la chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du

publicité
La Chine, une puissance mondiale ouverte
à un renouveau du dialogue avec la France sous la Direction de Dominique BARJOT
Professeur d’Histoire économique contemporaine, Université Paris Sorbonne (Paris IV)
et
Yimin LU
Professeur d’Histoire, Vice-doyen de l’école des sciences humaines, Université Zhejiang
L’Affaire BNP Paribas et la crise ukrainienne offrent à la Chine l’occasion de
nouvelles avancées internationales1. En effet, encouragées par leur gouvernement,
les banques et les grandes entreprises russes envisagent de plus en plus ouvertement
de recourir à la devise chinoise (le renminbi, ou « monnaie du peuple », autre nom
du yuan) pour réaliser leurs transaction et leurs investissements. Depuis 2012 en
effet, le gouvernement de Pékin cherche à internationaliser sa monnaie en libéralisant son usage pour les entreprises étrangères. C’est la conséquence directe de
l’affirmation d’un modèle économique chinois. Cette montée en puissance de l’économie chinoise, si elle comporte des implications considérables sur la démographie,
la production et le développement spatial, renforce le poids géo-stratégique d’un
pays où la France continue de bénéficier de l’importance de son héritage culturel.
1/ Un nouveau modèle de croissance économique confronté
au défi politique
De 1978 à 2008, le produit national chinois s’est développé au rythme de
10 % par an en moyenne et à prix constants ; il se maintient encore autour de
70 % depuis2. Il semble donc que le rythme de croissance s’infléchisse à la baisse,
1. Fabrice Nodé-Langlois, « L’affaire BNP Paribas et Ukraine profitent à la Chine », Le Figaro, mardi
10 juin 2014, p. 17.
2. Sur l’économie chinoise d’aujourd’hui, voir entre autres : Michel Aglietta et Guo Bai, La voie chinoise.
Capitalisme et Empire, Paris, Éditions Odile Jacob, Coll. « Économie », 2012, trad. fr. par Christophe
Jaquet ; China’s Development. Capitalism and Empire, London, Routledge; Marie-Claire Bergère, Chine,
le nouveau capitalisme d’État, Paris, Fayard, Coll. « Doc. Témoignage », 2013; Denise Flouzat, La nouvelle
émergence de l’Asie. L’évolution économique des pays asiatiques depuis la crise de 1997, Paris, PUF, 1999 ;
François Gipouloux, La Chine vers l’économie de marché ? La longue marche de l’après-Mao, Paris, Editions
Nathan, 1993; La Chine du 21e siècle. Une nouvelle superpuissance ?, Paris, Armand Colin, Coll. CIRCA,
2005; Benoît Vermander, La Chine ou le temps retrouvé. Les figures de la mondialisation et l’émergence chinoise,
Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant/Presses Universitaires de Louvain, Coll. « Orientales » 2, 2008.
5
La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France Géostratégiquesn°42•2etrimestre2014
sous l’impulsion d’une nouvelle génération de dirigeants privilégiant, aux aides
publiques et aux exportations à faible valeur ajoutée, une demande auto-entretenue
par la consommation3. L’objectif de Xi Jinping, le successeur de Hu Jintao au
Secrétariat Général du parti et au poste de chef de l’État depuis 2012, et du Premier
Ministre Li Keqiang, est de rebâtir le système chinois sur des base plus saines, grâce
à des réformes libérales, à la lutte contre la corruption, sans pour autant renoncer
au contrôle de l’opinion (notamment du web), mais aussi à une politique plus
soucieuse de préserver l’environnement4.
Un « nouveau modèle de croissance pointe enfin5. Certes l’exportation reste
essentielle, mais la hausse des coûts chinois et la faiblesse de la demande dans les
pays développés poussent à un rééquilibrage au profit de la demande interne et à
une réduction de l’excédent commercial chinois. L’autre moteur de la croissance,
l’investissement intérieur, tend aussi à s’essouffler parce que générateur de dettes
bancaires, ou financières : selon l’agence Fitch, l’endettement global de l’économie
est passé de 13 % du PIB en 2008 à 218% en 2013. C’est dans une large mesure le
résultat du plan de relance massif décidé fin 2008 par les autorités chinoises afin de
passer le cap de la crise financière internationale.
Pour y parvenir, les nouveaux dirigeants doivent surmonter les trois obstacles
freinant la « révolution économique »6 : le système financier, l’immobilier et la
corruption. Le premier a été conçu dans un seul but : capter l’épargne massive
des ménages pour financer des investissements. Mais cela n’a pu se réaliser qu’un
plafonnant la rémunération de l’épargne à des niveaux très bas au détriment de
l’épargnant moyen, c’est-à-dire du petit peuple. Pour encourager la consommation,
il faut donc introduire la concurrence entre les banques et que celles-ci cessent de
financer presqu’exclusivement les groupes publics au détriment des PME et des
groupes privés innovants. Quant au marché immobilier, il est biaisé par deux facteurs au moins : le caractère crucial des ventes de terre pour des collectivités locales
et régionales surendettées et la faible rémunération des placements bancaires et financiers, qui détournent nombre de ménage de l’acquisition de valeurs mobilières.
Enfin, la corruption demeure un fléau : Xi Jinping ne s’est d’ailleurs pas trompé sur
3. « Chine », in « Le monde en 2014 », The Economist-Courrier International, décembre 2013-février
2014, p. 88.
4. Gabriel Grésillon, « Xi Jinping, l’homme qui doit changer la Chine », in « 2013-2014. Les
10 ruptures qui changent le monde », Les Echos, janvier 2014, p. 158.
5. Gabriel Grésillon, “En Chine, un nouveau modèle de croissance pointe enfin”, Les Echos, janvier
2014, op. cit., p. 38.
6. « Les trois obstacles qui freinent la révolution économique », ibidem, p. 38.
6
Géostratégiques n° 42 • 2e trimestre 2014
CHINE - EUROPE Perceptions croisées
la cible en faisant tomber les principaux dirigeants de Petrochina. Mais jusqu’où
pourra-t-il aller ?
Le pouvoir semble toutefois se concentrer sur l’économie comme l’indique la
mise en œuvre d’un plan de sauvetage en faveur des provinces, dont l’endettement
représente à lui seul plus d’un tiers du PIB7. La libéralisation politique n’est pas la
priorité8. Certes, le 4 juin 2014 a coïncidé avec le vingt-cinquième anniversaire
des évènements de Tianmen ; certes à Hong Kong, les libéraux réclament l’introduction, dès 2017 et selon la promesse faite par Pékin, du suffrage universel direct
pour élection de chef de l’exécutif du territoire ; certes, à Taiwan, le parti au pouvoir, le Kuomintang (KMT) connait une chute de popularité face au Parti démocrate, beaucoup moins enclin à coopérer avec Pékin. Mais, à l’intérieur, les grands
projets d’investissement ont toujours de beaux jours devant eux : nouveau centre
de lancement de satellites sur l’île méridionale de Hainan, le plus haut gratte-ciel
jamais réalisé en Chine (Sky City, 838m de hauteur à Shanghai), ligne de TGV de
1 776 km reliant le Xinjiang à l’intérieur du pays par le Tibet, démarrage du nouvel
aéroport de Pékin, etc.
Dans un contexte marqué par la montée des conflits en mer de Chine, notamment avec le Japon, autour des îles Senkaku (selon le Japon et Diaoyu pour la
Chine)9, mais aussi le Vietnam à propos des îles Paracels, ou des Spratleys revendiquées aussi par Brunei, la Malaisie ou les Philippines10, la nouvelle politique semble
vouloir lutter plus efficacement contre la pollution. En 2014, les émissions de CO2
atteignent presque le double de celles des États-Unis alors qu’elles étaient au même
niveau il y a moins de dix ans. Il s’agit moins de se concentrer sur le gaz à effet
de serre, que de résoudre le problème urbain. À Pékin par exemple, le nombre de
véhicule neufs autorisés à circuler sera réduit de près de moitié et un péage urbain
sur le modèle de celui de Londres est à l’étude. Reste à savoir si les classes moyennes
renonceront à considérer que « la possession et l’usage d’un voiture constitue un
droit inaliénable »11.
7. Simon Cox, « Plan de sauvetage en vue pour les provinces », in « Le monde en 2014 », The
Economist-Courrier International, op. cit., p. 40.
8. James Miles, « Tout sauf la réforme politique », ibidem, p. 38.
9. Simon Long, « L’Avis de tempête en mer de Chine », ibid., p. 42.
10. Gabriel Grésillon, « En Asie, un voisin chinois de plus en plus encombrant », Les Echos, janvier
2014, op. cit., p. 43.
11. James Miles, « Tout sauf le réforme politique », art. cit.
7
La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France Géostratégiquesn°42•2etrimestre2014
2/ La montée en puissance de l’économie chinoise : ses implications sur la
démographie, la production et le développement spatial
À plus long terme, la Chine doit faire face à un redoutable défi démographique
(Gérard-François Dumont). Depuis vingt-cinq siècles au moins, la Chine a toujours représenté environ le cinquième de la population mondiale. Néanmoins, de
1900 à 2013, le nombre de ses habitants s’est accru à un rythme inférieur à celui
de la croissance mondiale. Par suite, la proportion de la Chine de la population
mondiale a diminué de 25,4 % en 1900 à 19 % en 2013, et, selon toute vraisemblance, 14,5 % en 2050. Pire, le dépeuplement pourrait commencer à se manifester
dès les années 2030, voire même à partir de 2025, conduisant à ce que l’Inde la
supplante. La rapidité du vieillissement de la population chinoise (22,1 % de 65 ans
et plus en 2040 contre 7,7 % en 2010), la baisse projetée de sa population active
(-200 millions d’actifs en 2050 par rapport à 2013) tout cela résulte de la politique
de l’enfant unique, récemment assouplie, de même que le déséquilibre tout à fait
anormal entre les sexes et au profits des garçons.
Avec la fondation de la République populaire de Chine, en 1949, la réforme
agraire, la collectivisation des terres et l’instauration des communes populaires ont
constitué des réformes fondamentales sur lesquelles sont revenue les réformes de
Den Xiaoping en 1978, basées sur la restauration du rôle des ménages et de l’entreprise agricoles. Tout cela atteste du fait que le développement agricole chinois obéit
toujours à des mécanismes fondamentaux (Liang Jin-Ming) : la croissance de la
main-d’œuvre agricole, la construction, coordonnée et impulsée par l’État, des infrastructures d’irrigation ; les investissements effectués dans l’agriculture moderne,
grâce à la mobilisation de l’industrie (outils et machines agricoles, mais aussi engrais
et insecticides) ; la mutation du système de production agricole, grâce à l’aide des
banques commerciales et des institutions financiers ; l’amélioration quantitatives et
qualitatives des récoltes ainsi que la promotion des technologies agricoles.
Le développement économique de la Chine a dépendu de façon étroite des
mécanismes d’intégration économique dont le delta du Yangtsé offre le meilleur
exemple (Chen Jianjun). Cette intégration s’est réalisée en trois étapes. La première
correspond à la création de la zone économique de Shanghai, en 1983. Dans les
années 1980 et 1990, se sont opérés d’importants transferts entre Shanghai et les
régions de Zhejiang et du Jiangzu, lesquelles reposent sur une collaboration horizontale des entreprises, sur le recours aux « ingénieurs du dimanche »12 et sur la
12. Travaillant avec d’autres entreprises que celles les employant à titre principal.
8
Géostratégiques n° 42 • 2e trimestre 2014
CHINE - EUROPE Perceptions croisées
sous-traitance de marque. La seconde, décisive, a été le résultat de l’ouverture de la
zone spéciale de Pudong, bénéficiant à la fois de la libéralisation financière (création de la Bourse) et de l’afflux des investissements étrangers. Autour de Pudong
s’est engagée une collaboration particulièrement fructueuse avec la région SuzhouWuxi-Changshu ainsi que l’afflux d’entreprises venues du Zhejiang. Enfin la troisième s’ouvre avec l’adhésion de la Chine à l’OMC et la création d’infrastructure
qui en a résulté (ligne Shanghai-Ningbo et autoroute Shanghai-Hangzhou). En
définitive, les deux facteurs majeurs de l’intégration ont été d’une part l’accélération
des flux de produits et de facteurs de production, de l’autre la division du travail et
les transferts de technologie qui ne sont opérés au sein du grand delta du Yangtsé.
L’action de Den Xiaoping a été décisive, on le sait, pour lancer la Chine dans
la course au développement économique, mais il se trouve, ce que l’on sait moins,
à l’origine de la puissance actuelle de l’industrie chinoise de la construction (Zhou
Xiaolan). Pragmatique, il disait « peu importe qu’un chat soit noir ou jaune, s’il
attrape la souris, c’est un bon chat ». Cette formule, il l’a appliqué aussi à l’industrie de la construction. Très affaiblie par l’échec du « Grand bond en avant », le
départ des techniciens russes et la révolution culturelle, cette industrie a atteint
son niveau le plus bas entre 1967 et 1976, avant de se redresser. Le grand tournant
date de 1980, avec l’introduction par Deng et son Premier Ministre Zhao Ziyang
de quatre réformes majeures, d’abord expérimentées à Shanghai : introduction du
système de l’adjudication, décentralisation des processus de décision, classement
des entreprises en fonction de leur qualification et de leur taille, affranchissement
de la tutelle étatique en matière de gestion et de design.
Cette politique s’est plutôt avérée efficace. Source d’inflation, notamment
pendant les trois poussées qui affectèrent le pays (1985, 1988-89, 1993-95), la
construction est restée largement sous le contrôle de l’État, en particulier à travers la
nomination à la tête des plus grandes entreprises, de fonctionnaires ou de membres
du parti (insider control). En revanche, le secteur s’est trouvé porté en avant par la
masse des investissements consentis en sa faveur, mais non sans subir des à coups
liées aux politiques de contrôle de l’inflation. Une fois encore, le pragmatisme prône
par Deng Xiaoping a servi de ligne directrice : « l’économie planifiée n’équivaut pas
au socialisme et le capitalisme a besoin de plan ; l’économie de marché n’équivaut
pas au capitalisme. Le plan et le marché ne sont que des moyens économiques ». Il
en a résulté l’adoption du système des deux rails, reposant l’adoption d’une régulation par le marché au niveau microéconomique et du contrôle de l’État à celui
macroéconomique.
9
La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France Géostratégiquesn°42•2etrimestre2014
Le nucléaire est devenu une priorité pour la Chine, ouvrant la voie à une coopération de grande ampleur avec la France (Ali Rastbeen). Parce que la Chine dont réduire ses émissions de gaz à effet de serre et freiner une consommation énergétique
de plus en plus monstrueuse, il lui faut adopter un nouveau modèle énergétique,
fondé sur des économies d’énergie et une diversification de ses sources d’énergie.
Si le pays produit à peu près autant de charbon qu’il en consomme (deux tiers de
l’énergie consommée en 2013), il doit importer plus de la moitié de son pétrole
(19 % de sa consommation) et 15 % de son gaz (4,5 % de sa consommation). La
Chine doit donc recourir de plus en plus aux énergies renouvelables : elle est notamment passée au premier rang pour la capacité installée en énergie éolienne, et le
premier exportateur de panneaux solaires.
Néanmoins, seul le nucléaire paraît présenter une alternative crédible. C’est
pourquoi la RPC s’est hissée au rang de cinquième producteur mondial derrière les
États-Unis, la France, la Russie et la Corée du Sud. Il s’est bâti une industrie nucléaire compétitive associant quatre acteurs principaux relevant du secteur public,
dont China Guandong Nuclear Power Company, partenaire privilégié d’Areva et
d’EDF, et cinq entreprises capables de fabriquer et de fournir des pièces de centrales
nucléaires (dont Dongfeng Group partenaire d’Areva). Maîtrisant quatre technologies d’origine chinoise, canadienne (Candu), russe (VVER) et français (REP), les
Chinois ont néanmoins privilégié cette dernière. Cela offre à la France une opportunité de développer la coopération engagée avec la réalisation des deux centrales de
Daya Bay (1994) et Ling Ao (2002). Pour preuve, la Chine est devenu aujourd’hui
un exportateur de technologie nucléaire. L’essor économique ouvre la voie à un
renforcement du rôle géostratégique de la Chine.
3/ La Chine dans le monde : de l’émergence économique au renforcement
de l’influence géopolitique
Partant de l’observation faite en 2013 par le Financial Times d’un essoufflement
de la croissance économique des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), Jimmyn Parc
et Rang-Ri Park-Barjot soulignent que la situation est en réalité très contrastée : déclin absolu pour le Brésil, chute puis reprise pour la Russie, gains substantiels pour
l’Inde, progression forte pour la Chine. Dans la longue durée c’est cette dernière
qui a fait les choix les meilleurs, sous l’impulsion notamment de Deng Xiaoping.
L’appel au capital étranger et l’introduction d’une économie concurrentielle sans
remise en cause du régime socialiste ont assuré, par exemple, une formidable expansion à la province du Guangdong : grâce à une multiplication par près de 200 entre
10
Géostratégiques n° 42 • 2e trimestre 2014
CHINE - EUROPE Perceptions croisées
1978 et 2010, sa production dépasse aujourd’hui celles de Singapour, Hong Kong
et, même, Taiwan.
Grâce à l’emploi de la méthode du « double diamant » dérivée des approches
de Michael Porter, les auteurs montrent, à partir d’une comparaison entre la Corée
du Sud et Singapour que, plus haut c’st le degré d’internationalisation d’une économie, plus forte est sa compétitivité. Dans cette perspective, compte tenu de la perte
de compétitivité de la Chine observée entre 2005 et 2010, il est clair que celle-ci
doit adopter une démarche de benchmarking afin de rattraper son retard sur ses
principaux concurrents asiatiques : Corée du Sud et Japon mais aussi Singapour et,
surtout, Hong Kong. Elle doit ouvrir ses frontières, pour conserver son leadership
industriel (modèle coréen), mais aussi développer ses activités des services (modèle
singapourien) pour faire face à la montée de l’Inde qui a misé sur ces derniers.
Comme le montre Régine Perron, depuis 1978 et, surtout, 1992, la Chine s’est
peu à eu imposée, avec les États-Unis, comme un acteur international majeur :
premier exportateur mondial devant les États-Unis (mais second si l’on consolide
l’ensemble de l’UE), elle a beaucoup gagné en parts de marché entre 1990 et 2000
(de moins de 2 % à plus de 11 %) tandis que déclinaient les parts respectives des
États-Unis (de 15,4 à 8,4 %) et surtout de l’Union Européenne (de 44,5 % à moins
de 15 %) prévu par Zhou Enlai et réalisé par Deng Xiaoping, l’alliance du communisme politique et du libéralisme économique. Elle le fit en optant pour l’adoption
du modèle asiatique, celui suivi par le Japon, puis les quatre dragons. Admise à
l’ONU en 1971, la Chine a formulé sa première demande d’adhésion au GATT
dès 1986, puis s’est mise progressivement aux normes de ce dernier, d’où son entrée
à l’OMC en 2001. De fait les droits de douane chinois sur les biens importés sont
passés de 32 % en 1990-95 à 17 % en 2000 et 9,6 % en 2012 (contre 3,4 % et 5,5 %
respectivement pour les États-Unis et l’UE).
Tout en dépendant son statut de pays en développement, à travers l’adhésion
d’une série de groupes ad hoc, la Chine cherche à imposer le yuan, face au dollar, à
l’euro et au yen, autres monnaies de références. Il commence déjà à être utilisé de
façon exclusive par le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, l’Indonésie et l’Australie
pour leurs achats en Chine. Même si les facturations en yuan ne concernent encore
que 10 % des exportations chinoises, le pays bénéficie, grâce à Hong Kong, d’une
place financière mondiale. La Chine revendique aussi un rôle actif au FMI, dont
elle est devenue le troisième contributeur (derrière les États-Unis et le Japon) en
jouant sur l’énormité de ses réserves en devises. Enfin, face à l’APEC (Asia Pacific
Economic Cooperation) prônée par les États-Unis, elle mise, à travers l’AFTA
11
La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France Géostratégiquesn°42•2etrimestre2014
(Asean Free Trade Agreement) sur la coopération entre elle, le Japon, la Corée du
Sud et l’ASEAN. L’économie devient aussi un atout majeur du soft power chinois,
sans que cela implique un abandon de son hard power (la Chine est devenue le cinquième exportateur mondial d’armes).
Face à la Chine, l’Union Européenne n’est pas sans atouts, mais non plus sans
faiblesses (Dominique Barjot). En effet, l’UE, avec son processus de décision complexe, mais aussi ses politiques communes (monétaire, agricole, régionale, etc.)
doit affronter, depuis 2008, des problèmes conjoncturels, mais aussi structurels de
grande ampleur : entre 2007 et 2010, les pays de la zone euro, par exemple, ont
connu une perte de richesse de 3,1 % en moyenne, une fois mesurée par l’évolution du PIB par habitant en volume. Cela s’accompagne d’un recul économique
de longue durée, que masquent difficilement et élargissements successifs et, plus
encore, d’un déclin démographique à l’origine d’une immigration massive et de
plus en plus difficile à intégrer.
De fait, la Chine s’est imposée, dans la décennie 2000, comme la seule superpuissance capable de rivaliser avec les États-Unis, grâce au nombre considérable de
ses actifs (lus de 800 millions) et de son accumulation énorme de capital humain.
Son dynamisme économique record se fond sur un massif effort d’investissement
(40 % du PIB), sur une énorme consommation d’énergie, mais aussi la puissance
d’entreprises géantes encore, très liées à l’État : celui dans l’industrie pétrolière, le
secteur de la construction, la banque, les télécommunications et le sidérurgie. Ces
grandes firmes émergentes se retrouvent aussi dans les technologies avancées, avec
Lenovo, leader mondial de PC, et Huawei. Mais la Chine doit aussi faire face à
quatre défis majeurs : la pollution, les inégalités sociales et territoriales, l’inflation
et l’endettement intérieur.
Dans ces conditions, la poursuite du modèle chinois de développement suppose
d’exporter plus, mais aussi de pratiquer une politique d’importation sélective afin
de favoriser les progrès de compétitivité. Depuis les accords de coopération douanière de 2004 et 2009, la Chine et l’Europe sont des partenaires privilégiés. Même
si le taux de couverture des échanges de l’UE avec la Chine tend à devenir de plus
en plus défavorable, un partenariat gagnant-gagnant paraît possible, en raison de la
complémentarité des effets de spécialisation internationale et de la prise en compte
de ceux de Global Value Chains (chaînes globales de valeur), tels que ceux observables dans l’industrie des pneumatiques.
Dominé par le principe « nos intérêts communs l’emportent de loin sur nos
divergences », le dialogue bilatéral Chine-UE demeure organisé autour de trois
12
Géostratégiques n° 42 • 2e trimestre 2014
CHINE - EUROPE Perceptions croisées
éléments : dialogue politique, dialogue économique global et sectoriel dialogue
autour des échanges humains (Christophe Réveillard). Des sommets réguliers
ponctuent ces échanges. Au cours du seizième, tenu le 21 novembre 2013 à Pékin,
l’UE a proposé un nouvel outil d’affirmation de son intégration politique avec le
Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) et son Haut Représentant censés lui
conférer la force de décision manquante jusqu’ici. Certes la position européenne
reste très marquée par son orientation transatlantique, mais les choses pourraient
évoluer en raison du déclin d’influence de l’ancienne triade. La géopolitique
d’émergence adoptée par Pékin s’appuie à la fois sur une diplomatie très active
dans la gouvernance mondiale et la recherche des outils du hard power. Si certains
positionnements chinois constituent des pierres d’achoppement (attachement
viscéral des BRIC à la souveraineté étatique, rejet de la « moralisation » des
relations internationales et de la politique d’ingérence, contestation de l’hégémonie
occidentale), dans le partenariat stratégique Chine-UE, c’est sans doute la première
qui mène le jeu.
4/ La Chine et la France : importance du fonds culturel commun
Au sein de la relation entre l’Union Européenne et la Chine, la France tient
cependant une place à part, en raison de l’existence d’un important fonds culturel
commun. Tel est le cas avec les études sur l’histoire de la Révolution française (Lu
Yimin). Si la Révolution française semble avoir été connue en Chine dès 1793 par
un ambassadeur anglais envoyé auprès de l’empereur Qianlong, voire même deux
en trois ans plus tôt, le premier historien à s’y intéresser a été Wang Tao, mais avec
la vision négative d’un lettré conservateur. En revanche, la Révolution française a
servi, très vite, de base à la réflexion des mouvements réformateur (Kang Youwei)
et révolutionnaires (Sun Yat-sen), notamment à partir de la Révolution Xinhai de
1911, qui fait entrer son homologue française dans le discours politiques. La génération des années 1911 à 1949 voit d’ailleurs se former à l’étranger les premiers
spécialistes chinois : Shen Lianzhi, en France auprès d’Albert Mathiez, et Yang
Renpian, à Oxford auprès de J.M. Thompson. Ces deux universitaires chinois ont
été les auteurs des premières synthèses réellement historiques.
Sous l’impulsion des études marxistes-léninistes, entre 1949 et 1978, les historiens chinois partent surtout se former en URSS. Une vision commune se diffuse,
celle d’une Révolution française comme étape décisive du capitalisme européen et
comme exemple le plus parfait des révolutions bourgeoises anti-féodales. À la même
époque sont traduits en Chine, les travaux d’Albert Soboul et de George Rudé, tous
13
La Chine, une puissance mondiale ouverte à un renouveau du dialogue avec la France Géostratégiquesn°42•2etrimestre2014
deux élèves de Georges Lefebvre. Seuls Wang Rongtang et Cao Shaolian publient
alors des synthèses chinoises sur le sujet. Tout change avec la politique d’ouverture,
à partir de 1979 et du premier colloque de l’Association chinoise des études sur
l’histoire française. Tandis que se multiplient les invitations de chercheurs étrangers,
Wang Yangdong et Wang Lingyu publient, en 2007, une histoire de la Révolution
française (1789-1794). La période apparaît cependant dominée par les travaux de
Gao Yi, Professeur à l’Université de Pékin, notamment autour de thème tels que la
culture politique et la violence révolutionnaires ou, plus récemment, du « paradoxe
de Tocqueville ». L’on peut aussi citer les recherches de Zhong Chi, sur la Terreur,
à partir du concept d’« état d’exception », de Xu Qianjin sur Rousseau et de Pang
Guanqun sur la relation entre le Parlement et les Lumières.
Ainsi que le montre Zhou Lihong, si l’école des Annales n’a été connu en Chine
qui à partir des années 1950, il existe cependant de nombreux points de convergence avec ce que l’on appelé, en Chine, la « nouvelle histoire ». Si l’introduction
d’une histoire scientifique peut-être datée de Liang Qichao, et a été marquée par
l’adoption d’une démarche très ouvertement positiviste, entre les deux guerres s’est
produit un profond renouvellement sous l’impulsion de Fu Sinian, Gu Hiegan et
Chen Yiuke. Sans rompre avec les méthodes rigoureuses d’analyse des documents,
ils en ont élargi la nature et lancé de nouvelles directions de recherche telles que
l’histoire économique et sociale, l’histoire « culturelle, l’histoire des femmes et l’histoire du folklore. Ils ont jeté les bases de la vitalité actuelle de l’historiographie
chinoise : tel fut le cas par exemple à l’Université Sun Yat-sen de Canton. L’une des
raisons en a été la diffusion des travaux de l’école des Annales sous l’impulsion de
Zhang Zhilian, Yao Meng ou Lu Yimin.
Dans ces transferts intellectuels entre la Chine et la France, l’Institut Francochinois de Lyon a joué un rôle déterminant (Wang Wei). Dès la fin du XIXe siècle
de nombreux intellectuels et patriotes chinois ont voulu aller chercher à l’étranger la formation moderne que ne pouvait leur assurer leur pays. À l’initiative de
personnalités chinois et français est ni en 1921 l’Institut Franco-chinois de Lyon,
dont le but état de constitue une élite chinoise afin de répondre aux besoins de la
nouvelle Chine. Fermé en 1950, il a été ré-ouvert en 1980 dans la droite ligne de la
politique d’ouverture de la nouvelle Chine. Pour des raisons très complexes, surtout
de nature politique, puisque certains ont été nationalistes, une partie de ces intellectuels chinois sont peu connus en République Populaire de Chine. Il s’agissait de
la première universitaire chinoise à l’étranger. Établi au Fort Saint-Irénée de Lyon,
entre 1921 et 1938, l’IFC a accueilli 473 étudiants chinois dont la majorité ont
14
Géostratégiques n° 42 • 2e trimestre 2014
CHINE - EUROPE Perceptions croisées
fait leurs études en France ou y ont soutenu leur thèse avant de retourner au pays.
Entre sa réouverture et 2008, l’Institut a accordé 219 bourses. Au total, l’on dispose
d’un échantillon de 692 étudiants, à propos desquels il est possible de jeter les bases
d’une étude sociologique.
Le dialogue entre la Chine et la France, voire, de façon plus large, l’Occident
demeure, aujourd’hui encore, difficile. C’est ce que montre Guo Lina, à travers
une analyse de la défaite littéraire en Chine de Le Clézio, prix Nobel de Littérature
2008. En Occident, cet auteur fascine les lecteurs, par sa revendication d’un humanisme universel mélé de désir de nature ainsi que son intérêt pour les ethnies et
civilisations marginalisées. En Chine au contraire, il n’a pas connu le succès de
Marguerite Duras ou de Milton Kundera. Cela peut sans doute d’expliquer par
la volonté de retrouver les valeurs chinoises traditionnelles et de les moderniser
ainsi que d’en promouvoir la valeur universelle. Maintenant que la Chine a pris de
l’assurance face au monde grâce à sa montée en puissance économique, elle s’ouvre
aux échanges internationaux de toutes natures, mais à condition que « l’Occident
ne se considère plus comme tuteur du monde » et participe à l’effort chinois pour
reconstruire sa culture nationale. Les conditions sont ainsi clairement signifiées à
l’Europe et d’une manière plus large à l’Occident, pour relever d’une façon positive
le défi chinois.
15
Téléchargement