LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE Intervention de François GALICHET Rombas 9 janvier 2008 Compléments de Gilles EICH Intervention de François GALICHET Historique -Lipman aux USA -Développement en Amérique du Sud et au Canada -Introduction en Europe (Belgique, Suisse, Allemagne) -Emergence en France dans les années 90 Justifications -justifications politique ou civique -justifications pédagogique ou épistémologique -justification éthique -justification psychologique Spécificités du débat philosophique par rapport aux autres débats -médiatique -judiciaire -régulation -décision -scientifique -argumentatif -interprétatif Objectifs du philosopher -conceptualiser -problématiser -affirmer -argumenter Diverses démarches possibles -débat à partir d’un album, d’un conte (Lipman) -démarche de l’AGSAS -débat classique sur un sujet -méthode des dilemmes moraux Compléments de Gilles EICH Diverses démarches possibles -méthode de discussion dérivée de la pédagogie coopérative -courant Brénifier -méthode de l’intervenant Conseils pour l’organisation d’un débat Le problème de l’évaluation ------------------------------------------------------------------------ Historique - Lipman aux USA Etudier la philosophie au bac, c’est beaucoup trop tard. Il faut démarrer plus tôt. Il est possible de poser un problème fondamental, d’argumenter, de critiquer dès la maternelle. En partant d’histoires, de romans, Lipman a conçu un programme de la maternelle au bac, sur la base de romans qu’il a écrits, que l’on peut trouver en français au Canada, intéressants mais adaptés au contexte nord américain et qui posent chacun un certain nombre de questions de portée universelle. En France, nous profitons d’un fonds de littérature enfantine. - Développement en Amérique du Sud et au Canada Proposer l’enseignement de la philosophie et la pratique de débats est apparu nécessaire aux pédagogues des pays sud américains, sortant de dictatures, pour « démocratiser » et former les futurs citoyens. - Introduction en Europe (Belgique, Suisse, Allemagne) Dans ces pays, l’enseignement religieux est dispensé à l’école et donc l’enseignement de la morale, dont le débat philosophique est une possibilité, a constitué une alternative pour les élèves dispensés. - Emergence en France dans les années 90 Ici et là, avec Michel Tozzi Justifications - justifications politique ou civique Elle peut permettre une éducation à la citoyenneté. Il y a un lien essentiel entre démocratie et philosophie (cf. Athènes aux V et IV siècles avant JC : une égalité politique, devant la parole ; penser et parler) Il faut donc dès l’école, apprendre à prendre la parole, à avoir l’audace de prendre la parole. - justifications pédagogique ou épistémologique Les programmes de 2002 ont montré une coupure ; avant, les programmes instrumentaux donnaient des outils, des compétences de base. En 2002, on propose l’accession à la culture : le goût de lire, de s’interroger, de parler sur…Lire, dire, écrire, on peut donc parler sur des questions philosophiques. La culture ?Au départ, les mythes pour répondre aux questions fondamentales (les mythes des origines) puis les arts, la littérature. - justification éthique Hannah Arendt, journaliste au procès d’un criminel nazi a posé le problème de la conscience morale : celui-ci, fonctionnaire, quelqu’un comme nous, avait obéi aux ordres. La conscience morale, différente de l’adhésion à des lois, à des règles, doit nous permettre d’être capable de se poser des questions devant des situations extrêmes, donc : hésiter, douter. C’est l’incertitude morale. Ceux qui savent le bien et le mal, sont dangereux (Staline, Pol Pot : « ces salauds altruistes ») - justification psychologique C’est par exemple, la démarche Lévine, du courant de l’AGSAS. Pour apprendre, il faut savoir qui on est, avoir une conscience de soi en tant que sujet, se sentir l’auteur de ce qu’on fait, de ce qu’on est. Or, il y a le problème aujourd’hui des enfants qui sont dans l’Autre : dans le désir des parents, des enseignants, dans la télévision, dans les copains et n’ont pas cette conscience de ce qu’ils sont ni ne se sentent auteur de leur pensée. Spécificités du débat philosophique par rapport aux autres débats - médiatique Cf. la télévision et ses caricatures de débats. La séduction est la règle. - judiciaire Cf. le tribunal : le débat porte sur une personne. En classe - régulation On régule quand il y a un problème. C’est la réunion du conseil. Ce sont des pratiques que l’on trouve chez Freinet, dans la pédagogie institutionnelle. Mais les débats portent sur des personnes, des problèmes. - décision Le débat permet de décider : exemple lors d’un voyage scolaire, mais il se termine par un vote (dans un débat philosophique, on ne tranche pas) - scientifique Le débat porte sur une situation, permet l’émission d’hypothèses, légitime les expériences (Charpak, « la main à la pâte ») mais il est tranché par l’expérience (dans le débat philosophique, l’expérience ne tranche pas) - argumentatif Dans ce débat, on est pour ou contre et on débat sur des questions qui n’ont rien à voir avec la philosophie (Etes vous pour le téléphone portable ? la télévision dans la chambre ?) Ça n’est pas un sujet philosophique, c'est-à-dire une question que n’importe qui pourrait se poser à n’importe quel moment (critère d’universalité). La forme pour ou contre, dans ce débat, fait qu’il y a un adversaire, il faut l’emporter, c’est une éducation au combat, gagner l’esprit d’autres personnes. C’est ambigu. Pour ou contre, c’est différent de « Qu’est-ce que… » où l’on va rechercher en commun. - interprétatif Un débat que l’on trouve en littérature. On est dans le singulier (Pourquoi l’héroïne a- telle…?), un peu dans le psychologique, il faut se mettre dans la peau de…On ira peut être à la question générale. Il est néanmoins intéressant pour les élèves de vivre cette multiplicité de débats. Objectifs du philosopher D’abord conceptualiser : on va chercher le sens des mots, s’interroger sur le sens des mots, parce que ça nous intéresse (c’est utilitaire mais aussi une source de complexité). Des mots universels : bonheur, justice, amitié …et quand on a clarifié le sens de ces mots, on se pose fatalement des questions : problématiser (ami et copain, ce n’est pas pareil, on se pose des questions). Il faut donc y répondre : affirmer (on est encore là au plus près du débat argumentatif), des thèses vont se confronter, donc : argumenter. C’est la règle du débat philosophique : je pense ça parce que…Tu as dit ça, pourquoi ? Il faut justifier ce que l’on dit. Qu’en sort-il de tout cela ? On peut créer ainsi une grille structurante, sous l’impulsion de l’enseignant, avec les élèves, un tableau qui permettrait une synthèse à la fin du débat, par les élèves et l’enseignant pour chacune des quatre parties. Je définis… Je questionne, je pose des questions… J’affirme… Je dis pourquoi… Je donne des raisons… Diverses démarches possibles - débat à partir d’un album, d’un conte (Lipman) L’enseignant part généralement d’un extrait d’un roman et applique le protocole suivant : lecture silencieuse puis lecture à haute voix du texte par les élèves ; phase de réflexion ; propositions de questions qui répondent à deux consignes (1- pas de personnages du texte mentionné dans les questions ; 2-pour répondre aux questions, on ne doit pas avoir besoin du texte : ceci pour éviter de tomber dans la question de lecture classique et obtenir des questions d’ordre général.) ; vote pour le choix de la question ; discussion proprement dite. - démarche de l’AGSAS Cette approche est caractérisée par un effacement presque total de l’animateur. Certains prônent également cet effacement maximal. Le protocole est composé de deux temps distincts, réguliers, ritualisés en classe. Temps 1 : 10 minutes enregistrées de dialogue entre pairs, tous cochercheurs. L’enseignant est garant du cadre, présent, mais reste silencieux. Le protocole est explicité aux élèves. Temps 2 : réécoute de l’enregistrement, 10 minutes pour réagir ; l’enseignant accompagne très discrètement. Cette pratique part des questions des enfants, en écho avec les énigmes de la vie. Les élèves sont motivés par ces échanges « pour de vrai », ils ont une parole authentique, de là où ils sont, dans cette communauté de chercheurs. - débat classique sur un sujet C’est le plus connu, le plus classique : on part d’un sujet. Qui propose la question ? Au début, ce peut être l’enseignant. On peut proposer aussi une boîte aux questions (avec un tri des questions : ces questions, sont-elles des questions philosophiques ? On peut voter, retenir le sujet qui intéresse. Peut se poser le problème du rapport à l’écrit. Faut-il démarrer à l’oral, introduire une phase préparatoire d’écriture pour coucher ses idées, se préparer au débat (mais attention : on n’est pas en production d’écrit !) ? La démarche restera institutionnalisée, même si parfois les contenus peuvent s’avérer décevants. - méthode des dilemmes moraux Cette approche s’appuie sur des petits films où des personnages évoluent dans un contexte familier et où ils sont confrontés à des situations qui suscitent un dilemme. Les participants sont donc conduits à prendre position et à défendre leur point de vue au sein du groupe de discutants. Compléments de Gilles EICH Diverses démarches possibles - méthode de discussion dérivée de la pédagogie coopérative (Sylvain Connac, Alain Delsol) Ces dispositifs sont surtout pertinents dans un contexte de classe coopérative où interviennent les pédagogies Freinet et institutionnelles. Les élèves y sont habitués à s’exprimer librement, à coopérer et à apprendre selon les principes du tâtonnement expérimental. Diverses institutions pédagogiques sont à leur disposition, dont les discussions à visée philosophique. Reprenant la configuration des conseils coopératifs, les discussions à visée philosophique permettent aux élèves d’occuper diverses fonctions : président, reformulateur, synthétiseur, scribe, observateur, discutant. Cette structure pédagogique contribue autant à assurer le caractère démocratique des échanges que la spécificité philosophique du moment. Ce n’est pas tant le choix de la question qui caractérise cette méthode, mais le dispositif mis en place pour discuter. - courant Brénifier Oscar Brénifier propose une méthode dans laquelle l’animateur des débats est l’adulte et le garant de l’activité. Ici, on est dans le degré de guidance le plus fort : l’animateur ne s’efface pas, bien au contraire. Il s’efforce de conduire les participants vers l’accomplissement de leur pensée, vers l’accouchement de leurs idées. Il va sans cesse les solliciter pour les confronter à leurs contradictions, mettre en évidence les fausses évidences qui relèvent de l’opinion commune. Le point de départ pourra être indifféremment une question, un texte, un extrait de film, un support trivial (photos, tableaux, objets…). -méthode de l’intervenant Une personne reconnue comme philosophe vient rencontrer une communauté de recherche. Autour d’un thème central, un débat collectif s’installe entre les élèves. Le « philosophe » est une sorte de médiateur qui peut intervenir ou être sollicité à tout moment. Il représente « un modèle de pensée » dans le sens où le travail sur le questionnement philosophique et les exigences intellectuelles à susciter est possible par imitation-distanciation. Il n’est ni un copain (et donc ce qu’il dit est autre), ni un enseignant (parce qu’on n’attend pas de lui une vérité) mais quelqu’un reconnu comme étant capable d’user de pensée d’excellence. C’est une sorte d’exemple vivant qu’on ne peut pas copier mais dont on peut simplement s’inspirer. Conseils pour l’organisation d’un débat Des règles essentielles sont à respecter : ne pas répéter, apprendre à justifier ses arguments, distinguer les discours semblables et les différences essentielles, apprendre à réellement écouter l’autre, à tenir compte de son discours et ne pas simplement y superposer son propre discours, apprendre à répondre à l’autre, apprendre à raisonner avec logique… Il faut partir d’une question philosophique. Mettre en place une disposition où tout le monde voit tout le monde. Institutionnaliser le débat (fréquence, durée). Ne pas donner d’avis sur le sujet : l’enseignant annoncera cette neutralité, mais au besoin opérera le rappel des lois (intervention raciste d’un élève par exemple), tout en ne censurant pas les opinions « inacceptables ». Le problème de l’évaluation Tout de suite après le débat ou différé dans le temps, il est possible de demander aux élèves d’écrire « maintenant que le débat a eu lieu, qu’est-ce que tu penses de… » Si au titre de la préparation de ce débat, les élèves ont été amenés à écrire librement ce qu’ils pensaient au moment là, avant le débat, on pourra reprendre cet écrit et comparer ses évolutions. La synthèse finale s’appuyant sur un tableau structuré en quatre parties (je définis/je questionne/j’affirme/je dis pourquoi) permet d’évaluer le contenu de la discussion et l’objectif du philosopher. Une séance de débat philo s’évalue facilement sur le plan collectif et porte sur l’intérêt des propos tenus, le dynamisme qui s’est dégagé, la façon dont les notions ont pu être définies, la progression de la réflexion sur un plan collectif, la qualité des échanges et des reformulations. L’évaluation individuelle de chaque élève est nettement plus difficile à mettre en œuvre. Il est possible de créer une grille d’évaluation aux différents niveaux de la scolarité, s’appuyant sur les objectifs que l’on peut assigner à un débat philo : -co construction du savoir par l’élève, développement de la maîtrise de l’oral et de l’argumentation, éducation à la citoyenneté et apprentissage du débat démocratique, développement des interactions sociales entre pairs, évolution des confrontations par le conflit sociocognitif, développement de la pensée réflexive, désir de connaître, envie d’apprendre, développement de l’autonomie, développement de processus de pensée tels que problématiser, conceptualiser, argumenter, synthétiser, essor de la pensée critique, traitement de l’information. Ces objectifs et compétences se retrouvent dans les programmes de 2002 « Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? » On vise ainsi la transversalité des compétences acquises à travers le débat philo, permettant des comportements repérables dans l’ensemble des autres champs disciplinaires. C’est ce que John Dewey comme Matthew Lipman appelle le « bien penser ». « Dès lors qu’un enfant commence à s’interroger et à réfléchir à propos de sa vie et de ses expériences dans le monde, il n’arrête pas quand la cloche sonne, sa réflexion se poursuit dans les autres matières. » Marilyn L.Sklar Pour ne pas conclure Lors d’un congrès au Québec, en 2005, qui portait sur la philosophie pour enfants, synthèse des pratiques actuelles, l’approche française qui ne retient de la philosophie que les trois habiletés intellectuelles suivantes : conceptualiser, problématiser, argumenter, a paru restrictive. Il semble que les critiques françaises devant les apports des autres formes de pensée au développement de la philosophie chez les enfants oublient d’autres dimensions de la pensée : pensée créative, pensée critique, pensée attentionnée, pensée métacognitive. Ces autres formes de pensée sont considérées alors comme non philosophiques, alors qu’elles rejoignent différents domaines fondateurs de la philosophie : l’éthique, l’esthétique, la métaphysique. Il semble exister une grande diversité d’approches dans la façon de proposer et d’animer des ateliers philo avec des enfants, chacun bricolant sa propre méthode ou l’adaptant en fonction de sa propre sensibilité et des contraintes locales. Ne faudrait-il pas pour tenter de caractériser sa démarche et l’optimiser, s’interroger au moins sur trois facteurs : - le degré de guidance de l’animateur - le support utilisé - le mode de choix de la question ?