INVENTION ASSOCIATIVE Entièrement rénové, le Centre d’hébergement d’urgence Louvel-Tessier à Paris propose à ses résidents de nombreuses activités culturelles et la possibilité d’être considérés comme des citoyens ordinaires. L traverse, elle est totalement tournée vers l’environnement qui l’entoure. Située dans le 10e arrondissement de Paris, rénovée grâce au soutien de la Ville de Paris et de l’association Emmaüs Solidarité, la structure à littéralement changé de visage en quelques mois. Lumineuse, ouverte sur le ciel grâce au gigantesque puits de lumière qui la « Auparavant notre centre n’avait pas bonne réputation. L’espace était cloisonné et il faisait très sombre. Les personnes ne se bousculaient pas vraiment pour venir », explique Pascale Astier directrice de Louvel-Tessier. Organisé sur cinq étages, le centre héberge aujourd’hui 52 résidents : 34 hommes et 18 femmes. Au quatrième, les personnes accueillies peuvent bénéficier de chambres spacieuses et lumineuses avec un balcon leur permettant de partager des moments de convivialité. Au cinquième, elles ont la possibilité de loger avec leurs animaux de compagnie en toute quiétude, ce qui n’est pas l’apanage de toutes les structures accueillant des sans-abris. undi 15 h. Sur la scène de l’auditorium du Centre Louvel-Tessier, l’imagination prend le pouvoir. La troupe du Théâtre du bout du monde accompagnée par plusieurs résidents de la structure d’hébergement d’urgence, tire le fil d’une légende africaine. Les barrières tombent et tous ces acteurs novices oublient pour quelques heures la difficulté de leur quotidien. Il y a de la joie dans l’air, de l’inspiration, le bonheur d’être ensemble et de partager cette expérience artistique. 14 UNION SOCIALE - Novembre 2011 - N°251 Mais la véritable originalité de LouvelTessier se situe au rez-de-chaussée. Tout proche de l’entrée trône un auditorium de 50 places avec une scène et une régie. Cette salle flambante neuve devrait accueillir dans les prochaines semaines divers évènements comme des projections. Ainsi tous les mois, l’association Belleville-en-Vue animera un ciné-club et présentera des films sur le thème des cinémas du monde, suivi de débats. La scène abritera également des pièces de théâtre. C’est là que se déroulent les interventions de la compagnie du Théâtre du bout du monde. Le Centre Louvel-Tessier permet aussi la tenue chaque jeudi d’un groupe de paroles aux accents philosophiques proposé par l’association Planète émer- © F. Stijepovic L’art contre la rue Plastiline Un peu plus loin, une vaste pièce va bientôt abriter des ateliers d’art plastique. L’artiste Agnès Caffier devrait inaugurer cette salle. Elle tentera de faire partager sa passion pour la Plastiline qu’elle manipule depuis plusieurs années. Cette matière ressemble à la pâte à modeler et permet de mêler le cinéma d’animation et le théâtre d’ombre pour exprimer ses sensations et son univers. Autre lieu symbolique de l’élan artistique que veut se donner le Centre LouvelTessier : le cyberespace situé au même niveau. Composé de quinze ordinateurs, il sera un lieu de formation de français langue étrangère particulièrement axé sur la question du logement. Il devra également servir à l’élaboration d’un journal rédigé et fabriqué par les résidents. Une manière d’inscrire la culture dans la durée. Ces derniers ne resteront pas seuls face à l’option culturelle. « Nous irons les chercher pour les mettre dans une dynamique de découverte. Nous n’aurons aucun mal à le faire. Beaucoup d’entre eux sont en demande de reconnaissance sociale et tous ces projets vont leur donner l’occasion d’exister », explique Pascale Astier. Liberté Un animateur socio-culturel a été spécialement recruté pour accompagner les résidents dans leur démarche artistique. Il devrait leur permettre de mieux exprimer leurs envies mais également de partager certaines sorties au théâtre ou dans des musées. Plus généralement, la culture sera complètement intégrée à l’accompagnement classique. « J’ai sensibilisé mon personnel de manière à ce que nous puissions agir de façon coordonnée. Nous aborderons aussi ces questions avec les résidents lors des conseils de vie sociale que nous animons tous les mois », annonce Pascale Astier. Selon la directrice du centre, cette démarche doit permettre aux personnes accueillies de retrouver des repères et de l’envie : « nous accueillons des femmes et des hommes qui ont connu la rue durant plus de quinze ans et qui ont tout perdu. Ils n’ont plus de projets. Leur vie n’a plus de sens. L’art doit redonner à leur existence un peu de perspective ». Une vision que partage Hélène Thouluc, chargée de mission culture à Emmaüs Solidarité. « Nous avons souhaité un espace de liberté qui leur soit quotidiennement accessible. Avec la culture on se redécouvre, on découvre les autres. On crée du lien et on reprend confiance. Sans s’en apercevoir, on pose les fondements de la réinsertion sociale. » Le Centre Louvel-Tessier a vocation à être investi par les habitants du quartier. Ils pourront profiter du lieu et tisser des liens avec les personnes hébergées, mettant fin à de nombreux préjugés. Dès le mois de novembre, par exemple, le centre sera l’un des 70 espaces d’exposition participant aux Rencontres photographiques du 10e arrondissement de Paris avec ses accrochages, ses rencontres et ses débats. L’auditorium devrait aussi accueillir dans les prochaines semaines des conseils de quartier et des conseils de jeunes. « Cet endroit donne une chance aux résidents d’être vus et identifiés dans le quartier comme des citoyens, pas uniquement comme des personnes hébergées », conclut Hélène Thouluc. n Antoine Janbon © F. Stijepovic gence et sobrement nommé « Le petit café ». Durant un moment, les résidents envisagent la vie sous un autre angle et réfléchissent ensemble à des sujets aussi originaux que le « confort ». Jean, révélé par la scène Dans la vie, Jean, 43 ans, est un homme timide, le regard fuyant et les paroles rares. Sur la scène en revanche, il devient un véritable lion, éclatant de talent, se révélant aux autres autant qu’à lui-même. Hébergé au Centre Louvel-Tessier, après avoir connu la rue, cela fait un plus de deux ans qu’il a découvert le théâtre. « La première fois, je suis allé à un atelier un peu par curiosité, sans a priori, juste pour voir. Je restais au fond de la pièce pour que personne ne me voie. Ma timidité m’empêchait de me rapprocher. » Pourtant au fil des séances, Jean prend de la confiance, encouragé par la troupe qui organise les ateliers. « Au début, je devais dire deux mots, puis deux phrases. Je me suis aperçu que sur la scène, j’étais vu différemment, que je pouvais faire rire et m’amuser avec le public. On peut dire que cela m’a fait du bien. » Bien sûr, le théâtre n’a pas changé sa vie mais aujourd’hui, Jean n’envisage pas de se passer de ce rendez-vous du lundi. « Cela me permet d’oublier le quotidien, le chômage, le manque de perspectives. Sur les planches, je suis quelqu’un d’autre mais en y réfléchissant bien, c’est peut-être là que je deviens vraiment moi-même… » AJ UNION SOCIALE - Novembre 2011 - N°251 15