Comptes rendus de conférence L'atome pour la santé: un besoin en Asie par Ramendra Mukherjee Les lésions tissulaires provoquées par des accidents traumatiques, des malformations congénitales et des maladies dégénératives constituent une catégorie importante des troubles de la santé. Elles nécessitent souvent des interventions de chirurgie réparatrice destinées à remplacer les tissus endommagés ou défectueux par des tissus sains. Lorsque c'est possible, les chirurgiens utilisent ceux du patient lui-même (autogreffes). Jusqu'à présent, cette façon de procéder a donné de bons résultats. Malgré les succès thérapeutiques obtenus, il y a toutefois des inconvénients. Le patient doit en effet souvent subir une double opération, l'une pour le prélèvement des tissus sains normaux et l'autre pour leur greffe sur la zone atteinte. La douleur, les risques pour la santé, l'hospitalisation prolongée et le temps de chirurgien sont autant de facteurs qui militent contre cette méthode. En outre, celle-ci suppose que l'on puisse prélever sur le corps même du malade des tissus sains ayant la dimension, la forme et les autres caractéristiques voulues. Ces problèmes ont amené les chirurgiens de diverses disciplines à envisager l'utilisation de greffons exogènes en chirurgie réparatrice. Les études expérimentales et essais cliniques, qui ont eu lieu principalement en Amérique du Nord et en Europe, ont montré l'intérêt que présentait la greffe de «tissus» non viables dûment traités et conservés d'autres membres de la même espèce (homogreffes), voire, dans certains cas, d'autres espèces de grands mammifères (hétérogreffes). Des méthodes appropriées ont été mises au point pour effectuer, dans de bonnes conditions d'hygiène, des prélèvements d'os, de peau, de dure-mère, de fascia lata, de cartilages, de tendons, de nerfs périphériques, de valvules cardiaques et d'artères sur des cadavres humains. L'utilisation de tissus osseux de veau et de peau de porc fait l'objet d'applications cliniques couronnées de succès. La radiostérilisation des tissus Des expériences relatives à l'utilisation des rayonnements ionisants pour la stérilisation et la préparation de greffes de tissus ont donné récemment des résultats encourageants. rayonnements ionisants tels que les rayons gamma émis par une source de cobalt 60 peuvent constituer, s'ils sont appliqués correctement, une méthode sûre et fiable de stérilisation des tissus humains en vue de leur transplantation. Ce nouveau domaine d'applications bénéfiques du nucléaire aux soins de santé doit sa réussite aux pratiques de radiostérilisation des fournitures médicales. Le problème des résidus toxiques restant sur les instruments ainsi que sur les tissus greffés après une stérilisation chimique suscite en effet souvent des craintes du fait notamment que les greffons entrent en contact direct avec les liquides organiques du corps du receveur. Aussi s'intéresse-t-on de plus en plus aux utilisations possibles des rayonnements pour traiter les greffes de tissus. Les rayons pénétrants stérilisent les greffons de tissus préconditionnés dans des emballages hermétiques tout comme ils stérilisent les instruments médicaux conditionnés. Pour les tissus volumineux, comme les tissus osseux, il apparaît que les rayonnements constituent l'agent stérilisant le plus efficace. En outre, ils contribuent à réduire les propriétés antigéniques des greffons de tissus humains, ce qui leur confère un atout supplémentaire. Situation et problèmes en Asie et dans le Pacifique L'AIEA a tenu récemment un séminaire à la Commission de l'énergie atomique des Philippines à Quezon City (près de Manille), en vue d'encourager la diffusion des informations techniques actuelles sur ce domaine potentiel d'application bénéfique du nucléaire et de travailler en coordination avec les chirurgiens et autres responsables sanitaires de la région.* Trente-quatre scientifiques et praticiens de la médecine, représentant huit Etats Membres (Bangladesh, Etats-Unis, Inde, Pakistan, Philippines, Royaume-Uni, Sri Lanka et Thailande), étaient présents à la réunion. Les participants ont déclaré que la chirurgie réparatrice dans les régions Asie et Pacifique était un aspect des soins de santé totalement négligé, du fait essentiellement de l'absence de greffes de tissus. Des banques de tissus et des services chirurgicaux d'Europe et d'Amérique du Nord ont montré que des Dans tous ces Etats Membres, les chirurgiens ont les compétences requises. Mais leur expérience dans ce domaine reste «rudimentaire» pour la simple raison qu'ils n'ont qu'exceptionnellement l'occasion de pratiquer ce M. Mukherjee est membre de la Section des applications médicales de la Division des sciences biologiques de l'Agence. Les opinions exprimées dans l'article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l'AIEA. * Le «Séminaire sur les banques de greffes de tissus radiostérilisés à usage médical pour l'Asie et le Pacifique» (titre officiel) a eu lieu du 7 au 11 mai 1984. AIEA BULLETIN, VOL.26, no 3 41 Comptes rendus de conférence genre d'intervention, car il faut que les patients aient les moyens de fournir les greffons nécessaires, c'est-à-dire de les acheter là où ils sont commercialement disponibles. Parallèlement, une importante source locale de tissus de cadavres est perdue, car il n'existe ni pratique de prélèvement et de conservation, ni installations et banques de tissus appropriées. Pour illustrer l'ampleur du problème, le Burns Plastic Centre de l'Hôpital général des Philippines indique que pour une année on a évalué à plus de 5000 le nombre des accidents traumatiques dans lesquels les victimes avaient été atteintes de brûlures touchant 30 à 80% de la surface corporelle. Pour reconstituer temporairement les propriétés des couches superficielles endommagées, il faut des pansements stériles adéquats. On trouve dans le commerce des pansements en peau (par exemple en peau de porc) radiostérilisés, mais leur coût est élevé. C'est ainsi que pour un patient brûlé sur plus de la moitié du corps, et dont les pansements doivent être changés quatre à cinq fois en moyenne, la dépense peut atteindre jusqu'à 350 à 400 dollars des Etats-Unis. Dans la majorité des cas, c'est un prix inabordable. Les solutions de compromis, c'est-à-dire l'emploi de substituts thérapeutiques non adaptés, se soldent souvent par la mort du patient. La situation est la même pour les greffes d'os, de valvules cardiaques, d'artères, de duremère et de fascia. Les pertes de squelette avec formation de kystes, à la suite de tuberculose et de maladies néoplasiques ainsi que de fractures, demandent des greffes osseuses. La mise en place de moyens locaux permettant d'effectuer de telles greffes stimulera les services de soins de santé et devrait être encouragée. Pour une banque de tissus Un participant venant de Sri Lanka a fait état des résultats remarquables obtenus par la banque des yeux qui, à son avis, pourrait être élevée au rang de «banque multi-tissus» pour la région. Grâce aux efforts déployés auprès de la population de Sri Lanka, pour encourager un don des yeux après la mort, il y a beaucoup de cornées disponibles pour les greffes et pour la prévention de la cécité. La banque des yeux de Sri Lanka non seulement répond aux besoins intérieurs, mais approvisionne aussi de nombreux autres pays. A ce jour, elle a fourni 14 118 yeux à 117 villes de 45 pays (Sri Lanka y compris). Si elle disposait d'installations supplémentaires et d'une source de rayonnement, elle pourrait recevoir et traiter tous les autres tissus utiles prélevés sur les cadavres et devenir ainsi une «banque multi-tissus». Une telle banque continuerait de contribuer aux soins de santé de la région, comme elle l'a fait jusqu'à présent pour les greffes de cornées. 42 L'AIEA a déjà mis en route avec succès une banque de tissus à Rangoon (Birmanie) dans le cadre de son programme de coopération technique, et le spécialiste responsable de ce projet en a présenté le bilan. Les conditions des applications cliniques de greffes de tissus radiostérilisés et les études de suivi des patients ont fait l'objet d'un examen détaillé, dans l'optique des activités d'une banque des tissus dans la région — évaluation des besoins, expérience d'exploitation et perspectives. L'apport du séminaire Le séminaire a atteint ses objectifs en faisant mieux prendre conscience aux responsables sanitaires des Etats Membres en développement de l'intérêt qu'il y aurait à introduire dans la région des pratiques de stérilisation des tissus et les services d'une banque de tissus. Les exposés des spécialistes européens et nord-américains, accompagnés de la projection de films vidéo et de la présentation de certaines réalisations, ont aidé les participants des régions d'Asie à reprendre confiance dans leur aptitude à développer cette activité localement. Les débats ont révélé à maintes reprises que le traitement et la stérilisation des greffons n'exigent pas une «haute technologie». Le déploiement rationnel du matériel existant, les experts travaillant dans les principaux centres de santé et les pratiques de radiostérilisation des instruments médicaux introduites récemment dans la plupart des Etats Membres de la région (dans le cadre des activités du programme de l'AIEA) devraient contribuer à faciliter le fonctionnement d'une banque de tissus. Les contacts scientifiques établis avec certains des spécialistes éminents dans ce domaine devraient ouvrir la voie à une collaboration efficace, et notamment permettre d'accéder à la littérature appropriée et aux protocoles techniques. Ces spécialistes ont en outre fait des démonstrations sur la manipulation des greffons pour une utilisation clinique sûre et donné d'utiles conseils sur les précautions à prendre. Les réalisations et expériences positives des Etats Membres de la région ont servi d'exemples invitant à surmonter toutes difficultés liées à des considérations socio-économiques ou religieuses. Enfin, le séminaire a renforcé la coopération régionale entre les Etats Membres en ce qui concerne l'amélioration des soins de santé grâce à la mise au point de techniques nucléaires appropriées pour la stérilisation des greffons tissulaires et pour les banques de tissus. Les participants ont défini les grandes lignes d'un programme de recherche coordonnée de l'AIEA sur ce thème, afin de promouvoir la production des nouvelles données scientifiques et techniques ainsi que des critères et directives nécessaires au développement de cette pratique, compte tenu des besoins locaux spécifiques. AIEA BULLETIN, VOL.26, no 3