non structurées). Il existe une autre étude [6] ayant testé une psychothérapie dynamique déconstructive (DDP) basée sur l’hypothèse selon laquelle la personnalité borderline serait liée à des troubles cognitifs de perte de capacité d’altérité (et de distinguer l’autre de soi même). Le but de ce traitement est d’activer ces fonctions cognitives préfrontales pour faciliter la capacité à intégrer les expériences interpersonnelles, en particulier par la relation entre le patient et le thérapeute. L’étude a consisté en un essai randomisé et a montré que cette technique psychothérapique conduit à une réduction des conduites suicidaires, des alcoolisations et des symptômes majeurs de la personnalité borderline y compris en cas de conduites addictives. S221 Conclusion Ainsi les APA sont indiqués, sous certaines conditions, en faisant attention aux effets secondaires, et en association à une psychothérapie, chez les patients borderlines. 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