Une maison sur le sablê : L'importance de la recherche fondamentale Le Journal, 1998 par John L. Wallace, Ph. D., Professeur de pharmacologie, de physiologie et de médecine et détenteur de la chaire de la FCMII de la recherche sur les maladies intestinales, Université de Calgary Alfred Tennyson a déclaré un jour : «La science progresse, mais lentement, lentement, se traînant d'un point à l'autre». Sans doute, les partisans de la recherche sur les MII au Canada doivent parfois avoir l'impression que les laboratoires de recherche fondamentale progressent à la vitesse de l'escargot. Tennyson avait raison. La recherche fondamentale sur la cause et le traitement curatif des MII exige des travaux méticuleux qui évoluent par étapes modestes. Chaque étape semble insignifiante en elle-même, mais selon toutes probabilités, une démarche si méthodique représente le meilleur moyen d'atteindre notre objectif commun : un traitement curatif aux MII. Il semble aussi que, parfois du moins, nous étudions des choses qui n'ont rien à voir avec le quotidien des personnes atteintes d'une MII. En quoi par exemple l'étude de l'expansion et de la contraction d'une seule cellule dans une éprouvette peut-elle contribuer à réduire la douleur et les malaises des MII ? Pour comprendre, il faut situer la recherche fondamentale dans la perspective de la recherche sur les MII et des soins aux patients. La recherche fondamentale représente les assises de la recherche clinique et appliquée. Sans recherche fondamentale, il n'existerait aucun nouveau médicament à tester dans le cadre d'essais cliniques. Nous ne saurions même pas par où commencer à concevoir de nouveaux médicaments, puisque c'est la recherche fondamentale qui permet aux scientifiques d'évaluer les jonctions chimiques vers lesquelles cibler ceux-ci. En outre, sans une meilleure compréhension de la cause véritable de la maladie de Crohn et de la colite ulcéreuse, il est fort peu probable que nous trouvions un traitement curatif à ces maladies. La recherche fondamentale consiste à vérifier une hypothèse (une théorie) en laboratoire. Mais comment le scientifique trouve-t-il son hypothèse ? La plupart du temps, celle-ci voit le jour en milieu clinique ou de traitement. Des médecins peuvent observer des mécanismes déclencheurs de récidives chez leurs patients atteints d'une MII. Par exemple, de nombreux patients leur affirment souffrir d'une récidive en période de stress. Un seul médecin pourrait difficilement prouver de manière convaincante que le stress est responsable de récidives de MII. Cependant, si l'un d'eux avance cette possibilité, les chercheurs scientifiques peuvent en faire une hypothèse à vérifier en laboratoire, en milieu contrôlé. Les expériences «contrôlées» représentent le principal outil du chercheur fondamental. Ce sont des expériences au cours desquelles toutes les variables sont éliminées, sauf celle que le scientifique veut étudier. Celui-ci peut ainsi comparer un groupe de rats atteints de colite exposés au stress à un groupe dénué de stress. Bien sûr, ce type d'étude serait à peu près impossible à réaliser sur des humains puisque contrairement aux rats de laboratoire, chaque patient diffère de l'autre (une autre variable). Si les chercheurs fondamentaux pouvaient démontrer que l'exposition au stress aggrave la colite, ils pourraient en informer les médecins, qui conseilleraient les patients en conséquence. Ils pourraient surtout concevoir de nouvelles recherches pour découvrir comment le stress provoque cette aggravation. Certains produits chimiques libérés par les nerfs en période de stress sont-ils responsables de la colite ? Dans l'affirmative, des médicaments qui bloqueraient la libération de ce produit chimique préviendraient-ils cette aggravation ? Lorsque les chercheurs scientifiques ont identifié les jonctions chimiques responsables de la récidive de colite causée par le stress, c'est au tour du chercheur clinique d'examiner si cette constatation peut s'appliquer à la personne atteinte. On peut procéder aux études cliniques d'un médicament efficace pour le rat et espérer que ce médicament contribuera à diminuer le nombre de récidives de MII chez les patients. Ce qui rend les MII si difficiles à étudier, en particulier pour le chercheur clinique, c'est que celuici ne voit jamais de patient juste avant qu'il ne développe une MII, puis immédiatement après (afin de déterminer les modifications susceptibles d'avoir déclenché la maladie). Souvent, le gastro-entérologue ne voit le patient pour la première fois que lorsque la maladie est bien établie. Les tissus intestinaux ont été altérés, et il est extrêmement difficile d'établir les modifications qui ont contribué à l'évolution de la maladie et celles qui sont simplement des conséquences de la maladie. En laboratoire, le chercheur fondamental peut isoler une seule variable, étudier les répercussions d'une modification de cette variable sur un tissu, les changements intestinaux pendant l'inflammation et la façon dont certains médicaments réduisent l'inflammation et remettent les tissus à l'état original. Bien sûr, le chercheur fondamental fait partie d'une équipe. Il a besoin des observations cliniques du médecin pour l'aider à élaborer une hypothèse pertinente à ce qui arrive au patient. Le médecin a besoin du chercheur fondamental pour connaître les modifications aux tissus intestinaux responsables des symptômes des patients et pour participer à l'élaboration de nouveaux médicaments qui traiteront ou guériront la maladie. Le chercheur clinique jette un pont entre le chercheur scientifique et le médecin en évaluant si les progrès réalisés en laboratoire sont applicables aux personnes atteintes d'une MII. On parle souvent de la recherche «du laboratoire au chevet du patient», indiquant ainsi que la recherche passe du laboratoire à la clinique. En réalité, la recherche commence au chevet du patient, se poursuit en laboratoire, puis revient au chevet du patient. J'ai tenté dans cet article d'expliquer l'importance de la recherche fondamentale. Je tiens à terminer par quelques commentaires sur l'importance du financement de la recherche fondamentale par la FCMII. La financement de la recherche fondamentale au pays provient en grande partie du gouvernement fédéral, par l'entremise du Conseil de recherches médicales du Canada (CRM). Cependant, seule une infime portion de ce financement est attribuée à la recherche sur les MII, et cette portion diminue régulièrement depuis dix ans. Nous sommes nombreux dans le groupe des chercheurs à espérer, tout comme le gouvernement, que la recherche appliquée permettra de créer des produits vendables ici et à l'étranger. Cependant, des recherches appliquées exécutées sans les solides assises de la recherche fondamentale se comparent à la construction d'une maison sur le sable. Les fonds de recherche recueillis par les membres et les bénévoles de la FCMII sont inestimables. Sans ces subsides, de nombreuses recherches fondamentales en cours ne pourraient être réalisées, et nous serions incapables d'établir ces assises solides si essentielles à la découverte d'un traitement curatif.