Extrait de la publication Fondamentales collection dirigée par Jean-Marc Dabadie PRÉSENTATION Simple hypothèse au début du xixe siècle, l’évolution devient réalité cinquante ans plus tard. Peu à peu se met en place le cadre conceptuel d’une nouvelle science historique : la biologie évolutive. Il y a une histoire de la vie sur Terre ! Tandis que la cosmologie décrypte l’histoire de l’Univers, la biologie, elle aussi, concurrence le mythe. On comprend, dès lors, pourquoi elle fascine, ou fait peur, d’autant qu’elle donne aux questions simples que les hommes se posent des réponses qui vont à l’encontre des intuitions du sens commun. Pas à pas, le livre suit les hypothèses, les orientations divergentes, les tâtonnements qui ont conduit à la mise en place du modèle qui établit les fondements de la biologie évolutive moderne. Décrire l’histoire de la vie sur Terre ne suit pas : il faut en expliquer les mécanismes intimes. Or, l’organisme vivant, dans son environnement, est, de prime abord, considéré comme une « machine vivante », créée par un concepteur : créationnisme simple ou déguisé sous l’apparence du « dessein intelligent », inalité brute ou déguisée sous l’apparence de la téléonomie. Progressivement, la biologie évolutive se dégage des options inalistes pour décoder, grâce à la génétique, le mystère du génotype, et les relations complexes qu’il entretient avec le phénotype et l’environnement. Les méandres de ces recherches délicates et ô combien ! diiciles passent, à un moment décisif, par des interactions fortes avec la physique quantique et les mathématiques, pour culminer avec la découverte de « l’atome d’hydrogène » de la biologie, l’opéron lactose, modèle de la régulation de l’expression du gène chez la bactérie. Pourtant, alors que l’essentiel semble acquis, les conséquences de ce décryptage ne sont toujours pas universellement comprises ni admises, tant la conception classique de la causalité linéaire se trouve bouleversée par les interactions à l’inini des boucles autoréférentes qui rythment la structure et l’évolution du vivant. Extrait de la publication Extrait de la publication HERVÉ LE GUYADER Hervé Le Guyader, professeur de biologie évolutive à l’université Pierre-etMarie-Curie (Paris VI) y dirige l’unité « Systématique, Adaptation, Évolution » (umr-cnrs 7138) et l’école doctorale « Diversité du Vivant ». Auteur de nombreux articles dans des revues internationales spécialisées, il publie aussi des articles dans des mensuels comme Pour la Science et dirige, aux éditions Belin, la collection « Belin Sup Sciences ». Il fait ou a fait partie de nombreuses instances, comme le conseil scientiique du Genoscope ou le Comité d’éthique et de précaution de l’inra et de l’Ifremer. Il a codirigé l’expédition Santo 2006, mission internationale d’étude de la biodiversité au Vanuatu. Parmi ses principaux ouvrages, igurent : héories et histoire en biologie, Paris, Vrin, 1988. L’ Évolution, Paris, Belin, 1998 (sous sa direction). Étienne Geofroy Saint-Hilaire (1772-1844), un naturaliste visionnaire, Paris, Belin 1998. Traduction anglaise : University of Chicago Press, 2004. En collaboration avec G. Lecointre : Classiication phylogénétique du vivant, Paris, Belin, 2001 (3e édition, 2006). Ouvrage traduit en italien (Bologne, Zanichelli, 2003), en allemand (Berlin, Springer, 2005) et en anglais (Cambridge, ma, Harvard University Press, 2006). Tome II, 2012. © Imprimerie nationale Éditions, Paris, 2012. Tous droits réservés. Conception graphique : Pierre Finot. ISBN 978-2-330-01462-9 978-2-330-01195-6 Extrait de la publication Extrait de la publication HervÉ Le Guyader Penser l’Évolution Extrait de la publication Remerciements Jean-Marc Dabadie est à l’origine de la conception de cet ouvrage : sa coniance et l’examen attentif du texte auquel il s’est livré m’ont grandement aidé au cours de ces mois d’élaboration. Discuter de science avec Heinz Wismann est un plaisir sans in : subtilité de pensée, synthèses déroutantes, immense culture… le lecteur en trouvera quelques relets au cours de ces pages. Enin, Jean Guerdoux a été le relecteur attentif, eicace et intransigeant dont les conseils et les suggestions m’ont été d’un très grand secours. Les inluences croisées de ces trois amis ont permis à cet essai d’évoluer constamment et de manière originale au cours de l’écriture. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés ! À Marie-Françoise Extrait de la publication Extrait de la publication Prologue TraNSFOrMISMe eT CrÉaTIONNISMe : Le COMBaT CONTre L’aBSurde Comment, aujourd’hui, parler de l’évolution biologique ? Le premier mouvement est de donner les résultats récents de cette discipline complexe, de décrire ce que l’on sait de nos jours sur l’évolution des espèces, puis de commenter les dérives actuelles, commises par de petits groupes et non justiiées scientiiquement. Il m’a semblé plus pertinent d’attirer immédiatement l’attention du lecteur sur les approximations compréhensibles d’avant la publication, en 1859, par Charles darwin, de L’Évolution des espèces et de les comparer aux propos actuels des anti-darwiniens. L’histoire commence au xviiie siècle et, comme toutes les belles histoires, elle est peuplée de bonnes et de mauvaises rencontres. y seront qualiiés de « transformistes » les chercheurs qui travaillent dans le cadre déini par Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), puis Charles darwin (1809-1882), lequel s’est prodigieusement enrichi au cours du temps. Ces chercheurs démontrent, de manière de plus en plus précise, que l’origine de la vie sur terre correspond à un phénomène unique, et que les espèces ont évolué – et évoluent – par mutations, c’est-à-dire par des 11 Extrait de la publication Penser l’Évolution changements aléatoires des caractères héréditaires. Le hasard joue donc un rôle déterminant dans les transformations des espèces. au contraire, les diverses écoles anti-transformistes, qui, maintenant, se qualiient elles-mêmes « d’anti-darwiniennes », défendent l’idée que les êtres vivants ont été créés par un « Grand architecte », qui a décidé du tout en une seule fois ou par de multiples interventions. elles seront qualiiées également de « créationnistes», même si elles ne forment pas un groupe homogène de pensée. Cette opposition est diicile à apprécier par ceux qui connaissent mal la biologie : il faut souvent de longs développements, reposant sur des faits solides et convergents, pour répondre à des remarques simplistes qui apparaissent au premier abord de « bon sens ». en fait, implicitement ou explicitement, les recherches sur l’évolution biologique répondent petit à petit à l’argument principal – voire unique – des créationnistes : « les êtres vivants sont trop compliqués pour être le fait du simple hasard ». Novembre 2007 : la communauté biologique française se met à bruire comme une ruche : appels téléphoniques, courriels collectifs… La cause ? L’envoi massif aux universités, aux lycées, aux collèges, d’un ouvrage, très particulier, L’Atlas de la création1, sous la signature du Turc Harun yahya. Cet auteur n’est pas un inconnu pour celui qui s’intéresse au problème du « créationnisme ». Il a déjà publié divers fascicules critiquant les positions scientiiques classiques en biologie évolutive mais, cette fois, le volume impose et attire : 6 kg de papier glacé d’une taille imposante (38 × 28 cm), une très belle iconographie… il est annoncé comme le premier d’une série de sept2 ! Le registre change : on n’a plus afaire à de simples pamphlets ronéotypés mais à une édition de luxe, tirée à des milliers d’exemplaires expédiés de manière ciblée, avec un grand professionnalisme. ainsi, les destinataires – présidents d’université, proviseurs ou directrices de 12 Extrait de la publication Transformisme et créationnisme : le combat contre l’absurde lycée, professeurs de biologie – les reçoivent en leur nom propre, et non suivant leur titre, ce qui suppose l’élaboration d’un ichier important. Tout prouve, dès le premier coup d’œil, l’existence d’une équipe copieuse et compétente, qui ne semble pas avoir de problèmes de inancement. Le ministère de l’Éducation nationale – le ministre est alors Gilles de robien – s’en émeut et sait réagir vite. après demande d’un rapport, les livres sont retirés des bibliothèques : d’un point de vue pédagogique, il était prématuré de laisser, sans précautions, un tel ouvrage à la disposition de jeunes élèves. Bien que le problème se trouvât, par là-même, vite résolu, la communauté des biologistes poursuivit son agitation. Le choc était rude : on pensait qu’à part quelques irréductibles, ce type de problème, classique aux États-unis, était mineur dans notre pays. Que contient donc de si scandaleux cet Atlas de la création ? La première partie se présente comme un livre classique de géologie ; on y explique ce qu’est un fossile et l’on y découvre le traditionnel déroulé des âges de la Terre, depuis sa formation – proposée à 4,6 milliards d’années –, jusqu’à l’actuel, en passant par le début du Phanérozoïque à 543 millions d’années. des illustrations et des encadrés explicatifs : une reconstitution de la faune cambrienne3 ; un bref, mais exact, exposé géologique de la tectonique des plaques4, avec l’explication de l’origine des chaînes de montagnes, une photo de la forêt pétriiée de l’arizona5… Que reprocher ? rien a priori que du classique, même si l’esprit n’y est pas. Pourtant, certaines légendes d’illustrations mettent la puce à l’oreille : « un fossile de libellule, vieux de 150 millions d’années. Il est identique aux libellules de notre époque » ou encore : « un fossile de crevette vieux de 208 à 146 millions d’années. Il n’est pas diférent des crevettes vivant aujourd’hui ». Les photos de fossiles remarquablement conservés, sont splendides ; les photos des animaux actuels (une libellule, une crevette), riches en 13 Extrait de la publication Penser l’Évolution couleurs. Mais il y a deux erreurs logiques, impardonnables pour tout biologiste. La libellule du Jurassique n’est pas « identique aux libellules de notre époque ». Tout le monde sait, en efet, qu’il y a actuellement de nombreuses espèces de libellules, souvent faciles à reconnaître. Comment une libellule ancienne peut-elle être « identique » à des libellules, réparties sur divers continents, sous de nombreuses espèces6 ? Certes, le fossile ressemble aux libellules, est une libellule. Mais le substantif « libellules » désigne un groupe7 d’animaux qui se ressemblent, présentant de nombreux caractères communs qui conduisent à les ranger dans une catégorie particulière, en l’occurrence l’ordre des Odonates. Le biologiste conclura de l’étude d’un tel fossile que les Odonates existaient déjà il y a 150 millions d’années mais certainement pas que leurs fossiles sont identiques aux libellules actuelles8. « Identiques » pour les uns, «apparentés » pour les autres : c’est le cœur du problème. Subtilité de raisonnement, diront certains. Pourtant, qui oserait dire à un enfant qu’un zèbre et un cheval sont « identiques » ? Or les diférences entre un zèbre et un cheval sont de même nature logique que celles existant entre deux espèces de libellules. L’enfant comprend immédiatement pourquoi le biologiste classe ces deux animaux dans la même catégorie9 – ici un même genre ; mais il saisit intuitivement qu’ils ne sont pas « identiques10 ». Si, dans cet exemple, les diférences entre animaux paraissent évidentes pour tout un chacun, dans le cas des libellules, il faut souvent, pour les distinguer, être un biologiste de profession, ou tout au moins un amateur fort éclairé. Pourtant la logique de l’étude est du même ordre. On peut se demander pourquoi Harun Hahya commet, dès le début de son ouvrage, une faute de biologie aussi grossière. L’explication est simple : avec beaucoup de inesse et de rouerie, il a parfaitement compris que, si l’on accepte que toutes les libellules sont identiques depuis toujours, au lieu d’être seulement 14 Extrait de la publication Transformisme et créationnisme : le combat contre l’absurde apparentées, il n’y a plus d’évolution des espèces au cours des temps géologiques ! Il l’explicite d’ailleurs dans l’introduction de son ouvrage : « L’ensemble des fossiles est certainement la preuve la plus explicite démolissant les allégations de la théorie de l’évolution. Les fossiles révèlent en efet que les formes de vie sur terre n’ont jamais subi le moindre changement et ne se sont jamais transformées en une autre. L’examen de ces fossiles nous permet de voir que les êtres vivants sont exactement les mêmes que ce qu’ils étaient il y a des centaines de millions d’années. en d’autres termes, ils ne furent jamais impliqués dans une quelconque évolution. Même dans les temps les plus reculés, les formes vivantes émergèrent soudainement dotées de structures complexes, hautement perfectionnées, telles qu’elles sont aujourd’hui encore. » voilà le pourquoi de la deuxième partie de L’Atlas de la création – la plus importante, 537 pages. elle dresse un catalogue de fossiles, avec, pour objectif aiché, la volonté de démontrer l’absence de « formes intermédiaires » entre organismes actuels et fossiles. un catalogue à la Prévert : les espèces se succèdent sans ordre, sans classiication, même la plus rudimentaire. Qu’on en juge : on commence par une orphie (vertébré), pour continuer par une chenille (larve d’insecte), sans plus de précision ; une pastenague (vertébré) ; un crinoïde (échinoderme) ; un hareng (vertébré) ; un crabe (crustacé) ; une perche (vertébré) ; une feuille de sumac (plante à leurs) ; une truite-perche (vertébré) ; deux harengs (vertébrés) ; un trilobite (arthropode fossile, disparu). Les harengs ! Même eux sortent en ordre dispersé11 ! Chaque double page se présente toujours de la même manière : une photo de fossile (souvent belle), une photo d’un organisme vivant (avec, souvent, des erreurs grossières de zoologie), un texte d’une pauvreté insigne, confondant ressemblance et identité des organismes passés et pré15 Extrait de la publication Penser l’Évolution sents et airmant, sans démonstration aucune, l’absence d’évolution12. Ne soyons pas naïfs, ne doutons pas un seul instant que ce capharnaüm ne soit pas organisé ! un brin d’histoire des sciences permet de montrer que le concept de transformisme a émergé surtout grâce aux classiications (principalement en botanique), lesquelles, au fur et à mesure des tentatives échelonnées du xvie au xviiie siècle, devinrent de plus en plus « naturelles », i.e. capables de rendre de mieux en mieux compte de l’ordre de la nature. La confusion est voulue de telle manière qu’un lecteur peu vigilant perde ses repères : confusion entre ressemblance et identité ; désinformation sur la variabilité13 des organismes vivants et sur la structure de la classiication actuelle du vivant. Il faut cependant attendre la dernière partie de l’ouvrage pour cerner le véritable but de l’auteur, dévoilé dans le titre évocateur du chapitre : « La réelle source idéologique du terrorisme : darwinisme et matérialisme ». Ici, encore une fois, il s’agit d’impressionner les esprits en se situant dans le contexte classique de la désinformation : prendre quelques données factuelles a priori exactes, les biaiser, puis les présenter de manière erronée et ciblée. Ce chapitre commence par la présentation du « conlit », en interprétant la maxime « combat pour la vie » de la manière la plus extrême, le conlit perpétuel. ainsi, les idées de homas Malthus (1766-1834)14 sont caricaturées en une « loi de la jungle » qui, à travers le darwinisme, mène, tout d’abord, au fascisme et aux horreurs commanditées par l’auteur de Mein Kampf, puis au communisme, avec celles de la période stalinienne ; enin, aboutit au terrorisme contemporain. une photographie de l’attentat du 11 septembre sur les Twin Towers de New york illustre cette page, avec comme légende : « Quelle que soit l’idéologie qu’ils épousent, ceux qui perpétuent la terreur dans le monde sont en réalité des darwinistes. Le darwinisme est la seule philosophie qui valorise et donc encourage le conlit. » La lecture du texte princi16 Extrait de la publication Transformisme et créationnisme : le combat contre l’absurde pal nous apprend que ces terroristes islamistes ont en réalité été pervertis par le darwinisme, et que « le terrorisme qui sévit dans notre planète n’émane d’aucune des trois religions divines, mais plutôt de l’athéisme, son expression de nos jours étant le darwinisme et le matérialisme », étant donné que « l’islam n’est pas la source du terrorisme mais sa solution ». Là encore, on ne peut imaginer que l’auteur pense réellement ce qu’il écrit. Comment croire – même en étant un bien piètre historien – qu’il ait fallu attendre 1859 pour voir apparaître des guerres et des atrocités ? et comment ne pas oublier que beaucoup de ces atrocités « prédarwiniennes » l’ont été au nom des « trois religions divines » ? après ces propos, une « étude historique » de la théorie de l’évolution est esquissée ; elle tente d’expliquer comment la science aurait forgé, à la suite d’erreurs répétées, de telles idées. Curieusement, les jalons historiques majeurs paraissent assez bien connus de l’auteur mais, à chaque fois, les résultats – en anatomie comparée, génétique, biochimie, biologie moléculaire – sont biaisés, puis, évidemment, portés en faux. Parfois, l’interprétation paraît suisamment subtile pour pouvoir tromper un nonbiologiste15. enin, certaines citations correctes, enlevées de leur contexte, prêtent à confusion, comme la légende de la photographie de Francis Crick16 : « Le professeur Francis Crick : l’origine de la vie semble être un miracle », citation sans référence. Il est très vraisemblable que Crick ait prononcé ces mots, mais, en l’occurrence, dans un contexte classique. C’est le cri de désespoir du scientiique qui n’y comprend rien, et rien d’autre ! Le bilan paraît simple : les seuls scientiiques qui ne se trompent pas sont les géologues ; les fossiles des paléontologues sont reconnus, mais pas leurs véritables interprétations. Les organismes animaux et végétaux ont été créés « tels quels », et rien n’a changé jusqu’à nos jours : 17 Extrait de la publication Penser l’Évolution « Il est évident que “le fait de la création”, qui se révèle dans chaque aspect de l’univers, ne peut être un aboutissement de l’univers lui-même. Par exemple, un insecte n’a pas pu se créer lui-même. Le système solaire n’a pas pu se créer ou s’organiser lui-même. Ni les plantes, ni les êtres humains, ni les bactéries, ni les érythrocytes, ni les papillons n’ont pu se créer par eux-mêmes. La possibilité que tous ces êtres se soient produits “par hasard” ne peut pas être imaginable. » La question subsidiaire qui arrive immédiatement à l’esprit concerne évidemment le « moment » de cette création. est-ce un moment unique comme dans la Genèse ? Ou plutôt des créations multiples ? Ici encore, l’auteur présente une explication ahurissante, fondée à la fois sur une vision très personnelle de la perception (« tout est subjectif ») et sur une interprétation de la physique de la relativité générale qui, dans un autre contexte, pourrait prêter à sourire. Sur la perception : « Les informations que nous avons de la vitesse de l’écoulement du temps sont basées sur des références qui changent selon la personne qui la perçoit. » Les paléontologues ne sont peut-être pas les bons scientiiques que l’on imaginait, car, si le temps est cette variable subjective, on peut se mettre à douter de l’intérêt des dates des fossiles ! Tout de suite après, on peut lire, en efet : « La relativité du temps est un fait scientiique prouvé aussi par la méthodologie scientiique. La théorie de la relativité générale d’einstein maintient que la vitesse du temps change selon la vitesse de l’objet et sa distance du centre de gravité [sic]. Quand la vitesse augmente, le temps est raccourci – comprimé – et se ralentit jusqu’à ce qu’il approche le point de s’arrêter entièrement. » Nous sommes subitement ravis de savoir que la méthodologie scientiique peut amener des preuves… Maintenant la 18 Transformisme et créationnisme : le combat contre l’absurde « solution » apparaît : le temps des géologues n’a efectivement pas d’importance : « La relativité variable du temps élucide une question très importante. une période de temps qui nous paraît durer des milliards d’années, peut durer seulement une seconde dans une autre dimension. de plus, une période de temps énorme qui pourrait durer du début du monde jusqu’à sa in, peut ne durer même pas une seconde mais juste un instant dans une autre dimension. » On apprend donc que la question du « moment » de la création n’a pas d’intérêt, car : « une fois que l’on comprend que dieu créa l’univers entier du néant, les questions relatives à où et comment perdent leurs sens ; parce qu’il n’existera plus de temps ni d’espace. […] Si la notion de l’intemporalité est comprise, l’on comprendra également que tous les événements ont lieu au même moment : rien n’est attendu et le temps ne s’écoule pas, parce que tout est déjà arrivé et tout est révolu. » Le tour est joué : les dates de la paléontologie n’étaient pas critiquées car, en réalité, elles ne sont d’aucun intérêt ! Cette confusion de pensée mérite-t-elle quelques secondes d’attention ? Plus prosaïquement, doit-on ignorer cet imbroglio scientiicométaphysique, et se contenter de présenter les vraies données scientiiques, sans mensonges ni tromperies ? en un tout autre domaine daniel Pennac développe une analyse singulière dans Chagrin d’école17. Il interroge la relation maître – élève dans le cas du cancre qu’il a été : « Quelle que soit la matière qu’il enseigne, un professeur découvre très vite qu’à chaque question posée, l’élève interrogé dispose de trois réponses possibles : la juste, la fausse et l’absurde. […] un des malentendus de ma scolarité tient sans doute à ce que mes professeurs notaient comme étant fausses 19 Penser l’Évolution mes réponses absurdes. » Cette remarque fascinante peut s’appliquer sans peine à notre propos : on dit toujours que les thèses créationnistes sont fausses : or, aujourd’hui, compte tenu de tous les travaux scientiiques concordants, elles ne sont pas seulement fausses, elles sont foncièrement absurdes ! Mais allons plus loin. Prenons Harun yahya sur son terrain : un tel ouvrage se trouve inscrit dans une assez longue histoire qui remonte au début du xixe siècle et que ce livre va analyser. Cette histoire, Harun yahya feint de l’ignorer : pourquoi ? Plus fondamentalement, il convient également de s’interroger sur ce jeu de l’absurde : pourquoi, au nom de la religion, certains jouent-ils le rôle du cancre de daniel Pennac ? Extrait de la publication