Institut de Formation de Professions de Santé Formation infirmière 44 chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex « LES MORPHINIQUES, C’EST PAS AUTOMATIQUE ! » UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques UE 6.2 S6 : anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude Présenté par : FUMEZ Emeline, HASHOLD Jérémy, PUGIN Christine, SCHMITT Joëlle Promotion 2012/2015 Formateur de guidance : Mme SORDET Agnès 2 3 Institut de Formation de Professions de Santé Formation infirmière 44 chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex « LES MORPHINIQUES, C’EST PAS AUTOMATIQUE ! » UE 3.4 S6 : Initiation à la démarche de recherche UE 5.6 S6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques UE 6.2 S6 : anglais rédaction de l’abstract du travail de fin d’étude Présenté par : FUMEZ Emeline, HASHOLD Jérémy, PUGIN Christine, SCHMITT Joëlle Promotion 2012/2015 Formateur de guidance : Mme SORDET Agnès 4 « Sois sage, ô ma douleur, et tiens toi plus tranquille » Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal 5 REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier Mme Agnès Sordet pour l’écoute et l’attention qu’elle nous a portées tout au long de notre travail de fin d’étude. Nous remercions également les infirmières et aides-soignantes pour leur disponibilité et leur accueil lors des entretiens. Enfin nous remercions de tout cœur nos familles qui nous ont soutenus et encouragés durant ces trois années. 6 GLOSSAIRE AS : Aide-soignant CETD : Centre d’évaluation et de traitement de la douleur DE : Diplôme d’état DPC : Diplôme professionnel continu ECPA : Echelle comportemental pour personnes âgées EMCETD : Equipe mobile du centre d’évaluation et de traitement de la douleur EMSP : Equipe mobile soins palliatifs EN : Echelle numérique EVA : Echelle visuelle analogique EVS : Echelle visuelle simple HAS : Haute autorité de santé HPST : Hôpital patient santé territoire IDE : Infirmier diplômé d’état INCA : Institut national du cancer IRM : Imagerie par résonnance magnétique LI : Libération immédiate LP : Libération prolongée OMS : Organisation mondiale de la santé SP : Soins palliatifs TENS : Transcutaneous electrical nerve stimulation (stimulation transcutanée) TILT : Type, intensité, localisation, temporalité de la douleur TNM : Techniques non médicamenteuses UE : Unité d’enseignement 7 SOMMAIRE INTRODUCTION p09 SITUATION INTERPELLANTE ET QUESTION DE DEPART p11 1. UNE OU DES DOULEURS ? p13 1.1. Définition et composantes p13 1.2. Physiopathologie p13 1.3. Différents types de douleur et leurs traitements p14 1.4. L’évaluation p15 2. LEGISLATION ET ROLE INFIRMIER p16 2.1. Législation nationale p16 2.2. Rôle infirmier p18 3. TECHNIQUES NON MEDICAMENTEUSES ET DOULEUR 3.1. Méthode physique et physiologique p19 p19 3.1.1. Thermothérapie p19 3.1.2. Toucher-massage p19 3.1.3. Ostéopathie p20 3.1.4. Neurostimulation transcutanée p20 3.1.5. Acupuncture p20 3.2. Méthode psychocorporelle p21 3.2.1. Hypnose et hypnoanalgésie p21 3.2.2. Sophrologie p22 3.2.3. Relaxation p22 4. REALITE DE TERRAIN p23 4.1. Les douleurs et leur prise en charge p23 4.2. Les techniques non médicamenteuses utilisées en services p24 4.3. Les formations aux techniques non médicamenteuses p25 4.4. Des limites dans l’utilisation des techniques non médicamenteuses p26 CONCLUSION p29 BIBLIOGRAPHIE p31 ANNEXES p36 8 INTRODUCTION 9 Le cancer est une pathologie dont la prévalence a doublé depuis une trentaine d’années. Le plan cancer 2014-2019 rapporte qu’en 2012, 355.000 nouveaux cas étaient diagnostiqués, dont 200.000 hommes et 155.000 femmes (1). Face à cette augmentation du nombre de cas, la mortalité régresse, ce qui porte à trois millions le nombre de personnes vivant avec un cancer ou en période de rémission. Deux types de cancer peuvent être qualifiés de « généraux » car ils sont prévalents aussi bien chez les femmes que chez les hommes. En revanche, la première cause de cancer reste sexe-dépendante. Ainsi, les hommes sont affectés par le cancer de la prostate et les femmes par le cancer du sein. Depuis quelques années la science progresse, les prises en charge et les traitements ont évolué et permettent de vivre plus longtemps. Malgré ces avancées, il reste une problématique constamment présente pour les patients : la douleur. En effet, en 2002 Meynadier constatait que 50% à 90% des personnes décédées d’un cancer exprimaient une douleur et seulement 60% bénéficiaient d’un traitement antalgique adapté (2). Depuis les années 1990 se développent des textes nationaux ayant pour objectif d’améliorer la prise en charge de la douleur, aussi bien par les traitements médicamenteux que par les médecines alternatives. Ainsi, les plans de lutte contre la douleur, les plans cancer et la loi du 5 mars 2002 (relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) préconisent de recourir aux techniques non médicamenteuses pour soulager les douleurs, quel que soit sa nature et son type. Une enquête menée en 2012 sous l’égide de l’Inca permet de dresser le bilan de la prise en charge de la douleur cancéreuse depuis l’instauration des différentes législations. Ainsi, 1500 patients atteints d’un cancer, à différents stades, se sont vus soumettre un questionnaire de satisfaction. Il en ressort que 53% déclarent ressentir des douleurs mais seulement 5.6% sont totalement soulagés par les antalgiques (3). Face à ce constat, associé à nos observations lors des stages, nous nous sommes questionnés sur la prise en charge de la douleur cancéreuse, et plus précisément sur le rôle propre infirmier dans cette prise en charge. Pour répondre à cette question nous traiterons dans une première partie de la physiologie, des composantes et des traitements de la douleur. Dans une seconde partie nous aborderons la législation relative à la prise en charge de la douleur cancéreuse, plus particulièrement le rôle infirmier. Puis, nous présenterons les techniques non médicamenteuses et leur efficacité sur la douleur. Nous terminerons en analysant les données acquises lors d’entretiens afin de mettre en avant les freins dans l’utilisation des techniques alternatives pour soulager les douleurs cancéreuses. 10 SITUATION INTERPELLANTE ET QUESTION DE DEPART 11 Depuis maintenant deux ans et demi, un symptôme inconfortable, la douleur, nous a interpellés, du fait des conséquences physiques et psychiques qu'il peut entraîner. Ce symptôme récurent a été omniprésent tout au long de nos différents stages (EHPAD, traumatologie, soins palliatifs, etc.). Nous avons tous les quatre vécus une situation durant laquelle nous nous sommes sentis démunis et impuissants face à la douleur physique d’un patient, malgré les différents traitements antalgiques instaurés (morphiniques, analgésiques). Nous avons également été témoins de la détresse, de la colère des patients et de leur entourage face aux douleurs incessantes. Certains sont parfois centrés sur leur douleur, les empêchant de « vivre ». L’énergie qu’ils mobilisent pour supporter ces douleurs est un réel frein à leur vie de famille. La douleur omniprésente les rend irritables et les empêche de profiter de leur entourage. Certains d’entre nous, au sein de services spécifiques (soins palliatifs, urgences traumatologiques), ont eu la possibilité de mettre en place des méthodes non médicamenteuses efficaces, telles que la sophrologie, l’hypnose ou encore la thermothérapie. Ainsi, lors d’un stage réalisé en service hospitalier, une patiente est hospitalisée depuis cinq jours pour évaluation des symptômes d’inconfort et adaptation symptomatique des traitements. La patiente est atteinte d'un cancer du côlon avec des métastases pulmonaires, hépatiques et osseuses. La douleur est prise en charge par une PCA de morphine 50mg/jour, avec la possibilité d'effectuer des bolus de 5mg toutes les 15 minutes, dans les cas de pics paroxystiques. Malgré ce traitement antalgique, la patiente évalue constamment sa douleur à 4/10. Face à cette situation, je me suis senti démuni et impuissant. En effet, je n’avais aucune solution médicamenteuse à lui proposer. En discutant avec la patiente, elle m’a expliqué que la thermothérapie (pack chaud) et la sophrologie proposées dans le service étaient efficaces et palliaient à ses douleurs. Une fois ces techniques réalisées, la patiente me confirme être beaucoup plus soulagée que la prise régulière d’antalgiques. De cette situation interpellante nous avons élaboré notre question de départ : En quoi dans le rôle propre IDE, la prise en charge non médicamenteuse du patient adulte souffrant de douleur cancéreuse connaît des résistances dans les services de soins conventionnels ? 12 DEVELOPPEMENT 13 1. UNE OU DES DOULEURS ? 1.1. Définition et composantes La douleur est définie par l’Association Internationale d’Etude de la Douleur (IASP) comme « une expérience désagréable, à la fois sensorielle et émotionnelle, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel ou simplement décrit en termes d’un tel dommage » (4)(5). Cette définition démontre que la douleur ne se réduit pas à une simple atteinte corporelle. Le processus douloureux comprend quatre composantes : sensorielle, affective, cognitive et comportementale (4). La première composante, sensori-discriminative, est liée aux mécanismes neurophysiologiques de transmission de l’influx nerveux. Ces derniers informent sur les caractéristiques de la douleur, telles que la localisation, l’intensité, la durée et la qualité. La composante affectivo-émotionnelle considère à la fois les sensations, les perceptions et les émotions. Cette composante attribue le caractère désagréable, pénible, insupportable, agressif. La troisième composante concerne les processus mentaux (cognition) influençant la perception douloureuse et les comportements. A travers cette composante, la douleur est vécue différemment selon les expériences antérieures. La dernière composante est relative aux comportements verbaux (plaintes) et non verbaux (mimiques, postures) réactionnels. C’est le moyen mis en place par une personne pour communiquer sa douleur à son entourage et aux soignants. Ainsi, la douleur débute par une simple sensation physique avant d’atteindre un certain seuil, propre à chacun, et devenir une émotion. Le qualitatif prend l’ascendant sur le quantitatif. Se déclenche alors les réactions physiques. La douleur est une atteinte corporelle perçue, interprétée et exprimée de façon personnelle à laquelle chaque personne confère une signification. 1.2. Physiopathologie Dans son ouvrage, Hacpille présente les différentes étapes de transmission de l’influx nerveux, de la périphérie au cortex cérébral (6) (annexe 1). La première étape est périphérique. Les nocicepteurs sont stimulés par les phénomènes mécaniques (mécanorécepteurs), thermiques (thermorécepteurs) ou chimiques (chémorécepteurs). Ces récepteurs possèdent des terminaisons démyélinisées localisées dans la peau, les viscères, les muscles (6). A ce stade, Marchand parle de « transduction, phénomène par lequel l’énergie résultant d’un stimulus douloureux est convertie en énergie électrique par les 14 nocicepteurs » (5). Ces derniers sont reliés à la corne dorsale postérieure de la moelle épinière par des protoneurones (4). Ce niveau médullaire est le lieu du « gate control », qui inhibe ou active le message douloureux (annexe 2). Si les inhibiteurs (enképhaline, sérotonine) sont stimulés, la « porte » reste fermée, l’influx nerveux ne peut poursuivre son trajet, la douleur n’est pas ressentie. Dans le cas contraire, des stimulateurs (substance P) laissent la « porte » ouverte, il en résulte la « transmission » de l’influx nociceptif de la moelle jusqu’au cerveau (5)(6). Par la suite, le message suit le faisceau spino-thalamique pour aboutir au thalamus et le faisceau spino-réticulaire jusqu’à la formation réticulée (6)(7). Comme l’explique Hacpille, chacune de ces structures cérébrales a son propre rôle. Ainsi, le mésencéphale (hypothalamus) contrôle les réactions émotionnelles ; le thalamus repère la localisation, la durée et l’intensité ; et enfin la formation réticulée entraîne la vigilance et la motricité (6). A ce stade, Marchand parle de « perception des signaux par le cerveau » (5). Cette ultime étape corticale, aboutie une sensation douloureuse ressentie, perçue, analysée, à laquelle le corps répond (6). La sensation douloureuse résulte d’un stimulus nerveux mais également d’un dysfonctionnement des systèmes inhibiteurs de régulation spinaux et supraspinaux (4). Cette étape qualifiée de « modulation » survient de la périphérie au cortex (5). 1.3. Différents types de douleur et leurs traitements De nombreux auteurs s’accordent à dire qu’il existe différentes douleurs, caractérisées par une durée (aiguë ou chronique) ou un mécanisme (excès de nociception, neurogène, mixte). Une douleur aiguë résulte d’une cause organique connue et identifiable, soulagée par les antalgiques. L’OMS définit trois paliers : - Palier 1 : antalgiques non opioïdes (Paracétamol, AINS, Aspirine) pour les douleurs faibles à modérées - Palier 2 : opioïdes faibles (Tramadol®, Codéine, AIS) pour les douleurs modérées - Palier 3 : opioïdes forts (Morphiniques) pour les douleurs modérées à fortes. Chaque palier peut être administré seul, en association (palier 1/2 ou 1/3) ou potentialisé par des co-antalgiques (corticoïde, myorelaxant, biphosphonate). Ces traitements sont inefficaces sur les douleurs neurogènes, qui résultent d’un dysfonctionnement du système nerveux central ou périphérique. Les antiépileptiques, antidépresseurs tricycliques ou la stimulation cutanée sont les mieux adaptés pour soulager ces douleurs. La douleur aiguë ne doit pas excéder trois mois, auquel cas elle devient une douleur chronique. Le syndrome douloureux chronique est complexe car il concerne des paramètres biologiques, psychologiques et sociaux. La douleur persiste malgré les antalgiques et devient omniprésente dans la vie des patients. L’altération de la qualité de vie peut être 15 qualifiée de « dépersonnalisation » (4). Elle entraîne une perte d’autonomie et une souffrance émotionnelle (8). De ce fait, la prise en charge doit être globale pour soulager la douleur physique tout en diminuant le ressenti moral. Concernant les douleurs cancéreuses, l’Inca explique que les cellules tumorales sont dépourvues de nerf, la tumeur n’induit donc pas en elle-même de douleur. Ce sont l’expansion et les métastases qui provoquent des douleurs (3). Ces dernières peuvent être : - « mécaniques » : la tumeur empêche le fonctionnement habituel d’un organe ; les métastases osseuses rendent certains mouvements douloureux. - « inflammatoires » : la tumeur envahit un tissu entraînant une réaction inflammatoire car elle est perçue comme un corps étranger. - « neuropathique » : compression du système nerveux, de la moelle épinière, des lobes cervicaux par la tumeur ou les métastases (8). La douleur peut avoir une signification particulière : récidive ou aggravation de la maladie (8). Les examens à visée diagnostic, les soins et les effets indésirables de certains traitements engendrent également des douleurs, qui peuvent devenir chroniques (8). 1.4. L’évaluation Afin que la douleur soit évaluée de façon optimale, le soignant doit prendre en considération le type de douleur et les capacités d’auto-évaluation du patient. Le ressenti du patient doit être le plus clairement et fidèlement exprimé. Pour cela, il existe de nombreuses échelles d’évaluation validées et préconisées par la Haute Autorité de Santé (HAS). Quelque soit l’outil d’évaluation certains critères sont communs. Ils sont repris par l’acronyme TILT, qui permet d’évaluer le Type de douleur, l’Intensité, la Localisation et la Temporalité. D’autres critères sont spécifiques à chaque type d’échelle d’évaluation. Lorsque le patient est cortiqué et communiquant, l’OMS recommande l’utilisation des échelles d’auto-évaluation unidimensionnelles ou multidimensionnelles (9). Ces outils sont adaptés pour les douleurs aiguës car elles évaluent la douleur de façon quantitative. Trois échelles sont validées par l’OMS: l’échelle verbale simple (EVS), l’échelle numérique (EN), l’échelle visuelle analogique (EVA) (9). Les échelles d’autoévaluation multidimensionnelles, dont le Questionnaire Douleur Saint-Antoine (annexe 3), sont des formulaires qualitatifs ayant pour but d’évaluer le retentissement de la douleur dans la vie quotidienne. Auprès des personnes non communicantes, du fait d’un trouble neurologique ou d’un trouble de la communication verbale, les échelles d’hétéro-évaluation sont recommandées. L’évaluation est alors réalisée par les soignants à l’aide d’échelles comportementales, qui sont spécifiques à la douleur aiguë ou à la douleur chronique. Deux échelles concernent 16 l’évaluation de douleurs chroniques : échelle Doloplus 2 et échelle comportementale d’évaluation de la douleur pour la personne âgée (ECPA) (9). L’échelle Algoplus est spécifique aux douleurs aiguës. La douleur est une sensation physique, émotive et sensorielle qui peut être régulée au niveau médullaire et cérébral. Le principal moyen de prise en charge est médicamenteux. Cependant, du fait des composantes affectives et émotives nous pouvons mettre en avant que d’autres méthodes sont plus appropriées pour agir sur ces composantes (chapitre 3 : techniques non médicamenteuses). Au préalable du traitement, l’évaluation tient une place primordiale car elle définit le type de douleur et l’intensité, qui sont les critères retenus pour le choix du traitement. Nous avons présenté les différents outils d’évaluation, mais nous retiendrons l’échelle Algoplus et Doloplus qui prennent en considération des critères permettant d’évaluer le retentissement de la douleur dans la vie quotidienne. 2. LEGISLATION ET ROLE INFIRMIER 2.1. Législation nationale Le premier programme de lutte contre la douleur a été initié dès 1998 par le secrétaire d’Etat à la santé de l’époque (Bernard Kouchner). Ce dernier considère la prise en charge de la douleur comme une priorité pour tout professionnel de santé. Les trois axes du programme avaient pour objectif d’améliorer la qualité des soins. Ils concernent : - « La prise en compte de la demande du patient - Le développement de la lutte contre la douleur dans les structures de santé et les réseaux de soin - L’information et la formation des professionnels de santé, pour mieux évaluer et traiter la douleur » (10). A partir de cette période, la considération de la prise en charge de la douleur sera omniprésente dans les textes législatifs. Ainsi, la loi du 5 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé rappelle que « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée » (11). La lutte contre la douleur est même devenue un des cent objectifs de santé publique depuis l’élaboration de la loi du 9 août 2004 (12). Une étape supplémentaire est franchie dans la prise en charge de la douleur avec la publication du premier plan cancer (2003-2007). La mesure 42 prévoit « d’accroître les possibilités pour les patients de bénéficier de soins de support, en particulier prise en compte de la douleur et soutien psychologique et social » (13). Les soins de support comportent les 17 techniques non médicamenteuses. Cette mesure est été reprise dans les différents plans cancer qui ont suivis. Ainsi, l’objectif 7 du second plan cancer (2009-2013) préconise une prise en charge globale de la douleur et personnalisée pour chaque patient (14). La mesure 19, quant à elle, a pour objectif de « renforcer la qualité des prises en charge pour tous les malades atteints de cancer » (14). D’après cette mesure les soins de support doivent être privilégiés et l’accès aux mesures transversales (soins de supports, techniques non médicamenteuses) favorisé (3). Le troisième plan cancer (2014-2019) reprend cette préconisation dans la mesure 7.3 : « tous les patients qui le nécessitent doivent pouvoir accéder à des soins de support adéquats (traitement de la douleur, conseils diététiques, soutien psychologique, accompagnement social, soins palliatifs, etc.), y compris lors des prises en charge à domicile » (15). Selon l’actuel plan cancer, le recours aux soins de support permettrait d’améliorer la qualité de vie. C’est pourquoi, la mesure 7.13 est consacrée au développement de méthode d’information au travers de la plateforme d’information « santé cancer info » (15). Les données relatives aux cancers, à leurs prises en charge et aux soins de supports devraient être accessibles aux patients, à leurs proches et aux professionnels. L’utilisation des méthodes non pharmacologiques est une priorité pour le troisième plan de lutte contre la douleur (2006-2010). L’objectif 8 vise à « améliorer les connaissances sur les méthodes non médicamenteuses de prise en charge des douleurs », notamment en développant la recherche sur les méthodes non pharmacologiques listées dans le plan (16). D’après ce plan, les TNM sont reconnues comme efficaces aussi bien par les professionnels que par les usagers. Elles représentent une alternative efficiente aux traitements médicamenteux dans le soulagement des douleurs. Ce même plan prévoit la création des Comités de lutte contre la douleur (Clud), qui doivent être mis en place dans les différents établissements de santé et où les IDE doivent représenter 30% à 50% du comité. Ces préconisations des plans nationaux gouvernementaux sont reprises par la Haute Autorité de Santé (HAS) qui consacre un chapitre à la prise en charge de la douleur (critère 12a) dans le manuel de certification des établissements de santé. Les établissements de santé doivent « améliorer la formation pratique initiale et continue des professionnels de santé ; améliorer les modalités de traitement médicamenteux et d’utilisation des méthodes non pharmacologiques pour une prise en charge de qualité ; structurer la filière de soins de la douleur » (17). Concrètement, cela se traduit au sein des centres hospitaliers par l’instauration du Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur (CETD) qui est en charge des actes techniques, des essais cliniques de nouvelles techniques et des traitements médicamenteux. 18 2.2. Rôle infirmier L’infirmier a un rôle primordial dans la prise en charge de la douleur par sa proximité avec le patient. Les rôles propres infirmiers et les rôles sur prescription sont définis par le décret de compétences du 31 juillet 2009 : - Article R4311-2, alinéa 5 : participation des infirmiers à l’évaluation, au soulagement et au traitement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes ». - Article R4311-5, alinéa 19 : recueil d’observation de toute nature susceptible de concourir à la connaissance de l’état de santé de la personne […] dont évaluation de la douleur. - Article R4311-8 : l’infirmier est habilité à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques dans le cadre de protocoles préétablis, écrits, datés et signés par un médecin (18). L’infirmier « référent douleur » a un rôle législativement établi afin d’optimiser la prise en charge de la douleur au sein du service par la mise en place de protocoles (19). Deux plans douleur abordent le rôle des infirmiers dans la prise en charge de la douleur. Le deuxième plan 2002-2005 prévoyait « le renforcement du rôle infirmier dans la prise en charge de la douleur et le renforcement de l’information et de la formation des professionnels de santé » (20). Ces dispositions ont été reprises par le plan 2006-2010 qui prévoyait également le renforcement de la formation pratique initiale et continue des professionnels de santé (19). Nous remarquons que les TNM sont désormais abordées au sein des IFSI. Ainsi, une initiation aux pratiques des touchers-massages est dispensée au semestre 1, un cours traite des médecines douces au semestre 5, l’UE optionnelle du semestre 6 (trois d’entre nous ont pu y participer) aborde les médecines alternatives. De même, la formation professionnelle continue évolue et prend en compte les recommandations relatives aux TNM. Ainsi, grâce au DPC (Développement Professionnel Continu) chaque professionnel de santé doit, conformément à l’article 59 de la loi HPST du 21 juillet 2009, suivre une formation annuelle. Depuis quelques années les thématiques de ces formations concernent les TNM (exemple : formation hypnoanalgésie du CHRU de Besançon) (21). Pour conclure, la lutte contre la douleur est un objectif de santé publique qui est légiféré depuis 1998. Depuis quelques années, les plans cancer et ceux de lutte contre la douleur préconisent l’utilisation des techniques non médicamenteuses. Le plan 2006-2010 19 reconnaît l’efficacité des méthodes physiques et comportementales et encourage leur utilisation par tout professionnel formé (16). L’IDE a pour rôle propre l’évaluation de la douleur et la mise en pratique des TNM, à condition d’avoir reçu une formation. 3. TECHNIQUES NON MEDICAMENTEUSES ET DOULEUR Les techniques non médicamenteuses, médecines parallèles, douces ou alternatives, sont complémentaires des traitements. En aucun cas elles ne doivent se substituer aux moyens médicamenteux et chirurgicaux qui restent la solution privilégiée en milieu hospitalier. Ces TNM agissent sur les composantes affectives, sensorielles et cognitives de la douleur. Elles permettent d’éviter l’augmentation des doses, de diminuer les effets indésirables (4), de réduire le stress et l’angoisse associés à la sensation douloureuse (22). Nous avons identifié deux types de méthodes, dont nous allons présenter succinctement chaque technique. 3.1. Méthodes physiques et physiologiques Ces méthodes ont comme point commun d’utiliser un moyen physique directement sur les fibres nerveuses afin d’inhiber l’influx nerveux (23). 3.1.1. Thermothérapie Cette technique consiste à soulager la douleur par des sources de chaleur : lampes infrarouge, coussins thermiques, physiopacks ou encore bouillottes. Le simple fait de mettre les mains sous l’eau chaude atténue les douleurs articulaires (24). La chaleur induit une vasodilatation locale, qui peut être sédative dans différents type de douleur : chroniques, musculaires, articulaires et les séquelles traumatiques. La thermothérapie par les sources froides (coldpack, bains, serviettes) entraîne un effet vasoconstricteur qui diminue la sensibilité et l’inflammation. Cette méthode convient plus particulièrement pour les douleurs aiguës, type fractures, arthrose (4). La thermothérapie est contre indiquée chez les personnes ayant des troubles de la sensibilité, liée au risque de brûlure. 20 3.1.2. Toucher-massages Le massage est défini comme « toute manœuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l'intermédiaire d'appareils autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe de ces tissus » (25). Le fondateur de l’école du toucher-massage apporte une précision : « C’est un art défini avant tout, comme une intention bienveillante qui prend forme grâce au toucher et à l’enchainement des gestes sur tout ou partie du corps, qui permet de détendre, relaxer, remettre en forme, rassurer, communiquer ou simplement procurer du bien-être, agréable à recevoir et qui plus est à pratiquer » (26). Le toucher-massage agit sur les systèmes de contrôle de la douleur (gate control) en diminuant l’activation des récepteurs nociceptifs (27). De plus, la pression liée au massage favorise la libération d’endorphine et la sécrétion de sérotonine/ocytocine, qui ont un effet antalgique naturel (28). Les effleurages et les pressions glissées provoquent une vasodilatation et par conséquent une détente musculaire par sédation locale, qui associée aux exercices de respiration induisent un relâchement musculaire (29). La seconde action de cette méthode est psychologique. Le toucher est une façon de percevoir l’angoisse, l’appréhension, à travers la peau car le patient ne s’exprime pas toujours (27). Le patient ressent un sentiment de sécurité et de soutien (29). 3.1.3. L’ostéopathie Cette médecine manuelle repose sur l’idée que tous les systèmes du corps humain fonctionnent en synergie. Tout déséquilibre physiologique entraîne une réponse compensatrice provoquant dysfonctionnements et symptômes douloureux. L’objectif est alors de rétablir l’équilibre entre les systèmes. Pour cela l’ostéopathe agit manuellement sur les structures ou tissus en perte de mobilité (tendons, ligaments, périoste, glandes, enveloppes et cloisons internes des organes) (30). 3.1.4. Neurostimulation transcutanée Cette technique peut être utilisée pour les douleurs aiguës ou chroniques, plus ou moins étendues. Elle pallie les mécanismes inhibiteurs défaillants en produisant un courant électrique qui masque la douleur (31). 21 3.1.5. Acupuncture Il s’agit d’une technique traditionnelle chinoise basée sur la croyance d’une énergie vitale circulant dans l’organisme par des méridiens reliés aux organes et fonctions vitales. Le choix des points d’acupuncture dépend des symptômes et de la partie du corps atteinte. L’introduction des aiguilles entraîne une sédation locale par libération d’endorphines (opiacés endogènes) et activation des contrôles inhibiteurs (4). 3.2. Méthodes psychocorporelles Le soignant a comme rôle d’accompagner le patient pour développer « l’interaction corps-mental » en jouant sur la respiration, l’imaginaire et le relâchement musculaire (23). La douleur ne prend alors plus toute la place dans le corps et l’esprit du patient (4). 3.2.1. Hypnose et hypnoanalgésie L’hypnose est définie comme l’ « état d’activation cérébrale spécifique, état de conscience modifié et particulier» (31). Etymologiquement, ce terme vient du grec « hypnos » signifiant « sommeil » (4). Il s’agit d’un travail de suggestion, d’attention sélective et de profonde relaxation mentale dont l’objectif est d’atténuer la douleur (31). Pour que la séance soit efficace, le patient doit être réceptif et l’environnement calme, sécurisant. Le soignant doit parler sur un ton calme, posé, continu avec un vocabulaire imagé et affirmatif. La relation soignant/soigné doit être une relation de confiance où le soignant fait preuve d’empathie, d’écoute et de disponibilité (8)(31). Barbier explique l’importance de stimuler et recentrer l’imaginaire sur des choses positives et agréables. Le soignant doit accompagner le patient jusqu’au lâcher-prise en favorisant les zones cérébrales consacrées à l’intuition et à la création, au détriment de la rationalisation (32). Dans la prise en charge de la douleur, l’hypnoanalgésie est particulièrement indiquée. Les ressources et perceptions du patient sont mobilisées pour détourner son attention du message douloureux ou en modifier la perception (31). L’objectif est d’induire la focalisation du patient sur lui-même afin qu’il trouve seul ses ressources intérieures (33). Dans les douleurs chroniques, l’objectif est de diminuer la fréquence et l’intensité des pics paroxystiques (33). 22 L’efficacité de cette technique a été prouvée scientifiquement par l’imagerie (Pet-scan et IRM), qui confirme que les zones cérébrales fronto-cingulaires, sollicitées par les morphiniques, le sont également par l’hypnose (33). 3.2.2. Sophrologie Le mot sophrologie vient de trois mots grecs : « sos » signifiant exempt de maladie, « phren » désignant le diaphragme, l’âme affective et par extension, esprit-conscience et enfin « logos » = science, étude, discours. La sophrologie fut développée dans les années 1960 par un neurologue-psychiatre espagnol, Alfonso Caycedo (34). Le Dr Natalia Caycedo, médecin psychiatre en donne la définition suivante : « c'est un entraînement psychophysique de la conscience, basé sur la perception positive de notre monde intérieur ainsi que sur notre relation positive avec le monde extérieur ». Son fondateur s'est d'ailleurs beaucoup inspiré de ses voyages en Orient, où il découvrit le yoga, le bouddhisme. Différentes études ont mis en avant trois effets de la sophrologie sur le corps et l’esprit. Tout d’abord des effets physiologiques avec un relâchement musculaire, une diminution du tonus corporel et tendineux, provoqués par des exercices de respiration et de visualisation. Puis, des exercices de concentration induisent des effets neurophysiologiques avec une modification du niveau de conscience. Des effets psychologiques sont également présents et se traduisent par une régression somatique, temporelle et une hyperconscience de Soi (35). 3.2.3. Relaxation Il n’existe pas de définition normalisée de la relaxation. Geissmann et Durand De Boussingen la décrivent comme « une tentative de se libérer physiquement, moralement, intellectuellement et affectivement d’une contrainte » (24). Les différentes définitions supposent toutes l’atténuation d’agents stressants par l’accession à un état de bienêtre. Il existe trois classifications : méthodes actives, passives et méditatives (24). Le chef de file des méthodes actives est Jacobson. Cette méthode s’appuie sur l’existence d’un lien très étroit entre la tension musculaire et l’état psychoaffectif. Elle exploite une alternance de contractions et de relâchements de certains groupes musculaires pour parvenir à l’état de détente et de relaxation musculaire souhaité. Les méthodes passives, généralement dérivées du training autogène de Schultz, consistent en la recherche de sensations corporelles (chaleur et lourdeur). En ce qui concerne les méthodes méditatives, la concentration est basée sur un mot, un son, une image, une visualisation. Elles visent à 23 atténuer les contraintes de la réalité en faisant appel aux ressources de l’imaginaire et du rêve éveillé (24). Nous constatons qu’il existe un large panel de TNM qui agissent aussi bien sur la douleur physique, le bien-être psychique et la qualité de vie (8). Ces techniques peuvent être mises en pratique sur rôle propre, à condition d’être formé. La relation soignant/soigné doit être une relation de confiance et de réassurance pour le patient. Malgré la liberté de mise en pratique, les TNM restent mal connues, peu enseignées et sous-utilisées (23). Par exemple, au CHU de Strasbourg l’hypnose à été instaurée en chirurgie pédiatrique mais elle est loin d’être acceptée et reconnue par les professionnels (36). 4. REALITE DE TERRAIN Nous avons réalisé des entretiens auprès d’IDE et d’AS exerçant en milieu hospitalier et privé afin de confronter les prises en charge des douleurs cancéreuses. Nous espérions ainsi identifier des disparités d’exercices et les expliquer. 4.1. Les douleurs et leur prise en charge Au sein des services interviewés les douleurs résultent des mobilisations, des soins, de la localisation et de l’évolution de la tumeur, des effets indésirables des traitements (chimiothérapie, radiothérapie), des examens, des chirurgies. Au sein de la structure privée, les douleurs résultent des métastases qui entraînent des compressions médullaires. Les métastases osseuses rendent les patients hyperalgiques. Quelques douleurs neuropathiques sont présentes dans les quatre services hospitaliers mais en faible proportion. En ce qui concerne l’évaluation, les échelles d’autoévaluation unidimensionnelles sont l’outil privilégié par les cinq services. Les soignants utilisent préférentiellement : EVA, EN, TILT et EVS aux soins palliatifs. Au sein de la MDV l’évaluation est spécifique et adaptée à chaque patient. L’observation et l’écoute quotidiennes par les soignants est l’outil le mieux adapté. Les échelles multidimensionnelles, telles que l’échelle d’Edmonton et le questionnaire d’évaluation global (annexe 4), sont utilisées dans les services spécifiques (SP, CETD, Maison de vie). Ces services ont également recourt aux échelles d’hétéroévaluation, avec l’échelle Algoplus, Doloplus. Les soins palliatifs utilisent également l’échelle ECPA. En oncologie, l’hétéro-évaluation est rarement utilisée, malgré la recommandation de l’EMSP à l’utilisation du questionnaire de Saint Antoine et de l’échelle Algoplus. 24 Dans les cinq services la prise en charge de la douleur reste principalement médicamenteuse. Le palier trois est le plus utilisé par les cinq services. Lorsqu’il s’avère inefficace, les médecins procèdent à une augmentation des doses, à un changement de molécule, à une association LP/LI ou antalgiques/anxiolytiques. Dans les situations de non soulagement malgré les traitements, les services demandent conseil à l’EMSP ou à celle du CETD. Des spécificités de prise en charge existent aux CETD avec l’utilisation de perfusion de Kétamine, ainsi que des patchs de Qutenza. Nous remarquons un dysfonctionnement en oncologie vis-à-vis des recommandations de l’OMS. En effet, le recours direct à l’administration en intraveineux de paliers trois (PCA de morphiniques), sans titration préalable, est courant. 4.2. Les techniques non médicamenteuses utilisées en service A travers les cinq services interviewés nous remarquons que les TNM sont utilisées quotidiennement dans trois services (SP, CETD, oncologie). Les soignants de ces services utilisent la relation d’aide, la sophrologie, l’hypnose et les touchers-massages. Des techniques supplémentaires, telles que la thermothérapie, les changements de position, la musicothérapie sont utilisées aux soins palliatifs. Les soignants du CETD ont un rôle formateur qui permet aux patients de pratiquer l’autohypnose et l’autorelaxation. De plus, les patients sortant sont systématiquement informés sur d’autres méthodes, telles que l’ostéopathie, le yoga, le chikung, le shiatsu, la kinésithérapie qu’ils peuvent pratiquer dès leur retour à domicile en accord avec le médecin. Du fait de l’utilisation quotidienne de différentes TNM, le CETD et les soins palliatifs sont des sources de soutien pour les autres services. Leurs équipes mobiles interviennent régulièrement pour des conseils ou des mises en pratique de séances, en fonction des demandes des professionnels. En effet, nous remarquons que certains services ont peu recours aux TNM. Par exemple, en pneumologie les soignants pratiquent uniquement les changements de position et les matelas à air. Nous remarquons que dans le domaine privé, les TNM sont également utilisées (relation d’aide, sophrologie, toucher-massage, kinésithérapie). Cependant, ce sont des professionnels extérieurs salariés par la structure qui les pratiquent. Les IDE et AS ont recours uniquement à la relation d’aide. Pour conclure, ni l’année d’obtention du DE ni l’ancienneté n’influencent l’utilisation des techniques non médicamenteuses. En revanche, comme le souligne l’IDE n°4, le type de service dans lequel les soignants travaillent, favorise ou non la mise en place de ces techniques. Cette IDE dit « ma vision a changé sur la prise en charge de la douleur depuis que j’ai travaillé aux soins palliatifs, puis au centre d’évaluation et de traitement de la douleur. Dans ces services spécifiques le patient est pris en charge dans sa globalité ce qui 25 favorise une meilleure évaluation de la douleur ». Nous remarquons que le CETD et les soins palliatifs sont les services où les TNM sont le plus utilisées et diversifiées, aussi bien par les IDE que les médecins. Chaque soignant interviewé en reconnaît l’efficacité, plus ou moins durable pour le patient. De même, tous s’accordent à dire que ces techniques doivent être proposées en complément de traitements médicamenteux. 4.3. Les formations aux TNM Le CHRU propose des formations internes concernant la douleur. Quatre infirmières ont suivi celle relative à la prise en charge de la douleur. Cette formation est dispensée sur quatre jours et aborde la définition, la physiologie, la prise en charge médicamenteuses et un atelier sur la prise en charge non médicale pendant les soins (un atelier d’1/2 journée). La seconde formation interne proposée traite de l’hypnoanalgésie. Elle se déroule également sur quatre jours, dont deux jours de théorie et deux jours de mise en pratique. Deux des IDE interviewées, IDE n°3 et n°4 (oncologie et CETD) l’ont suivie et souhaitent renforcer leurs connaissances et leur pratique au travers d’une formation extérieure au CHRU à leurs frais. L’IDE n°4 semble fortement investie dans l’utilisation des TNM, elle a suivi de sa propre initiative et à ses frais une formation sur la relaxation à Lyon. Cette formation, reconnue par le CHRU et les professionnels du service, lui permet de pratiquer la relaxation sans contraintes. Une de ses collègues a suivi une formation sur la neurostimulation médullaire. De même, un médecin et une psychologue de ce service (CETD) ont suivi une formation sur l’hypnose et la mettent en pratique. Une AS d’oncologie, du fait de ses convictions personnelles, a suivi une formation sur le reiki. Elle le pratique en service avec l’accord de sa cadre. Elle utilise également quotidiennement les touchers-massages qui sont appréciés par les patients. L’IDE n°2, diplômée sous le nouveau référentiel infirmier (2009), a été initiée aux touchers-massages durant le semestre un. La seule structure privée que nous avons interviewée fait appel à des professionnels diplômés aux TNM (sophrologie, massages). Ces derniers, salariés de la structure, interviennent une fois par semaine. Les autres membres de l’équipe (IDE, AS, AMP) ne sont pas encore formés à ces techniques, mais certains émettent le souhait de suivre les formations proposées par le CHRU (accompagnement en fin de vie, prise en charge de la douleur, hypnoanalgésie). Ils utilisent quotidiennement la relation d’aide et l’écoute active. En analysant les données obtenues lors des entretiens nous constatons que dans les cinq services interviewés, quatre IDE, une AS, une psychologue et un médecin ont suivi des formations sur les TNM. Lorsque les formations traitent de sujets spécifiques, les 26 professionnels s’orientent vers des organismes extérieurs. Cela montre une méconnaissance du diplôme personnalisé continu. En effet, les accès aux formations internes au CHRU restent influencés par les besoins des services et limités pour des raisons budgétaires. Au sein de la structure privée, les TNM sont utilisées régulièrement. Cependant, elles sont pratiquées par des professionnels extérieurs formés. Le service des soins palliatifs a développé depuis de nombreuses années les TNM, qui sont mises en pratique plus particulièrement par les IDE et AS qui ne sont pas forcément formés mais initiés par leurs collègues. 4.4. Des limites dans l’utilisation des TNM Le principal frein concerne un manque de personnel associé à un manque de temps pour l’évaluation de la douleur et la mise en pratique des TNM, comme l’ont mis en avant quatre services (SP, CETD, oncologie et pneumologie). Par exemple, dans le service de pneumologie, l’IDE dédiée initialement à la prise en charge des patients en situation palliative n’a en réalité qu’un rôle administratif. Le second frein identifié, relatif au manque de formation et d’information, est repris par quatre services (MDV, SP, CETD et pneumologie). Ainsi, chaque soignant interviewé explique que selon eux les TNM sont peu utilisées car il n’y a, à ce jour, que peu/pas de preuves scientifiques relatives à leur efficacité. La méconnaissance des techniques et le manque d’habitude de la pratique freinent l’adhésion de certains médecins, qui ne désirent pas être formés aux TNM. Par exemple, en pneumologie certains soignants pensent que les TNM ne sont pas adaptées pour soulager les douleurs cancéreuses. De ce fait, les soignants du milieu hospitalier restent axés sur les thérapeutiques médicamenteuses. Les TNM ne sont alors qu’un support complémentaire dans la prise en charge de la douleur. De plus, comme l’explique l’IDE n°3, les médecins du service restent dans une optique curative. Le troisième frein identifié concerne le patient. Selon les IDE n°1, 2 et 5 l’adhésion et la réceptivité du patient sont indispensables à la réussite des TNM. Certains patients sont même demandeurs car ils s’informent par eux-mêmes, selon les IDE n°2 et 5. Ces IDE remarquent que l’âge du patient influence sur leur volonté de recourir aux TNM. L’IDE n°2 met en avant les difficultés pour les patients les plus âgés à se relaxer du fait de leur habitude de vie passée. Le quatrième facteur est relatif à la relation soignant/soigné. Ainsi, les IDE n°1 et 5 font état d’un manque de prise en charge globale du patient par certains services, dont les soignants remettraient en cause la douleur exprimée par les patients. Les IDE n°2 et 3 27 démontrent une relation asymétrique entre les médecins et leurs patients, « les médecins ont la connaissance, donc les patients leur font confiance, les écoutent et n’expriment pas leur douleur devant eux ». Le cinquième frein est mis en avant par les IDE n°2 et 3, qui déplorent un manque de communication au sein de l’équipe. L’IDE et l’AS n°3 disent ne pas être assez écoutées par les médecins, alors qu’elles sont quotidiennement au contact des patients et de leur douleur. Elles font également part du problème de l’environnement (chambre double) qui ne permet pas la mise en place de certaines TNM (hypnose, sophrologie). Pour conclure, nous constatons que la mise en place des différentes TNM rencontre des freins, aussi bien dans les mentalités que dans l’organisation institutionnelle. 28 CONCLUSION 29 La douleur est une sensation qui naît d’une atteinte corporelle mais dont les composantes affectives et émotionnelles entrent en jeu pour aboutir à une sensation. Il existe des régulateurs naturels au niveau médullaire et cérébral. Cependant, il arrive que ces systèmes dysfonctionnent et que le stimulus nociceptif parvienne jusqu’au cortex cérébral. Dès lors, des moyens doivent être mis en place pour inhiber ce message nociceptif. L’évaluation de la douleur doit être précise afin d’adapter au mieux le traitement antalgique. Pour cela des échelles d’évaluation sont préconisées par l’OMS. Les échelles multidimensionnelles sont les plus adaptées car elles considèrent le retentissement de la douleur dans la vie quotidienne du patient. D’après les interviews réalisées auprès d’IDE et d’AS exerçant en service hospitaliers et privés, nous remarquons que cette évaluation pose des problèmes et reste la plupart du temps trop superficielle, ce qui impacte sur l’utilisation à bon escient des antalgiques. D’ailleurs, les patients atteints de cancer avouent parfois restés algiques malgré les nombreux traitements antalgiques et co-antalgiques existants. Pour pallier ces déficiences de prise en charge de la douleur cancéreuse, des préconisations gouvernementales sont instaurées dès les années 1990. Le recours aux soins de support, dont les TNM, est plus spécifiquement mis en avant depuis le premier plan cancer (2003-2007) et le plan de lutte contre la douleur de 2006-2010. Dès lors, les TNM sont reconnues comme aidant à soulager les douleurs, notamment en agissant sur l’affect des patients. Le troisième plan de lutte contre la douleur présente ces TNM et explique que tout professionnel formé doit les mettre en application. Cependant, malgré ces textes, le recours aux TNM reste peu ancré dans les différents services de soins conventionnels. Cette situation peut s’expliquer par le fait que certains soignants sont plus sensibilisés à la douleur et aux TNM car ils se retrouvent régulièrement confrontés aux impasses thérapeutiques. De plus, nombre de professionnels expliquent que le temps manque en service pour évaluer la douleur, alors la mise en place de méthodes non pharmacologiques chronophages restent inenvisageables. D’autres améliorations sont à apporter pour faire évoluer les mentalités, les habitudes et les organisations de travail. Espérons que la preuve scientifique de l’efficacité de l’hypnose permettra à cette méthode de se développer au sein de centre hospitalier et de faire évoluer la considération des TNM, afin d’adopter progressivement une nouvelle philosophie de soins (37) en prenant en compte le patient dans sa globalité (38). 30 PROBLEMATIQUE 31 Tout au long de notre formation, nous nous sommes tous les quatre sentis démunis face à des patients algiques. Certains ont constaté le bénéfice des TNM sur les douleurs, alors que d’autres ne les ont jamais vu appliquées. Pourquoi tous les services ne les utilisent pas, alors que depuis 12 ans le recours aux soins de support est préconisé par des textes nationaux ? Ainsi, le premier plan cancer (2003-2007) aborde pour la première fois les soins de supports dans la prise de la douleur. De même, la formation aux techniques alternatives est recommandée par ces mêmes textes. Les établissements de santé sont concernés, à la fois par la formation et l’utilisation des TNM, du fait de la certification de l’HAS. Malgré cela, nous remarquons que sur le terrain, les TNM sont peu utilisées et peu de formations spécifiques sont proposées. Nous nous interrogeons sur les causes de cette faible utilisation des TNM : les soignants sont-ils informés ? En effet, il est prouvé scientifiquement que les méthodes non médicamenteuses physiques agissent sur les fibres nerveuses (gate control) pour détourner le message nociceptif. De plus, elles permettent la libération de substances inhibitrices endogènes (endorphines, sérotonine). Les méthodes psychocorporelles ont quant à elles une action sur les composantes affectives, émotionnelles et sensorielles de la douleur. Ces mécanismes d’actions sont souvent méconnus par les soignants qui n’apprécient pas assez les patients dans leur globalité. En effet, ils considèrent la plupart du temps, uniquement la composante physique de la douleur. Ainsi, l’évaluation de la douleur reste problématique car malgré les nombreux outils préconisés par l’OMS, seules les échelles numériques unidimensionnelles sont utilisées sur le terrain. Pourquoi des échelles plus adaptées à l’évaluation globale de la douleur ne sont-elles pas généralisées ? Pourtant, le rôle propre infirmier est d’évaluer et de prendre en charge la douleur. D’ailleurs, une infirmière référente douleur doit être présente dans chaque service hospitalier. Son rôle est d’assurer la mise en place d’outils d’évaluation et de prise en charge, médicamenteuses et non médicamenteuses, adaptés. Elle doit également former les professionnels paramédicaux. De quelle façon, une IDE référente douleur n’ayant que peu de connaissances sur l’existence des TNM peut-elle former d’autres soignants à la prise en charge non médicamenteuses de la douleur ? Cette lacune pourrait être améliorée par la mise en place de formations spécifiques, qui permettraient aux IDE d’utiliser les TNM sur leur rôle propre. De ces constats découle notre problématique : Pourquoi les IDE en service hospitaliers n’utilisent que rarement les TNM sur leur rôle propre, malgré les recommandations nationales et l’explication de leurs mécanismes d’action pour soulager les douleurs cancéreuses ? 32 BIBLIOGRAPHIE 33 1 : Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Plan cancer 20142019. www.sante.gouv.fr/cancer.html. (Consulté le 8 janvier 2015). 2 : MEYNADIER Jacques. Les principaux syndromes douloureux chez le cancéreux. In Douleur et…cancer. Ed : Phase 5, 2002. pp 13-14 3 : Institut national du cancer. Synthèse de l’enquête nationale 2010 sur la prise en charge de la douleur chez des patients adultes atteints de cancer. 14 mars 2012. http://www.ecancer.fr/rss-soins/6951. 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Action 7.3 : Permettre à chacun de disposer de programmes personnalisés de soins et de l’après-cancer prenant en compte l'ensemble de 34 ses besoins et Action 7.13 : Rendre accessible aux malades et aux proches une information adaptée. 16 : Troisième plan douleur 2006-2010. Priorité 3, objectif 8, mesure 20. Consulté le 21 février 2015. 17 : HAS. Manuel de certification, critère 12a. www.has- sante.fr/portail/upload/docs/.../manuel_v2010_janvier2014.pdf. (Consulté le 21 février 2015). 18 : Décret de compétences infirmières. www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/arrete_du_31_juillet_2009.pdf. (Consulté le 28 février 2015). 19 : SERRIE Alain. L’infirmier acteur de la lutte anti-douleur. In Revue de l’infirmière, n°132, juillet-août 2007. p14 20 : Deuxième plan douleur 2002-2005. www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/programme_lutte_douleur_2002-05.pdf. (Consulté le 28 février 2015). 21 : Article 59 de la loi HPST du 21 juillet 2009 relatif au DPC. http://www.hassante.fr/portail/jcms/c_758816/fr/loi-relative-au-dispositif-de-dpc. (Consulté le 31 mars 2015). 22 : VIALE Jean-Paul (coord) Approche non médicamenteuse de la douleur. In Oxymag n°98, janvier-février 2008. pp 9-11 23 : THIBAULT P, FOURNIVAL N. Dossier : douleurs et moyens non pharmacologiques. In : L’infirmière magazine. N°318, mars 2013. pp 33-43 24 : MARCHAND Serge. Le phénomène de la douleur : comprendre pour soigner. Ed : Masson. Pp226-228. 25 : Article du 3 du Journal Officiel. Octobre 1996. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000195448&fastPos=1 &fastReqId=221262053&categorieLien=id&oldAction=rechTexte. (Consulté le 28 mars 2015). 26 : SAVATOFSKI Joël. Le toucher-massage. In : Soigner et accompagner. Ed : Lamarre. pp21-27. 27 : BONNETON-TABARIES F, LAMBERT-LIBERT A. Le toucher dans la relation soignantsoigné. 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According to an investigation, nowadays, 5,6% of the patient are relieved by medicines. During our internship, we saw nurses who used alternative medicines that reduce pain. The aim of our work is to detect obstacles to the generalization of alternative medicines. In order to investigate the question, we interviewed nurses who take care of patients with cancer pain. Moreover, we confronted our researches to the reality. The result showed that the alternative medicines act on the emotional and cognitive components of pain. Same official texts advocate the use of relaxation and distraction. Unfortunately, nurses haven't got time to practice them. Other obstacles are the lack of information and knowledge. Key words : pain, cancer, alternative medicines, own role La douleur cancéreuse et les médecines alternatives En France, de 1980 à 2012, la proportion de cancer a augmentée de 355 000 nouveaux cas. Le cancer cause souvent des douleurs chroniques. Selon une enquête, de nos jours, 5,6% des patients sont soulagés par les traitements médicamenteux. Durant nos stages, nous avons côtoyé des infirmières utilisant les médecines alternatives pour soulager la douleur. Le but de notre travail est de détecter les freins à la généralisation de ces médecines alternatives. Pour répondre à la question, nous avons interviewé des infirmières qui s'occupent de patient atteints de douleurs cancéreuses. De plus, nous avons confronté nos recherches à la réalité. Le résultat a montré que les médecines alternatives agissent sur les composantes émotionnelles et cognitives de la douleur. Plusieurs textes officiels préconisent l'utilisation de la relaxation et de la distraction. Malheureusement, les infirmières n'ont pas le temps de les utiliser. Les autres obstacles sont le manque d'informations et la méconnaissance. Mots clef : douleur, cancer, techniques non médicamenteuses, rôle propre