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La diploma*e Trump en Asie peut-elle ouvrir des opportunités à la France?
« Pourquoi Trump réussit », Global People, BBC.com
Engagée en 2012 par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, la stratégie du « pivot asia<que »
est un tournant majeur dans la diploma<e américaine. L’objec<f de ceEe poli<que est alors de se
désengager du Proche et Moyen-Orient au profit de l’Asie, un con<nent d’avenir, à des fins tant
économiques que militaires. Ce rééquilibrage (« rebalancing ») vise aussi à s’imposer face à une
Chine qui semble développer des préten<ons hégémoniques dans la région. Le pays cons<tue en
effet une menace stratégique directe pour les alliés régionaux des Etats-Unis, mais aussi un rival
économique pour l’hyperpuissance américaine. Les récentes déclara<ons et aStudes
diploma<ques de Donald Trump au sujet de la Chine, qui tendent à remeEre en cause le principe
de la Chine unique (consensus de 1992), ainsi que la poli<que isola<onniste du nouveau président
laissent néanmoins penser que les Etats-Unis pourraient délaisser la région. Parallèlement, la
France a elle aussi engagé un pivot asia<que, « non par effet de mode mais parce que la France
veut être présente là où se construit le monde de demain » (1), selon les propos de Laurent Fabius
en 2013, alors ministre des affaires étrangères.
La conjoncture américaine laisserait-elle de la place à une France qui veut s’imposer davantage sur
le con<nent asia<que ?
1. Ce qu’il faut retenir du pivot Obama et ce qu’on peut prédire avec Trump
Le bilan
Bien que le pivot ait conduit à plusieurs avancées diploma<ques entre les Etats-Unis et
l’Asie (visite d’Obama à Hiroshima par exemple), le bilan du pivot asia<que est globalement néga<f.
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D’abord les Etats-Unis se sont manifestement heurtés à une « renaissance de l’impérialisme
chinois », selon l’expression du chercheur Philippe Le Corre (2). Même si l’un des objec<fs ini<aux
était bien celui de s’imposer face à Pékin, Obama n’avait pas prévu une telle remontée en
puissance chinoise en seulement trois ans, date d’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping.
La Chine a d’abord inves< la région économiquement en remeEant en cause le consensus
de Washington (qui oriente la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Interna<onal, ins<tuant
ainsi de facto un système économique mondial « à l’occidentale »). Pékin a rassemblé 57 Etats
depuis 2014 pour monter la Banque Asia<que d’Inves<ssement pour les Infrastructures (BAII), et
établit ainsi ce qu’on appelle désormais le « consensus de Pékin ». La République Populaire de
Chine (RPC) a aussi mis en place en 2013 la « Nouvelle route de la soie », un i<néraire économique
et énergé<que qui relie l’extrême orient à l’Europe, source de partenariats économiques et
stratégiques.
Sur ce dernier plan également, la Chine s’impose de plus en plus et inquiète ses voisins. Ses
parades militaires, la hausse de son budget militaire et surtout ses provoca<ons en mer de Chine
du Sud montrent clairement les préten<ons chinoises en la ma<ère, la Chine osant de plus en plus
s’affirmer face à l’arsenal américain (en 2020, 60% des moyens navals et aériens américains seront
posi<onnés dans le Pacifique). Obama avait déclaré : « Si nous ne fixons pas les règles, la Chine les
fixera » (3).
Or, paradoxalement, la présence américaine - diploma<que et militaire - n’a pas été aussi
importante que souhaitée sous le mandat Obama. Ce dernier a été obligé de se
« détourner » (expression de Kurt Campbell, penseur du pivot) de son objec<f principal au profit
d’autres crises (Syrie, Irak) ou d’autres acteurs émergents (Russie au Moyen-Orient et en Europe).
Les prévisions Trump
Que la présidente taiwanaise Tsai Ying-wen appelle le nouveau président américain pour le
féliciter n’est pas surprenant, car même si Washington reconnaît la RPC comme Chine unique, il
reste lié à Taipei par un traité de défense mutuelle. Le fait que Donald Trump se soit réjoui de cet
entre<en téléphonique sur TwiEer remet en cause 45 ans de diploma<e (4). Ceci soulève de
nombreuses ques<ons sur l’avenir de la rela<on de ce duopole et par conséquent sur l’avenir du
monde. Si Trump se détourne de la poli<que chinoise, alors Pékin pourra plus facilement imposer
ses volontés à ses voisins régionaux.
Car de surcroît, Trump a déclaré, lorsqu’il était candidat, qu’il re<rerait les troupes
américaines présentes en Corée du Sud (25 000 soldats) et au Japon (environ 40 000), si ces
derniers n’acceptaient pas de financer intégralement leurs frais, interrogeant par là même la
per<nence des alliances régionales. Il est allé jusqu’à indiquer qu’il pourrait encourager ces pays à
développer leur indépendance nucléaire, rompant alors les traités de défense mutuelle.
Enfin, Donald Trump, pour revenir à une économie plus na<onale, a décidé de rompre les
négocia<ons autour du Traité (de libre échange) Trans-Pacifique, amorcé par Obama avec douze
pays d’Asie, hors Chine. L’économie asia<que étant promise à une forte croissance, ce partenariat
cons<tuait l’un des piliers du pivot. En annulant ce traité, responsable de la désindustrialisa<on du
pays et des malheurs de la classe moyenne selon Trump, Washington s’affaiblit et laisse
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l’opportunité à Pékin d’envahir économiquement la région à sa guise. Comme l’écrit le journal Le
Monde, « la crédibilité de Washington en sort amoindrie » (5). Plus polémique, mais moins
probable, Trump voudrait se lancer dans une guerre économique et financière avec la Chine en
menaçant de taxer leurs importa<ons à 45% et de les punir pour leurs manipula<ons monétaires.
Il faut toutefois nuancer ces propos en ajoutant que Donald Trump a choisi de nommer
Terry Brandstad au poste d’ambassadeur en Chine, un contact personnellement apprécié de
l’actuel président chinois.
Alors qu’Obama meEait en place une poli<que pérenne de la main tendue vers l’Asie et plus
par<culièrement en direc<on de la Chine, ceEe dernière se montrait de plus en plus belliqueuse. Si
Trump rompt la dynamique de son prédécesseur, la Chine n’aura alors peut-être plus de limite
externe à s’étendre en Asie, au grand dam de ses voisins. Une autre puissance peut-elle reprendre
la main ? Un chercheur vietnamien es<me sur le site Asialyst que la France est le meilleur pari à
prendre à cet égard (6).
2. Quel rôle la France peut-elle jouer?
Notre marge de manoeuvre
Considérant la poli<que isola<onniste de Trump avec, dans « le rôle du très méchant, la
Chine (et) l’endroit à fuir, le Moyen Orient » (7), l’on peut concevoir que l’Asie ne sera pas un
terrain de prédilec<on pour le nouveau président américain. Qu’y a-t-il dans ceEe zone qui puisse
intéresser la France ? D’abord une économie florissante ; alors que nous peinons à nous y inves<r
pleinement. Par exemple, notre déficit commercial avec la Chine s’élève à 25 milliards d’euros.
CeEe situa<on nous place aujourd'hui en posi<on de faiblesse pour d’éventuelles négocia<ons,
tant économiques que poli<ques, contrairement à l’Allemagne, dont les inves<ssements en Asie
sont considérablement plus importants, ce qui lui confère une place privilégiée à tous égards.
Il y a aussi des sujets militaires, en Asie, dont la France pourrait s’emparer, au détriment des
Etats-Unis. Contrairement au pivot américain, la France n’a pour l’heure pas opéré de
redéploiement militaire dans la région, restant largement dans son pré carré africain. C’est peutêtre là un point de réflexion majeur vis à vis du poids croissant de la Chine et de son armée dans le
monde, en mer de Chine du Sud en l’espèce. Mais pour qu’ait lieu un véritable pivot, au sens
américain, il faudrait plus que de simples documents du ministère de la Défense : un véritable
pivot nécessiterait davantage de crédits. Le Livre Blanc de 2008 considérait l’Asie comme nouveau
« centre de gravité stratégique » : « En Asie, des risques de conflits non résolus, liés à l’Histoire,
sont suscep<bles de porter aEeinte à grande échelle, s’ils ne sont pas prévenus, à la sécurité
interna<onale : ainsi la ques<on coréenne, celles de Taiwan et du Cachemire. Avec au moins trois
puissances nucléaires déclarées, la Chine, l’Inde et le Pakistan, et la présence de deux autres
puissances majeures en Extrême-Orient, la Russie et les Eytats-Unis, ces risques sont
préoccupants. » (8).
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Avons-nous les moyens d’opérer ce changement stratégique ? Il est vrai que si ce pivot
devait prendre place, notre intérêt pour la région serait très tardif. D’abord parce que nous
arriverions après nos alliés américains et européens, mais aussi par rapport à notre histoire
poli<que propre. Si le Général De Gaulle est précurseur lorsqu’il reconnaît la République Populaire
de Chine en 1964, il ne s’intéresse qu’aux grandes puissances qui cons<tuent ceEe région, tout
comme ses successeurs. Une inflexion peut être trouvée dans les années 1990 lorsque Edouard
Balladur voulait faire de l’Asie la « nouvelle fron<ère de la diploma<e française » (9). Nicolas
Sarkozy a aussi impulsé une dynamique plus sécuritaire, à travers la publica<on du Livre Blanc,
mais son « style » ne s’accordait pas avec les us et coutumes asia<ques (moquerie du sport
na<onal nippon, erreur diploma<que lors de la rencontre avec le Dalaï-lama…). A contrario,
pendant que François Hollande accepte de revê<r les habits tradi<onnels lors de ses déplacement,
le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a pour sa part tenté de globaliser notre approche
asia<que en mul<pliant les partenariats - 33 visites entre 2012 et 2013, contre seulement 13 entre
2010 et 2012. CeEe poli<que rééquilibre donc notre pivot qui pouvait s’apparenter jusqu’alors à un
pivot sino-centré. Mais militairement parlant, l’Asie ne figurera sûrement pas au rang des
premières priorités françaises dans les prochaines années, si l’on en croit le chef d’état-major,
Pierre de Villiers, qui vient d’annoncer le déclin certain et proche de notre armée, trop sollicitée
pour ses capacités. Une réorienta<on stratégique ne serait donc pas à l’ordre du jour.
Pourquoi nous y avons intérêt
Les sénateurs français es<ment dans un rapport d’informa<on de 2014 in<tulé « Reprendre
pied en Asie du Sud-Est » qu’il existe un « impéra<f asia<que pour la France » sans lequel nous
risquons de « rater un tournant stratégique ». L’Asie peut être perçue comme un relai de
croissance, alors que l’Europe s’essouffle. Un relai de croissance d’autant plus important que la
région souhaite se moderniser aux standards occidentaux. Un marché à prendre. Le rapport fait
aussi état d’un besoin de 1000 milliards de dollars en infrastructures.
Notre diploma<e économique peut aussi servir nos intérêts stratégiques locaux.
Intéressons-nous ici au contrat signé le 20 décembre 2016 entre la France et l’Australie qui
mandate l’industriel DCNS pour la construc<on de 12 sous-marins pour la floEe australienne. Ce
contrat est es<mé à 34 milliards de dollars, et scelle un partenariat de 50 ans. CeEe carte
« armement » peut jouer un rôle majeur pour la France, comparée aux autres puissances
européennes : 28,8 % de nos exporta<ons d’armement étaient des<nées à l’Asie en 2013, soit un
total de 1977 milliards d’euros (10). Il est important d’occuper ce terrain stratégique notamment
en raison du nombre croissant de nos communautés françaises, aujourd'hui aussi nombreuses en
Asie qu’en Afrique de l’Ouest. S’imposer en Asie, et par<culièrement en Asie du Sud-Est nous
permeErait aussi de mieux sécuriser notre trafic mari<me, seule région du monde où la piraterie
ne diminue pas (le fret mari<me représente 2/3 de nos importa<ons et 1/3 de nos exporta<ons).
Par ailleurs, il semble que le conflit en mer de Chine soit appelé à devenir un différend
interna<onal essen<el car il déterminera la place stratégique que la Chine pourra occuper à
l’avenir. Si la France s’impose davantage dans la région, elle peut espérer retrouver une voix
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diploma<que d’envergure. D’ailleurs, établir une réelle coopéra<on avec l’Asie contribuerait de
façon posi<ve à notre poli<que étrangère globale, source de sou<ens poten<els.
Conclusion :
Accusant d’une faible présence économique et militaire en Asie, la France ne peut pas se
permeEre de parler aujourd'hui de « pivot ». Ce rééquilibrage, « davantage diploma<que »,
comme l’indique Laurent Fabius, est qualifié de « pivot contraint » par la chercheuse Hadrienne
Terres, un pivot nécessaire au vu de l’écrasante montée en puissance de l’Asie et de la Chine.
Mais la ques<on porte essen<ellement sur la façon dont ce pivot mérite d’évoluer. Un pivot,
rappelons-le, nécessitera en amont une redistribu<on de moyens interministériels, civils et
militaires, pour que notre visibilité nous porte au rang d’interlocuteur privilégié. Après quoi,
envisager un réel pivot asia<que, avec ce qu’il comporte d’ingrédients militaires, pourrait servir
nos intérêts tant économiques que diploma<ques, culturels ou sécuritaires.
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(1) Discours de Laurent Fabius, au siège de l’ASEAN (Jakarta, 2 août 2013), hEp://
www.diploma<e.gouv.fr/fr/le-ministre-les-secretaires-d-etat/anciens-ministres/laurent-fabius/
discours/ar<cle/discours-de-laurent-fabius-au
(2) Quel bilan pour le "pivot" asiaDque de Barack Obama ? Philippe Le Core, 2 novembre 2016,
hEps://asialyst.com/fr/2016/11/02/quel-bilan-pour-le-pivot-asia<que-de-barack-obama/
(3) Ibid
(4) 1972: Nixon rencontre Mao et reconnait publiquement la RPC
(5) Etats-Unis : Donald Trump bloque le « pivot asiaDque », Le Monde, 29 novembre 2016
hEp://abonnes.lemonde.fr/idees/ar<cle/2016/11/29/etats-unis-donald-trump-bloque-le-pivotasia<que_5040120_3232.html
(6) Vietnam: A 'Pivot to Asia' for France? What to expect from Francois Hollande’s state visit to
Vietnam, Quoc-Thanh Nguyen, 7 septembre 2016, hEp://thediplomat.com/2016/09/vietnam-apivot-to-asia-for-france/
(7) La mappemonde de Trump, Alain Franchon, Le Monde, 23 décembre 2016
(8) Livre blanc de Défense et sécurité na<onale de 2008, p.33, hEp://
archives.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/2008/IMG/pdf/livre_blanc_tome1_par<e1.pdf
(9) Le « pivot » français vers l’Asie : une ébauche déjà dépassée ?, Hadrien Terres, avril 2015, dans
Poli<que Etrangère, hEp://www.cairn.info/ar<cle.php?ID_ARTICLE=PE_161_0177
(10) Les aspects industriels de la défense, hEps://www.data.gouv.fr/fr/datasets/les-aspectsindustriels-de-la-defense/
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