Le psychologue en oncologie : quelques éléments de réflexion

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T émoignage
A.-L. ULASZEWSKI,
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psychologue,
Centre Oscar-Lambret, Lille
Le psychologue
en oncologie :
quelques éléments
de réflexion
boration entre le psychologue et les soignants auprès des
malades du cancer.
Tout d’abord, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas
de considérer le patient atteint de cancer comme un
malade psychiatrique, même si, parfois, des troubles psychopathologiques se manifestent (la dépression par
exemple). Les patients ne font que très rarement appel au
«psy» spontanément, soit parce qu’ils ne savent pas que
c’est possible, soit parce qu’ils ont peur : crainte d’être pris
pour un fou. Le rôle du psychologue est encore mal connu
du grand public. La plupart de nos interventions se font
donc à la demande des soignants. On mesure ici l’ampleur
du travail du psychologue auprès des équipes de soins.
Deux questions essentielles reviennent souvent et illustrent la méconnaissance de notre fonction de la part des
soignants : « Quand doit-on vous appeler ? », « Comment
proposer votre passage au malade ? ». Au risque de décevoir certains lecteurs, nous dirons que la réponse à ces
questions n’est pas simple et qu’il n’y a pas de recette toute
faite ni de règle absolue. C’est avant tout une perception
intuitive du moment où il semble nécessaire et possible
d’avoir recours au psychologue. Cependant, nous avons
fait le constat suivant dans notre pratique quotidienne : Si
le soignant est à l’aise avec la démarche «psy», s’il croit en
son utilité, il en parlera sans difficulté et en toute simplicité au patient. Si ce dernier perçoit au contraire de la gêne
et un certain malaise dans la proposition du soignant, il
risque de se braquer et de refuser activement ce type d’intervention. Quand un psychologue arrive dans un service
de cancérologie, un travail « d’apprivoisement mutuel », un
apprentissage des rôles de chacun, doivent se faire. Ce n’est
que progressivement, au fur et à mesure des cas cliniques
rencontrés, au cas par cas, que le psy pourra initier les soignants, leur permettre d’être plus à même de dépister les
patients en souffrance et d’intégrer la prise en charge psy-
a psycho-oncologie est née des progrès réalisés
en oncologie dans les années 1950, d’abord dans
les pays anglo-saxons. En plein essor dans notre
pays depuis une trentaine d’années, cette discipline étudie les difficultés psychologiques inhérentes à la maladie
cancéreuse, à tous les stades de la pathologie. Elle vise à
apporter au malade et à sa famille un confort psychologique de qualité, intégré à l’ensemble des soins. Le psychologue cherchera alors à évaluer chez l’individu le retentissement psychologique, psychosocial et comportemental
du cancer et de ses traitements. Ses champs d’action
concernent à la fois la gestion des crises et des réactions
psychopathologiques générées à chaque étape de la maladie (annonce, traitements, rémission, récidive, phase terminale), ainsi que l’aspect relationnel des soins dévolus à
une pathologie chronique. Le psychologue fait partie intégrante du projet de soins multidisciplinaires en oncologie.
Il tente de répondre aux problématiques spécifiques liées
à la maladie cancéreuse :
- prise en charge des troubles psychopathologiques,
- accompagnement des familles,
- soutien des équipes soignantes (groupe de parole,
debriefing),
- réflexion éthique sur différentes questions : euthanasie, suicide médicalement assisté…
Cette discipline nécessite l’intervention de professionnels, psychiatres et psychologues, ayant des connaissances et une pratique spécifique. De nombreux postes
se sont créés ces dernières années, mais ils restent insuffisants, notamment dans les hôpitaux généraux n’ayant
que quelques lits réservés aux patients atteints de cancer.
Si la présence du « psy » est dorénavant souhaitée et
réclamée dans les services d’oncologie, les soignants ne
connaissent pas toujours les différents aspects de sa fonction. Nous allons tenter d’éclaircir ici ce travail de colla-
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agressive. Le psychologue peut alors avoir une fonction
de médiation en étant le porte-parole du patient mais aussi
celui des soignants : aider le patient à mieux accepter les
soignants tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts,
leur propre affectivité et leurs maladresses.
La communication et les relations soignants-soigné
sont souvent empreintes de difficultés, de conflits, de quiproquos. La confrontation au milieu médical peut raviver
chez le patient, inconsciemment, ses toutes premières relations familiales marquées par l’impuissance, les frustrations, la dépendance, la soumission, l’agressivité. Certains
patients revivent ce type de problématique à l’hôpital, alors
qu’ils sont «sous» le pouvoir et le savoir d’autres. Ces éléments inconscients viennent perturber leurs relations avec
les soignants et leur manière de s’adapter à la maladie. Le
psy doit permettre au patient de prendre conscience des
différents éléments de sa vie psychique. Il doit aussi pouvoir les restituer à l’équipe de soins pour qu’elle ne se fasse
pas « piéger » par ce type de fonctionnement. Dans le même
ordre d’idée, la prise de conscience et la compréhension
des mécanismes de défense du patient peuvent aplanir
certaines situations difficiles. De même la reconnaissance
de leurs propres mécanismes de défense et des processus
d’identification par les soignants eux-mêmes améliore la
communication soignant-soigné. Ces éléments se travaillent
surtout en groupe de parole mais peuvent émerger aussi
lors d’échanges cliniques plus informels.
A la lumière de ces explications, le rôle du psychologue
apparaît évident dans les moments de crise, alors que la
vie du patient est complètement bouleversée par la maladie et ses traitements. Sa présence semble d’autant plus
logique auprès des malades en fin de vie et de leurs
proches. L’intervention « psy » pendant la période de rémission, quand les traitements s’achèvent, ne s’impose pas
d’emblée dans l’esprit des soignants. Notre pratique clinique, et des études de plus en plus nombreuses, démontrent cependant la nécessité d’un soutien psychologique
post-traitement, tant les difficultés de réhabilitation sont
importantes. Une prise en charge psychologique, dans le
cadre d’entretiens individuels ou de séances de groupe,
s’avère nécessaire pour permettre aux patients de se reconstruire psychiquement et de retrouver un certain équilibre
afin de pouvoir mener à nouveau une vie normale.
En guise de conclusion, nous reprendrons une phrase
de Nicole Alby, pionnière de la psycho-oncologie en
France, qui soulignait avec humour mais non sans conviction : « Si la psycho-oncologie n’existait pas, il faudrait l’inventer ».
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chologique dans leur proposition de soins faite aux
patients. L’idée est de proposer au patient un «service» offert
par l’hôpital. Il peut rencontrer un psychologue, comme
il a la possibilité de rencontrer une assistante sociale pour
ses problèmes financiers, une diététicienne pour son amaigrissement, etc. Nous caricaturons volontairement le
tableau, bien conscients du fait que la profession de « psy »
est fortement connotée dans notre culture.
Le psychologue est là avant tout pour écouter. C’est sa
toute première fonction. Il prend le temps de s’asseoir et
offre un espace et un temps de parole au malade. Même
si, derrière cette écoute, il place une intention d’évaluation, de compréhension, le malade perçoit rapidement
que c’est une occasion pour lui de parler. Combien de
patients nous disent : « C’est la première fois que je raconte
ça », ou « ça m’a fait du bien de parler avec vous ». On ne
reviendra pas ici sur le pouvoir libérateur, voire curatif de
la parole. Les patients nous parlent : de leur maladie, dont
ils retracent chaque étape, de leur famille, de leurs douleurs physiques et morales, et de leur vie. Nombre d’entre
eux d’ailleurs nous racontent leur histoire, les événements
dramatiques qui ont jalonné leur vie, leurs soucis actuels,
sans aborder le chapitre du cancer. Certains cherchent à
mettre du sens sur leur maladie, à inscrire cette épreuve
dans le continuum de leur vie. Nous sommes là pour permettre ce travail d’élaboration psychique, indispensable
pour accepter l’impensable de sa propre mort. Le rôle du
psychologue est d’aider les malades à vivre au mieux avec
leur maladie en leur permettant d’exprimer leurs angoisses,
leurs interrogations existentielles, leurs doutes. Il semble
également important de les aider à mettre en œuvre des
stratégies d’adaptation à la maladie en les incitant à mobiliser les ressources physiques et psychiques souvent inconnues et insoupçonnées qu’ils ont en eux.
Cependant, le psychologue ne doit pas être utilisé par
les soignants pour assumer à lui seul les dimensions psychologiques et relationnelles, la fonction d’écoute, le souci
pour la qualité de vie, qui font partie intégrante de leurs
missions. Tout en préservant la confidentialité des propos
du patient, le psychologue apporte l’éclairage nécessaire
pour favoriser une prise en charge globale et la qualité des
communications. Il peut également attirer l’attention des
intervenants sur les besoins fondamentaux des malades :
besoin d’écoute, d’informations personnalisées, de respect
de la dignité, de participation aux décisions et de continuité de la relation engagée avec les soignants-référents.
Les patients expriment peu leurs besoins ou ils les
manifestent sous une forme déplacée, voire bruyante et
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