Le développement durable comme compromis : La

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INTRODUCTION
Au cours des dernières décennies, la problématique environnementale
n’a cessé de prendre de l’importance. La prise de conscience écologique
a pu se faire à travers la médiatisation des découvertes scientifiques et
l’action des groupes de pression. Mais l’historique de cette prise de
conscience est aussi ponctué par les grandes catastrophes industrielles.
En 1976, une explosion dans une usine en Italie blesse 200 personnes
et en empoisonne 700 autres. Cet accident donnera naissance à la
directive Seveso, qui instaure un périmètre de sécurité autour des installations à risques en Europe. La tristement célèbre catastrophe de
Bhopal, la plus meurtrière de l’époque industrielle, causera pas moins
de 2 000 morts et des milliers de blessés en 1984. La même année, une
explosion de gaz liquéfié entraîne la mort de 500 personnes à S.J.
Ixhuatepec. Deux ans plus tard, l’incendie de la centrale nucléaire de
Tchernobyl contamine de larges étendues et est à l’origine d’un nuage
radioactif qui ira jusqu’au Japon. Se sont succédées aussi les catastrophes pétrolières (l’Amoco Cadiz, 1978 ; l’Exxon Valdez, 1989 ; le
Braer, 1993).
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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Québec, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca
Tiré de : Le développement durable comme compromis, Corinne Gendron, ISBN 2-7605-1412-9 • D1412N
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Le développement durable comme compromis
Face à cette crise multidimensionnelle, les sociétés ont commencé
à se mobiliser à partir des années 1970. Le coup d’envoi a été donné
par la première grande conférence sur l’environnement à Stockholm et
la publication du controversé Halte à la croissance du Club de Rome
(aussi connu sous le nom de rapport Meadows, 1972). La même année
était mis sur pied le Programme des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE), dont le siège social est à Nairobi. Au cours des décennies qui
suivent, les conventions internationales se multiplient : la Convention
internationale sur le commerce international des espèces menacées
(aussi connue sous le nom de CITES, 1973), le Protocole de Montréal
sur la protection de la couche d’ozone (1987), la Convention de Bâle
sur les mouvements transfrontaliers de déchets (1989), suivie en 1991
par un accord spécifique à l’Afrique (la Convention de Bamako). En
1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement
publie le désormais célèbre rapport Brundtland (1987), qui sera suivi
par la Conférence de Rio en 1992. Celle-ci s’avère un grand moment
de mobilisation autour des questions environnementales avec la signature de la Convention sur la diversité biologique, celle de 40 traités
parallèles sur l’environnement et le développement, et l’adoption du
programme Action 21.
Si la crise environnementale a pu paraître localisée à ses débuts,
alors que l’on s’inquiétait surtout de l’effet de certains produits toxiques
utilisés à des fins précises (dont le problème de la couche d’ozone peut
être un exemple), elle se présente aujourd’hui comme une crise globale
et structurelle. C’est-à-dire que les bouleversements écologiques que
connaît actuellement la planète sont d’une ampleur telle qu’ils réactualisent certaines questions philosophiques fondamentales (Lipietz, 1999)
et forcent la remise en question de notions telles que le progrès, le
bien-être ou les besoins. Ce faisant, la crise environnementale questionne l’organisation sociale et interpelle par le fait même les acteurs
sociaux, qui doivent se positionner par rapport à elle. Mais elle met en
question aussi en priorité le système économique caractéristique des
sociétés industrielles, le modèle de développement et les modes de
gouvernance aux échelles nationale et internationale.
À partir des années 1980, on peut affirmer que la protection de
l’environnement est reconnue comme un problème majeur par la plupart des acteurs sociaux. Même les dirigeants d’entreprise, qui avaient
gardé une attitude de dénégation, commencent à s’intéresser à la question (Duclos, 1991). À la fin des années 1980 émerge un véritable courant
de pensée alliant l’entreprise et l’environnement. Plusieurs dirigeants-
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Introduction
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chefs de file en appellent à la mobilisation des entreprises en vue de
contribuer à la solution du problème de l’environnement. Fait inédit,
les dirigeants d’entreprise sont même invités à présenter leur position
à la conférence de Rio. Intitulé Changing Course, leur rapport prône la
prise de conscience des entreprises et l’importance de prendre en
charge l’environnement (Schmidheiny, 1992).
Business will play a vital role in the future health of this planet.
As business leaders, we are committed to sustainable development, to meeting the needs of the present without compromising
the welfare of future generations. New forms of cooperation
between government, business, and society are required to
achieve this goal […] As leaders from all parts of society join forces
in translating the vision into action, inertia is overcome and
cooperation replaces confrontation. We members of the BCSD
commit ourselves to promoting this new partnership in changing
course toward our common future (Schmidheiny, 1992, p. xi-xiii).
Les initiatives industrielles en faveur de l’environnement semblent
se multiplier au cours des années 1980 : les principes CERES, la Charte
des entreprises pour le développement durable de la Chambre de commerce internationale, le Programme de gestion responsable de l’industrie
chimique. En 1991, l’Organisation internationale de normalisation (ISO)
étudie l’intérêt d’une norme internationale de gestion environnementale
et en recommande l’élaboration dès 1992. Les premières entreprises
ISO 14001 sont certifiées dès 1996 et on compte aujourd’hui plus de
75 000 entreprises certifiées à travers le monde (Gendron, 2004).
Malgré cet engagement relatif des entreprises, plusieurs arguent
que les initiatives corporatives sont limitées, car le système économique
dans lequel elles s’insèrent favorise une surexploitation des ressources
et une production excessive de pollution. On ne peut dès lors s’en
remettre à la bonne volonté des acteurs sociaux, car il faut entièrement
repenser un système productif conçu indépendamment des limites écologiques et des bouleversements induits par une économie aveugle à
l’égard des milieux naturels dans lesquels elle s’insère.
Cet ouvrage se propose d’étudier les propositions de réaménagement du système économique formulées par les économistes en vue
d’établir si elles se traduisent par des solutions applicables et si elles
correspondent effectivement aux voies qu’est susceptible de prendre la
modernisation écologique des institutions économiques. Nous avançons
que ces propositions ne tiennent pas compte de la dimension sociale
du processus de modernisation des institutions économiques, lequel est
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Le développement durable comme compromis
pourtant déterminant de sa forme et de ses modalités. À la lumière des
travaux menés par les Régulationnistes, nous soutenons que le système
économique est enchâssé dans une dynamique sociale qui le précède
et qui en détermine le cadre d’opération. Par ailleurs, les thèses économistes ne tiennent pas non plus compte du caractère socialement construit de la problématique environnementale. Nous arguons que celle-ci
est au cœur de conflits sociaux susceptibles de faire l’objet de compromis, et que ce sont ces compromis qui viendront façonner le système
économique d’une société postindustrielle écologique. Nous proposons
ici une théorie socioéconomique inédite de la problématique environnementale permettant de saisir les dynamiques de transformation induite
par la crise écologique.
Alors que de nombreuses recherches se sont penchées sur les
mouvements écologiques, il était primordial de se pencher sur le
« contre-mouvement » de l’élite économique, c’est-à-dire les dirigeants
d’entreprise, afin de comprendre comment ceux-ci se positionnent par
rapport à la problématique écologique. Il s’agit également de voir si
l’on assiste à l’émergence d’un nouveau modèle de société susceptible
de servir de base à l’établissement de compromis sociaux portant sur
les questions environnementales. Nos entretiens auprès de hauts dirigeants permettent d’éclairer une facette encore méconnue de la problématique environnementale, car le discours des élites économiques sur
la question reste encore largement inexploré (Duclos, 1991).
Cet ouvrage se divise en deux parties. Dans une première partie,
nous tentons de rendre compte de la dynamique entourant l’éventuelle
transformation du système économique en regard de la crise écologique.
Le chapitre 1 est consacré à la présentation critique des thèses économiques de l’environnement. Dans le chapitre 2, nous exposons le cadre
analytique régulationniste qui nous permet d’envisager une dynamique
de transformation des systèmes économiques en lien avec la transformation du social, et plus particulièrement de la prise de conscience écologique des dernières décennies. Nous nous attardons plus spécifiquement
à cette dynamique de transformation sociale dans le chapitre 3. Au terme
de cette première partie, nous aurons mis en place un cadre analytique
novateur nous permettant de jeter un regard inédit sur la dynamique
sociale de modernisation écologique des institutions économiques.
La deuxième partie de l’ouvrage présente les résultats des recherches
que nous avons menées auprès de hauts dirigeants d’entreprise. Dans
le chapitre 4, nous montrons comment, contrairement à l’idée généralement reçue, les dirigeants sont conscients et même sensibles à la question
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Introduction
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environnementale. Nous analysons tout spécialement comment ils envisagent les problèmes environnementaux, le développement durable et
l’articulation entre économie et environnement, ainsi qu’entre protection
de l’environnement et croissance économique. Dans le chapitre 5, nous
exposons le modèle de société dans lequel s’insèrent ces nouvelles problématiques écologiques, pour esquisser en conclusion les avenues de
modernisation de l’économie, qui diffèrent sensiblement des propositions
avancées par les économistes de l’environnement.
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