T émoignage A.-L. ULASZEWSKI, Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. psychologue, Centre Oscar-Lambret, Lille Le psychologue en oncologie : quelques éléments de réflexion boration entre le psychologue et les soignants auprès des malades du cancer. Tout d’abord, il convient de préciser qu’il ne s’agit pas de considérer le patient atteint de cancer comme un malade psychiatrique, même si, parfois, des troubles psychopathologiques se manifestent (la dépression par exemple). Les patients ne font que très rarement appel au «psy» spontanément, soit parce qu’ils ne savent pas que c’est possible, soit parce qu’ils ont peur : crainte d’être pris pour un fou. Le rôle du psychologue est encore mal connu du grand public. La plupart de nos interventions se font donc à la demande des soignants. On mesure ici l’ampleur du travail du psychologue auprès des équipes de soins. Deux questions essentielles reviennent souvent et illustrent la méconnaissance de notre fonction de la part des soignants : « Quand doit-on vous appeler ? », « Comment proposer votre passage au malade ? ». Au risque de décevoir certains lecteurs, nous dirons que la réponse à ces questions n’est pas simple et qu’il n’y a pas de recette toute faite ni de règle absolue. C’est avant tout une perception intuitive du moment où il semble nécessaire et possible d’avoir recours au psychologue. Cependant, nous avons fait le constat suivant dans notre pratique quotidienne : Si le soignant est à l’aise avec la démarche «psy», s’il croit en son utilité, il en parlera sans difficulté et en toute simplicité au patient. Si ce dernier perçoit au contraire de la gêne et un certain malaise dans la proposition du soignant, il risque de se braquer et de refuser activement ce type d’intervention. Quand un psychologue arrive dans un service de cancérologie, un travail « d’apprivoisement mutuel », un apprentissage des rôles de chacun, doivent se faire. Ce n’est que progressivement, au fur et à mesure des cas cliniques rencontrés, au cas par cas, que le psy pourra initier les soignants, leur permettre d’être plus à même de dépister les patients en souffrance et d’intégrer la prise en charge psy- a psycho-oncologie est née des progrès réalisés en oncologie dans les années 1950, d’abord dans les pays anglo-saxons. En plein essor dans notre pays depuis une trentaine d’années, cette discipline étudie les difficultés psychologiques inhérentes à la maladie cancéreuse, à tous les stades de la pathologie. Elle vise à apporter au malade et à sa famille un confort psychologique de qualité, intégré à l’ensemble des soins. Le psychologue cherchera alors à évaluer chez l’individu le retentissement psychologique, psychosocial et comportemental du cancer et de ses traitements. Ses champs d’action concernent à la fois la gestion des crises et des réactions psychopathologiques générées à chaque étape de la maladie (annonce, traitements, rémission, récidive, phase terminale), ainsi que l’aspect relationnel des soins dévolus à une pathologie chronique. Le psychologue fait partie intégrante du projet de soins multidisciplinaires en oncologie. Il tente de répondre aux problématiques spécifiques liées à la maladie cancéreuse : - prise en charge des troubles psychopathologiques, - accompagnement des familles, - soutien des équipes soignantes (groupe de parole, debriefing), - réflexion éthique sur différentes questions : euthanasie, suicide médicalement assisté… Cette discipline nécessite l’intervention de professionnels, psychiatres et psychologues, ayant des connaissances et une pratique spécifique. De nombreux postes se sont créés ces dernières années, mais ils restent insuffisants, notamment dans les hôpitaux généraux n’ayant que quelques lits réservés aux patients atteints de cancer. Si la présence du « psy » est dorénavant souhaitée et réclamée dans les services d’oncologie, les soignants ne connaissent pas toujours les différents aspects de sa fonction. Nous allons tenter d’éclaircir ici ce travail de colla- L Bulletin Infirmier du Cancer 13 Vol.2-n°2-avril-mai-juin 2002 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. T émoignage agressive. Le psychologue peut alors avoir une fonction de médiation en étant le porte-parole du patient mais aussi celui des soignants : aider le patient à mieux accepter les soignants tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts, leur propre affectivité et leurs maladresses. La communication et les relations soignants-soigné sont souvent empreintes de difficultés, de conflits, de quiproquos. La confrontation au milieu médical peut raviver chez le patient, inconsciemment, ses toutes premières relations familiales marquées par l’impuissance, les frustrations, la dépendance, la soumission, l’agressivité. Certains patients revivent ce type de problématique à l’hôpital, alors qu’ils sont «sous» le pouvoir et le savoir d’autres. Ces éléments inconscients viennent perturber leurs relations avec les soignants et leur manière de s’adapter à la maladie. Le psy doit permettre au patient de prendre conscience des différents éléments de sa vie psychique. Il doit aussi pouvoir les restituer à l’équipe de soins pour qu’elle ne se fasse pas « piéger » par ce type de fonctionnement. Dans le même ordre d’idée, la prise de conscience et la compréhension des mécanismes de défense du patient peuvent aplanir certaines situations difficiles. De même la reconnaissance de leurs propres mécanismes de défense et des processus d’identification par les soignants eux-mêmes améliore la communication soignant-soigné. Ces éléments se travaillent surtout en groupe de parole mais peuvent émerger aussi lors d’échanges cliniques plus informels. A la lumière de ces explications, le rôle du psychologue apparaît évident dans les moments de crise, alors que la vie du patient est complètement bouleversée par la maladie et ses traitements. Sa présence semble d’autant plus logique auprès des malades en fin de vie et de leurs proches. L’intervention « psy » pendant la période de rémission, quand les traitements s’achèvent, ne s’impose pas d’emblée dans l’esprit des soignants. Notre pratique clinique, et des études de plus en plus nombreuses, démontrent cependant la nécessité d’un soutien psychologique post-traitement, tant les difficultés de réhabilitation sont importantes. Une prise en charge psychologique, dans le cadre d’entretiens individuels ou de séances de groupe, s’avère nécessaire pour permettre aux patients de se reconstruire psychiquement et de retrouver un certain équilibre afin de pouvoir mener à nouveau une vie normale. En guise de conclusion, nous reprendrons une phrase de Nicole Alby, pionnière de la psycho-oncologie en France, qui soulignait avec humour mais non sans conviction : « Si la psycho-oncologie n’existait pas, il faudrait l’inventer ». ■ chologique dans leur proposition de soins faite aux patients. L’idée est de proposer au patient un «service» offert par l’hôpital. Il peut rencontrer un psychologue, comme il a la possibilité de rencontrer une assistante sociale pour ses problèmes financiers, une diététicienne pour son amaigrissement, etc. Nous caricaturons volontairement le tableau, bien conscients du fait que la profession de « psy » est fortement connotée dans notre culture. Le psychologue est là avant tout pour écouter. C’est sa toute première fonction. Il prend le temps de s’asseoir et offre un espace et un temps de parole au malade. Même si, derrière cette écoute, il place une intention d’évaluation, de compréhension, le malade perçoit rapidement que c’est une occasion pour lui de parler. Combien de patients nous disent : « C’est la première fois que je raconte ça », ou « ça m’a fait du bien de parler avec vous ». On ne reviendra pas ici sur le pouvoir libérateur, voire curatif de la parole. Les patients nous parlent : de leur maladie, dont ils retracent chaque étape, de leur famille, de leurs douleurs physiques et morales, et de leur vie. Nombre d’entre eux d’ailleurs nous racontent leur histoire, les événements dramatiques qui ont jalonné leur vie, leurs soucis actuels, sans aborder le chapitre du cancer. Certains cherchent à mettre du sens sur leur maladie, à inscrire cette épreuve dans le continuum de leur vie. Nous sommes là pour permettre ce travail d’élaboration psychique, indispensable pour accepter l’impensable de sa propre mort. Le rôle du psychologue est d’aider les malades à vivre au mieux avec leur maladie en leur permettant d’exprimer leurs angoisses, leurs interrogations existentielles, leurs doutes. Il semble également important de les aider à mettre en œuvre des stratégies d’adaptation à la maladie en les incitant à mobiliser les ressources physiques et psychiques souvent inconnues et insoupçonnées qu’ils ont en eux. Cependant, le psychologue ne doit pas être utilisé par les soignants pour assumer à lui seul les dimensions psychologiques et relationnelles, la fonction d’écoute, le souci pour la qualité de vie, qui font partie intégrante de leurs missions. Tout en préservant la confidentialité des propos du patient, le psychologue apporte l’éclairage nécessaire pour favoriser une prise en charge globale et la qualité des communications. Il peut également attirer l’attention des intervenants sur les besoins fondamentaux des malades : besoin d’écoute, d’informations personnalisées, de respect de la dignité, de participation aux décisions et de continuité de la relation engagée avec les soignants-référents. Les patients expriment peu leurs besoins ou ils les manifestent sous une forme déplacée, voire bruyante et Bulletin Infirmier du Cancer 14 Vol.2-n°2-avril-mai-juin 2002