11-a-Honneth-Entretien:Mise en page 1 20/06/08 15:25 Page 88 La philosophie de la reconnaissance : une critique sociale Entretien avec Axel Honneth* ESPRIT – Dans votre livre, la Lutte pour la reconnaissance1, vous montrez que la critique de la société ne peut s’élaborer qu’à travers une analyse des pratiques sociales concrètes. Le concept de « reconnaissance » permet justement de reconstituer les exigences normatives à l’œuvre dans l’expérience, que ce soit dans la sphère de l’amour, celle du droit ou celle de la société. À chacun de ces niveaux, les conflits ne se réduisent pas à une lutte pour la survie, mais font intervenir des concepts tels que le « respect » ou l’« estime » qui apparaissent comme autant de conditions symboliques nécessaires à la vie sociale. Ce souci de concrétude est-il à la source d’une certaine méfiance à l’encontre des principes abstraits du libéralisme ? Peut-on faire droit aux désirs de reconnaissance tout en maintenant l’exigence d’une norme universelle ? Axel HONNETH – En effet, l’impulsion normative de ma théorie de la reconnaissance se nourrit de l’impression que le libéralisme dans ses figures classiques, de Locke à Kant et jusqu’à Rawls, n’est pas à même d’exprimer les fondements moraux des sociétés modernes de manière à faire apparaître convenablement aussi bien l’ensemble des exigences susceptibles de justification que les conflits qui y sont ainsi rattachés. Afin de remédier à ce déficit, j’utilise un procédé que Hegel a d’une certaine manière déjà appliqué dans sa philosophie du droit, * Philosophe à l’Institut de recherche sociale de Francfort, auteur de la Lutte pour la reconnaissance. Grammaire morale des conflits sociaux, Paris, Cerf, 2000 ; la Société du mépris, Paris, La Découverte, 2006 et la Réification, Paris, Gallimard, 2007. À paraître en septembre 2008 : les Pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie de Hegel, Paris, La Découverte. 1. Axel Honneth, la Lutte pour la reconnaissance…, Paris, Cerf, 2000. Juillet 2008 88