JACQUES BLANCHET La science au XXIe siècle © JACQUES BLANCHET, 2017 ISBN numérique : 979-10-262-0906-5 Courriel : [email protected] Internet : www.librinova.com Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. INTRODUCTION LA SCIENCE DES TEMPS MODERNES, UNE RÉVOLUTION INTELLECTUELLE Aux XVIème et XVIIème siècles se produisit une révolution dans les concepts. La rupture fondatrice des sciences dites « modernes » consista fondamentalement dans le passage de la physique d'Aristote à celle de Galilée. Aristote restait proche des données immédiates des sens, lesquels étaient considérés comme le principal moyen de notre connaissance. Mais cette connaissance était beaucoup plus qualitative que quantitative et elle abondait en concepts non hiérarchisés. Chez Galilée et Descartes ce qui l'emporte c'est la hiérarchisation des concepts. Il y a les concepts de base (les principes) et les autres (les lois) et les seconds doivent pouvoir s'emboîter dans les premiers, de sorte qu'en remontant on aboutit à des notions fondamentales simples, claires et peu nombreuses. Cette recherche éperdue d'une vérité fondamentale, d'une vérité de base n'a pas disparu. Mais Galilée, Descartes et Newton ont aussi introduit dans la physique les mathématiques. Descartes veut tout décrire par « figures et mouvements » et parle des « tuyaux et ressorts qui causent les effets des corps naturels ». Newton évoque, quant a lui, « des points matériels, c esta-dire des petits grains ». Pascal lui-même, dans l'apologue du ciron estime que les concepts familiers qui sont les nôtres se trouvent a toutes les échelles, de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Ces savants aboutissent ainsi à une philosophie mécaniste, universelle qui a les couleurs du bon sens et de la simplicité et donc aussi de la plausibilité. L'idée que les animaux sont des machines et que le monde est une immense mécanique s'impose. Or la physique du XXIème siècle s'inscrit en faux contre cette vision du monde pourtant assez proche et rassurante. Le cadre des concepts familiers doit absolument être dépassé. Pour comprendre ce phénomène Bernard d'Espagnat dans « Traité de physique et de philosophie » (2002) donne un exemple que nous allons reprendre ici, celui de la création de particules dans les chocs à haute énergie. C'est un phénomène que l'on produit dans les grands accélérateurs de particules et que l'on peut observer grâce à des « chambres à bulles » où les particules laissent des traces. Nous accélérons deux protons et nous les faisons se rencontrer, puis ils se séparent de nouveau. Ils sont intacts, mais il y a eu création de nouvelles particules qui sont des particules à part entière, avec masse, charge électrique... Elles ont été créées lors du choc grâce et au dépens de l'énergie totale des protons qui se sont heurtés. En somme un mouvement de protons a été transformé en particules, ce qui va au-delà de notre entendement, car pour nous un mouvement qui est une propriété des choses n'est pas un objet et ne peut pas créer d'objet. C'est aussi absurde que si on disait que le choc de deux voitures, non seulement a laissé ces voitures intactes, mais a permis d'en créer une troisième. C'est incompréhensible selon nos cadres conceptuels familiers et, en tout cas, c'est contre-intuitif. Or ce surprenant phénomène est prévu et décrit par des équations mathématiques. Il n'est pas imaginaire; il est corroboré par l'expérience observationnelle. Dans la théorie quantique des champs, la création n'apparaît pas comme une notion scientifique. Il faut la ramener aux concepts d'état et de système. Dans cet esprit on peut dire que l'existence d'une particule est un état, que l'existence de deux particules est un autre état... La création d'une particule n'est, dans ces conditions, rien d'autre qu'un changement d'état. Cette conception des choses ouvre sur le concept de globalité. Et par là la physique moderne se sépare encore de la physique classique. Cette dernière favorisait une vision multitudiniste de la nature. Pour elle, la matière était constituée d'une multitude d'éléments simples : atomes, particules localisées et interagissant du fait des forces qui les mouvaient. La théorie quantique des champs rompt complètement avec cette image. Non seulement les particules n'y figurent pas comme les briques élémentaires de l'Univers, mais celui-ci apparaît comme étant une entité unique et globale. On voit apparaître là l'idée de globalité. Prenons le cas d'un caillou. Il n'est pas ce qu'il paraît être. On savait déjà qu'il n'est pas le symbole du «plein », même s'il est lourd. Il est, en fait constitué principalement de « vide », le vide entre les noyaux des atomes et les électrons qui tournent autour. Mais le concept de «nonséparabilité » nous laisse entendre qu'à rigoureusement parler, il n'existe même pas en tant qu'être distinct, que son état quantique est enchevêtré avec celui de tout l'univers. Ceci est expliqué par la théorie de la « décohérence ». Mais, en outre, l'observateur ne peut plus se détacher, ne peut plus s'abstraire de l'objet de son observation. Là encore, prenons un exemple, celui de l'arc-en-ciel. Si vous roulez en voiture vous voyez l'arc-en-ciel, qui se déplace avec vous. Si vous vous arrêtez, il s'arrête; si vous repartez, il repart, comme s'il vous suivait. Donc ses propriétés dépendent en partie de vous qui le regardez. C'est plus ou moins le statut de tous les objets visà-vis de notre collectivité d'êtres sentants. En conclusion, il nous faut tout d'abord dépasser le cadre de nos concepts familiers. En second lieu, il nous faut renoncer au multitudinisme au profit d'une vision plus globalisante de ce qu'est l'être pour nous. Enfin, vouloir conserver à tout prix le langage objectiviste universel engendre des complications inextricables, car, de nos jours, on ne peut plus concevoir les données contingentes situées dans le temps et l'espace comme existant indépendamment de nous. Ces quelques exemples pris un peu au hasard nous montrent combien notre connaissance du monde réel (pour autant que la réalité existe, ce qui se discute) est loin de ressembler à ce que nous croyons et à ce que nous rapportent nos sens premiers. La réalité n'est pas ce que l'on croit ? La physique moderne, mais aussi la biologie nous le montrent chaque jour. Nos modes de perception naturelle sont trop grossiers pour appréhender la vérité sous-jacente. Mais alors cela est très grave. Cela signifie que pendant très longtemps, c'est-à-dire pendant des siècles nos représentations du monde, des autres et de nous-mêmes ont été fondées sur des illusions. Si nous acceptons l'enchaînement un peu simpliste : réalité représentation - action, nous pouvons dire que notre intervention à la fois dans le monde et la société était fondée sur une vision erronée des choses. Ce qui est paradoxal, c'est que, malgré tout, cela ne s'est pas trop mal passé et au total l'humanité a beaucoup progressé matériellement. Mais maintenant, c'est fini. Nous ne pourrons plus fonder indéfiniment notre action, quelle qu'elle soit, sur une vision incontestablement erronée de la réalité, sur une vision d'un autre âge, ou, alors, nous nous condamnerons à nous répéter et à faire éternellement les mêmes erreurs. Par ailleurs il nous faut mettre fin à une illusion. Nous ne pouvons pas penser agir correctement dans le monde social en considérant qu'il est distinct du monde physique et qu'en conséquence peu importent les avancées des sciences de la nature si, pendant le même temps, nous progressons, à notre façon, dans le domaine des sciences humaines. Les changements des modes de pensée sont tels qu'ils concernent toutes les sciences, quelles qu'elles soient; ils réclament une révision de toutes nos connaissances. Prenons un exemple. Celui des biotechnologies. Comment peut-on penser sauvegarder, par exemple, des conceptions créationnistes et finalistes (lesquelles ont déjà été très bousculées par le transformisme lamarckien et l'évolution sélective darwinienne) si maintenant, il est démontré que la vie est une suite de réactions physico-chimiques dont le développement est guidé par des autorégulations qui nous échappent ? Notre rapport au monde est un rapport aux réalités dites matérielles, mais il est aussi un rapport avec les autres êtres vivants et avec nousmêmes, symboliquement et concrètement. Y a-t-il à la base de ces différents rapports une vérité unique, en quelque sorte une nature unique sous-jacente ? Je ne sais pas. Mais je sais que nos comportements ne peuvent plus être assis sur ce que nous considérions autrefois comme des évidences. De la même façon, nous ne pouvons pas évacuer nos difficultés en disant qu'il existe deux mondes : le monde de la macro-physique et le monde de la microphysique et que le premier seul nous intéresse, que le premier nous suffit. Nous ne pouvons tout simplement pas ignorer le monde de l'infiniment petit, parce qu'il nous concerne et nous constitue. Il n'existe en vérité qu'un monde, vu à différentes échelles. Nous, êtres macro-physiques, qui nous intéressons aux autres êtres et objets qui sont de la même dimension que nous et qui correspondent, en gros, à nos préoccupations terrestres, nous ne pouvons ignorer que nous sommes aussi constitués d'atomes et de particules, car personne ne peut plus en nier l'existence. Il faut faire avec! Finalement voici la grande nouvelle ! Le monde est un; il est de même texture, qu'il s'agisse des planètes de l'univers, des objets qui nous entourent ou des particules, des atomes et des molécules (d'ADN, par exemple). Nous sommes une poussière d'étoiles pour reprendre les termes d'Hubert Reeves. Pascal l'avait pressenti, quand il s'avouait effrayé par les espaces infinis. Les Grecs par contre n'y croyaient pas. Platon distinguait le monde céleste où règne un ordre géométrique et le monde terrestre, voué à l'imperfection. Mais maintenant c'est fini. En fait, donc, il n'y a qu'un seul ici-bas. Quant à l'au-delà, c'est une question métaphysique ou plutôt religieuse. Certains auteurs, dans le domaine du management (Confer Dominique Genelot « Manager dans la complexité » Insep Consulting éditions) ont cru pouvoir se tirer d'affaire en s'en remettant au concept de complexité, cher à Edgar Morin. Il faut dire, là encore, que ce n'est pas suffisant et surtout il ne faut pas faire croire que la nouvelle vérité c'est l'ancienne, plus la complexité qui s'y serait ajoutée. Non, il faut dire et rappeler que le concept de complexité ne peut à lui seul rendre compte de tout ce que les sciences modernes nous ont apporté. Ce serait très réducteur et finalement trop facile de professer le contraire. Les études qui sont menées au niveau de l'enseignement supérieur, aussi bien dans leur nature que dans leurs méthodes doivent changer. Ce n'est pas une mince affaire. Il n'est pas aisé d'effectuer les traductions philosophiques qui s'imposent, (car à vrai dire, la philosophie n'a jamais été autre chose qu'une interprétation largement intuitive et plus ou moins éclairée de la vision scientifique du moment). N'est pas Descartes qui veut. Pourtant une mutation s'impose. Il faut y participer. HISTORIQUE LES GRANDES ÉTAPES DE LA SCIENCE 1. LE MIRACLE GREC Le miracle grec, c'est ainsi que Renan qualifiait le prodigieux épanouissement culturel qui survient en Grèce au Vème siècle de notre ère, dit siècle de Périclès. La philosophie ne se sépare pas à l'époque de ce que l'on nomme aujourd'hui la science. On dit que Platon voulait inscrire au fronton de son académie l'inscription suivante : « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre. » Au Vème siècle avant J-C., on assiste donc dans les cités grecques et particulièrement à Athènes, au développement de plusieurs domaines scientifiques : mathématiques pures (géométrie et arithmétique) astronomie, musique, optique, géographie, médecine... Quelles sont les causes de ce phénomène ? Pendant longtemps on a cru que l'esprit humain ou plutôt celui des Grecs avait opéré une sorte de mutation passant du mythe à la raison. Mais cette thèse n'est plus admise de nos Jours. Au demeurant les grandes civilisations babyloniennes ou égyptiennes, antérieures à la société grecque avaient déjà effectué des progrès remarquables dans le domaine de la médecine, l'astronomie, la mathématique, la botanique et ces connaissances n'étaient ni des croyances, ni de simples savoirs empiriques comme le seraient, par exemple des « remèdes de bonnes femmes » en médecine. Les Babyloniens étaient de grands astronomes. Ils savaient décrire le mouvement des astres avec précision et prédire leur position. En géométrie, ils connaissaient bien