Les deux faces de la télémédecine

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ÉDITORIAL
Les deux faces de la télémédecine
Both sides of the telemedicine
“
C
omme Janus, la télémédecine a 2 faces : l’une tournée vers le passé,
l’autre tournée vers l’avenir. Vers le passé : le renforcement
de l’emprise des soignants et du système de santé sur le malade.
Vers l’avenir : l’accroissement de l’autonomie du patient.
Téléconseils et jeux vidéo, plus ou moins repeints aux couleurs
de la santé, correspondent certes à des innovations, mais ils ne
constituent en rien une révolution. Utiles ou ludiques, pour les uns
et pas pour les autres. Leur limite commune est le temps.
Pr André
­Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
© Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et
Nutrition 2016;XX(3):46.
La vraie révolution est la télémédecine qui vise à améliorer
la performance des soignants et des patients. Côté soignants, le robot
supprimera les tremblements de la main du chirurgien qui abandonnera
le bistouri pour la souris, comme le cardiologue a remplacé le stéthoscope
par l’échographie. On pourra donc diagnostiquer, opérer
et prescrire à distance, sans avoir à palper et à ausculter, et parfois
sans même avoir à interroger et à écouter. Côté patients, la télémédecine
permettra d’améliorer à la fois la performance et l’observance
des “patients experts” connectés sachant où ils veulent aller et comment
y aller. Juste retour des choses, les patients objectiveront les soignants
en les transformant en prestataires, devenus experts en modes d’emploi.
Comme le prophétisait l’économiste Claude Le Pen : “Dans la médecine
industrielle de demain, le chiffre absorbera le qualitatif, nul ne sera
médecin, s’il n’est géomètre.” Funeste augure !
Hélas, ou plutôt heureusement, cette révolution technologique
n’échappe pas à l’ambivalence du progrès. Elle peut libérer le patient
des contraintes du traitement et de la dépendance aux soignants.
Mais elle peut aussi accroître sa dépendance s’il doit mesurer sans
comprendre et/ou sans agir et/ou agir sans décider lui-même de l’action.
C’est-à-dire si l’outil numérique ne prend pas place au sein
d’une éducation thérapeutique du patient, mais prétend s’y substituer.
La surveillance informatique pourrait même le placer directement
sous le contrôle de l’assureur. La mesure en continu de la glycémie et
de sa cinétique permet au patient éduqué de prendre la bonne décision
au bon moment, mais elle peut aussi entretenir une angoisse
obsessionnelle poussant le patient à mesurer sa glycémie toutes
les minutes, transformant ainsi son cerveau affolé en cellule B
pancréatique. Elle peut aussi le placer sous la dépendance infantilisante
d’une e-infirmière le “coachant” par SMS. Elle peut encore servir
La Lettre du Neurologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2016 | 117
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ÉDITORIAL
de mouchard, dénonçant son laxisme à son médecin ou à son assureur,
qui lui proposera d’adhé­rer à un système de bonus/malus, pour “l’aider
à se motiver”. Pire que l’esclavage, l’“esclavage volontaire” !
A. Grimaldi déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts en relation
avec l’article.
Il serait par ailleurs naïf de croire que les outils numériques dits
“conviviaux” permettront d’alléger le travail de deuil que doit faire tout
patient atteint de maladie chronique. On aura beau lui expliquer qu’il n’est
plus seul puisque désormais il est connecté, il devra toujours accepter
la double rupture imposée par l’annonce du diagnostic : “Ce ne sera
jamais plus comme avant” et “Désormais vous serez différent des autres.”
Bien sûr, la souffrance varie d’une personne à l’autre selon la gravité
de la maladie, douloureuse ou non, handi­capante ou non, visible ou non,
et selon l’importance des contraintes du traitement, mais aussi en
fonction du style de personnalité de chacun, de son expérience de la vie
déterminant une plus ou moins grande aptitude au deuil et de la qualité
du soutien social perçu. C’est la difficulté de ce travail d’acceptation
qui explique que l’observance reste aussi médiocre même quand il s’agit
d’une observance consentie “en pleine conscience”. Et l’impossibilité
de faire leur deuil conduit certains patients à se rendre “malades d’être
malades” en recourant au déni, à la dénégation, au clivage, à la pensée
magique… Pour guérir de cette “seconde maladie”, il faut associer l’action
et la parole. Il faut l’aide d’un éducateur et d’un tuteur de résilience,
par exemple d’un vrai médecin.
”
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