mise au point Injection d’acide hyaluronique Restauration des cavités énophtalmes Dr Pierre-Vincent Jacomet1 Introduction Le syndrome de l’énucléé (Fig. 1) survient après une énucléation ou une éviscération. Il comporte une énophtalmie, une bascule postérieure de la prothèse oculaire avec majoration du creux sus-palpébral, responsables d’une gêne fonctionnelle et esthétique. La prise en charge classique de ces patients se fait habituellement par lipostructure avec prélèvement d’adipocytes au niveau abdominal ou de la face interne des cuisses. Cependant chez certains patients nous observons une fonte complète de la greffe adipocytaire avec réapparition précoce de la symptomatologie initiale. Par ailleurs, il a été démontré dans la littérature qu’un volume injecté d’adipocytes supérieur à 3 ml entraînait un risque accru de nécrose de la greffe par trouble de la vascularisation au sein du greffon. Un traitement alternatif Une alternative intéressante pour la prise en charge de ces patients est l’utilisation de produits de comblement dont le plus connu actuellement est l’acide hyaluronique. Couramment utilisé en esthé- 1 Fondation A. de Rothschild (Paris) 134 Figure 1 - Enophtalmie gauche majeure sur énucléation. tique pour corriger les creux, les plis et les sillons de la face, l’acide hyaluronique qui est présent naturellement dans le derme est fabriqué par génie génétique (bactéries génétiquement modifiées). L’acide hyaluronique est très hydrophile et peut absorber jusqu’à 1 000 fois son poids en eau, d’où son intérêt en esthétique pour redonner structure et tonicité au derme. Nous utilisons ce produit dans sa composition fortement réticulée de façon à avoir un produit dense avec une durabilité dans le temps. Les molécules d’acide hyaluronique sont sans spécificité d’espèces ou de tissus, le risque d’allergie est donc faible, les contre-indications classiques sont cependant la femme enceinte ou allaitant, les maladies auto-immunes, les antécédents d’hypersensibilité à l’une des molécules et les infections ou inflammations au niveau du site d’injection. Technique opératoire Cet acte peut être réalisé sous anesthésie locale avec sédation. Le patient est allongé, une désinfection du site d’injection est réalisée. Nous utilisons un cathéter long de 20 gauges avec son mandrin métallique, et la ponction est réalisée au niveau du quadrant inféro et/ou supéro-externe de l’orbite de façon à prolonger le cathéter en arrière de la bille de la cavité énuclée (Fig. 2). Après un test de reflux veineux (en cas de positivité, retirer légèrement le cathéter de façon à ne pas injecter dans un vaisseau), l’acide hyaluronique est injecté progressivement. Une à deux ampoules de 1 ml suffisent amplement pour la restauration du volume manquant de la cavité orbitaire (Fig. 3). Le résultat obtenu est immédiat avec un renforcement de l’effet volumateur dans les 72 heures (Fig. 4). Une petite réaction transitoire inflammatoire est parfois retrouvée Pratiques en Ophtalmologie • Juin 2011 • vol. 5 • numéro 45 Injection d’acide hyaluronique Figure 2 - Mise en place du cathéter dans la région inféro- Figure 3 - Injection de 1 ml d’acide hyaluronique. externe de l’orbite droite. Figure 4 - Résultats avant-après injection de 2 ml d’acide hyaluronique. en post-opératoire, ne nécessitant la plupart du temps aucun traitement. Conclusion Les syndromes de l’énucléé sont fréquents et la prise en charge est souvent délicate, faisant appel à des procédures invasives. L’utilisation d’acide hyaluronique fortement réticulé en injection dans la cavité orbitaire mais aussi dans le creux sus-palpébral est une bonne alternative et permet de restaurer facile- Pratiques en Ophtalmologie • Juin 2011 • vol. 5 • numéro 45 ment le volume manquant avec une bonne tolérance clinique et une stabilité dans le temps. n Mots-clés : Enophtalmie, Acide hyaluronique, Enucléation, Chirurgie. 135