Hypoxie et pseudo-hypoxie dans les tumeurs endocrines

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Oxygène – Physiopathologie
des organes endocrines
dossier
thématique
Hypoxie et pseudo-hypoxie
dans les tumeurs endocrines :
l’exemple du phéochromocytome
Hypoxia and pseudo-hypoxia in endocrine tumors: the pheochromocytoma example
Judith Favier*,**
»»L’hypoxie, les phéochromocytomes et les paragangliomes ont une
longue histoire commune.
»»Les individus vivant en haute altitude (en hypoxie chronique)
présentent une incidence accrue de paragangliomes de la tête
et du cou.
»»Les cellules du glomus carotidien et les cellules chromaffines de la
surrénale à partir desquelles se développent les phéochromocytomes
et les paragangliomes sont des détecteurs physiologiques des
variations d’oxygène.
P o i nt s f o rt s
»»Les mutations des gènes SDH (succinate déshydrogénase) et VHL (von
Hippel-Lindau) sont à l’origine d’environ 20 % des phéochromocytomes
et conduisent à l’activation des hypoxia-inducible factors, même en
présence d’oxygène. Ce processus est appelé pseudo-hypoxie.
»» Les gènes cibles des hypoxia-inducible factors sont impliqués dans la
prolifération, l’apoptose, l’angiogenèse, le métabolisme énergétique,
l’invasivité et les métastases.
»» Les données physiologiques, génétiques, cellulaires et moléculaires
recueillies au cours des années indiquent toutes un rôle central de
la voie hypoxique ou pseudo-hypoxique dans la tumorigenèse des
phéochromocytomes et des paragangliomes.
Mots-clés : Phéochromocytome – Hypoxie – Tumeur endocrine.
Keywords: Pheochromocytoma – Hypoxia – Endocrine Tumor.
* Inserm, UMR970, Paris
– centre de recherche
cardio-vasculaire (PARCC)
de l’hôpital européen
Georges-Pompidou, Paris.
** Université
Paris-Descartes,
faculté de médecine,
Paris.
262
Phéochromocytomes et paragangliomes
Les paragangliomes (PGL) sont des tumeurs rares dérivées de la crête neurale qui émergent à partir de cellules
non chromaffines des ganglions parasympathiques,
localisées notamment au niveau de la tête (glomus
tympanique, glomus jugulaire) et du cou (glomus carotidien) ou à partir de cellules chromaffines du système
nerveux sympathique au niveau du thorax, de l’abdomen ou du pelvis (organe de Zuckerkandl, vessie)
[figure 1]. Les phéochromocytomes (PHEO) sont des
PGL qui se développent spécifiquement aux dépens de
la médullosurrénale. Les PHEO et les PGL fonctionnels
sécrètent des catécholamines dans la circulation, ce qui
peut être à l’origine de graves complications cardiovasculaires et cérébrovasculaires.
Vingt-cinq à trente pour cent des PHEO et PGL sont
héréditaires. Les mutations constitutionnelles prédisposant aux PHEO et aux PGL peuvent se produire dans
les tumeurs d’apparence sporadique (12 à 16 %) ou
dans le cadre d’un syndrome de cancer héréditaire
(1). Les mutations activatrices du proto-oncogène
RET conduisent à la néoplasie endocrine multiple de
type 2 (NEM2), caractérisée par le développement de
carcinomes médullaires de la thyroïde, souvent associés à des PHEO surrénaliens. Les mutations du gène
suppresseur de tumeur NF1 sont responsables de la
neuro­fibromatose de type 1, aussi connue sous le nom
de maladie de von Recklinghausen, qui se caractérise
par des anomalies pigmentaires et par le développement de tumeurs dérivées des cellules de la crête neurale, comme les neurofibromes cutanés multiples et
très rarement les PHEO (0,1 à 5,7 % de patients atteints
de NF1). La maladie de von Hippel-Lindau (VHL) est
un syndrome néoplasique héréditaire causé par des
mutations dans le gène suppresseur de tumeur VHL,
qui sont responsables d’une prédisposition au développement de carcinomes du rein à cellules claires (RCC),
d’hémangioblastomes du système nerveux central ou
de la rétine, de kystes pancréatiques et de PHEO. Enfin,
les gènes suppresseurs de tumeurs SDHB, SDHC, SDHD
et SDH5 (ou SDHAF2) sont impliqués dans la prédisposition héréditaire au syndrome PHEO/PGL. Les mutations
dans le gène SDHB se sont révélées être le premier
critère de malignité et de mauvais pronostic des PHEO/
PGL : les résultats combinés des analyses de cohortes
montrent que 36 % des PHEO/PGL métastatiques sont
porteurs d’une mutation du gène SDHB (2).
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 8 - octobre 2010
Hypoxie et pseudo-hypoxie dans les tumeurs endocrines : l’exemple du phéochromocytome
Réponse hypoxique dans les cellules
glomiques et chromaffines
L’hypoxie, les PHEO et les PGL ont une longue histoire
commune. La première preuve d’un tel lien repose sur
la spécificité cellulaire de l’émergence des PHEO/PGL. La
capacité à capter les variations de pression partielle en
oxygène (pO2) et à s’adapter à des conditions de faible
pO2 (hypoxie) est essentielle à la survie des organismes
vivants. Des cellules réceptrices spécialisées, ou détecteurs de pO2, jouent un rôle de protection en veillant
à ce que des quantités suffisantes d’oxygène soient à
la disposition des cellules de l’organisme et des tissus.
Chez les mammifères, ces tissus spécialisés comprennent les cellules du glomus carotidien, les corps neuroépithéliaux des poumons, les cellules chromaffines de
la médullosurrénale fœtale et les cellules musculaires
lisses vasculaires. Au début des années 1930, les travaux
d’Heymans et al. ont conduit à montrer que le glomus
carotidien est un chémorécepteur qui mesure la tension d’oxygène du sang artériel systémique. Toutefois,
les chémorécepteurs du glomus carotidien sont relativement peu sensibles à l’hypoxie durant la période
néonatale et n’acquièrent cette sensibilité qu’à partir
de 2 à 3 semaines chez le rat. En revanche, les cellules
chromaffines de la surrénale sont plus sensibles à l’hypoxie durant la période périnatale, et cette sensibilité
est peu à peu perdue, et disparaît 2 à 3 semaines après
la naissance chez le rat. Ces 2 types de cellules (glomus
carotidien et cellules chromaffines) sont capables de
synthétiser et de libérer les catécholamines au cours
du stress hypoxique.
Des modifications anatomiques du glomus carotidien
chez des sujets exposés à l’hypoxie chronique ont
d’abord été décrites par Arias-Stella qui a constaté, dans
la population péruvienne, que les corps carotidiens des
individus résidant en haute altitude étaient sensiblement
plus larges que ceux des sujets vivant au niveau de la
mer. En 1973, Saldana et al. ont rapporté une incidence
plus élevée de PGL du glomus carotidien chez les adultes
péruviens nés et ayant vécu en haute altitude dans les
Andes. Ainsi, parmi les 25 patients atteints de PGL, 92 %
étaient nés et avaient vécu à une altitude entre 2 105 et
4 350 mètres. On estime que le PGL est 10 fois plus fréquent au Pérou en altitude élevée qu’au niveau de la mer.
Hypoxie et pseudo-hypoxie :
mécanismes moléculaires
Premières pistes
Au début des années 2000, la compréhension des bases
moléculaires des PHEO et PGL héréditaires a révélé
Glomus carotidien
Médullosurrénale
Organes de Zuckerkandl
Figure 1. Sites d’émergence des phéochromocytomes et des paragangliomes. Représentation
schématique du système paraganglionnaire illustrant la distribution anatomique de la médullo­
surrénale, des organes de Zuckerkandl et des paraganglions extrasurrénaliens, connectés aux
systèmes sympathique et parasympathique.
un lien direct entre la voie de la réponse hypoxique
et l’histoire naturelle de ces tumeurs. Le lien entre
l’inactivation du gène VHL et la voie hypoxique avait
en effet été supposé peu de temps après l’identification du gène VHL, avec la description d’une régulation
négative de l’expression de gènes induits en conditions
d’hypoxie tels que le VEGF ou GLUT 1 par la protéine
pVHL. Il a été ensuite montré que pVHL faisait partie
d’un complexe multiprotéique (contenant CUL2 et les
élongines B et C) présentant d’importantes homologies
avec les complexes ubiquitine-ligase chez la levure, et
dirigeant la protéolyse dépendant de l’oxygène des
Hypoxia-Inducible Factors (HIF) [3]. Les gènes SDHB,
C et D codent pour 3 des 4 sous-unités de la succinate
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 8 - octobre 2010
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Oxygène – Physiopathologie
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déshydrogénase (SDH), une enzyme mitochondriale qui
catalyse l’oxydation du succinate en fumarate dans le
cycle de Krebs couplée à la réduction de l’ubiquinone
(Q) en ubiquinol (QH2) dans la chaîne respiratoire. En
2000, la première identification d’une mutation du
gène SDHD comme responsable d’une forme de paragangliome héréditaire a conduit à l’hypothèse que la
SDH pourrait être un élément essentiel du système de
détection de l’oxygène des tissus paraganglionnaires,
et que sa perte pourrait conduire à la stimulation chro-
Mitochondrie
Succinate
Fumarate
2-OG + O2
Succinate
+ CO2
Normoxie
Noyau
Mitochondrie
Succinate
Fumarate
Mutations SDH
Succinate
2-OG + O2
Hypoxie
Succinate
+ CO2
Mutations VHL
(Pseudo-)hypoxie
Prolifération
Apoptose
Angiogenèse
Métabolisme
Métastases
Noyau
Figure 2. Mécanismes moléculaires de régulation des HIF. En normoxie, les HIF sont hydroxylés
par les PHD, ce qui permet leur reconnaissance par l’ubiquitine ligase pVHL, et leur dégradation
dans le protéasome. En conditions hypoxiques ou à la suite des mutations des gènes SDH ou
VHL (pseudo-hypoxie), les HIF sont stabilisés et transloqués au noyau, où ils activent une grande
variété de gènes cibles, impliqués dans différents aspects de la tumorigenèse.
264
nique de la réponse hypoxique et de la prolifération
cellulaire. Cette hypothèse a ensuite été renforcée par
notre observation d’une surexpression de HIF-2α et
de VEGF chez 2 patients présentant des PHEO ou PGL
causés par des mutations de SDHD et de SDHB, par
rapport aux tumeurs sporadiques (4).
Mécanisme physiologique de régulation
des hypoxia-inducible factors
La mise en évidence du mécanisme moléculaire de
régulation des HIF en conditions hypoxiques a par la
suite permis la compréhension de ces phénomènes
(figure 2) [5].
Les HIF sont des facteurs de transcription qui appartiennent à la grande famille des protéines à domaines
basique-hélice-boucle-hélice PAS (bHLH-PAS). Ils sont
actifs sous la forme d’un hétérodimère formé d’une
sous-unité stable HIF-1β exprimée de façon constitutive, et de 1 des 3 sous-unités régulées par l’oxygène
HIF-α (HIF-1α, HIF-2α ou HIF-3α). HIF-1α est exprimée
de façon ubiquitaire, tandis que l’expression d’HIF-2α
est préférentiellement retrouvée dans l’endothélium,
le rein, le cœur, le poumon, l’épithélium digestif et le
système nerveux sympathique.
En conditions normoxiques, les HIF-α sont hydroxylées
par des prolyl-hydroxylases (PHD1, 2 ou 3) sur 2 résidus
proline conservés, localisés dans le domaine de dégradation dépendant de l’oxygène. Ils sont ensuite reconnus par pVHL, ce qui conduit à leur poly-ubiquitination
et leur dégradation subséquente dans le protéasome.
Ainsi, dans les cellules correctement oxygénées, HIF-1α
a une demi-vie inférieure à 5 minutes. Les PHD appartiennent à la superfamille des dioxygénases dépendant
du fer et du 2-oxoglutarate (2-OG) et sont les senseurs
d’oxygène responsables de la régulation des HIF en
fonction de la pO2. Une autre hydroxylase est par ailleurs
impliquée dans la modulation de l’activité des HIF en
conditions normoxiques. Cette asparagyl-hydroxylase, identifiée comme le facteur inhibant HIF (FIH),
hydroxyle un résidu asparagine situé sur le domaine
de transactivation carboxy-terminale des HIF. Cette
modification empêche le recrutement des protéines
coactivatrices p300 et CBP, atténuant ainsi la transcription HIF-dépendante.
L’hydroxylation des HIF par les PHD et FIH requiert la
coopération de plusieurs facteurs, dont le Fe2+, l’ascorbate et l’oxygène ainsi que le 2-OG, comme cosubstrats.
En conditions hypoxiques, l’absence d’oxygène inhibe
l’activité de ces enzymes ; les HIF ne sont plus hydroxylés et donc plus reconnus par pVHL. Ils sont stabilisés,
transloqués au noyau où, après avoir formé un hétérodimère avec HIF-1β, ils agissent sur la transcription
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Hypoxie et pseudo-hypoxie dans les tumeurs endocrines : l’exemple du phéochromocytome
d’une grande variété de gènes cibles impliqués dans
l’adaptation cellulaire et tissulaire à l’hypoxie.
Pseudo-hypoxie SDH-dépendante
L’élucidation de ce mécanisme a ainsi révélé une explication crédible pour comprendre l’association entre les
mutations SDH et l’activation de la réponse hypoxique
(6). Cette explication est fondée sur l’accumulation de
succinate (figure 2). Il a en effet été montré que, lors de
la réaction d’hydroxylation des HIF, le 2-OG subit une
décarboxylation oxydative qui conduit à la génération
de succinate. Dans les cellules où la SDH est inactivée,
l’accumulation de succinate agit comme un inhibiteur
compétitif, en bloquant le site de liaison du 2-OG sur les
PHD, conduisant ainsi à la stabilisation et à l’activation
de HIF-1α (7).
De façon intéressante, des mutations de gènes codant
pour d’autres enzymes du cycle de Krebs ont ensuite
été identifiées dans d’autres types de syndromes familiaux néoplasiques et ont été montrées comme étant
également associées à une réponse pseudo-hypoxique.
Ainsi, les mutations germinales du gène codant pour
la fumarate hydratase (FH), qui catalyse la conversion
du fumarate en malate dans le cycle de Krebs, prédisposent au syndrome HLRCC associant des léiomyomes
cutanés et utérins à des cancers du rein. Des mutations
somatiques hétérozygotes du gène IDH1, qui code pour
l’1 des 3 isocitrate déshydrogénases qui catalysent la
décarboxylation oxydative de l’isocitrate en 2-OG, ont
été identifiées dans près de 80 % de certains types de
glioblastomes multiformes, mais rarement dans les
PHEO et les PGL. Ces défauts génétiques conduisent
respectivement à l’accumulation de fumarate et à l’épuisement du 2-OG cytosolique, ce qui inhibe l’hydroxylation des HIF médiée par les PHD.
Signature pseudo-hypoxique
des PHEO et PGL liés à SDH et à VHL
La réalité du processus pseudo-hypoxique dans les
PHEO et les PGL a été validée par des études d’expression génique. Différentes études d’immunohistochimie
ont montré une surexpression de HIF-1α et surtout de
HIF-2α dans les tumeurs pseudo-hypoxiques (mutations
de SDHD, SDHB, FH et VHL). La prédominance de HIF-2α
a été discutée mais elle est confirmée par des observations antérieures effectuées dans des paraganglions
fœtaux et dans les neuroblastomes, ainsi que par les
données de transcriptome.
En effet, les analyses de profils d’expression pangénomique réalisées sur de grandes cohortes de PHEO et
PGL héréditaires ont non seulement validé mais aussi
complété ces observations. La comparaison des profils
transcriptomiques de 39 PHEO par Eisenhofer et al. a mis
en évidence la surexpression, dans les tumeurs VHL par
rapport aux NEM2, de gènes impliqués dans la réponse
hypoxique, tels que PHD3, HIF-2α, le VEGF, son récepteur
VEGFR-2 et son corécepteur la neuropiline 1, le facteur
de croissance placentaire (PIGF), l’angiopoïétine 2, le
transporteur du glucose GLUT-1 et l’hexokinase 2 (8).
La classification hiérarchique non supervisée d’une
cohorte de 76 PHEO par Dahia et al. a par la suite mis
en évidence 2 groupes d’expression dominante (9). Le
premier comportait toutes les tumeurs VHL et SDH ; le
second, tous les phéochromocytomes NEM2 et NF1.
Les tumeurs du premier groupe étaient caractérisées
par une signature riche en marqueurs de l’angio­genèse,
d’hypoxie, d’éléments de la matrice extracellulaire, associée à la suppression d’oxydoréductases, des processus
tous directement ou indirectement régulés par l’activation de HIF-1α et/ou de HIF-2α.
Rôle de l’hypoxie et de la pseudo-hypoxie
dans la tumorigenèse
Les conséquences fonctionnelles de l’activation de la
voie hypoxique dans les PHEO et les PGL sont nombreuses et sont susceptibles de participer à plusieurs
aspects de la tumorigenèse (10). Les HIF peuvent en
effet induire une grande variété de gènes cibles, dont
les produits sont impliqués dans la régulation de l’angiogenèse, la prolifération, le métabolisme énergétique,
la survie et la migration (figure 2, tableau) [11].
Apoptose et prolifération
Deux des principales caractéristiques du développement tumoral sont une augmentation de la prolifération
cellulaire et un échappement aux régulations proapoptotiques. Le rôle de l’hypoxie dans la modulation
de ces processus essentiels est complexe. En effet, les
HIF ont été associés à des effets pro- ou antiprolifératifs
Tableau. Régulation génique différentielle par HIF-1 et HIF-2.
HIF-2 α > HIF-1 α
VEGF, VEGFR-2, Tie-2
LOX, LOXL2
Cycline D1
COX4-I2
HIF-1 α > HIF-2 α
BNIP3
HK-2, GPI, PFK, ALDO A, ALDO C, TPI, GAPDH, PGK-1, PGM-1, ENO-1,
LDHA
PDK-1
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 8 - octobre 2010
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Oxygène – Physiopathologie
des organes endocrines
dossier
thématique
et pro- ou antiapoptotiques. Les résultats discordants
concernant le lien entre l’hypoxie et ces processus suggèrent l’existence de régulations particulièrement fines,
dépendant des niveaux d’oxygène ou des spécificités
liées aux types cellulaires. Il existe également des divergences en fonction du sous-type de la sous-unité HIF-α
impliquée. HIF-1α, par exemple, régule positivement
l’expression de BNIP3, un membre de la famille des protéines de régulation de l’apoptose BCL-2 et module de
stabilisation de p53, les 2 conduisant à l’apoptose. En
revanche, BNIP3 est réprimé par HIF-2α dans les cellules
de RCC. De même, HIF-2α favorise la surexpression de
la cycline D1, l’une des principales cyclines associées à
la transition G1-S dans le cycle cellulaire. En revanche,
HIF-1α ne régule pas la cycline D1, mais induit l’expression de la cycline G2, qui a des activités antiprolifératives. Dans les PHEO et les PGL, il a été observé que les
niveaux de BNIP3 étaient inférieurs dans les tumeurs
HIF-2α-positives des patients porteurs d’une mutation
de SDHB, ce qui suggère un rôle possible de cette voie
dans l’agressivité accrue de ce sous-type de tumeurs.
Angiogenèse
L’une des premières fonctions identifiées des HIF, susceptible de participer au développement tumoral, est
l’induction de l’angiogenèse (12). Il est en effet bien
établi qu’une tumeur ne peut dépasser un volume seuil
de 1 à 3 mm3 si elle n’est pas vascularisée. Les HIF sont
connus pour moduler l’expression de plusieurs facteurs
angiogéniques qui favorisent la croissance des néovaisseaux à partir du système vasculaire préexistant. Parmi
ces cibles, le VEGF et ses récepteurs jouent un rôle crucial dans l’initiation du processus de néovascularisation.
Des études, in vitro, ont montré que ces gènes sont
essentiellement régulés par HIF-2α plutôt que HIF-1α.
Ainsi, dans un contexte tumoral hypoxique, la sécrétion
de VEGF par les cellules tumorales induit l’activation du
VEGFR-2, qui promeut la migration des cellules endothéliales, leur prolifération et leur survie. Les PHEO et
les PGL sont classiquement décrits comme des tumeurs
richement vascularisées. Nous avons observé que les
tumeurs causées par des mutations des gènes SDH ou
VHL avaient une densité vasculaire plus forte que les
tumeurs RET ou NF1 (13). La forte expression de VEGF et
de ses récepteurs a été décrite tant dans le sérum que
dans les tumeurs de patients atteints de PHEO ou de
PGL. De plus, une surexpression significative du VEGF
a été rapportée à la fois dans les PHEO et PGL métastatiques et dans les PHEO et PGL liés à SDH et VHL. Fait
intéressant, les études réalisées sur les tumeurs malignes
ont été effectuées avant la démonstration de l’association prédominante des mutations du gène SDHB avec
266
la malignité dans les PHEO et les PGL. Par conséquent, il
est envisageable que la surexpression du VEGF dans les
PHEO et PGL métastatiques reflète la pseudo-hypoxie
médiée par l’accumulation du succinate plutôt que
l’invasivité de ce sous-ensemble de tumeurs.
Métabolisme énergétique
Une autre caractéristique de l’adaptation à l’hypoxie
est le switch entre les 2 formes de respiration utilisées
par les cellules animales, aérobique et anaérobique,
un phénomène constaté par Louis Pasteur à la fin du
xixe siècle. En l’absence d’oxygène, la production d’ATP
passe de la phosphorylation oxydative dans les mitochondries à la glycolyse dans le cytoplasme. La glycolyse
est moins efficace que la phosphorylation oxydative
pour la production d’ATP (4 ATP versus 36 par glucose).
Toutefois, en présence de suffisamment de glucose,
la glycolyse peut promouvoir une production d’ATP
suffisante en raison de l’augmentation de l’activité des
enzymes glycolytiques. En conditions d’hypoxie, HIF-1
induit l’expression de gènes codant pour les transporteurs du glucose GLUT-1 et GLUT-3, qui augmentent
l’absorption de glucose intracellulaire, des enzymes
de la glycolyse, qui transforment le glucose en pyruvate et de la lactate déshydrogénase A, qui convertit
le pyruvate en lactate. Notons que, si HIF-2 est capable
de promouvoir l’expression du transporteur GLUT-1, il
n’est apparemment pas impliqué dans la régulation de
l’autre partie de la glycolyse.
Au début des années 1930, Otto Warburg a observé
que les cellules tumorales présentaient un métabolisme
particulier, caractérisé par un switch comparable vers un
métabolisme glycolytique, mais ce, même en présence
d’oxygène. L’hypothèse de Warburg était que le cancer
était causé par des défauts dans la phosphorylation
oxydative mitochondriale, ce qui obligerait la cellule à
passer à un procédé de production d’énergie anaérobie,
en dépit des conditions aérobies. L’augmentation de la
captation du glucose observée lors de “l’effet Warburg”
a conduit à l’utilisation en clinique de la tomographie à
émission de positons utilisant du fluorodésoxyglucose
(18F) [FDG-PET] pour la détection des métastases. Le
mécanisme responsable de l’effet Warburg est resté mystérieux pendant des décennies. Des données récentes
suggèrent que les HIF participent à ce processus (14). En
plus du rôle de HIF-1α dans la glycolyse, il a en effet été
rapporté que les HIF pourraient également participer
à l’inactivation de la respiration aérobie dans la mitochondrie. Tout d’abord, la pyruvate déshydrogénase
kinase 1 (PDK1), qui phosphoryle et inactive le domaine
catalytique de la pyruvate déshydrogénase (PDH), est
activée par HIF-1α. Le pyruvate est alors activement
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Hypoxie et pseudo-hypoxie dans les tumeurs endocrines : l’exemple du phéochromocytome
shunté hors de la mitochondrie, ce qui réduit les flux
à travers le cycle de Krebs, diminuant ainsi l’apport de
NADH et FADH2 au transport des électrons. Cet effet
semble être spécifiquement induit par HIF-1α, l’expression de l’ARNm de PDK-1 n’étant pas affectée dans les
cellules traitées avec un siRNA dirigé contre HIF-2α.
Une autre étude récente a montré que la stabilisation
de HIF-1α régule l’activité du complexe IV mitochondrial, ou cytochrome c oxydase (COX), en favorisant
l’expression de la sous-unité COX4-2 et de la protéase
mitochondriale LON requise pour la dégradation de
COX4-1. Le passage de COX4-1 à COX4-2 conduit à une
activité COX diminuée en conditions hypoxiques. Dans
ce cas, contrairement à PDK-1, HIF-2α s’est révélé être
un transactivateur plus puissant du promoteur de la
COX4-I2 que HIF-1α. Un tel rôle de HIF-2α est également validé par l’un des nombreux modèles de souris
knock-out HIF-2α, dans lequel son inactivation conduit
à une diminution de l’activité SDH et de la COX, et à
une dysfonction du cycle de Krebs.
Ainsi, les expériences réalisées in vitro et in vivo suggèrent que HIF-1α et HIF-2α pourraient être les facteurs
clés de l’effet Warburg observé dans les tissus tumoraux. Cela a été confirmé dans les tumeurs associées
à la pseudo-hypoxie. Dans les RCC sporadiques, dans
lesquels une mutation somatique du gène VHL est identifiée dans 80 % des cas, de nombreuses enzymes de
la glycolyse sont surexprimées et les enzymes mitochondriales sous-exprimées par rapport aux reins
non atteints des patients. L’implication directe de la
protéine pVHL dans ce processus a été confirmée in
vitro, suggérant une implication de la stabilisation des
HIF dans cet effet Warburg moléculaire. Dans les PHEO
et les PGL, Dahia et al. ont fait état d’une perte de la
protéine SDHB HIF-dépendante (mais pas de l’ARNm)
chez tous les patients SDH et VHL (9). À la suite de ces
observations, nous avons utilisé l’hétérogénéité moléculaire des PHEO et PGL héréditaires pour évaluer la
participation présumée des HIF dans la modulation de
l’effet Warburg (13). Dans une analyse par microarrays
du transcriptome sur un sous-ensemble de 68 PHEO et
PGL familiaux, nous avons montré que l’étude des voies
du métabolisme énergétique était un outil puissant
permettant de classer les tumeurs en 3 groupes : VHL,
SDH et RET/NF1. Nous avons observé une diminution
globale de l’expression et de l’activité des enzymes de
la phosphorylation oxydative mitochondriale dans les
tumeurs liées à VHL et SDH. Un switch COX4-1/COX4-2
a été détecté de façon spécifique dans ces tumeurs,
alors que la PDK-1 n’était pas modifiée en fonction du
génotype. Contrairement aux transporteurs du glucose, qui sont en effet surexprimés dans les PHEO et
PGL VHL et SDH, la surexpression des enzymes de la
glycolyse a uniquement été détectée dans les tumeurs
VHL. Ainsi, ces données ont révélé une régulation HIF2α-dépendante du métabolisme énergétique dans les
PHEO et PGL héréditaires.
Invasivité et métastases
La surexpression de HIF-1α et/ou de HIF-2α a été rapportée dans de nombreuses tumeurs primaires ou métastatiques et a été associée à l’invasivité et au mauvais
pronostic dans plusieurs cancers humains. Cette association pourrait être due à l’hypoxie engendrée par le
défaut de perfusion des tumeurs malignes prolifératives,
qui présentent une vascularisation anarchique et très
perméable. Toutefois, les HIF sont également susceptibles de réguler directement l’expression de gènes
impliqués dans la dispersion métastatique.
L’invasion tumorale est caractérisée par une capacité
accrue des cellules à migrer, à médier une adhérence
à des organes éloignés, ou à remodeler et dégrader
la matrice extracellulaire et la membrane basale. Le
récepteur des chimiokines CXCR4, un médiateur métastatique majeur, est surexprimé dans le cancer du sein
et le RCC hypoxiques, ainsi que dans les cellules où le
gène SDHB a été inactivé. Le proto-oncogène c-Met
et les métalloprotéases matricielles (MMP)2 et 9 sont
également induits par l’hypoxie. D’autres médiateurs
clés de l’invasion métastatique sont les lysyl-oxydases
LOX et LOXL2. Ces cibles des HIF sont connues pour
modifier les composants de la matrice extracellulaire
tels que l’élastine et le collagène et ont été associées
au mauvais pronostic dans plusieurs types de cancers.
LOX et LOXL2 régulent l’activité de Snail, un facteur de
transcription qui réprime la E-cadhérine, un élément
clé de la transition épithélio-mésenchymateuse, processus crucial dans l’acquisition d’un phénotype invasif
des cellules tumorales (15). Fait intéressant, LOXL2 est
surexprimé dans les cellules où le gène SDHB a été
inactivé, et il a été décrit comme une cible spécifique
de HIF-2α. Une expression élevée de Snail a également
été rapportée comme étant associée à la malignité du
PHEO, suggérant ainsi que l’activation de la voie HIF2LOX-Snail-E-cadhérine pourrait être une caractéristique
importante de malignité dépendante de SDHB dans
les PHEO et les PGL.
Conclusion et perspectives
Il existe aujourd’hui un certain nombre d’arguments
moléculaires et cellulaires, mis en évidence in vitro et
in vivo, qui soutiennent la pertinence de “l’hypothèse
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Oxygène – Physiopathologie
des organes endocrines
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thématique
hypoxique” dans les PHEO et les PGL. Il faut cependant
noter que certains auteurs ont contesté ce modèle.
L’implication de la voie pseudo-hypoxique dans les
PHEO a principalement été mise en cause par l’observation que les mutants de pVHL associés au type 2C
de la maladie de von Hippel-Lindau conservent leur
capacité à inhiber les HIF en normoxie. Le PHEO étant la
seule expression clinique de ces mutations, il a donc été
conclu que, contrairement aux RCC et aux hémangioblastomes VHL, où il a été démontré que la stabilisation
anormale de HIF-2α est directement responsable de la
tumorigenèse, la perte d’une autre fonction pVHL devait
être responsable de la tumorigenèse des PHEO et PGL.
Bien que ces données doivent être prises en compte,
elles sont contredites par les résultats des différents
transcriptomes et par les expériences d’immunohistochimie décrites précédemment, qui démontrent sans
aucun doute le statut pseudo-hypoxique des PHEO et
des PGL VHL, par opposition à des tumeurs NEM2 ou
NF1, par exemple. En outre, il est intéressant de noter
que ces analyses ont été réalisées dans des cellules de
RCC et pas dans les cellules de PHEO. Par conséquent, il
est concevable que ces mutants ne soient en effet pas
fonctionnels (en ce qui concerne la régulation des HIF)
dans les cellules rénales, ce qui expliquerait l’absence
de RCC chez ces patients, mais soient uniquement
fonctionnels dans les cellules chromaffines.
En conclusion, l’incidence accrue chez les individus
résidant en haute altitude, l’activation moléculaire dans
les formes héréditaires associées à des mutations des
gènes VHL et SDH, les études d’expression génique et
les expériences in vitro ou in vivo sont autant d’arguments en faveur d’un rôle central de l’hypoxie et, en
particulier, de HIF-2α dans la tumorigenèse des PHEO
et des PGL. Ces observations pourront avoir un impact
direct sur l’évaluation clinique des patients atteints de
PHEO ou de PGL. Par conséquent, si l’hypoxie explique
l’efficacité de la FDG-PET dans la localisation de ces
tumeurs, il est également postulé que les tumeurs HIF2α-positives sont des candidats de choix pour les thérapies ciblées utilisant les approches anti-VEGF et que
les stratégies thérapeutiques ciblant directement les
HIF – qui sont actuellement en développement – soient
susceptibles de constituer des voies alternatives ou
additives pour le traitement des phéochromocytomes
et des PGL malins.
■
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