XVI Les Cloches de Corneville - DBR

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XVI
Les Cloches de Corneville
Telle est aussi la part de félicité qui revient à la vue
1. L’opéra-comique1
Nous sommes au chapitre XXII des Flibustiers. Un spectacle se donne sur les planches du
théatre de Manille. Les Cloches de Corneville. J’ignore tout, pour l’instant, de cette opérette.
Aussi je survole plus que je ne lis ce rapide chapitre.
Cependant, une idée me vient à l’esprit et qui n’a aucun rapport avec l’opérette : si Rizal a
conçu son ouvrage en pensant à Don Quichotte, alors nous devrions jeter un coup d’œil au
chapitre XXII du volume 1 des aventures de l’Hidalgo. Nous voici en présence des Galériens.
Voyons également au chapitre XXII du volume 2 : Don Quichotte raconte sa descente dans la
Caverne de Montesinos, la caverne des Dormants. Il nous faut suivre les trois chapitres XXII
d’un œil qui embrasse les trois textes. Le fil que Rizal tire au travers des trois chapitres est
torsadé autour de certains mots-clés : Cervantès, Caverne, libération, Cloches de Corneville,
rideau, scène, opérette, France.
Qu’est ce que cette opérette ?
Je mène l’enquête sur Internet et rapidement, les informations tombent. Je synthétise,
réorganise, réécris afin de les rendre plus directement lisibles et exploitables dans le cadre de cet
essai. Les amateurs de chansonnettes pourront à loisir compléter leur connaissance de cette pièce
en se rendant sur la toile où abondance de détails ont été collationnés.
Nous sommes à Paris le 19 avril 1877, les Folies-Dramatiques, théâtre parisien, se décident à
représenter Les Cloches de Corneville. Historique : Robert Planquette, auteur de la partition avait
déjà écrit une courte pièce intitulée Méfie-toi de Pharaon. Il contacte plusieurs directeurs de
théâtre, mais le projet ne séduit personne (Bip). En 1873, (BOP) un inconnu se présente.
Fabricant de dessous de plats à musique, il offre d'éditer des morceaux choisis. Planquette
accepte et la musique fait son petit tour de France, sans avoir jamais été jouée dans un théâtre !
La carrière de l’opérette ne commence qu’en 1877. La critique est catastrophique, mais le public
s’amourache de la pièce. L'ouvrage est traduit et fait plusieurs fois le tour du monde. À Paris, la
millième est atteinte en moins de dix ans. La carrière de l’œuvre durera près d’un siècle et il
arrive encore aujourd’hui, que certaines troupes la jouent.
2. L'histoire
En Normandie, à la fin du XVII° siècle, le marquis de Corneville doit s'expatrier avec son
petit-fils Henri. En partant, il confie sa fortune et son domaine à son fermier Gaspard. Au fil des
ans, ce dernier finit par considérer comme sien les biens de ses maîtres. Il laisse croire que le
château de Corneville est hanté par ses anciens châtelains.
1
Fiche technique : Les Cloches de Corneville, opéra-comique en 3 actes et 4 tableaux de Louis Clairville et Charles
Gabet, musique de Robert Planquette. Création à Paris, théâtre des Folies-Dramatiques, le 19 avril 1877.
À la même époque, le comte de Lucenay, autre noble de la région, fuit également la France en
confiant sa fille Germaine à ce même Gaspard. Ce dernier la fait passer pour sa nièce. Enfin, le
fermier recueille dans un champ de serpolets un bébé qu’il prénomme... Serpolette et qui
deviendra plus tard sa servante. Gaspard subtilise la page du registre du bailliage où sont inscrites
les naissances de Germaine et Serpolette.
L’action débute quelque vingt ans plus tard, à la fin du règne de Louis XIV.
Acte I :
Un sentier boisé près du château de Corneville
Le nouveau bailli trouve suspects les agissements de Gaspard, et désire faire rouvrir le
château. Pour le neutraliser, le rusé fermier le convainc d’épouser Germaine, qui vient de revenir
au pays après quelques années passées en pension. Celle-ci a promis sa main à Grenicheux, un
jeune vaurien. Non par amour, mais par reconnaissance. En effet, étant tombée à la mer, elle a
trouvé, à son chevet en revenant à elle, Grenicheux qui a prétendu l’avoir sauvée de la noyade.
Le jour du marché de Corneville survient un inconnu qui s’intéresse au château. Il rencontre
Germaine. Elle lui raconte la légende des cloches qui, silencieuses depuis de longues années,
carillonneront au retour des seigneurs de Corneville. L’inconnu n’est autre que le marquis de
Corneville qui, après avoir fait le tour du monde, revient prendre possession de son domaine.
Le marché de Corneville
Le marquis se rend au marché où, deux fois par an, on peut louer domestiques, servantes ou
cochers. Henri engage Serpolette et Grenicheux qui fuient la colère de Gaspard.
Acte II :
Une grande salle du château de Corneville
Henri entraîne au château ses nouveaux domestiques et le bailli. Il leur dévoile sa véritable
identité et tente de les rassurer car, à part Germaine qui fait assez bonne figure, tout ce petit
monde claque des dents à la pensée de rencontrer les fameux fantômes.
Des documents trouvés dans le château laissent supposer que Serpolette serait l'héritière des
Lucenay. Le marquis se sent de plus en plus attiré par Germaine dont l'allure et la réserve ne
correspondent pas à l’attitude d'une fille de sa condition. Elle lui raconte les raisons qui l’ont
conduite à accorder sa main à Grenicheux. Le marquis comprend la duplicité de son serviteur, car
c'est en réalité lui, Henri, le véritable sauveur de Germaine.
Mais pour l'heure, il est temps de s'intéresser aux fantômes. Une barque approche du château.
Tout le monde se cache. Un homme apparaît. C'est Gaspard. Tel Harpagon, il attrape dans une
armoire des sacs remplis d'or et en contemple avec délices le contenu. Les cloches de Corneville
se mettent à sonner... Gaspard tremble, s’affole. Henri se découvre et s'approche pour le châtier.
Il se rend aux prières de Germaine et fait grâce au fermier.
Acte III :
Le parc du château de Corneville
Le marquis donne une grande fête dans son château. Gaspard, qui a perdu la raison, se
promène de groupe en groupe en chantonnant. Serpolette hérite les biens et titres des Lucenay, au
bénéfice du doute, par suite de la disparition de la page du registre de bailliage. Elle fait de
Grenicheux son factotum et souffre-douleur.
Henri fait confesser à Grenicheux sa supercherie. Cachée, Germaine entend leur conversation.
Elle se jette aux pieds de son seigneur. Le marquis la relève et lui demande de devenir sa femme.
Germaine refuse, estimant qu'une servante ne peut épouser un marquis.
Gaspard recouvre la raison. Pris de remords, il avoue toute la vérité et prouve ainsi que
Germaine est la véritable héritière des Lucenay.
Tout est bien qui finit bien pour Germaine et Henri. Les cloches peuvent sonner en l'honneur
de la nouvelle châtelaine de Corneville !
3. Des cloches allégoriques
La dramaturgie est baroque. Mais le sujet est intéressant si on l’étudie en pensant à Don
Quichotte et la destinée qui a été réservée à ce livre. En lisant le court scénario de la pièce, l’on
assiste en effet à une allégorie retraçant le parcours de l’œuvre cervantienne.
Un noble doit s’absenter, en compagnie de son petit-fils, laissant ses biens aux soins d’un
fermier. Ce dernier a la charge de Germaine, la fille du comte de Lucenay, qu’il fait passer pour
sa nièce. Mensonge, supercherie, bien évidemment, le fermier s’empare de tout.
Allégorie : Cervantès nous quitte en 1616, son trésor est confié… à un lectorat qui ne voit rien.
Le pillage en règle commence. Corrections de la part des grammairiens et experts qui s’estiment
en droit de perfectionner ce qu’ils jugent imparfait. Une longue lignée de pillards ballornisent
Don Quichotte. La récente réédition à la Pléiade de Don Quichotte, sous la direction d’un Samson
Carrasco moderne présente un maximum de ce que la culture conventionnelle peut produire de
grotesque. C’est Grenicheux qui se prend pour le marquis sous prétexte d’en avoir recueilli la
fille.
Mais un jour, le petit-fils du marquis revient au pays et entend reprendre ce qui lui appartient
de droit. Gaspard est démasqué. La vérité éclate. Les cloches de Corneville retentissent : les
seigneurs de Corneville sont de retour. Gaspard en devient fou. Germaine, qu’il a traitée en
domestique, est en fait l’héritière du comte de Lucenay. Elle peut épouser Henri.
Allégorie : la Culture a été dépossédée de la Connaissance. Don Quichotte a été mis à l’écart.
Mais survient un héros qui démasque mensonges et impostures, qui remet l’héritière en selle. Le
héros qui intervient, c’est Rizal. L’héritière qui reprend le flambeau de la lignée, c’est l’exégète
de Don Quichotte : Dominique Aubier.
Est-ce cette lecture que notre Philippin fit de l’opérette? Toujours est-il qu’il utilise les
planches de M. Planquette pour exposer Cervantès sous les projecteurs tout en le planquant ! Les
Servantes qui montent sur scène sont ici au service de la vérité quichottienne. Germaine est toute
désignée : elle est recrutée par le marquis comme domestique. Un jour, dans une conférence,
Dominique Aubier disait justement d’elle-même qu’elle était une sorte de femme de ménage qui
époussetait et briquait l’ensemble des données de la connaissance afin d’en faire briller les
couverts. Germaine : est-ce sous cette identité que Rizal a vu la préfiguration de celle qui
assumerait l’exégèse quichottienne ? Elle serait française, femme de ménage, et héritière ? Une
Germaine serait donc un jour appelée à monter sur scène, sous la pancarte Cervantès ? Elle
rétablirait l’acte de naissance authentique du héros, réabiliterait le chevalier dans ses droits et
privilèges ? Elle travaillerait au thème de l’Union des Contraires ? Je crois qu’en tous points, le
portrait de Germaine correspond à celui de Dominique Aubier. Un point d’analogie est
saisissant : Corneville. Les douze cloches de Corneville retentiront, dit la légende, le jour où les
seigneurs de la ville seront de retour. Corneville se trouve en Normandie, dans le département de
L’Eure qui est justement celui où réside Dominique Aubier. À Damville. Ce n’est pas un secret,
d’autant qu’elle l’a elle-même indiqué dans certains de ses ouvrages. De Corneville à Damville…
moins de cinquante kilomètres ! Rizal a bien vu : c’est en Normandie que Don Quichotte
monterait sur les planches, non pas en représentation théâtrale, mais sur la scène exégétique
d’une élucidation qui lui rend sa noblesse et son origine.
En ce moment même, alors que j’écris ces lignes, Dominique Aubier met la touche finale à
son livre sur la 23ième lettre de l’Alphabet hébreu. Un important chapitre y traite des douze tribus
d’Israël2 : les rapports qu’entretiennent les douze paires de nerfs crâniens avec la représentation
qu’en assument les douze tribus d’Israël. Je suis frappé par ce chiffre douze. Les douze cloches
de Corneville sont-elles une allégorisation préfigurative de la réhabilitation d’une cause sur son
origine ?
2
Dominique Aubier, La 23e lettre de l’Alphabet hébreu. M.L.L. 2005. Si j’en crois la prévision de Rizal, cet ouvrage
retentira à grande volée!
XVII
L’équateur du cristallin
Ton œil a un droit sur toi
1. Rizal, l’écrivain opticien
Le corps médical peut s’enorgueillir de compter parmi les siens un grand auteur. Généraliste,
Rizal se spécialise dans l’ophtalmologie lors de son séjour à Paris, sous la direction de Louis de
Wecker, puis à Berlin avec le spécialiste Otto Becker. Sa motivation ? Sa mère perd la vue. En
fils reconnaissant, il étudie la science de la vision. En cette fin du XIX° siècle, l’ophtalmologie,
selon ce qu’indiquent les manuels techniques de l’époque, était déjà fort avancée.
Connue des Grecs, notamment par Hippocrate qui diagnostiquait avec assez de précision
certaines pathologies (uvéites, glaucomes etc.) elle s’est beaucoup développée en Egypte antique.
De nombreux documents furent trouvés dans les pyramides, aux pieds des momies, mentionnant
l’existence d’une médecine des yeux3. Les anciens avaient développé une impressionnante
pharmacopée. Mais il fallut attendre le XVIII° siècle pour qu’une révolution bouleverse les
usages de la médecine : l’ouvrage d’Antoine Maitre-Jean4 est un grand traité sur la cataracte, qui
reprend l’ensemble des notions connues à son époque. La description qu’il fait de l’œil et son
anatomie ainsi que sa connaissance des maladies du cristallin et des paupières gardent
aujourd’hui encore toute leur pertinence.
Les 100 premières pages de son ouvrage décrivent l’anatomie et la physiologie oculaires.
Antoine Maître-Jean s’est appuyé sur des expériences de chambre noire, de réflexion et de
réfraction de la lumière, de réfraction dans les verres concaves et convexes suivies d’application à
l’œil et de l’image projetée sur la rétine. Il en déduit que le cristallin n’est pas absolument
nécessaire à la vision, mais qu’il permet la vision précise.
Si j’en crois le site Internet spécialisé sur la question, sa volumineuse étude est un véritable
guide du praticien ophtalmologue. Les spécialistes modernes s’étonneront des précisions
chirurgicales de l’époque… Son livre marque une étape essentielle dans l’évolution des
connaissances des maladies oculaires et spécialement de celles du cristallin. Par ailleurs il
représente le premier traité moderne d’ophtalmologie, car il est un traité complet et
systématique, rédigé à partir d’expériences personnelles. Il est nettement plus important, plus
riche et plus systématisé que celui de son contemporain, Guillemeau. Rizal, infatigable lecteur, a
eu entre ses mains une édition de ce précieux livre dont quelques exemplaires se trouvent à la
Bibliothèque nationale où il s’était inscrit.
Il a certainement lu le traité de la cataracte et du glaucoma, de Pierre Brisseau5, et le traité
des maladies des yeux de Charles de Saint-Yves6. On ne peut être un ophtalmologue en fin de
3
Voir le site Internet http://www.snof.org/histoire/egypte1.html
Antoine Maitre-Jean, Traité des maladies de l’œil et des remèdes propres pour leur guérison enrichi de plusieurs
expériences de physique, Jacques Lebebvre, Troyes 1707.
5
Pierre Brisseau, Traité de la Cataracte et du Glaucoma éd. Laurent d’Houry, Paris, 1709
4
XIX° siècle sans avoir au moins consulté ces deux ouvrages. Bien sûr, on ne sait jamais
exactement quels livres un écrivain a pu lire : je n’étais pas caché dans son alcôve pour surveiller
les rayonnages de sa bibliothèque, mais compte-tenu de sa spécialité et son caractère méticuleux,
il est inévitable qu’il se soit documenté au mieux pour parfaire sa formation. Dans toutes les
bibliographies spécialisées sur l’histoire de l’ophtalmologie, on tombe sur ces deux
incontournables.
J’ai lu succinctement le traité de Charles de Saint-Yves, il est composé de manière classique :
une partie réservée à l’anatomie de l’œil, l’autre aux pathologies et traitements.
Ceux qui désirent se documenter pourront visiter le site Internet ou même, s’ils en ont
l’occasion, se pencher sur ces précieux ouvrages qui sont des pièces de collection.
L’ophtalmologue moderne jugera par lui-même des progrès qui ont marqué cette spécialité en
deux siècles, mais reconnaîtra la validité des longues descriptions de l’œil humain que présente
ce savant : tout est considéré, les os qui forment l'orbite, les paupières, la glande lacrymale, la
caroncule, les graisses et le conduit nasal, les muscles, les membranes, les „humeurs“, les nerfs,
les artères, les veines.
La vision, selon Mariotte, se fait après le passage de la lumière à travers les milieux oculaires
par impression sur la choroïde. Sur la rétine, selon Descartes. La rétine ne serait-elle que de la
glace du miroir dont la choroïde serait le tain ?
N’est-il pas symptomatique de retrouver ici le thème du miroir ?
José Rizal, miroir de Don Quichotte, recevrait-il sa lumière à travers un cristallin dont il serait
lui-même la rétine ? Rizal serait-il la rétine de Don Quichotte ? Il conviendrait de faire une
relecture ophtalmologique du chapitre XIII des Flibustiers, consacré au miroir, à la
problématique de la réflexion lumineuse et son inversion.
Dès le XVII° siècle, l’on distinguait les trois sortes de vues : la bonne, la vue de myopes et la
vue des presbytes. Le myope a le cristallin trop voûté, chez le presbyte il est trop plat. La bonne
vue se change quelquefois en myopie surtout chez les personnes qui lisent beaucoup, elle peut
aussi changer en presbytie dans un âge avancé. La vue des myopes ne change jamais, celle des
presbytes se change souvent en bonne vue.
Bon pied bon œil serait-on tenté de dire : les livres de Rizal doivent se lire à la loupe, peut-être
faut-il user des trois vues : c’est-à-dire des trois niveaux d’organisation, qui développent les trois
approches progressives d’un texte et y ajouter le quatrième niveau, celui du sens définitif. C’est là
sage méthodologie biblique ! À y regarder le plus près, puisque telle est l’invitation de notre
ophtalmo, on s’aperçoit qu’il procède, d’un point de vue littéraire, toujours de la même façon.
Une entrée en matière progressive, étagée sur la règle des niveaux d’organisation. L’on pénètre
ainsi dans la maison de Tiago, — et comme il le dit plaisamment de lui-même : l’architecte n’a
pas eu une bonne vue pour la construire ! Au début de Noli me Tangere, la vue opère un tour
d’horizon, dont la circonférence converge en son centre où se tient la conversation que l’on
suivra. Il reprend le même procédé au chapitre X, La petite ville : vue extérieure, décor lointain,
le lac, le ciel, la rivière, la ville, et commence la narration : une légende lointaine, dont les détails
se précisent, dont les personnages se distinguent peu à peu : les ancêtres du héros sortent de
l’ombre, viennent au grand jour pour être vus. Les livres de Rizal sont écrits au moyen d’une
grammaire très visuelle, j’allais dire cinématographique : question de vue, de vision, de réglage
progressif de la focale.
6
Charles de Saint-Yves, Nouveau traité des maladies des yeux, les remèdes qui y conviennent & les opérations de
chirurgie que leurs guérisons exigent... éd. Pierre Augustin Le Mercier, Paris 1722.
On a l’impression que Rizal veut amener le Lecteur à voir clair en toute chose. Il veut que son
œuvre soit vue et lue comme il l’entend. Aussi met-il à la disposition du lecteur le collyre adapté.
Il sait que son projet quichottien doit être compris. À la fin du XIXième siècle, Don Quichotte a
déjà subi le lessivage des officiels de la culture. Son écriture initiatique a été déformée,
aboutissant en France à la dernière des infidélités dans la traduction commise par Aline
Schulman, aux éditions du Seuil. Selon elle, par exemple, il fallait purger le roman de toutes les
répétitions de l’original. La raison ? Le français ne supporte pas la redondance. Il fallait en
conséquence repasser Don Quichotte à l’amidon de l’Hexagone. Je veux bien que pour la
commodité de la communication, elle ait procédé au rewriting de la traduction de Louis Viardot,
mais de là qu’elle se convainque d’avoir réalisé un chef d’œuvre !
L’espagnol, sur son versant sémitique, se pare des ornements de la langue hébraïque. La
répétition, dès lors n’y est pas perçue comme une faute de style. Elle participe au contraire à
l’organisation du complexe. La répétition du „déjà-dit“ relance et étoffe l’épaisseur du vécu.
C’est une règle de la grammaire initiatique qu’un auteur comme Albert Cohen a exploitée dans
tous ses ouvrages, plus particulièrement dans Belle du Seigneur. C’est tout le secret de cet
écrivain dont les personnages dansent sur le pas cadencé du redoublement où l’information
revient continuellement sur un déjà-dit informationnel se développant en action : la critique s’est
emballée sur ce qu’elle a pris pour l’invention d’une nouvelle élocution quand il ne s’agit que du
fruit d’un conditionnement de lectures assidues des Talmuds par le séducteur lettré. Il serait
intéressant de procéder à l’étude détaillée de ce roman dont il me semble que la structure, la
dynamique du récit, de la narration, les rapports des personnages entre eux devraient être passés
au filtre d’une lecture initiatique. Mais ce pas n’est le lieu ici de cette enquête dont je confie les
soins à mieux informés que moi. Je n’ai qu’un conseil à donner au spécialiste qui s’y attaquera.
Qu’il se dote des lunettes permettant de répérer les articulations archétypales de Belle du
Seigneur. Lire la Face cachée du Cerveau. Faute de ce collyre, il se cassera les yeux sur un livre
qui ne trahit pas les astuces de son auteur.
Maladies les plus courantes obturant la vision : l'anchilops ou abcès du grand-angle. L'ægilops
ou fistule lacrymale, une ulcération du sac lacrymal. Fistules des paupières, l'orgelet (qui se
soigne par application d'un emplâtre de pommes cuites). La grêle, une petite tumeur blanche et
dure. Les verrues sur les paupières… Le trichiasis qui provoque le frottement des cils sur l'œil, la
paralysie de la paupière supérieure (qui se soigne par des bouillons de vipère et les eaux
minérales), l'éraillement des paupières, l'inflammation et l'érésipèle, l'hydropisie, les athéromes,
le symblépharon ou union contre nature des paupières. Le strabisme, les contusions oculaires,
l'ophtalmie (qui englobe toutes les affections caractérisées par une inflammation ou une rougeur
de la conjonctive, qu'elle s'accompagne ou non d'écoulements).
Autres pathologies : les abcès de l'œil qui se localisent sur la cornée, la conjonctive ou l'uvée.
Dans ce dernier cas, le pus ayant rempli la chambre antérieure, Saint-Yves préconise l'incision de
la cornée et le lavage de la chambre antérieure à l'eau tiède. La cataracte, le glaucome, les
maladies de la rétine, comme le détachement de la choroïde qui se soigne par des bouillons
d'écrevisse, des purgatifs répétés et des poudres de vipères et de cloportes. Mais la maladie la
plus pernicieuse en ophtalmologie est le cancer des paupières. Que l’on appelle également noli
me tangere, car l'opération n'est que rarement suivie de succès.
2. L’œil est cet opéra…
Voici donc une nouvelle interprétation du titre, que je n’ai lue dans aucun essai traitant de
Rizal. Elle me paraît pertinente, compte tenu de la préface dédiée à sa patrie, où l’auteur écrit, dès
la première ligne : On constate, dans l’histoire des souffrances humaines, un cancer d’un
caractère si pernicieux que le moindre contact l’irrite et y réveille les douleurs les plus aiguës.
Un cancer. Lequel ? Celui des paupières qui a donné son nom au livre ? Un cancer qui
empêcherait la vision ?
Alors, chaque fois que, au milieu des civilisations modernes j’ai voulu t’évoquer, soit pour
m’accompagner de tes souvenirs, soit pour te comparer aux autres pays, ta chère image m’est
apparue avec un cancer social semblable…
Le mot image désigne la capacité visionnaire. L’œil est en cause. Il s’agit d’une maladie qui
frapperait le pays, semblable au Noli me tangere, le cancer de la paupière. La vision serait
troublée, souffrante, douloureuse.
Le remède ? Il n’y a que peu de chances de guérison, diagnostique l’ophtalmologue. Mais
cherchant le meilleur remède, je ferai avec toi ce que faisaient les anciens avec leurs malades :
ils les exposaient sur les marches du temple, pour que chaque personne qui venait d’invoquer la
Divinité peur proposât un remède…
L’exposition, au grand jour, du mal des paupières qui afflige toute une civilisation permettra-telle à quelque personne ayant invoqué la Divinité de proposer un remède ?
Ce remède, pour Rizal, consiste à soulever les paupières, lever une partie du voile qui cache le
mal, et tout sacrifier à la vérité, même son amour-propre.
Le remède que propose Rizal, c’est celui d’un kabbaliste quichottien ! La guérison, par le
baume de Fierabras ! Par la connaissance et ses lois. Il est, pour autant que j’en sois informé, le
seul kabbaliste de l’école quichottienne qui ait tenté d’exposer l’enseignement du chevalier sous
une forme éclairée quoique encore non aboutie. Je considère l’œuvre de l’ophtalmologue comme
une tentative de pré-exégèse dont la qualité n’est perceptible qu’à la lumière de l’exégèse
effectivement donnée par Dominique Aubier.
Rizal, lors de son exil à Dapitan, pratiquait régulièrement des opérations chirurgicales. Toutes
les cécités d’origine non-nerveuses étaient de sa compétence. La mise en lumière était sa
profession, sa vocation. Enlever le voile cataracteux, tel est son objectif déclaré dans sa préface :
ouvrir le rideau, donner à voir, laisser transparaître ce qui doit être vu. L’intérieur de l’œil est cet
opéra où la scène quichottienne se joue. Don Quichotte demande à être vu : Rizal épingle le motclé désignant l’objet que notre regard doit viser. Cervantès à Corneville, sur les planches
normandes!
Au quotidien, tous les matins, notre ophtalmologue en exil dessille des paupières, opère des
cristallins. Et que l’on ne croie pas qu’à défaut d’appareillage sophistiqué comme celui de ses
confrères modernes qui disposent d’une extraordinaire palette d’outils électroniques, il n’ait pu
ou su soigner une cornée blessée. Avec Rizal, on entre au cœur de l’œil : dans le salon, sont ceux
qui vont manger au milieu de miroirs colossaux et de lustres brillants… (Noli, p. 41) Le lecteur
entre dans une maison comme au cœur d’un œil ouvert. Il est convié à se nourrir de lumière, fûtelle une réverbération. Ne voyez-vous pas ce qui est clair comme le jour, demande Doña
Victorina ? Mais n’auriez-vous pas d’yeux s’interroge-t-elle au chapitre III ?
Une parente de Rizal vint un jour lui rendre visite à Dapitan et l’interrogea si c’était elle qui
avait servi de modèle à Doña Victorina. Mon livre est comme un miroir, lui répondit l’écrivain, si
tu y as reconnu ta perfection, alors ce doit être toi. L’auteur nous prépare, nous lecteur, comme si
nous étions ses patients, à nous installer dans son œuvre comme pour subir son intervention.
Rizal était, selon les témoignages de ses collègues et consultants de l’époque d’une grande
habileté : il opéra à mains nues la double cataracte dont souffrait sa mère, une intervention
délicate qui ne se pratique, de nos jours, plus qu’à l’aide de lasers et qui requiert, quelque soit la
technologie utilisée, une concentration extrême.
En a-il vu défiler des yeux, tout au long de sa carrière ! De toutes les couleurs, de toutes les
expressions ! Il connaît le poids, la force d’un regard, son langage silencieux :
Que se dirent ces deux âmes, quelles paroles échangèrent-elles par ce langage des yeux,
langage plus parfait que celui des lèvres, et dont l’âme est doué afin que le son ne trouble pas
l’extase du sentiment ?7
On croirait lire du pur Ibn’ Arabi !8 !
En ces instants, quand les pensées de deux êtres heureux se pénètrent mutuellement par le
regard, la parole est lente, grossière, faible, semblable au bruit rauque et lourd du tonnerre dans
l’éblouissante lumière et la rapidité de l’éclair.
La vision autorise une perception globale, synthétique de l’existant. Elle donne à percevoir ce
qui est déjà donné. La vision embrasse une perception immédiate de la création, là où la parole
participe du compte-rendu, de l’explication de ce qui a été perçu.
Elle exprime un sentiment déjà connu, une idée déjà comprise, et si l’on se sert d’elle, c’est
que l’ambition du cœur qui domine tout l’être… veut que l’organisme humain tout entier, avec
toutes ses facultés physiques et psychiques, fasse connaître le poème de joie que chante l’esprit.
À la demande amoureuse d’un regard qui brille ou se vole, le langage n’a pas de réponse : seul
sourire, le baiser ou le soupir y répondent.
3. De la vision au langage
Selon Dominique Aubier, la terre possède une identité d’essence cérébrale. Ainsi, une
géographie d’essence corticale devrait répondre à la répartition des aires fonctionnelles du cortex.
Il en découle qu’une partie de la planète devra interpréter plus particulièrement les capacités
langagières, une autre l’écoute, une autre, encore les aires visuelles. De grandes zones
7
Noli me Tangere, op.cit. chap. VII, p. 83
Ibn’ Arabî, Le Traité de l’Amour, traduction Maurice Gloton, éd. Albin Michel, Paris. J’ai commencé les dix-huit
chapitres de ce livre par des exergues dont il est l’auteur. Elles sont tirées du Traité de l’Amour. Un livre qui fait le
portrait de l’amant idéal, serviteur de l’absolu, pour qui l’amour est une station divine. J’ai (re)lu ce livre en gardant
à l’esprit l’œuvre et la vie de Rizal. Il n’est pas une page où je n’ai éprouvé la certitude qu’il était dans les
dispositions exactes dont parle le soufi. Sa vie, sa mort, avec sa dimension sacrificielle répondent d’une intime
identification à une cause : la cause des Amants véritables qui ne doivent de compte à personne, sauf à l’objet de leur
sentiment. Rizal a été l’Amant de son pays natal. Il en est le chantre, le troubadour. Il était comme ces compagnons à
qui Dieu avait pardonné d’avance, car ils étaient, lors de leurs actes, dans une condition de spiritualité telle que
Dieu les considérait comme affranchis. Rizal dépasse le stade de la passion pour son pays, pour en découvrir
l’aspiration. La passion trouve son exutoire dans la lutte violente, tandis que l’aspiration, au sens soufique du terme,
est l’aboutissement d’une libération intérieure, après la sublimation passionnelle. La passion doit être retournée, dit
l’initié, afin que d’elle naisse la maîtrise. En soumettant sa passion pour sa terre à l’autorité quichottienne, Rizal s’est
affranchi de tout débat politicien autour de l’accession au pouvoir. Tandis que révolutionnaires et colonialistes ne
rêvent que de s’entretuer, Rizal élève son sentiment patriotique au-dessus des sillons que trop de sang abreuve. Son
patriotisme ne s’abandonne pas à l’aveuglement passionnel. Au contraire, ce sentiment se discipline sous l’autorité
de sa référence quichottienne. La patrie de Rizal, ce ne sont pas seulement les 7107 îles de l’archipel philippin, c’est
tout l’espace culturel hispanique, à commencer par le territoire espagnol, le pays même dont il est la victime. Le
champ civilisateur cultivé par Don Quichotte lui est ouvert. De l’amour de son pays il expurge l’aspect monstrueux
que prend toute forme de patriotisme dès qu’il s’oppose à un autre patriotisme et le rapporte à sa vérité ontologique :
la patrie hispanique est supra-territoriale, c’est un lieu de la pensée qui ne peut exister que pour et par Don Quichotte.
C’est là que la passion pour sa Perle d’Orient s’ouvre au monde. Issue de la passion patriotique sublimée, l’aspiration
quichottienne est l’alliée, de José Rizal, c’est cette aspiration qui fait de lui le héros national de son pays.
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civilisatrices en interpréteront les fonctions. Ainsi explique l’auteur, si Israël occupe la zone
verbale du sens (aire de Wernicke) planétaire, il se pourrait bien que l’Asie occupe la zone
visuelle du cortex planétaire. La zone visuelle dans le cerveau est physiologiquement importante
et couvrira, sur la croûte terrestre, une surface proportionnellement conséquente.
Je pense soudain à la spécialité de José Rizal. La vue !
Asiatique, il l’est par sa naissance, les Philippines se trouvent en pleine mer de Chine. Mais
culturellement, il est lié à l’Espagne par la langue maternelle, le castillan hérité de trois siècles de
présence hispanique sur le sol des îles. Dans son cas spécifique, c’est l’Espagnol de Don
Quichotte qui visite son esprit. Son aire du langage est imbibée de la langue quichottienne et
bénéficie de l’apport considérable de l’hébreu dont il est familier. En lui se reproduit la rencontre
de Don Quichotte avec la langue d’origine dans laquelle il est codé. Je crois que c’est de cet arc
électrique que naît la déflagration rizalienne aboutissant à la révolution que l’on sait.
Partout où il se rend, l’écrivain-ophtalmologue cherche à voir. Curiosités, monuments,
musées. Embrasser du regard ce qui l’entoure, voir, et comprendre. C’est sur cette logique de la
vision prédominante qu’il construit ses textes. Les chapitres commencent presque toujours par
panoramique, suivis d’un mouvement cinématographique de zoom rapproché, de glissement sur
un rail accompagnant un personnage, cadrant une scène dont l’étendue se délimite au champ de
son cadrage.
Son écriture est proprement cinétique : sa caméra intérieure procède en permanence aux
réglages de la focale. Il me semble que l’écrivain incarne cette liaison — elle doit bien exister
dans le cerveau humain, je le suppose et je parie sur son existence, sans avoir vérifié dans aucun
ouvrage scientifique — entre l’aire du langage et les aires optiques9. C’est sur ce câble que Rizal
a voyagé, qu’il a inséré Don Quichotte en Orient. Qu’il est allé en Espagne pour délivrer l’accusé
de bonne réception. Message quichottien bien reçu en Asie, en Castillan, bien compris et bien
reçu, le codage en hébreu ! Le propos de Don Quichotte a été bien vu. La suite se déroulera en
France. L’attestation est signée par un professionnel des yeux.
Existe-t-il, ce nerf, cette liaison qui opère la liaison entre l’air de Wernicke et les zones de la
vision ? Si un homme, de son vivant, a été si puissamment prédestiné à jouer le fildefériste sur
une telle liaison, je parie que celle-ci doit exister dans nos cerveaux. C’est parce que la liaison
existe qu’un homme en ait interprété le rôle, dans sa vie.
Un ophtalmologue, doublé d’un linguiste, se rend de l’aire visuelle où il est né sur le territoire
du langage dans lequel il a été formé. Il y rencontre inévitablement le prince du Verbe, Don
Quichotte. Le grand mérite de Rizal aura été, à mon sens, de nous donner à voir cette liaison
nerveuse. Elle mérite d’être observée de près. L’écrivain trace, par ses voyages, l’itinéraire que
suivra le message cervantien. Ce message traverse les Pyrénées, comme Don Gaïferos et
Mellissandre dans Don Quichotte. Se rend en Allemagne, comme Ricote… Marque une halte à
Heidelberg où il séjourne quelques temps… Le temps pour l’écrivain philippin de rédiger un
poème en hommage aux roses.
Quelle étonnante analogie !
En mai 2002, soit plus d’un siècle plus tard, un symposium.10 organisé par l’Institut des
recherches systémique de cette ville réunit les chercheurs les plus pertinents pour tenter de
9
A l’heure où j’écris cette ligne, personne ne m’a encore parlé de cette liaison. C’est une sorte de flash idéique que
j’ai eu. Dominique Aubier en a vérifié l’existance dans son ouvrage consacré au cinéma indien.
10
Eine Rose ist eine Rose, Séminaire à Heidelberg, Institut für Systemische Forschung, du 2 au 6 mai 2002. Un
compte-rendu de ces réunions se trouve dans le livre Le Pouvoir de la Rose.
dégager l’essence du symbolisme… de la rose. La causerie s’intitule Eine Rose ist eine Rose ist
eine, selon le bon mot de Gertrud Stein. Objectif : identifier l’essence du symbolisme. Étaient
présent des experts du monde entier.
Ah l’affligeante réunion de spécialistes pour qui le symbole ne peut renvoyer qu’à lui-même
ou au mieux à une sur-allégorisation, dans une infinité d’effeuillages ! Conviée à ce colloque,
Dominique Aubier s’est effectivement rendue sur les rives du Neckar pour y faire une conférence
sur le sens de la Rose . J’y ai assisté. Quel électroc sur l’assemblée ! Fini le forage dans le vide.
Le sens ultime du symbole de la Rose se trouve dans son nom, et ne devient lisible que s’il est
rendu à la langue dont les lettres, une à une dévoilent la fragrance de ce qu’elles recouvrent. Il
faut lire le mot dans son écriture hébraïque, oui, l’hébreu dont chaque glyphe recèle une
signification. Chaque lettre du mot hébreu détend alors un élément de la vocation du symbole
qu’il recèle.
Etrange rendez-vous dans le temps ! Rizal et Dominique Aubier à Heidelberg à quelques 110
ans de distance pour y aborder tous deux le symbolisme de la rose ! Le Philippin en langage
poétique, la française en mode d’élucidation. Ce qui les lie tous deux : l’essence quichottienne de
leur engagement et vocation.
Rizal se rend à Berlin. Capital du Reisch à l’époque de Wilhelm II. Aujourd’hui, redevenue
capitale de l’Allemagne réunifiée, la même ville jouera un grand rôle la réalisation de la
prophétie rizalienne: l’exégèse quichottienne de Dominique Aubier, indexée sur la vérité du
message ontologique donné en hébreu, sera reçue, j’en suis sûr, à Berlin.
Si j’en crois le patronyme du meilleur ami de l’écrivain, le professeur Ferdinand Blumentritt,
une amitié florale devrait jouer dans l’espace germanique. Les fleurs (Blumen) devraient être au
rendez-vous de l’action à mener. N’en serais-je qu’une modeste tige, cela contenterait le
sentiment que j’ai de mon destin. Comment le mettre en œuvre ? En révélant l’engagement
quichottien de José Rizal, je pense rétablir une connexion nerveuse entre des zones qui se
croyaient séparées. Quel en sera l’effet ?11 L’histoire nous le dira. Pour l’instant, je crois qu’il
faut relancer l’énergie quichottienne dans ce névraxe ! Suivre l’itinéraire de Rizal et convoyer
tout au long de ce chemin, l’intégralité du message dont il était le précurseur.
Extrait de son poème Mi Retiro :
Je la tiens, et j’espère qu’elle brillera un jour,
Et que l’idée triomphe de la force brutale
Qu’après la lutte et la lente agonie
Une autre voix plus sonore et plus heureuse que la mienne
Saura chanter le cantique triomphal…12
Je crois que Rizal désigne ici l’éxégète quichottien. Cette autre voix qui donnera écho au
message du Quichotte, n’est-ce pas celle de Dominique Aubier dont l’œuvre, partant de
Normandie13, est appelée à faire le tour du monde.
11
Début 2006, j’ai expédié un exemplaire du livre La 23ième lettre de l’Alphabet hébreu au directeur du musée juif de
Berlin, Michael Blumenthal.
12
Mi Retiro : Yo la tengo, y yo espero que ha de brillar un dia
en que venza la idea a la fuerza brutal,
que despues de la lucha y la lente agonia,
otra voz mas sonora y mas feliz que la mia
sabra cantar entonces el cantico triunfal.
4 octobre 2005. J’ai reçu ce matin un courrier de mon amie Rosa. Revenue de son voyage aux
Philippines, elle m’a acheté les livres de Rizal, dans leur traduction en tagalog. Les couvertures
des deux ouvrages parus en livre de poche reproduisent les couvertures originales dessinées par
l’auteur. Je n’ai pu m’empêcher de penser que c’était là un retour à l’origine. La parole de
l’auteur, exprimée en castillan, traduite dans la langue maternelle de son pays, me parvient en ce
4 octobre 2005, qui marque la nouvelle année (Rosch Ha Schana) juive 5766. Quel cadeau ! Ces
deux modestes exemplaires ont traversé l’océan pour venir me rejoindre : leur arrivée me signale
que c’est là, aujourd’hui, maintenant, que mon essai doit se terminer. Mon appel, parti de
Damville a gagné les Philippines, d’où mon amie a rapporté l’accusé de réception. Jonction est
faite entre Rizal et moi, entre Don Quichotte, Rizal et la Normandie, conformément au chapitre
22 des Flibustiers.
Normandie, Damville les Minières,
Le 4 octobre 2005
13
Corneville me fait penser à la cornée, cette fine couche de tissu qui recouvre l’œil comme une fenêtre, qui
concentre les rayons de la lumière sur la rétine et la protège des blessures. Les altérations de cette membrane sont
responsables d’environ 20% des cas de cécités. Fort heureusement, les ophthalmologues savent traiter ces
pathologies. Les techniques de greffes ont fait ces dernières années progrès considérables. Heureux présage qui
réjouira le lecteur dont la cornée sera fort sollicitée pour voir clair dans l’exposé quichottien de Rizal.
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