Fiche Callon attachement et détachement (séance 4)

publicité
WAMBERGUE Charlotte
Fiche de lecture, 30/11/09
Conférence de M. Tommaso Venturini
Cartographie des controverses scientifiques
Michel Callon, Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé :
la double stratégie de l’attachement et du détachement
Michel Callon, sociologue et chercheur au Centre de Sociologie de l’Innovation, aborde dans cet
article de 1999 la question de l'engagement des sociologues et de leurs relations avec le monde extérieur. Il
cherche à montrer le vrai rôle du sociologue dans l’élaboration des savoirs, sa vraie position par rapport
aux acteurs des collectifs où émergent de nouvelles connaissances. Pourquoi le sociologue est-il à la fois
attaché et détaché des acteurs avec lesquels il collabore ?
Michel Callon part d’un parallèle avec les sciences dures, en transposant le concept de porte-parole
aux sciences souples. Il montre ensuite l'influence des outils sur les théories et les connaissances produites
par un travail collectif, et donc établit la sociologie comme constructiviste et performative. Il souligne enfin
l’étape clef des déplacements des savoirs, pour conclure en montrant le rôle du sociologue dans ce
mécanisme de transfert des savoirs, devant à la fois s'attacher et se détacher des acteurs avec lesquels il
travaille.
Michel Callon utilise dans un premier temps les résultats de l'anthropologie des sciences dures et
les adapte aux sciences sociales. Tout d’abord il cherche à présenter le concept de porte-parole : il s’agit du
scientifique qui donne voix à des entités non humaines qui ne pourraient parler d’elles-mêmes. Par un
processus expérimental il peut déchiffrer et traduire ce qu’une telle entité exprime, et l’énoncé final est le
résultat de toutes ces traductions successives. Or c’est le fait de faire parler ces entités et de les amener à
être discutées, d’en faire le sujet de débats scientifiques, qui les rend visibles. L’ensemble des points de vue
exprimés se stabilise sur une définition finale officielle, qui ne peut être remise en question que par un
nouveau processus de débat scientifique. Le porte-parole met donc à jour l’identité d’une entité qui sans lui
resterait inconnue et silencieuse. Mais il s’agit en fait là d’un phénomène de performation : « s’établir en
porte-parole c’est s’engager dans une opération de performation de la réalité » car c’est par le débat et
l’intervention des scientifiques que deviennent reconnues ces entités, de plus en plus nombreuses.
Or cette analyse s’applique aux sciences sociales dans lesquelles le sociologue permet la
performation des mouvements sociaux. Les sciences sociales elles prennent la parole pour de nouvelles
entités qui viennent composer notre monde quotidien. Ce fut le cas du mouvement anti-nucléaire mis en
lumière par Touraine. Callon conclut son parallèle entre sciences dures et sciences souples en écrivant que
« les deux reconfigurent le monde qui est le nôtre en important de nouvelles entités et en s’efforçant de
produire des effets de réalité suffisamment forts et durables pour que nous ne puissions plus les ignorer ». Il
incite ainsi à ne pas séparer ces deux domaines, thèse justement de l’Actor-Network Theory selon laquelle
le monde est un mélange de composantes humaines et non humaines qui ne peuvent pas être étudiées
séparément.
Par ailleurs la robustesse des représentations faites par les sociologues dépend des outils utilisés
pour cette représentation : les instruments utilisés sont le facteur de durabilité des entités concernées. En
effet, les savoirs sont incorporés dans les instruments, outils et êtres humains qui participent à leur
élaboration. Les théories n’ont de sens que si les instruments et les compétences qui les sous-tendent sont
reconnus. C’est ainsi que quand Callon fut rapporteur général adjoint du Colloque national Recherche et
Technologie dans les années 1970, son discours resta inintelligible pour ses auditeurs, à défaut
d’instruments adéquates pour traduire et soutenir ses concepts. Les instruments et les méthodes élaborés
par les sociologues, à savoir enquêtes, questionnaires, sondages, et autres instruments dérivés, perforent
la société de part en part : tous les acteurs font un usage permanent de ces outils grâce auxquels des
données peuvent être produites et ensuite utilisées par les sociologues eux-mêmes.
Or selon Callon et également Gibbons, les connaissances sont produites par un travail collectif où
interviennent non seulement les chercheurs mais aussi les « utilisateurs et tous les intermédiaires » qui
contribuent à l’élaboration des connaissances par leurs réactions qui interagissent avec le travail des
chercheurs, et qui utilisent les outils que les sociologues ont élaboré : c’est ce que Callon appelle le transfert
de compétences. La sociologie est constructiviste et performative, démontrant la capacité des acteurs à
mettre en place les collectifs où ils vivent. Le sociologue analyse les mécanismes par lesquels les acteurs
construisent leur identité et interagissent. Il devient ainsi lui-même acteur en participant à la
performation du social par sa participation à la réflexion.
Ainsi le choix du sociologue de s’associer avec tel ou tel acteur est déterminant : il en dépend le
résultat produit. L’AFM, association de malades donc acteur collectif qui se donne pour but la coopération
entre spécialistes scientifiques et malades ou familles des malades, oeuvre ainsi comme un sociologue : audelà de la question de la contribution des non spécialistes à l’élaboration du savoir et des savoir-faire, il
s’agit d’une « véritable anthropologie politique des corps » puisqu’il est question ici non plus du rôle des
non humains mais de celui des corps malades dans la construction du collectif et donc du politique.
En outre les sciences sociales visent à établir des connaissances qui transcendent les espaces et les
époques : cette quête d’universalité est assurée par les institutions et le mécanisme de critique mutuelle
permanente entre les chercheurs. Les savoirs émergent à un moment et en un lieu, et dépendent aussi du
transport des dispositifs matériels, humains et techniques qui l’accompagnent, et chaque déplacement de
ce savoir l’enrichit et le transforme, c’est l’idée de diffusion en réseau. Et plus les réseaux sont étendus
plus le degré de généralité des savoirs augmentent : chaque extension du réseau est une nouvelle épreuve,
et la connaissance n’en devient que plus forte si elle parvient à surmonter critiques et savoirs déjà établis.
C’est donc lors de ces étapes de transport du savoir qu’apparaît la singularité du sociologue par rapport aux
autres acteurs du collectif : il fait apparaître les mécanismes entre les acteurs qui ont conduit à ce savoir. Et
sans ce travail d’explicitation, aucune généralisation ne serait possible : sont mises en exergue les leçons à
tirer d’une expérience collective pour qu’elles puissent être transportées et utilisées ailleurs. C’est le cas des
leçons à tirer de l’AFM qui a fait collaborer experts et non-experts sur un sujet très scientifique, leçons qui
selon Callon seront faciles à transposer à d’autres situations, acquérant par ce biais davantage de
robustesse. Le sociologue fabrique donc du général à partir du particulier : seul le moment du transport le
laisse autonome et lui permet de mettre en rapport des situations indépendantes, de créer des
équivalences. L’autonomie du sociologue lors de cette étape de transport est donc primordiale et doit être à
tout prix préservée par l’institution scientifique : c’est lorsqu’il crée des équivalences que le sociologue se
détache des acteurs du collectif dont il a tiré des leçons à promouvoir, et c’est au cours de ce transport
que le sociologue rejoint ses collègues attachés eux-mêmes à d’autres acteurs, et de leur discussion peut
naître une véritable équivalence qui reposera justement sur un modèle de diffusion en réseau. Ainsi la
science est le résultat de ce « double mouvement de la coopération et du transport, de l’attachement et
du détachement ».
En effet le sociologue s’attache à des acteurs qui doivent se poser de réelles questions novatrices,
et il doit considérer le degré d’asymétries qu’il contribue à créer entre les acteurs qui s’affrontent. C’est un
véritable travail politique car ce choix détermine les chances de ces acteurs de s’imposer face aux autres.
Il peut soit assumer sa position par rapport à un acteur, comme dans le cas du CSI qui fait de l’AFM un
contrepoids à d’autres centres déjà existants qui défavorisent certaines populations de malades, soit
chercher à favoriser le débat en soutenant l’émergence d’acteurs opposés et en les plaçant au cœur des
discussions. Sa tâche politique revient alors à créer le débat entre les porte-paroles de nouvelles entités,
pour favoriser leur multiplication. Il rend donc visibles de nouvelles entités dans le collectif puis contribue
à l’organisation de leur mise en débat. L’AFM doit ainsi être confrontée aux autres acteurs porte-paroles
d’entités différentes.
Le sociologue s’attache donc à des acteurs pour faire émerger leurs théories et leurs pratiques
nouvelles, mais il se détache ensuite d’eux dans un même mouvement pour permettre à ces théories et
pratiques d’être mises en débat avec d’autres acteurs opposés, visant à terme un degré de généralisation
le plus élevé possible. Le sociologue est voué à s’attacher puis à se détacher : c’est son travail sociologique.
L’action et l’analyse de l’action sont donc complémentaires : le sociologue s’attache à des acteurs pour
faciliter leur détachement, puis s’en détachent à son tour.
Callon présente donc dans cet article le vrai rôle du sociologue dans la performation des collectifs.
La question clef est le choix des acteurs à qui le sociologue s’attache ou se détache, et comment ces deux
mouvements interdépendants s’organisent : c’est la double stratégie de l’attachement et du détachement.
Téléchargement