Protection du droit de conscience Recommandations d’amendements au projet de loi C-14 : Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) Mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne Le 30 avril 2016 R. Jay Cameron, B.A., LL.B. et John Carpay, B.A., LL.B. Justice Centre for Constitutional Freedoms Courrier : no 253, 7620, Elbow Drive SW, Calgary (Alberta) T2V 1K2 Web : www.jccf.ca • Courriel : [email protected] • Téléphone : 403-475-3622 Organisme de bienfaisance enregistré auprès de l’ARC 81717 4865 RR0001 Le manque de dispositions protégeant le droit de conscience et les croyances religieuses Une grande partie du projet de loi C-14 est dûment fidèle à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 [Carter] 1. Toutefois, le projet de loi C-14 n’est pas pleinement conforme à l’arrêt Carter. Dans l’arrêt Carter, la Cour a conclu que le législateur « est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes »2 et a envisagé l’adoption d’une nouvelle loi pour traiter de l’invalidation par la Cour des dispositions litigieuses du Code criminel interdisant l’euthanasie [article 14] et l’aide au suicide [alinéa 241b)]. C’est alors qu’elle soulignait la nécessité de procéder à une réforme législative pour permettre l’aide médicale à mourir (AMM) que la Cour a discuté des droits religieux et de conscience des médecins et les a reconfirmés; elle a précisé que « rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir 3 ». La Cour a déclaré ne pas souhaiter « court-circuiter la réponse législative ou réglementaire » à l’arrêt Carter. Elle a plutôt souligné le « besoin de concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins ». Ainsi, il est apparent que la Cour prévoyait que la réponse législative du Parlement aborde la question du droit de conscience des médecins. Or, le projet de loi C-14 ne le fait pas. Recommandation : En vue d’assurer la conformité avec l’arrêt Carter, le projet de loi C-14 devrait codifier des dispositions protégeant le droit de conscience des médecins, du personnel infirmier, des pharmaciens et des autres travailleurs de la santé ainsi que celui des organismes et établissements de soins de santé afin que ces parties puissent refuser de dispenser l’AMM ou de diriger un patient vers ce service. 1 À l’instar de l’arrêt Carter, le projet de loi C-14 exige que seules les personnes de 18 ans et plus (paragraphes 3 et 4 de l’arrêt Carter) et les personnes souffrant d’une affection, d’une maladie ou d’un handicap physique réel (paragraphes 68, 86 et 127 de l’arrêt Carter) soient admissibles à l’AMM et que la personne concernée soit mentalement capable au moment de la demande d’AMM. 2 Arrêt Carter, au paragraphe 125. 3 Arrêt Carter, au paragraphe 132. 1 La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter ne contraint nullement les médecins ou les autres travailleurs de la santé à participer contre leur gré au processus d’AMM. L’arrêt Carter était fondé sur deux conditions factuelles clés : un patient consentant et un médecin disposé à dispenser l’AMM. Dans l’arrêt Carter, les demandeurs n’ont pas sollicité ni obtenu un droit garanti par la Charte leur permettant de contraindre un médecin ou tout autre travailleur de la santé à dispenser l’AMM ou à diriger un patient vers ce service. Malgré cela, des collèges de médecins provinciaux et des associations d’infirmières et d’infirmiers ont instauré des dispositions exigeant que leurs membres respectifs participent au processus d’AMM, au mépris de leur droit de conscience, sous peine de sanctions ou de représailles professionnelles. Le Parlement se doit d’agir : ces exigences professionnelles litigieuses violent à la fois le droit établi dans l’arrêt Carter et les protections garanties à l’alinéa 2a) et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés 4. Le Parlement peut et doit s’assurer que la question du droit de conscience et de l’AMM est traitée d’une manière claire et uniforme. Les médecins, les enseignants, les étudiants en médecine 5 et les divers collèges gagneraient tous de l’incorporation de dispositions de protection du droit de conscience et des droits religieux dans le projet de loi C-14, comme l’exige l’arrêt Carter. Outre les raisons juridiques, il existe plusieurs raisons pragmatiques valables de protéger le droit de conscience. Chaque jour, des dizaines de milliers de Canadiens et de Canadiennes comptent sur la prémisse voulant que les médecins et le personnel infirmier qui prennent soin d’eux agissent d’une manière éthique et consciencieuse dans la prestation de leurs services. Les collèges de 4 Au chapitre du droit à la liberté et à la sécurité, la Cour s’est prononcée comme suit au paragraphe 64 de l’arrêt Carter : « Le souci de protéger l’autonomie et la dignité de la personne sous-tend ces deux droits. La liberté protège "le droit de faire des choix personnels fondamentaux sans intervention de l’État" ». Certains collèges de médecins ont établi des règlements qui prévoient l’imposition de sanctions professionnelles aux médecins refusant de dispenser l’AMM. Ces dispositions contreviennent à l’article 7 de la Charte. 5 Les enseignants et les étudiants en médecine se disent incertains en ce qui concerne les droits des médecins : voir http://www.cbc.ca/news/canada/toronto/doctor-assisted-dying-medical-students-canada-1.3550703 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 2 médecins provinciaux ont défini des exigences en matière d’éthique s’appliquant à leurs médecins et ils s’attendent à ce que ces derniers soient animés d’un fort sentiment de responsabilité morale et éthique dans leur pratique quotidienne 6. Et pourtant, bon nombre de ces collèges de médecins ne laissent aucune place à l’abstention pour des raisons de conscience ou de religion 7. Le Parlement doit prendre en compte les sinistres répercussions du fait d’obliger un médecin à faire fi de sa conscience dans un aspect du service (comme l’AMM) et l’incidence que cette situation pourrait avoir dans d’autres circonstances où un médecin est censé se fier à son sens éthique et à sa conscience. Il importe également que le Parlement garde à l’esprit le fait que, malgré l’existence d’un droit à la mort selon la satisfaction des exigences définies dans l’arrêt Carter, les personnes qui se prévaudront du droit à l’AMM ne seront plus parmi nous, alors que ceux et celles qui devront l’appliquer le seront. Il est dans l’intérêt supérieur de tous les Canadiens que ces médecins qui soignent des patients au quotidien puissent exercer leurs fonctions en ayant la conscience tranquille et en sachant qu’ils ont été fidèles tant à leurs principes qu’à leur perception du mandat qui leur a été confié sur le plan médical et éthique8. Par conséquent, nous continuons de recommander l’incorporation dans le projet de loi C-14 de dispositions codifiées visant à protéger le droit de conscience, comme le prévoyait l’arrêt Carter, 6 Au cours du débat parlementaire du 22 avril 2016 sur le projet de loi C-14, la ministre de la Justice et procureure générale, l’honorable Jody Wilson-Raybould, a mentionné que le projet de loi C-14 fournissait aux médecins et au personnel infirmier l’occasion de prendre des décisions éthiques, et elle a souligné ce qui suit : « La personne devrait aussi être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables, selon la définition donnée dans le projet de loi. Cette définition est censée être appliquée avec une certaine souplesse par les médecins et les infirmiers praticiens, qui, pour ce faire, peuvent s’en remettre à leur formation, à leur sens de l’éthique et à leur jugement. » http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Language=F&Mode=1&Parl=42&Ses=1&DocId=8218810 14/ Ce type de jugement et de pratique de la médecine conforme à la déontologie constitue une exigence professionnelle et doit être respecté des deux côtés de la question de l’AMM – tant pour les médecins qui souhaitent s’abstenir de participer au processus d’AMM pour des raisons de conscience ou d’ordre éthique que pour ceux qui doivent s’en remettre à leur jugement quant à l’application de l’AMM. 7 Les collèges de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta ont tous établi des exigences qui rendent obligatoire la participation au processus d’AMM (que ce soit activement ou par voie de recommandation), sans égard au droit de conscience ou aux croyances religieuses des médecins, sous peine d’une sanction professionnelle. 8 Voir, par exemple, le traditionnel serment d’Hippocrate : https://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d%27Hippocrate. 3 dispositions qui s’apparenteraient à celles assurant la reconnaissance et la protection du droit de conscience et des droits religieux dans la Loi sur le mariage civil 9. 9 Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, ch. 33, au préambule : Attendu : que chacun jouit de la liberté de conscience et de religion au titre de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés; que la présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte à la garantie dont fait l’objet cette liberté, en particulier celle qui permet aux membres des groupes religieux d’avoir et d’exprimer les convictions religieuses de leur choix, et aux autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses; qu’il n’est pas contraire à l’intérêt public d’avoir des opinions variées sur le mariage et de les exprimer publiquement; article 3.1 : Il est entendu que nul ne peut être privé des avantages qu’offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu’il exerce, à l’égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu’il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l’égard du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme à l’exclusion de toute autre personne. 4