1615-2015 Le personnage de Don Quichotte a, en fin de compte, toujours été interprété de deux façons possibles: l’une, comique, et l’autre, sérieuse. Du fait de sa grande popularité, de nombreuses aventures apocryphes (déjà en 1614 avec Avellaneda) ont vu le jour, et de nouveaux exploits lui ont été attribués. Quatrième centenaire de la publication de Don Quichotte II Tous ces éléments ont contribué à la survie du mythe, même si la plupart de ceux qui ont réutilisé son image n’ont probablement pas lu une seule ligne de Cervantès. Mais dans le fonds, peu importe, ce qui est intéressant est de voir comment une icône peut être adaptée aux intérêts et aux contenus les plus divers. Exposition Don Quichotte dans la publicité Avec le soutien de Embajada de España Université de Genève Instituto «Miguel de Cervantes», Universidad de Alcalá. Organisation et texte Sarah Finci Instituto de Investigación «Miguel de Cervantes» FACULTÉ DES LETTRES DÉPARTEMENT DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ROMANES L a figure de Don Quichotte passa rapidement du statut de personnage de fiction littéraire à celui de réalité visuelle: déjà au cours de l’année de la publication du livre, un document témoigne de l’existence d’un imitateur du célèbre hidalgo aux cours des cérémonies célébrant la naissance de l’héritier Philippe IV à Valladolid. Six mois à peine avaient passé depuis l’impression et la mise en circulation de l’histoire de Don Quichotte; c’était au mois de juin de l’an 1605. À partir de ce moment, on trouve souvent des témoignages qui attestent de « l’incarnation » du chevalier de la Manche. Ansi, en 1607, l’arrivée du vice-roi à Cuzco (Pérou) est célébrée par une réception à laquelle participent Don Quichotte ainsi que d’autres personnages du roman. De la même manière, la ville d’Heidelberg (Allemagne) prépare des cérémonies semblables en 1613 pour fêter l’entrée des jeunes mariés Isabel Stuart et Frédéric V, l’électeur palatin: au cours du tournoi qui a lieu à cette occasion, on trouve un Chevalier à la Triste Figure, imitateur du personnage littéraire. Une nouvelle vie, hors du caractère imprimé, commence ainsi pour l’illustre chevalier, avec ses avatars et ses aventures, étrangers à l’œuvre de Cervantès: il s’agit d’un héros qui ne doit ni jouer de rôle, ni même reproduire dans la vie réelle les faits et gestes qui lui étaient propres dans le roman; sa seule tâche est celle d’incarner le personnage de la fiction littéraire. Depuis la fin du XIXe siècle, les affiches publicitaires deviennent le moyen de communication commerciale le plus efficace, lié aux va-et-vient artistiques de la fin du siècle et aux progrès dans la typographie, le design et les techniques d’impression. Art et industrie se rejoignent dans un intérêt commun. La popularité de la figure de Don Quichotte et le monde de la publicité ne tarderont pas à se retrouver, donnant lieu à des affiches de spectacles, commerciales et politiques, qui utilisent les protagonistes de l’histoire comme icône. La grande diffusion de l’œuvre de Cervantès dans toute l’Europe peu après sa publication fit que ses personnages étaient facilement reconnus. Ils acquirent ainsi la valeur de personnages-type, ce qui permit une grande facilité dans la communication: leurs traits et caractéristiques étaient unanimement acceptés, sans besoin d’autres explications. Moi, je parierais, dit Sancho, qu’avant peu de temps d’ici il n’y aura pas de cabaret, d’hôtellerie, d’auberge, de boutique de barbier, où l’on ne trouve en peinture l’histoire de nos prouesses. (II, lxxi) Les lecteurs du XVIIe siècle ont du plaisir à découvrir les aventures extravagantes de l’hidalgo. Les caricaturistes des XVIIe et XVIIIe siècles, de même que les auteurs de pamphlets et de libelles, utilisent toujours la figure de Don Quichotte pour caractériser ce qui est grotesque et ridicule, déraisonné, comique ou risible. À la fin du XVIIIe siècle, «Don Quichotte est une espèce de propriété commune, un classique universel, apprécié aussi bien à la cour que dans les chaumières». (Piozzi, 1786) Mais dès la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe, les romantiques allemands interprètent Don Quichotte de façon symbolique ou philosophique: une confrontation entre le réalisme et l’idéalisme, le corps et l’âme. Ainsi, le protagoniste devient à son tour un romantique, disposé à lutter pour ses idéaux. L’œuvre retrouve de la vitalité, car chaque lecteur y projette son propre système de valeurs. Il y a deux courants: le romantique, idéaliste; et le burlesque, satirique et carnavalesque. Ces deux visions, marquées par les lecteurs, existent encore aujourd’hui et expliquent que le chevalier de la Manche apparaisse parfois comme un héros et parfois comme un fou.