Le rapport - Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité

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De la diversité des modes
d’existence du vivant :
une approche sociologique
Fabien Milanovic
La fRB
La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) est un point de convergence entre
les différents acteurs scientifiques et de la société concernés par la biodiversité. La FRB
assure un dialogue entre pouvoirs publics, acteurs de la société et acteurs de la recherche
sur la biodiversité, au niveau national, européen et international pour cadrer et soutenir la
recherche scientifique dans ce domaine, en lien avec les enjeux de la société. Développer
études et synthèses, mobiliser l’expertise interdisciplinaire, et diffuser les connaissances
sont autant d’actions au cœur de son dispositif. La FRB a été lancée en 2008, suite au
Grenelle de l’environnement, par les Ministères en charge de la recherche et de l’écologie,
et créée par 8 établissements publics de recherche (BRGM, CIRAD, CNRS, IFREMER,
INRA, IRD, IRSTEA, MNHN). Une centaine de structures, associations, entreprises,
gestionnaires ou collectivités, ont rejoint la FRB autour d’un but : relever ensemble les
défis scientifiques de la biodiversité.
© Photos (sauf mentions contraires) : Fabien Milanovic
© FRB 2014
Direction artistique : Elisabeth Paymal, FRB
Mise en page et graphisme : Mathilde Letard, FRB
De la diversité des modes
d’existence du vivant :
une approche sociologique
Fabien Milanovic
Remerciements
Ce rapport présente une recherche post-doctorale co-encadrée par François
Lefèvre (de janvier 2011 à l’été 2013) et Igor Babou (de janvier à l’été 2011).
Je tiens à vivement les en remercier. Xavier Le Roux en a porté l’intérêt
auprès de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, et par la suite
Bénédicte Herbinet en a assuré le suivi, tout deux en tant que directeur
et directrice de la FRB. Qu’ils en soient remerciés, ainsi que la FRB qui a
financé ce travail, et son équipe : notamment Isabelle Bonnin, Claude-Anne
Gauthier, Eléonore Charvolin et Robin Goffaux.
Par ailleurs et dès son début, un Comité de Pilotage a été établi : André
Charrier, Etienne Verrier, Elise Demeulenaere, Raphaël Larrère, Isabelle
Doussan, Pierre-Henri Gouyon et Joelle Le Marec m’ont donné de leur
temps et ont partagé leurs compétences et points de vue lors de réunions,
d’entretiens téléphoniques et de (re)lectures de versions antérieures à ce
texte. Je leur suis reconnaissant de leur implication et de leur intérêt.
De plus, j’ai été accueilli durant l’année 2011 par l’équipe « Communication, culture et société » du Centre Norbert Elias, au sein de l’Ecole Normale
Supérieure de Lyon. Je sais gré à Joelle le Marec et Igor Babou de leur accueil
et de m’avoir permis de présenter certains aspects de cette recherche lors
de séminaires et journées d’étude. Ioan Negrutiu, professeur de biologie à
l’Ecole, m’a fait une place au sein de son séminaire sur les ressources biologiques (juin 2011), et m’y a invité l’année suivante pour communiquer au
sujet de cette recherche. Sa passion communicative a contribué à la réalisation de ce travail, je lui exprime ici ma gratitude. Ma reconnaissance va également à l’équipe Médiations de l’Unité Agir de l’INRA, en agglomération
toulousaine, qui m’a accueilli quelques temps lors de la phase de rédaction
du rapport.
Enfin, la composante empirique de ce travail n’aurait pas été réalisable sans
le concours des personnes rencontrées dans le cadre de leurs activités professionnelles (cf. la liste nominative en annexe) : je les remercie chaleureusement
pour leur accueil, le temps qu’elles m’ont consacré, et l’intérêt qu’elles ont
manifesté.
4
résumé
La conception d’une nature composée de ressources illimitées au service
des humains est un mythe qui n’a cessé de s’étioler ces dernières décennies.
A partir de ce constat, une recherche sociologique qualitative a été réalisée
au sujet des relations que les humains nouent avec d’autres (vivants) non
humains sur le plan des usages qu’ils font de la nature. Que deviennent les
entités composant la biodiversité quand elles ne sont plus considérées comme
des ressources ou de simples moyens ? Explorer empiriquement la multiplicité
des relations entre les humains et leur environnement, entre humains et non
humains, afin de documenter l’existence d’une diversité de régimes et leurs
modalités de coexistence, constitue l’horizon analytique de cette recherche.
En s’appuyant sur ces données empiriques, ce rapport travaille la thèse
relative à la diversité des modalités d’existence des ressources génétiques et
de la biodiversité dans les dispositifs concernés. L’évolution du rapport au
vivant, au sens d’une multiplication-différenciation des relations entre nature
et société, génère de nouvelles pratiques (et lieux) de socialisation du vivant,
de nouvelles connexions entre processus écologiques, activités humaines et
territoires, où sont redistribuées les capacités d’agir entre entités humaines et
non humaines. C’est alors aux formes de recomposition de notre collectif, où
les enjeux politiques de gouvernement du vivant sont centraux, qu’ouvrent
les perspectives finales.
mots-clé
• ressources génétiques
• biodiversité
• sociologie
• entités biotiques
• modes d’existence
• nature
• humains – non humains
• vivant
• socialisation
5
sommaire
Introduction
p.8
une exploration sociologique des relations
nature-société
• L’abandon d’un mythe
• Enjeux et objectifs
• Dispositif méthodologique et analyse comparative
• Argument déployé et plan du rapport
Partie 1
De la diversité des modes d’existence du vivant
p.17
Chapitre 1 ­­­– L’engagement d’entités biotiques
dans des dispositifs de production de connaissance
• 1-1 Le cas du Cnrgv
• 1-2 Le cas du peuplier noir
• 1-3 Conclusion
Chapitre 2­­­ – L’engagement d’entités biotiques
dans des dispositifs d’action
• 2-1 Florimond Desprez, la betterave sucrière, son génome
et Aker
• 2-2 Le cas d’Arcad
• 2-3 Conclusion
Chapitre 3 ­­­– L’engagement d’entités biotiques
dans des dispositifs de patrimonialisation
• 3-1 Une patrimonialisation à visée instrumentale
• 3-2 Une patrimonialisation territorialisée :
le cas du Nord-Pas de Calais
• 3-3 Conclusion
Conclusion partie 1 – Des rapports à la nature contrastés
6
Partie 2
Socialiser la nature : des pratiques sous tension
p.57
Chapitre 4 – Expérimenter d’autres pratiques
de socialisation de la nature
• 4-1 Gestion de races locales animales menacées
dans le Nord-Pas de Calais
• 4-2 Diversité des modalités d’existence des peupliers
en vallée de Loire et basses vallées angevines
• 4-3 Conclusion : Vers une gestion renouvelée de la nature ordinaire ?
Chapitre 5 – Rendre viable un monde commun
• 5-1 Copiloter ou instrumenter : la gestion du domaine
de la Palissade (PNR de Camargue)
• 5-2 Flux de gènes entre betteraves et entre peupliers
• 5-3 Conclusion
Conclusion partie 2 – Des modes d’existence des
entités biotiques
Conclusion générale
p.90
Conférer des pouvoirs au vivant : travail politique
et régulation
• Des relations nature-société diversifiées
• Une mise en politique du vivant
• Perspectives
p.99
Bibliographie
p.104
Annexe : liste des personnes rencontrées
7
introduction
Une exploration sociologique
des relations nature-société
Zone humide de Saint-Caprais (31)
L’abandon d’un mythe
Ecorché depuis les années 1950, le mythe d’une nature aux ressources
illimitées est véritablement devenu caduc au tournant des années 1990,
avec la conjonction des crises écologiques relatives aux énergies (carbonées
non renouvelables), au climat (et son changement) et à la biodiversité (avec
son érosion). L’exploitation et la conservation de la diversité génétique par
une approche minière – approche consistant à gérer la diversité génétique
comme un réservoir stable et inépuisable d’éléments appropriables (Sontot
2009, 268) – s’est révélée, depuis, insoutenable sur le long terme.
Pour ce qui concerne la France, la gestion des ressources génétiques organisée
sous le patronage du Bureau des Ressources Génétiques (BRG) s’est principalement effectuée dans ce cadre jusqu’aux années 2000. Dans la Charte nationale
pour la gestion des ressources génétiques, adoptée par les membres du BRG,
était écrit : « Il importe donc de raisonner au mieux la constitution et la gestion
durable d’un réservoir de diversité génétique »1 . La gestion des ressources géné-
8
tiques alors en place visait à « s’assurer du maintien à long terme d’un réservoir génétique suffisant pour répondre aux besoins futurs et, en particulier, être en mesure
d’assurer une production agricole plus diversifiée à moyen terme » (ibid., 18). Les
ressources génétiques étaient ainsi conservées ex situ et « associées à une vision
patrimoniale, non renouvelable, perdant la plupart de leurs attributs évolutifs »
(David 2011, 12).
Deux préoccupations majeures occupant une place privilégiée dans les agendas politiques ont contribué à infléchir ces pratiques : la nécessaire évolution
de l’agriculture intensive suite à la constitution de l’environnement comme
« problème » (Lascoumes 1994 ; Charvolin 2003); la confirmation du changement climatique et des défis inédits que cela pose au vivant en termes
d’adaptation.
Bref, les ressources naturelles limitées, les ressources génétiques érodées,
les problèmes d’accessibilité aux ressources qui en sont consubstantiels, les
soucis de « développement durable », la notion d’« empreinte écologique »,
les enjeux d’adaptabilité soulevés par un environnement changeant, tout
ceci contribue à entériner la péremption d’une conception minière des
ressources génétiques tant sur le plan de leurs utilisations que sur celui de
leur conservation-préservation. Cela pose de nouveaux problèmes et appelle
de nouvelles pratiques2.
En même temps que le mythe d’une nature aux ressources illimitées s’étiole,
c’est aussi la conception d’une nature appréhendée dans un rapport de totale
extériorité au regard des humains qui devient obsolète dans les travaux d’écologues de ces deux dernières décennies. L’écologie écosystémique d’Odum,
paradigme de référence des années 1950 aux années 19803, considère la
nature comme composée d’écosystèmes qui connaissent des états successifs
dans leur développement jusqu’à atteindre un état stable lorsque leur « maturité » est atteinte (Odum 1953, 1969). Dans cette perspective, les humains
sont considérés hors-nature et les activités humaines comme menaçant les
équilibres écologiques. Ce qui est là une conception statique de la nature, qui
repose sur une dichotomie humains-nature.
Ici aussi, au tournant des années 1990, une autre conception écologiste
se développe, faisant davantage cas de la dynamique des écosystèmes et
intégrant les perturbations, d’origine humaine ou naturelle, comme facteurs
de structuration des communautés biotiques (Pickett et White 1985 ; Boose
et al. 1994 ; Lepart 1997). Dans ce cadre où co-évoluent nature et société
humaine au sein d’une histoire où elles sont donc solidaires, les activités
humaines sont à intégrer dans le domaine de l’écologie (en tant qu’élément
des régimes de perturbations à étudier). Ecologie des perturbations,
écologie des paysages, écologie de la réconciliation, écologie évolutive,
génie écologique, sont des émanations de cette approche dynamique de la
nature : les humains sont conçus comme l’une des composantes de la nature
(selon une conception solidariste et non dualiste) et leurs activités peuvent
certes nuire à la diversité biologique, mais aussi lui bénéficier.
1
In « Charte Nationale pour la gestion des ressources génétiques » (p.12) adoptée en 1998
par les ministères (de la Recherche, de l’Agriculture, de l’Environnement) et organismes
publics (Inra, Mnhn, Cnrs, Ird, Cirad,
Geves) membres du groupement scientifique
du BRG.
2
« La puissance d’analyse, de compréhension et
de maîtrise technique du vivant qu’a apportée
la Génétique sous tous ses aspects a laissé s’installer l’impression que les gènes et leur diversité
sont une richesse minière acquise et inépuisable
pour ceux qui savent les reconnaître, les entretenir et les travailler. Nous savons cependant qu’il
ne s’agit là que d’une idée fausse et caricaturale
du vivant. », précisant alors : « Le temps est donc
venu de reprendre la réflexion sur les ressources
génétiques », in «Les ressources génétiques à
l’orée de temps nouveaux », par la Commission
Scientifique du BRG, juin 2006, p.12.
3
Paradigme de référence dans le domaine de
recherches écologiques mais également en ce
qui concerne les orientations de gestion des
parcs naturels, avec notamment le principe
de « naturalité » (que nous rencontrerons dans
la seconde partie de ce rapport). Voir C. et R.
Larrère (2009) pour un exposé plus détaillé.
9
Enjeux et objectifs
L’évolution du rapport aux ressources, suite à l’abandon de la conception
minière, et le développement d’une conception écologique, dynamique et
solidariste, aboutissent au point de départ de cette recherche : notre rapport
à la nature, devenu problématique et insoutenable sur le long terme,
est en cours de modification, que ce soit sur le plan de la prise en compte
de l’environnement au sein des pratiques qui engagent des ressources génétiques, sur les modalités d’administration d’une « nature ordinaire », ou sur
l’intégration des temporalités géologiques et biologiques4 dans les activités
productives, au regard du changement climatique notamment. Ce sont de
telles modifications qui constituent l’objet de cette recherche : étudier la
multiplicité des relations entre société et nature au travers des ressources
génétiques.
Précisons-en les enjeux. On a vu qu’au modèle de l’exploitation minière
des ressources génétiques s’adjoint progressivement une vision plus dynamique de celles-ci et de leur diversité. Car avec un environnement évoluant rapidement (notamment sous l’effet du changement climatique),
conserver des collections de ressources génétiques ex situ condamne celles-ci
à ne plus être adaptées au nouvel environnement présent au moment de
leurs utilisations5. D’où ici un double enjeu : le premier consiste à anticiper certains paramètres des changements en question, et avec la génomique cerner les gènes en jeu dans l’élaboration des propriétés conférant
une adéquation aux facteurs retenus (stress hydrique et thermique, phénologie, salinité, résistances aux maladies…). Puis mettre au point des variétés, ou sélectionner des races, intégrant ces propriétés et mobilisables soit
dans le prolongement de l’agriculture intensive actuelle, soit dans le cadre
d’une agro-écologie. Le second enjeu consiste, en soulevant la question
de « l’adaptabilité durable », à prendre acte que « conserver la nature, c’est
d’abord lui conserver ses potentialités évolutives » (Chevassus-au-Louis 2007).
Ce qui oriente vers des pratiques de gestion dynamique des ressources
génétiques, gestion in situ, en conditions naturelles (par ex., forêts, poissons)
ou à la ferme (plantes cultivées et animaux domestiques), où les variétés et
les races évoluent conjointement à leur environnement, et où pas de temps
courts et longs sont à considérer.
Enfin, aux côtés de ces enjeux de recherche et de gestion figurent des enjeux
patrimoniaux, d’autant que le rapprochement entre diversité biologique et
diversité culturelle – la notion de diversité bioculturelle en étant l’expression
syncrétique – a étendu les pratiques de patrimonialisation du vivant, frayant
par là d’autres enjeux à la conservation du vivant domestique (Berard et
Marchenay 1998, 7). Ces enjeux de patrimonialisation sont importants en
ce sens que pour mobiliser de la diversité, pour l’échantillonner et exploiter ses ressources (à des fins de connaissance et de domestication), encore
faut-il la conserver. Les dispositifs de patrimonialisation peuvent aussi viser
à conserver des « traditions culinaires » (c’est-à-dire les goûts, les produits, et
plus globalement les pratiques, s’y rapportant), des savoir-faire, et plus généralement des traditions locales relatives à un patrimoine vivant (comme les
arbres fruitiers), dont la diffusion devient également un enjeu.
L’objectif fondamental de la recherche ici présentée est de contribuer à
documenter les évolutions des modalités par lesquelles les humains se
lient avec les non humains. Bien évidemment, seuls certains aspects de cet
4
Sur ce « temps biophysique » appelé à se
substituer au « temps moderne », voir Micoud
(2012).
5
Bien qu’il faille préciser que cette conserva10
tion ex situ correspond pour l’essentiel aux
végétaux, puisque, en ce qui concerne les ressources génétiques animales, la conservation
est très largement in situ.
Focus n°1
Ressources et biodiversité, de quoi parlons-nous ?
à propos de la notion
de ressource
Entreprendre de penser la notion de
ressource soulève la difficulté de se
défaire d’une conception naturalisée de
cette notion ; les ressources naturelles,
génétiques, ont toujours existé et
existeront toujours, si les humains ne
mettent pas un terme à leur existence,
car elles existent indépendamment de
ces derniers. Une telle conception est
fréquente et se trouve en de nombreux lieux, comme dans le Projet de
loi constitutionnelle sur la Charte de
l’Environnement, où, aux considérants
1 et 2 on peut lire que « Les ressources
et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ».
En ce sens, cette notion et d’autres –
comme « domestiques », « sauvages »,
en sus de celle de « nature » vue dans
l’introduction de ce rapport – sont
comme « naturalisées » de par le caractère d’évidence qu’elles revêtent et qui
rend l’idée même de leur mise en débat
comme impensable.
C’est sur cet impensé qu’a été initiée
la recherche exposée dans ce rapport :
problématiser ce que la notion de ressource signifie, désigne, et avec elle
celle de « biodiversité ». Il ne s’agit donc
pas de saisir de manière essentialiste
les ressources (qui existeraient en soi)
mais de manière historicisée : les ressources existent dans un contexte historique. Dire cela, c’est dire qu’aucune
entité qui peuple notre environnement
n’est une ressource en soi. L’environnement lui-même est une nature travaillée par le politique, au sens où cet
environnement résulte d’une mise en
forme produite par une action collective
organisée (Lascoumes 1994, Charvolin
2003, Barbier et al. 2012). L’eau, les
sols, les espèces animales et végétales,
les minerais ou le pétrole « ne sont en
aucune façon des matières destinées
a priori à produire de l’énergie ou des
matériaux. Leur utilisation en tant que
ressource est indissociable de l’histoire
des techniques et de l’économie humaine, elle n’a donc rien de « naturel »
(Lascoumes 1994, 11).
Dans cette conception relationnelle, les
« ressources génétiques »6 sont le produit
d’un rapport particulier que nous entretenons avec les entités naturelles. Historiquement et dans les pays occidentaux,
cette relation a d’abord été caractérisée par
une logique anthropocentrée et instrumentale. On a entrevu que le type de relations
nouées depuis a évolué, notamment avec
l’émergence et la prégnance des problèmes
soulevés par la thématique de la biodiversité (sur cette mise en perspective, voir
l’article de Bonneuil et Fenzi (2011).
à propos de la notion
de biodiversité
En historicisant là aussi le rapport des
humains à la nature, on peut noter une
évolution dans l’appréhension de celle-ci :
d’un souci de protection de la nature à la
gestion contemporaine de la biodiversité
(Blandin 2009, 2010).
« Protéger la nature » est un objectif qui
devient explicite à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. L’impact d’activités traditionnelles (comme l’agriculture, le pastoralisme, l’exploitation forestière, la chasse, la
pêche et la cueillette) sur les milieux naturels et sur des espèces d’animaux sauvages
et de plantes non cultivées commence alors
à faire l’objet d’évaluation critique (en Europe et en Amérique du Nord). C’est avec
une conception dualiste sous-jacente (la
nature est un domaine clairement séparé
des sociétés humaines) que sont alors institués (par l’activisme des naturalistes)
des espaces à l’écart de pratiques jugées
destructrices. Quels en sont les ressorts ?
Il s’agit, d’une part, de contenir les effets
incontrôlés des techniques industrielles
(pollutions de l’air, de l’eau, des sols par les
usines, et leurs déchets) en plein déploiement au cours de la révolution industrielle.
Il s’agit aussi, d’autre part, de protéger la
nature des terroirs (ce qui y pousse et vit):
même si la nature concernée est anthropisée, cela reste une nature visible, sensible,
à contempler et aimer (il y a là la mise en
avant d’une dimension esthétique qui se
prolongera par la suite avec la notion de
paysage). Dans les deux cas on a affaire
à une nature qui doit être préservée des
externalités des activités humaines.
Un pas vers plus d’instrumentalisme
est franchi à Paris, au Muséum national
d’Histoire naturelle, le 1er juin 1923, lors
du premier congrès international pour
la protection de la nature où, dans le
discours de clôture prononcé par Louis
Mangin (président général du congrès),
aux raisons esthétiques et morales de
protéger la nature est associé un « point
de vue pratique » : exploiter prudemment les richesses de la nature afin d’assurer la perpétuité de celles-ci.
Après la guerre et à la création de
l’Union Internationale pour la Protection
de la Nature (1948), dans son texte fondateur le préambule précise : « on peut
entendre par « Protection de la nature »
la sauvegarde de l’ensemble du monde
vivant, milieu naturel de l’homme. Cet
ensemble renferme les ressources naturelles renouvelables de la terre, facteur
primordial de toute civilisation ». Le
monde vivant y est apprécié en fonction
des humains (anthropocentrisme), et le
terme de ressource fait son apparition.
Mais c’est surtout avec son premier
secrétaire général que l’UIPN, en 1949
prend un virage utilitariste, puisque
désormais conserver doit mobiliser « un
ensemble d’arguments anthropocentriquement utilitaires, donc convaincants
pour les masses. » (Jean-Paul Harroy,
extraits du discours).
Ainsi, en quelques décennies se substitue à la conception d’une nature à
protéger celle d’un patrimoine (naturel)
à gérer. Dans ce mouvement, et avec
cette notion de ressources, la nature
n’est plus appréhendée comme un bloc
monolithique, une entité globale et
globalisante, mais au contraire, comme
composée d’une multitude d’éléments
(ou de ressources) pouvant être agencés
à diverses échelles d’analyse et d’action.
L’enjeu devient alors leur intégration au
sein d’une problématique gestionnaire :
il s’agit de gérer la nature, ou le patrimoine naturel, au sein d’une économie
où la nature est instrumentalisée sous
forme de ressources.
11
objectif massif sont (empiriquement) documentés dans ce rapport : comprendre les changements observables que la fin du mythe d’une nature aux
ressources illimitées suscite dans notre rapport à la nature ; frayer une mise
en perspective de notre rapport au vivant au travers du prisme des notions
de ressources génétiques et de biodiversité ; ou encore, pour le dire autrement, constituer ces dernières notions en analyseurs des évolutions en cours
(cf. focus n°1). L’objectif visé peut ainsi se décomposer : spécifier ce que ressources génétiques et biodiversité recouvrent ; apprécier l’évolution de leur
contenu ; explorer la nature de leur interrelations, leur histoire, ce qu’elles
partagent, ce qu’elles ont en commun et ce qui leur est propre. Avec comme
horizon d’analyse un éclairage sur l’émergence ou l’instauration d’autres
« logiques de socialisation du vivant ».
Je propose dans cette perspective de problématiser les relations que les
humains nouent avec les non humains à travers les usages qu’ils font de
la nature (cf. focus n°2). Quelles sont les caractéristiques de ces relations ?
Sachant que celles-ci composent notre collectif, leur évolution modifie-t-elle
celui-ci ? Assiste-t-on à une évolution de notre rapport au vivant ? A d’autres
modalités de « socialisation » des relations entre humains-non humains ?
Que deviennent les entités composant la biodiversité quand elles ne sont
plus considérées comme des ressources ou de simples moyens ? Il est donc
question, dans ce travail, de s’intéresser aux modes d’existence7 d’entités
naturelles et de la biodiversité. Explorer la multiplicité des relations entre
les humains et leur environnement, entre humains et non humains, afin
de documenter l’existence d’une diversité de régimes et leurs modalités de
coexistence constitue l’horizon analytique de ce travail. Il s’agira plus précisément de mener cette exploration empiriquement pour ce qui concerne les
ressources génétiques et la biodiversité : sont-elles engagées dans des pratiques
où leurs modalités varient ? Où les manières d’établir des relations avec elles
sont plurielles ?
Plaine de Crau, Réserve Naturelle de Camargue
6
La Convention sur la Diversité Biologique
de 1992 définit les ressources génétiques
comme « Matériel doté d’une valeur effective ou
potentielle et contenant des unités fonctionnelles
de l’hérédité ». La dimension relationnelle se
donne à voir dans l’attribution des propriétés
que cette définition confère aux entités naturelles afin de permettre à ces dernières d’être
utilisées dans certaines activités humaines :
réduction du vivant au gène, appréhension
12
de ce vivant sous forme de ressource, c’est-àdire dans une perspective instrumentale à des
fins économiques. cf. Filoche et Foyer (2011)
pour une analyse détaillée.
7
L’hypothèse générale de l’ouvrage classique
de G. Simondon sur les techniques est de
considérer comme un système l’ensemble
formé par l’homme et le monde : « l’homme
et le monde forment un système vital, englobant le vivant et son milieu » (Simondon
1958, 155). C’est pour ne pas appréhender la
technicité comme réalité isolée, mais comme
partie d’un système (p.157) qu’il a recours
à la notion de mode d’existence des objets
techniques. C’est en ce sens que je l’emploie
ici ; ressources génétiques et biodiversité ne
sont pas définies a priori et en soi mais caractérisées au regard des actions où elles sont
engagées, en situation. D’où cette attention
à leurs modes d’existence.
Observation en bords de Garonne (31)
Focus n°2
Une autre appréhension des relations
entre humains et non humains ?
S’intéresser à l’enchevêtrement des
liens entre humains et non humains,
entre humains et entités vivantes non
humaines, entre humains et objets ou
artefacts techniques, c’est déjà prendre
ses distances avec la conception « moderne » très prégnante, souvent vécue
comme un allant de soi, qui pose la
nature (qui contient les non humains)
comme un domaine ontologique autonome et distinct de celui des humains.
Distinction en flagrante contradiction
avec les pratiques concrètes où l’hybridation entre nature et culture, leur
coproduction, sont la règle bien plus
que l’exception : ce qui fait dire à Latour
(1991) que « nous n’avons jamais été
modernes ». Appréhender la nature
comme quelque chose qui nous est
extérieur, qui existe indépendamment
de nous, comme champ d’enquête et
d’expérimentation scientifique, comme
ensemble d’objets à exploiter et à améliorer, quoi de plus « naturel », pour ainsi
dire ?
Pourtant, dans son travail anthropologique, P. Descola s’est efforcé de mettre
en doute l’existence d’une telle nature
et l’universalité qu’on lui prête. Sur un
plan historique, d’abord ; le concept
de nature est adossé à celui de société
qui n’émerge qu’au XIXe siècle (Sur ce
point voir M. Foucault (1975), et plus
globalement, J.-P. Deléage (1991)). Sur
un plan géographique, ensuite ; seuls
les « occidentaux » font une telle distinction radicale entre société et nature, en les
concevant dans un rapport d’extériorité
l’un à l’autre. Cette dichotomie est dépourvue de sens partout ailleurs. Par exemple
chez les Achuar (indiens d’Amazonie, à
la frontière de l’Equateur et du Pérou), la
plupart des êtres de nature possèdent une
« âme » analogue à celle des humains.
D’ailleurs, l’expression même de « êtres de
nature » est vide de sens pour eux, puisque
des êtres dotés de pensées, de sentiments,
de désirs et d’institutions semblables à
celles des humains ne sont pas des êtres
différents de ces derniers : la distinction est
obsolète (Descola 1993). L’anthropologie a
mis au jour d’autres formes de continuités
mettant à mal cette dichotomie, comme,
autre exemple, dans les travaux de M.
Griaule sur l’animisme en Afrique. D’où cet
appel à une sagesse épistémologique dont
nous fait part Descola en nous invitant à
situer notre propre conception (dualiste et
instrumentale) « comme un cas particulier
d’une grammaire générale des cosmologies plutôt que de donner à notre vision du
monde une valeur étalon » (Descola 2005,
p.131).
Si l’on se place dans une perspective théorique selon laquelle le monde dans lequel
nous vivons n’est pas considéré comme
déjà là, mais comme tout au contraire à
construire, le problème de la composition progressive du monde commun que
nous habitons peut ainsi être formulé :
« Comment humains et non humains
échangent leurs propriétés pour composer en commun la matière première
du collectif ? » (ibid. p.97). Dans ce
cadre, socialiser veut dire ; associer des
éléments hétérogènes au sein d’un
collectif (Latour 2007). Entreprendre
de socialiser des « entités naturelles »
comme celles contenues dans la notion
de biodiversité (qui comprend les ressources génétiques) renvoie ainsi à des
enjeux relatifs à l’association d’entités
humaines et d’entités non humaines
(biotiques et abiotiques). D’où une problématique de recherche axée sur les
« logiques de socialisation du vivant » en
œuvre dans le domaine des ressources
génétiques et de la biodiversité.
Enfin, si cette problématisation en
termes d’humains-non humains se
substitue à une problématique focalisée
sur nature-culture, elle n’invalide pas
pour autant la notion de « nature » :
il existe bien une nature qui comprend
des éléments indépendants des
humains, des processus reproductifs où
les humains n’interviennent pas. Mais
les sociétés humaines appartiennent à
cette nature : les phénomènes de coévolution et d’hybridation le rappellent
à la fois sur le plan historique et au
quotidien (pour de nombreux exemples,
cf. l’ouvrage de synthèse de Barbier
et al. 2012).
13
Dispositif méthodologique
et analyse comparative
L’enquête empirique que j’ai menée s’appuie sur un dispositif qui combine
plusieurs méthodologies : observations situées, entretiens, recueil de documents écrits. L’ensemble de ces matériaux empiriques (soit l’équivalent de 23
jours d’observations, 50 entretiens et quelques centaines de pages de documents) ont été recueillis et analysés en s’appuyant sur la « méthode comparative d’analyse qualitative continue » élaborée par Glaser et Strauss (1967,
traduit en 2010) que les lignes suivantes explicitent.
Quelles ont été les options qui ont orienté les choix effectués dans le cadre de
l’enquête empirique réalisée ? Les données empiriques à élaborer se devaient
d’être pertinentes au regard de la théorie à produire : elles sont à situer au sein
d’une démarche méthodologique à la fois qualitative et inductive. Ce qui
signifie, on vient de le voir, que l’essentiel des méthodes d’enquête employées
renvoie à des observations situées, des entretiens et des investigations documentaires. D’autre part, le terme d’inductif pointe l’idée qu’il ne s’agit pas
d’élaborer des hypothèses a priori et d’aller sur le terrain pour les confirmer
ou les infirmer (démarche hypothético-déductive), mais, à l’aide d’hypothèses de travail destinées à orienter, ou fournir des repères au travail de terrain (cf. supra), produire de l’intelligibilité (c’est-à-dire de la théorie) à partir
des données empiriques recueillies (démarche inductive qui vise à produire
des connaissances empiriquement fondées). Le choix des terrains d’enquête
renvoie ainsi à la notion « d’échantillonnage théorique » que « constitue le pro-
14
Ci-dessus : J.Rhodes, technicien zone humide
(NMP), suivi de la qualité de l’eau, ramier de
Bigorre (31); Équipement au Cnrgv-Inra (31);
Ci-dessous : Dispositif expérimental, conservatoire de Guéméné-Penfao (44)
cessus de recueil de données au moyen duquel le chercheur tout à la fois rassemble,
code et analyse ses données et décide des matériaux additionnels dont il a besoin et
de l’endroit où les trouver, dans le but de développer la théorie au fur et à mesure
qu’elle émerge » (Glaser et Strauss 2010, 138). En ce sens c’est au regard du
questionnement que les terrains ont été choisis : l’échantillonnage théorique
(qui vise la significativité) est distinct de l’échantillonnage statistique (qui
vise la représentativité).
Je n’ai donc pas cherché à fournir une description exhaustive du domaine de
l’utilisation des « ressources génétiques » végétales et animales, mais à cerner ce qui émerge de « formes d’expérimentation » originales et innovantes
comparées à des usages « en routine » de telles ressources. D’où le recours à la
comparaison continue des différences et des similitudes entre divers terrains
regroupés en groupes.
Comme indiqué précédemment, « le critère de base déterminant la sélection
des groupes de comparaison pour élaborer la théorie est leur pertinence théorique » (Glaser et Strauss 2010, 143). D’un point de vue opérationnel, pour
équiper le choix des terrains à étudier, tout en étant sensible à la recherche
d’hétérogénéité constitutive de la démarche comparative adoptée et en tenant
compte des hypothèses de travail, trois critères de sélection ont été retenus.
Prélèvements de C.Tetrel, chargée des suivis
scientifiques au domaine de La Palissade,
Camargue (13)
Encart n°1
présentation des terrains – voir en annexe la liste des personnes rencontrées
Les espèces végétales
Deux espèces ont été étudiées, le
peuplier et la betterave, toutes deux
prises en tension entre des formes
« cultivées-spontanées » et des usages
« fractionnés-intégrés ».
Le peuplier (15 entretiens ; 7 ours
d’observation) est le plus varié et le plus
fourni des terrains. Il est composé de trois
cas. Le premier concerne les peupliers
noirs. Les investigations ont porté sur
leur constitution en objet de recherche
génétique et sur les mesures prises pour
protéger cette espèce menacée, pour
promouvoir son intégration dans la
« nature ordinaire », notamment dans
la forêt alluviale des bords de Loire.
Le deuxième cas porte sur la place des
peupliers noirs et hybrides au sein des
paysages de Basses vallées angevines
et des vallées de la Loire, au regard des
enjeux du paysage, de la reconversion
de peupleraies en prairies ouvertes et de
la filière bois-énergie. Un autre aspect
concerne la politique et les dispositifs de
conservation des ressources génétiques
forestières (RGF). Enfin un dernier cas
porte plus directement sur les peupliers
hybrides et la populiculture en vallée de
la Loire, notamment sur l’élaboration
de cultivars de peupliers hybrides pour
la populiculture et sur la conduite de
celle-ci.
La betterave (5 entretiens, 1 jour
d’observation) relève d’une moindre
ambition comparativement au peuplier.
Deux cas sont à considérer ici. Le premier
est consacré à l’utilisation de betterave
sucrière dans la production de sucre, où
les enjeux de compétitivité économique
sont particulièrement prégnants. Les
investigations ont porté sur l’innovation
variétale, la génomique et le programme
Aker. Le second cas aborde le complexe Beta
au niveau des flux de gènes, c’est-à-dire sur
le plan des relations entre compartiments
« domestique » et « sauvage ».
Les espaces
Des espaces régionaux situés en Nord-Pas de
Calais et en Camargue ont été explorés, avec
les animaux comme entrée empirique sur les
terrains concernés.
Les espaces naturels du Nord-Pas de Calais (7 entretiens, 4 jours d’observation),
composés de trois Parcs Naturels Régionaux (PNR), ont été étudiés au travers des
liens entre ressources génétiques animales
et territoire, sur le plan de la construction
de filières à finalité de préservation (premier cas), et au niveau des dispositifs de
gestion des ressources génétiques (végétales et animales), en lien avec les PNR et
le Conservatoire Régional des Ressources
Génétiques (second cas).
La Camargue (7 entretiens, 3 jours
d’observation) a suscité des explorations relatives à la gestion d’un des domaines qui composent le PNR (premier
cas) afin d’être en mesure d’apprécier
les impacts liés à la démoustication du
site (second cas).
Les plateformes
Le Centre National des Ressources Génomiques Végétales (CNRGV) de l’Inra
et le programme Arcad de la fondation
Agropolis ont été questionnés sur leurs
rapports aux ressources génomiquesgénétiques végétales.
Le CNRGV (Inra, Toulouse) (9 entretiens, 5 jours d’observation) a été étudié dans ses actions de production de
ressources génomiques (fabrication,
conservation, utilisation), en tant que
centre de référence sur le plan technologique et lieu de conservation (premier
cas), puis sur le plan de son implication
dans des programmes de recherche
(second cas).
Arcad (Fondation Agropolis, Montpellier) (7 entretiens ; 3,5 jours d’observation) a été l’objet du même intérêt
quant aux ressources génomiques (premier cas), et en tant que dispositifs de
gestion et de mise en circulation de ressources génétiques (second cas).
15
J’ai ainsi volontairement diversifié ces terrains de telle sorte :
1.qu’ils soient le lieu d’usages d’entités tout à la fois « cultivées/spontanées » ;
2.qu’ils relèvent d’activités organisées autour de filières/territoires ;
3.qu’ils soient peuplés d’entités prises en tension entre ressources génétiques/
biodiversité, à différentes échelles (intra-inter-spécifique, écosystémique).
Six terrains ont été retenus, ordonnés autour de trois groupes
(pouvant ainsi donner lieu à des comparaisons intra et inter-groupes) :
deux espèces, deux espaces et deux plateformes de recherche (cf. encart n°1).
L’enquête empirique a été orientée sur les ressources génétiques végétales, bien qu’il ait été décidé d’accorder en complément de l’attention aux ressources génétiques animales. D’où le fait que le groupe des
espaces soit étudié à partir d’une entrée par les animaux (cf. ci-dessous).
Par ailleurs, tous ces terrains ne se situent pas sur le même plan, au regard
des buts fixés, des opérations de recherche engagées, et de la profondeur
d’investigation visée.
Argument déployé et plan du rapport
En m’appuyant sur ces données empiriques, je développerai l’argument selon
lequel les ressources génétiques, la biodiversité, et leurs utilisations ont
évolué dans les dispositifs qui les gèrent, et ce de deux façons : sur le plan
de leur pertinence pratique dans une logique instrumentale (différenciation
de leurs utilités qui n’est plus strictement agronomique et productiviste); et
sur le plan de leur statut même, où elles ne sont plus appréhendées selon
une logique anthropocentriste et instrumentale, elles sont un « bien » ou une
« fin en soi » à prendre en compte, à bien traiter, à préserver (dans ce cas ce ne
sont plus des ressources mais des « êtres de nature »). Les capacités d’actions
qui leurs sont attribuées sont autres et du coup les relations que nous nouons
avec elles s’en trouvent modifiées. Ce rapport propose donc d’explorer la
thèse relative à la diversité des modalités d’existence du vivant (des ressources génétiques et de la biodiversité) dans les dispositifs de gestion
concernés, à tous les niveaux de la biodiversité et aux différents degrés
d’anthropisation des entités considérées.
Une première partie, composée de trois chapitres, vise à établir la diversité
des modes d’existence d’entités biotiques mobilisées dans des activités où se
croisent ressources génétiques et biodiversité. Il s’agit de recenser la diversité
des lieux de mobilisation des ressources génétiques et de la biodiversité, avec
comme objectif de montrer que leur instrumentalité peut être diverse, les
intérêts en jeu étant variés et n’impliquant pas le même traitement des entités
considérées, malgré l’homogénéité supposée par l’emploi d’un même terme,
celui de « ressources ».
Rendre compte d’expérimentations de nouvelles formes d’organisation
des relations entre nature et société est le vecteur de la seconde partie. Son
objectif est d’explorer des situations où, dans les relations nature-société, les
entités biotiques sont appréhendées comme des « êtres de nature » (et non
comme des moyens) dans une logique non instrumentale (ou non exclusivement : logique composite). Il s’agit d’exhiber la multiplicité des opérations
qui lient humains et non humains (c’est-à-dire les humains entre eux et dans
leur écosystème, avec des animaux et des plantes) et de mettre en évidence la
coexistence de différentes logiques de socialisation du vivant, et les enjeux que
cela soulève. Les lignes conclusives opèrent une décomposition des caractéristiques des modes d’existence des entités considérées en fonction de leur
statut et frayent une réflexion sur la mise en politique du vivant, sur les pouvoirs attribués à ce dernier et sur les enjeux de leur régulation.
16
Partie 1
De la diversité des modes
d’existence du vivant
Collection Nationale de peupliers, conservatoire
de Guéméné Penfao (Loire-Atlantique)
Cette première partie interroge la pluralité des modalités d’existence d’entités biologiques mobilisées dans des activités de production de connaissance
(chapitre 1), dans des dispositifs d’action (chapitre 2), et de patrimonialisation (chapitre 3). Dans de tels dispositifs, où la diversité génétique des
végétaux et des animaux étudiés est centrale, il s’agit de montrer que leur instrumentalité peut être diverse, les intérêts en jeu étant variés et n’impliquant
pas le même traitement des entités considérées, ce que ne laisse pas nécessairement entendre leur mobilisation sous le même terme de « ressources ».
Selon quelles modalités d’existence les entités biotiques sont-elles engagées
dans ces dispositifs ? Ont-elles toujours une visée instrumentale ? Et à quel
type de biodiversité l’usage de leur diversité renvoie-t-il ?
Plaine de Crau (Camargue)
17
Chapitre 1
L’engagement d’entités biotiques
dans des dispositifs de production
de connaissance
Afin d’exposer la multiplicité des engagements des « ressources génétiques »
dans des activités de connaissance, je procéderai en recourant à la comparaison de deux cas présentant entre eux le plus d’hétérogénéité possible8. L’un
représente l’une des formes les plus abouties des capacités d’action humaines
sur le vivant domestiqué et en laboratoire, l’autre concerne une espèce « sauvage » appréhendée dans son habitat naturel. La diversité des dispositifs qui
visent à explorer génétiquement des entités végétales se retrouve-t-elle dans
la nature des relations que les protagonistes concernés entretiennent avec ces
entités ? Dans les modalités d’existence de ces ressources ? Dans les logiques
qui président à leur mobilisation ? Sur le plan des objectifs qu’elles servent ?
De leur traitement ? Sur les manières que nous, humains, avons de les intégrer à notre collectif ?
Pour apporter des éléments de réponse, je m’appuierai donc sur l’étude de
deux cas : le premier concerne les activités du CNRGV, laboratoire de référence, en France et en Europe, dans le domaine de la conservation, de la
production et de la diffusion de ressources génomiques ; le second concerne
les modalités d’étude génétique du peuplier noir. Il s’agit dans chacun de ces
cas d’explorer des activités de connaissance qui présentent un intérêt aussi
divers soit il, au regard des activités humaines, et où la diversité génétique
est une composante importante. L’analyse comparative permet d’explorer la
diversité des relations que les humains sont susceptibles de nouer avec le
vivant lorsque celui-ci est constitué en objet épistémique. Quels types de
ressources génétiques ? Et n’est-il question que de « ressources » ? Quelle(s)
biodiversité(s) ? Quelles relations ? Ce sont là les questions rectrices qui guideront l’étude de ces cas.
1-1 Le cas du CNRGV
Conserver et produire des ressources
Le CNRGV conserve et élabore des ressources génomiques « qui constituent
en fait un découpage de l’ADN génomique des plantes en fragments manipulables en laboratoire, fragments inclus dans une bactérie, Escherichia
Coli », précise la directrice du centre Hélène Bergès (voir l’encart n°2).
Des extraits d’organismes végétaux sont mobilisés pour des études structurales et fonctionnelles de leurs génomes. On est là au cœur des biotechnologies où une bactérie (Escherichia Coli) est mobilisée comme « bioréacteur ».
Reprenons le processus : une fois sectionné sous forme de grands fragments
(à l’aide d’enzymes), l’ADN extrait de la plante étudiée est cloné dans des
BAC (Bacterial Artificial Chromosome). Ces BAC sont ensuite intégrés dans
des bactéries résistantes aux phages et peuvent être reproduites, clonées, et
8
Il faut distinguer ici démarche d’analyse et
démarche d’exposition. J’ai référé en introduction à la méthode comparative d’analyse qualitative continue sur laquelle je me
suis appuyé pour conduire les investigations
empiriques. Dans ce cadre le peuplier a été
choisi comme entité à documenter au regard
de l’ampleur du prisme des usages auxquels
18
il donne lieu, « ressource génétique à l’interface entre habitats naturels d’intérêt communautaire et sylviculture intensive » comme
le dit F. Lefèvre (2001) au sujet du peuplier
noir. D’autre part, la génomique végétale a
été retenue car située au front des évolutions
technoscientifiques, le CNRGV incarnant
exemplairement les pratiques concernées. Si
le peuplier a donné lieu à des comparaisons
au sein du « complexe d’espèces » (Pernès
1984) qu’il forme et avec celui formé par la
betterave, le CNRGV a été plus directement
comparé au programme Arcad de la fondation Agropolis. C’est dire que la démarche
empirique et analytique qui a été empruntée
est distincte de celle employée à des fins d’exposition dans ce chapitre, et ceux à venir, qui
recomposent les termes de la comparaison.
Encart n°2
présentation du CNRGV
Le Centre National des Ressources
Génomiques Végétales (CNRGV) est
opérationnel sur le site Inra de Toulouse
depuis 2004. Il s’inscrit dans l’essor de
la génomique végétale où, en France, le
programme Génoplante représente une
phase importante. Le CNRGV a effectivement été créé à la suite du constat,
fait par le ministère de la Recherche en
2001, de la nécessité de rassembler le
matériel biologique produit dans le
cadre de ce programme d’étude des
génomes afin d’en faciliter sa conservation et sa valorisation. Il s’agit d’une
Unité de Service de l’Inra (Département
de Génétique et d’Amélioration des
Plantes, DGAP) dont la vocation initiale
est de préserver ce matériel ayant
conduit à la constitution de collections
génomiques végétales de valeurs originales et d’en assurer la meilleure valorisation scientifique et économique.
Depuis, le CNRGV s’est développé : s’il
continue de centraliser des ressources
génomiques produites par divers laboratoires français, il s’est cependant mis à en
élaborer lui-même, à les analyser dans le
cadre de prestations de services, et à dépasser ce rôle de prestataire en nouant progressivement des partenariats de recherche. En
2011, plus de 5 millions de clones étaient
ainsi disponibles au CNRGV, sous formes
d’une soixantaine de banques génomiques,
représentant des espèces modèles (Arabidopsis thalania, Medicago truncatula) et
des espèces cultivées (vigne, tournesol, blé,
piment, tomate et melon).
L’Inra a récemment consacré les services
rendus par le CNRGV en décernant à sa
directrice le Laurier Ingénieur 2012. A
maints égards ce Centre apparait comme
une structure unique à l’échelle européenne. Contrairement à de nombreuses
initiatives d’universités ou de groupes de
recherche en Europe, qui détiennent leurs
propres collections génomiques végétales stockées dans différentes équipes en
fonction des thématiques développées, la
centralisation de ressources génomiques
au CNRGV est systématique (toutes
les ressources génomiques végétales
de l’Inra sont concernées, auxquelles
s’ajoutent certaines ressources issues
de laboratoires publics et privés de
recherche) et non thématisée (en
termes de « familles » de végétaux et de
thématiques de recherche). Leur valorisation au travers des services proposés
par le Centre est sans équivalente au
regard des compétences et des équipements que requièrent de tels services (cf
ci-dessous). Certifié ISO 9001 ; 2008, la
qualité est assurée et un logiciel mis au
point par les informaticiens de l’équipe
permet une traçabilité systématique.
Dans le contexte européen où l’organisation des Centres de Ressources
pour la génomique végétale reste à
construire, l’originalité et la reconnaissance du CNRGV font de lui un potentiel point de cristallisation de la politique
européenne en la matière.
diffusées. La « banque BAC » (ou « librairie du génome ») est une « ressource
modèle » largement utilisée en cartographie physique, séquençage, identification et isolement de gènes. De telles ressources (banques d’ADN génomique
de grands fragments, outil fondamental de la génomique) sont destinées à
être utilisées par une communauté de chercheurs élargie. Cette banque BAC
n’est cependant que l’un des deux types de banques BAC produits au CNRGV. Le second type représente une « ressource ciblée ». Son intérêt est de
permettre un accès plus rapide à une région génomique d’intérêt d’un génotype particulier, en évitant les étapes fastidieuses et coûteuses d’organisation
des clones en plaques. Cette approche de banque BAC « non réarrangée » est
destinée à un usage plus restreint, et pour des recherches plus ciblées.
Les banques BAC, ressources génomiques fragmentées, sont ensuite
conservées (nécessairement ex situ puisqu’intégrées « artificiellement » dans
le génome de la bactérie) sous formes de plaques dans des congélateurs à
-80°C. L’activité de conservation de ressources génomiques adossée à celle
de leur production est indexée à des fins instrumentales qui concernent à la
fois des enjeux de connaissance fondamentale (comprendre des mécanismes
biologiques) et des enjeux « d’amélioration variétale ».
Locaux et équipements du Cnrgv-Inra (31)
19
Si les clones d’ADN végétaux intégrés aux génomes de bactéries sont des
ressources conçues de manière « individualiste » (n’est pris en compte le plus
souvent qu’un génotype d’une espèce, sans son écosystème ni d’autres liens),
et dont la valeur est instrumentale, il reste que les utilisations qui peuvent
en découler sont plurielles : contribuer à la mise au point de variétés dans le
cadre d’une agriculture productiviste ou agro-écologique, variétés adaptées à
l’environnement actuel ou permettant d’anticiper leur adaptation en tenant
compte du changement climatique, ou servir des objectifs de connaissance
plus « fondamentaux » ou « théoriques » comme la compréhension de mécanismes biologiques ou la connaissance de l’évolution des gènes (phylogénétique).
Outils d’analyse et production de connaissances
Dédié à la centralisation et valorisation des ressources génomiques végétales
d’intérêt auprès de la communauté scientifique internationale, le CNRGV
est situé au front des évolutions techniques de la recherche en génomique
et participe de la mise en commensurabilité de l’ensemble des espèces végétales : l’unité de base est l’acide nucléique dont la connaissance des combinaisons sous forme de séquences est indispensable à la recherche, nécessitant
en cela plateformes technologiques et grands équipements qui contribuent
à reconfigurer les pratiques de recherche de ce domaine (Peerbaye 2005 ;
Hine 2006). Division internationale du travail (au sein de grands consortia)
et déterritorialisation de la recherche sur le vivant exacerbent les enjeux de
diffusion et d’accès aux ressources génomiques. Dans ce cadre, les ressources
du CNRGV constituent le support à des approches où comparer différents
génotypes d’une même espèce est central (avec diverses stratégies possibles
d’identification de gènes). C’est pourquoi elles sont appelées à être de plus en
plus diffusées car intéressant un nombre croissant de chercheurs.
Par ailleurs, le centre va très rapidement se doter de capacités d’analyse
des informations contenues dans les ressources qu’il conserve. Evolution à
resituer dans le point de passage obligé que devient la génomique dans la
recherche et dans l’innovation variétale : que ce soit pour étudier le métabolisme des plantes ; pour identifier et valider de nouvelles cibles, puis trouver
les produits chimiques qui agissent sur ces cibles ; ou encore, pour déterminer le mode d’action de molécules actives (avant de les mettre sur le marché).
Récapitulons. Le type de relation nouée avec les plantes au CNRGV s’effectue à l’échelle du génome et procède d’une logique instrumentale. Des plantes
est extrait leur ADN qui deviendra le support à des analyses présentant un
intérêt scientifique et agronomique. Ce type de relation entre CNRGV et
plantes peut être qualifié d’anthropocentrique, au sens où celles-ci renvoient
à une nature appréhendée comme un réservoir de ressources à la disposition
des humains (cf. focus n°3). Les plantes sont donc des ressources mobilisées
dans une perspective utilitariste. Mais dans cette relation, la diversité biologique joue également un rôle, car c’est par des comparaisons fondées sur
cette diversité que des séquences originales d’acide nucléique sont identifiées.
Cette relation se décline plus précisément autour de quelque points : elle
est individualiste au sens où l’espèce est prise en compte en tant que telle et
indépendamment de son environnement, les ressources y sont fragmentées,
conservées ex situ et dédiées à une diversité d’usages (scientifiques, agronomiques). La biodiversité y apparait comme une source de gènes à séquencer
et/ou permettant d’identifier des séquences d’ADN à des fins de connaissance. Qu’en est-il avec les études génétiques consacrées au peuplier noir ?
20
Peuplier noir en bord de Garonne (31)
Focus n°3
Anthropocentrisme et écocentrisme
Les éthiques environnementales ont
pour fondement l’idée que les soucis
éthiques ou moraux ne concernent pas
exclusivement les humains, ne sont pas
internes à la communauté humaine mais
sont aussi présents dans les relations
que nous, les humains, entretenons
avec la Terre, les animaux et les plantes.
Elles se sont largement constituées
en opposition à la conception
anthropocentrique qui « ne reconnaît
de dignité morale qu’aux humains et
laisse, en dehors de son champ, tout le
reste, c’est-à-dire la nature, vue comme
un ensemble de ressources » (Larrère 2010,
407). Voir, de la même auteure, l’ouvrage
« les philosophies de l’environnement »,
pour plus de détails (Larrère 1997).
L’éthique écocentrique telle qu’a pu la
formuler A. Leopold (1995) s’inscrit en faux
contre cette position anthropocentrée :
elle invite à « respecter » les autres êtres
naturels avec lesquels nous vivons sur
Terre. Dans cette éthique, l’accent est
mis sur l’interdépendance des éléments
et leur appartenance à un tout, celui de
la communauté biotique (Larrère 1997,
2010 ; Calicott 2010). Les membres de
cette communauté n’ont pas de valeur
en eux-mêmes (ou valeur intrinsèque)
mais en fonction de la place qu’ils
occupent dans ce tout, y compris
l’humain qui, du coup, n’est pas
considéré comme extérieur à la nature
(Leopold 1995, voir aussi Maris 2006).
21
1-2 Le cas du peuplier noir
Si la diversité génétique du peuplier noir (Populus nigra) est utilisée
dans des activités d’innovation variétale, une telle appréhension utilitaire n’est pas exclusive d’autres relations non instrumentales. Le statut du peuplier noir, en tant qu’entité non réductible à un ensemble
de ressources génétiques fragmentées mobilisables dans des stratégies
utilitaristes, complexifie les activités de connaissance dont il est l’objet
(voir l’encart n°3). Celles-ci peuvent être de nature instrumentale et
être valorisées sur les plans académique et industriel, mais peuvent
aussi être employées dans des dispositifs qui visent à favoriser les
conditions d’existence du peuplier lui-même9 : à l’intérêt anthropocentriste de mieux connaitre cette salicacée au regard des activités
humaines (logique instrumentale) peut être combiné un intérêt « écocentrique » lié à la préservation de l’espèce et de son habitat naturel
(logique non instrumentale).
L’appréhension du peuplier noir comme être de nature se donne déjà
à voir sur le plan de la relation que nouent avec lui ceux qui l’étudient : les actions épistémiques qui visent à mieux le connaitre sont
liées à des actions de protection et de conservation destinées à assurer
à la fois la pérennité de son existence et la diversité de ses ressources
génétiques10. Ce qui est manifeste au niveau des modalités d’engagement des ressources génétiques du peuplier noir dans les activités qui
consistent à étudier sa diversité génétique. Selon Marc Villar (2011)
cette diversité peut être étudiée de trois façons :
• avec des marqueurs ADN (rapproche du cas du CNRGV). Pour
quantifier la diversité génétique du peuplier noir à l’échelle de
la France, différents types de marqueurs neutres ont été utilisés :
isozymes, microsatellites nucléaires et ADN chloroplastique (à
hérédité maternelle). Je renvoie ici au travail de M. Villar (2011,
p.52) pour des études du niveau de diversité génétique chez le
peuplier noir évalué à partir de marqueurs nucléaires de type
microsatellite.
• en dispositif expérimental de pépinière, où c’est l’évolution des
caractères adaptatifs ex situ qui est explorée. Dans le cadre du
programme français de conservation des ressources génétiques
du peuplier noir, cinq dispositifs expérimentaux relatifs au peuplier noir ont été installés par M. Villar à la pépinière forestière
de Guémené Penfao depuis 2004. De nombreuses données ont
été constituées et étaient en cours d’analyse en 2012. Sans les
détailler, il s’agit d’études de caractères classiques de variabilité
phénotypique : phénologie foliaire, surface foliaire, croissance,
angle de branches, branchaison (Villar 2011). Notons que de
telles études peuvent contribuer à la recherche d’une éventuelle
structuration géographique de la diversité génétique, et par là
orienter le choix de sites de conservation du peuplier noir.
• enfin, in situ, où la diversité génétique est aussi l’objet d’évaluation de caractères adaptatifs, ce que nous allons voir plus en détail.
9
Et comme support expérimental pour étudier les processus écologiques « naturels ».
Cette connaissance peut à son tour enrichir
la réflexion sur les stratégies de conservation
d’autres espèces.
10
On pourrait objecter qu’il en va de même
22
au CNRGV : les plantes qui y sont étudiées
sont conservées et un souci manifesté au
regard de leur diversité. Certes, mais ce n’est
pas en fonction du même centre de référence :
au CNRGV sont prises en compte, dans la
nature, des entités susceptibles de constituer
des ressources pour les humains (il n’y est
d’ailleurs question que d’espèces cultivées),
alors qu’avec le peuplier noir est aussi manifestée une attention pour le propre intérêt
de l’arbre, ou plutôt pour la population de
ces arbres au travers de la protection de leurs
milieux.
La diversité n’est pas appréciée exclusivement au regard de ce qu’elle peut
apporter aux activités humaines mais également en fonction de ce qu’elle
apporte à l’espèce elle-même : on est ici dans le cas où l’on apprend des
sciences à mieux traiter les êtres qui composent la nature en la connaissant
mieux. Une toute autre relation est en jeu avec le peuplier noir au regard
d’entités considérées comme simples moyens, selon une logique instrumentale. C’est important à relever car ce qui se donne à voir ici est la constitution de la diversité biologique comme norme d’action : inscrite dans un
paradigme écologique où cette diversité est considérée comme favorisant
l’adaptabilité des espèces et des écosystèmes au regard d’un environnement
changeant (Booy et al. 2000 ; Sork et Smouse 2006), l’éthique écocentrique
(qui est conséquentialiste11) considère que c’est en s’appuyant sur le critère
de l’évolution de cette diversité que l’on peut orienter et évaluer les actions
humaines, y compris celles dédiées à la gestion d’espaces naturels à visée
protectrice. Et c’est précisément dans cet état d’esprit qu’œuvre la Commission des Ressources Génétiques Forestières (CRGF). Les informations qui
peuvent être retirées de ces observations sont destinées à orienter les choix
de futurs sites de conservation in situ de peupliers noirs (dans le cadre des
réseaux de conservation de la CRGF où M. Villar est responsable du réseau
peupliers noirs).
Semis de peupliers noirs sur les berges de la Loire
Encart n°3
Présentation du peuplier noir
Le cas du peuplier noir se distingue de
ce que l’on a pu voir avec le CNRGV
en ce sens que le cours de sa vie n’est
pas encadré par des actions humaines ;
même s’il vit dans un milieu anthropisé,
il est totalement autonome, il « vit tout
seul ». Il n’est en rien domestiqué. Il n’y
a pas ici une nette séparation entre la
communauté des végétaux et celle
des humains, leur relation s’effectuant
sous les auspices d’une relation de
subordination, comme au CNRGV, mais
au contraire une seule communauté
biotique où le peuplier noir et les
humains sont des composantes (parmi
d’autres) y interagissant, et où les
relations d’interdépendance incitent
ces derniers à développer des relations
de complémentarité. Ce qui renvoie à
une éthique non pas anthropocentrique
mais écocentrique (cf. focus n°3).
Cette approche, holiste (c’est en référence à un tout que sont saisies les
parties qui le composent), se distingue
de celle, individualiste, rencontrée précédemment. Le peuplier noir peuple
un monde où nous sommes en relation
avec lui, où il a une place et un rôle
actif qui s’apprécient indépendamment
des services que nous pouvons, nous
11
Conséquentialiste (c’est en fonction de ses
conséquences qu’une action est jugée) et non
humains, en retirer. En ce sens, c’est une
entité à part entière, appréhendée dans son
intégrité et non sous forme fractionnée. Un
être qui a son histoire, son régime d’activités propres susceptible d’être documenté
en tant que tel. Enfin, son autonomie et sa
fonction de support de biodiversité (il est
lui-même un habitat pour de nombreuses
espèces ; c’est d’ailleurs au titre d’habitat
qu’il est protégé dans le cadre de Natura
2000) n’empêchent que le peuplier noir soit
lié aux humains au regard de ses conditions
d’existence et du rôle qu’il peut jouer dans
les activités humaines : sur le dernier point,
c’est une espèce d’intérêt économique
diversement utile aux hommes. Il est principalement employé, dans de nombreux
pays dans le monde, dans les programmes
d’amélioration génétique dont l’objectif
est de fournir à la populiculture des variétés performantes et aux caractéristiques
stables (peuplier hybride). C’est également
en tant « qu’espèce pure » qu’il est cultivé
pour un usage domestique en Europe de
l’Est et, grâce à sa plasticité, employé pour
la protection des sols et le reboisement de
zones polluées par l’industrie (phytoremédiation) (Van den Broeck 2003). Plus
proche de nous, sa présence est un élément
d’identité des paysages qu’il habite.
Au croisement d’intérêts écologique,
économique, paysager, patrimonial,
qui lui confèrent une valeur d’autant
plus composite et consistante, c’est
également au regard de ses conditions
d’existence (et de pérennisation) que
le peuplier noir est lié aux humains.
Espèce héliophile, il constitue des populations locales en colonisant les rives et
les îles. Par contre, son habitat, la forêt
alluviale, est en danger. Et c’est là que
réside la principale raison qui fait de
cette espèce pionnière l’un des arbres
les plus menacés en Europe ; l’altération
des forêts alluviales dans toute l’aire
de distribution de l’espèce par les activités humaines. D’où cette relation de
dépendance qu’il entretient avec nous
(les humains), sur le plan de la préservation de ses conditions d’habitat, de
reproduction et donc d’existence sur
le long terme. L’enjeu est de maintenir
un monde qui lui soit viable. Evaluer
les activités humaines à l’aune de leurs
conséquences au regard d’entités écologiques comme les populations, les
peuplements, les habitats, est un souci
éthique largement manifesté dans les
dispositifs dédiés à la connaissance de
la salicacée.
déontologique (qui est une évaluation des
actes en fonction de leur respect de principes
moraux).
23
Si l’étude phénologique relève d’un intérêt de connaissance relatif aux mécanismes en jeu, elle est donc également liée à des actions de « génie écologique »
au sens de pilotage de processus naturels sous la forme de gestion d’Unités de
Conservation (avec la CRGF, cf. supra), où la biodiversité est centrale, tant
au regard de la perpétuation de l’espèce elle-même que de son intérêt pour
les humains confrontés aux bouleversements liés au changement climatique.
La mise au point d’un barème de notation de stades phénologiques par Marc
Villar et Michel Chantereau, conservateur de la Réserve Naturelle Nationale
de St-Mesmin (sur la Loire dans le Loiret), l’illustre exemplairement. « J’ai
volontairement bâti ce barème à 5 stades (…) avec ce naturaliste, pour qu’il soit
accessible pour les gestionnaires accoutumés à des observations de terrain mais peu
habitués à des observations de diversité intraspécifique » (Villar 2011, 30). Ce
barème a été mobilisé dans le cadre d’une étude de phénologie florale menée
sur 14 populations du fleuve Loire (« Poploire ») financée par la Direction
Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de 2006
à 2009. Ces données, constituées à l’aide de ce barème, sont en cours d’analyse et vouées à être valorisées scientifiquement (cf. p.30 et suivante de Villar
2011). Parallèlement, une autre forme de valorisation dudit barème a été
mise en œuvre par son protagoniste en équipant les choix des futures Unités de Conservation des peupliers noirs de la CRGF. L’étude de la diversité
génétique focalisée sur la phénologie des peupliers mâles et femelles – qui
peut-être approfondie par l’emploi de techniques de biologie moléculaire
et mobilisée dans des dispositifs d’amélioration variétale ou au regard du
changement climatique, ou encore à des fins de protection – n’est donc pas
indépendante de perspectives d’actions menées dans l’intérêt de la salicacée.
Enfin, cette attention au peuplier noir en tant qu’« être » envers qui il
convient de faire attention se retrouve aussi dans la participation de M. Villar
à l’élaboration de référentiels d’action (sous forme cartographique) mobilisés
à des fins de prise en compte systématique du peuplier noir dans les projets
d’aménagements à l’échelle de la Loire, qui s’appuie sur des dispositifs européens (Natura 2000),) des institutions (le Conservatoire) et d’autres équipements (comme des cartes). Bref, sans chercher l’exhaustivité ici, ces actions
mettent en évidence la prise en compte du peuplier noir en tant qu’être « à
part entière » (cf. chap.4 pour d’autres développements).
Notons également que la notion de biodiversité comporte deux aspects : la
diversité des ressources génétiques du peuplier noir – qui sont à préserver et à
piloter de par les capacités d’adaptation qu’elles lui confèrent – renvoie à une
appréhension de la biodiversité comme norme d’action. D’autre part, c’est
aussi toute la biodiversité liée à la présence de ce peuplier, et à son habitat,
qui est en jeu : une biodiversité non pas cultivée mais spontanée, relevant
d’un écosystème dynamique, générateur de diversité valorisée en tant que
telle, comme le rappellent ces quelques lignes de la fiche technique rédigée
dans le cadre d’Euforgen12 :
« Les forêts alluviales sont parmi les écosystèmes présentant la plus grande
biodiversité en Europe. L’importance des peupliers comme centre de biodiversité commence seulement à être reconnue. Les peupliers hébergent en effet
une flore et faune exceptionnelles, menacées ou non. On s’intéresse désormais
beaucoup à la restauration des ripisylves, non seulement pour lutter contre
les inondations mais aussi parce que les forêts rivulaires constituent des corridors boisés permettant d’interconnecter de plus grands massifs forestiers.
Le suivi et la conservation à long terme des ressources génétiques du peuplier
noir revêtent donc une importance majeure dans cet écosystème dynamique. »
(Van den Broeck 2003, p.3)
12
EUFORGEN (European Forest Genetic Resources program) est un programme
paneuropéen crée en 1994, suite à la Confé-
24
rence de Strasbourg (cf. supra), afin de faciliter la coordination des actions de conservation des ressources génétiques forestières des
Etats signataires.
Ripisylve, bords de Garonne (31)
Du coup, la diversité biologique, outre le fait qu’elle soit constituée en objet
d’étude, apparait ici comme norme d’action et critère d’évaluation13, l’adaptabilité de l’espèce à un environnement changeant déterminant les choix à
effectuer pour la protéger au mieux en considérant court et long termes.
Ce n’est donc pas au regard d’une hypothétique valeur intrinsèque que le
peuplier noir retient l’attention mais au contraire en fonction de la diversité
des intérêts qu’il suscite et concentre. Ce qui allonge la liste des raisons de
mieux le connaitre et le préserver et instaure une pluralité de relations entre
nature et société.
Le peuplier noir est saisi en tant qu’entité « intégrale » (dont l’antonyme serait
« fractionnée »), espèce spontanée appréhendée dans son environnement où
l’humain est l’une des composantes parmi d’autres (il fait donc partie de la
nature, pas de dualisme ici). Etre soucieux de la protection des milieux et des
processus naturels engage à appréhender le peuplier noir dans une relation
de complémentarité, où les connaissances produites à son sujet servent des
intérêts humains mais sont également mobilisées pour éclairer les actions
destinées à le protéger et à assurer ses conditions de reproduction.
1-3 Conclusion
Les deux dispositifs de connaissance passés en revue balaient un prisme très
large qui va de l’appréhension de plantes domestiquées sous formes de ressources génomiques sophistiquées, façonnées au laboratoire et conservées à
-80°C, jusqu’à des plantes saisies comme des « êtres » sous formes d’arbres
spontanés vivant dans leur habitat naturel. Les nombreuses caractéristiques
relevées dans le traitement différencié de ces entités dans chacun de ces dispositifs peuvent être rassemblées sous une logique anthropocentriste avec
visée instrumentale au CNRGV, écocentriste avec pluralité de visées pour le
peuplier noir.
Dans la logique anthropocentriste, celle en œuvre au CNRGV, la nature est
constituée de ressources à mobiliser pour les activités humaines. Les entités
naturelles y sont évaluées en fonction de ce qu’elles procurent aux humains
et non au regard de leur contribution à des dynamiques écologiques, comme
13
Cette saisie de « la diversité biologique
comme norme d’action et critère d’évaluation »
est formulée par R. Larrère dans un texte où
il analyse ce que sont les pratiques contemporaines de génie écologique (Larrère 2005,
179). Par la suite il utilisera cette grille pour
rendre compte de l’évolution des modalités
de gestion des parcs nationaux (Larrère et
Larrère 2009).
25
le montrent les tenants scientifiques à visée agronomique de ces activités.
En ce sens, ce sont des moyens au service de fins qui leurs sont extérieures.
Dans cette modalité d’existence, les entités naturelles ne valent la peine d’être
connues qu’au regard de ce que ces connaissances apportent aux activités
humaines. Et la diversité biologique n’est intéressante que par son apport
potentiel au processus de connaissance et d’innovation variétale. Au-delà de
la diversité des types d’usages des ressources en jeu, tout ceci s’inscrit dans le
cadre d’une relation de subordination de la nature aux humains, et la représentation de la biodiversité qui en ressort est dualiste.
Avec le peuplier noir, la nature est davantage saisie selon une logique écocentriste, où l’appréhension de cet arbre comme être à part entière engage
des relations de complémentarité. Les connaissances produites servent bien
évidemment les activités humaines mais visent aussi à instaurer des règles
de comportement judicieuses par rapport à la nature et soucieuses de préserver les capacités d’adaptabilité de ses entités et des écosystèmes qu’elles
habitent. Ainsi a-t-on vu que les études de diversité génétique et de variabilité phénotypique des caractères adaptatifs de cette salicacée peuvent contribuer à documenter la structuration géographique de sa diversité génétique,
et fournir par là des éléments à prendre en compte pour protéger le peuplier
noir et son habitat. Ce peuplier relève ainsi d’une modalité d’existence différente de celle vue précédemment : est en jeu une relation nature-société
qui lui confère une autre place dans le collectif, une autre manière de vivre
ensemble. D’autres rapports qu’instrumentaux sont noués entre humains
et nature, et la biodiversité relève d’une conception solidariste non dénuée
d’enjeux performatifs 14.
Peupliers en bords de Garonne (31)
14
Avec comme nuance que l’anthropocentrisme peut donner lieu à des actions qui ne
conduisent pas à une dévalorisation de la
26
nature. On a vu qu’au CNRGV des variétés
et des espèces sont conservées pour des raisons patrimoniales, et que ce centre participe
de la production de diversité biologique en
élaborant des ressources qui sont mobilisées
dans des processus d’innovation variétale.
Instrumentaliser la nature ne conduit donc
pas nécessairement à sa destruction.
Chapitre 2
L’engagement d’entités biotiques
dans des dispositifs d’action
Ce chapitre traite de dispositifs d’actions qui s’inscrivent dans une longue
histoire de domestication et de sélection, tout en les reliant à des pratiques
épistémiques. Il y est question d’explorer des actions sur des populations, des
évolutions « artificielles » (ou contrôlées) d’espèces, des pratiques « d’amélioration génétique », au travers de deux dispositifs présentant de fortes dissemblances entre eux, mais néanmoins comparables de par ce caractère commun
(qui consiste, dit autrement, à faire usage de la biodiversité cultivée).
Selon Diamond (2002), la domestication d’organismes se caractérise par
l’état de dépendance dans lequel ces derniers finissent par être au regard des
humains pour passer d’une génération à l’autre. Cependant, domestiquer
ne produit pas des effets homogènes selon les entités concernées (animales,
végétales) et la «vision spatio-temporelle de la diversité génétique» mobilisée
(Gallais 2013). Si la domestication animale a eu pour effet de provoquer
un accroissement de la diversité phénotypique et génotypique des espèces
concernées (Verrier et al. 2011), il n’en va pas de même dans le domaine
végétal où la situation apparait plus nuancée15. Chez les plantes et à l’échelle
des dernières décennies, ce n’est plus la variété mais le gène qui « devient l’objet épistémique, le niveau élémentaire où la variabilité génétique est caractérisée
et assemblée (transgenèse, marqueurs) et où s’opèrent l’appropriation et la valorisation (brevet) » (Bonneuil et Thomas 2009, 523). La génétique est devenue
incontournable dans les pratiques d’amélioration des plantes, que ce soit
dans les instituts de recherche finalisée comme l’Inra ou au sein des firmes
semencières et agrochimiques16. Pour autant observe-t-on une uniformité
dans les modalités d’existence des « ressources génétiques » et de leur diversité
au sein des activités de sélection qui s’inscrivent à la suite de la domestication ? L’engagement d’entités biotiques et le recours à la biodiversité dans ces
activités servent-ils les mêmes objectifs ? Avec les mêmes acteurs ? Les mêmes
enjeux ? Les mêmes disciplines ? Ne peut-on objectiver diverses configurations dans les dispositifs « d’amélioration » des plantes, où serait en jeu une
multiplicité de relations entre humains et non humains ?
Cheval de trait, Flandres
Pour apporter des éléments de réponse à ce questionnement, en ne considérant cependant que les végétaux, je propose de comparer deux programmes
qui, chacun, visent à intervenir plus ou moins directement sur les gènes des
plantes qu’ils étudient. Le premier s’appuie sur les biotechnologies de pointe,
concerne la betterave et se situe au front de la recherche en innovation variétale : c’est le programme Aker, qui sera approché au travers de son principal
contributeur et acteur majeur dans le domaine: le semencier Florimond Desprez. Le second concerne le programme Arcad de la fondation Agropolis, qui
est un programme global pour la conservation, l’évaluation et l’utilisation
de « l’agrobiodiversité ». Il traite en particulier de la domestication et de la
diversité qu’elle a générée, l’identification de gènes ayant subi une pression
15
Cela dépend notamment des pas de temps
considérés, des indicateurs de diversité génétique employés et, par là, du type de diversité
évaluée. Nonobstant, il est remarquable que
l’agriculture intensive a conduit à privilégier
l’emploi d’un petit nombre d’espèces et de
variétés et a également mis à mal nombre de
milieux naturels aux rôles d’habitats. Ce qui,
dans les deux cas, participe d’une érosion de
la biodiversité.
16
Sur le « paradigme dominant des ressources
génétiques » et ses dualismes récurrents (séparation entre conception de nouvelles combinaisons et conservation des anciennes, entre
ceux qui innovent et ceux qui produisent,
entre le temps « naturel » et le temps « artificiellement accéléré » de l’évolution) dans les
activités de sélection végétale, voir le travail
de Bonneuil et Thomas (2009) et l’article de
Bonneuil et Fenzi (2011).
27
de sélection dans le cours du temps pouvant fournir des connaissances mobilisables dans des pratiques de « néo-domestication ». Trouve-t-on dans ces
programmes une multiplicité de relations entre humains et non humains qui
se retrouverait dans les manières d’appréhender les entités qui composent la
nature et qui aurait des conséquences sur le fonctionnement du dispositif en
jeu et sur le type de relations alors établies entre nature et société ?
2-1 Florimond Desprez, la betterave sucrière,
son génome et Aker
Le cas de la betterave sucrière est particulièrement intéressant pour mettre en
évidence ce que la recherche à l’échelle du génome peut apporter en termes
d’innovation variétale, la place que la diversité génétique peut y occuper, et
le statut des entités biotiques et de la diversité biologique dans ces activités.
Pour le montrer, je m’appuierai largement sur le cas de l’entreprise semencière Florimond Desprez (cf encart n°4), au travers d’un entretien approfondi que j’ai réalisé avec son directeur général, Bruno Desprez, responsable
du secteur Recherche & Développement, et de l’implication de cette entreprise dans le programme Aker, inscrit dans le Programme d’Investissements
d’Avenir initié par l’Etat, pour une durée de 8 ans.
Encart n°4
Florimond Desprez et Aker
Florimond Desprez est une entreprise
française qui, depuis sa création en
1830, se consacre à un même objectif : la sélection et l’amélioration génétique pour l’obtention de variétés
(http://www.florimond-desprez.fr/).
Elle comprend actuellement 805 salariés
et a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires
de 193 millions d’euros. 14e entreprise
mondiale, elle est la première pour ce
qui concerne la production de semences
de betteraves (source : chambres d’agriculture de Picardie). Cependant, cette
entreprise n’est pas seulement concurrencée par d’autres sociétés sur le marché
des semences, elle l’est également, pour
ce qui concerne le sucre, au regard de la
compétitivité de la canne à sucre vis-àvis de la betterave sucrière. En 2000, les
coûts de production du sucre de betterave étaient deux fois supérieurs à ceux
du sucre de canne au Brésil, pays le plus
L’exacerbation des enjeux de concurrence au sein de la filière de la betterave sucrière incite, oblige, à une « innovation permanente » dans laquelle le
rôle des connaissances est central : dans cette économie, dans ce « régime de
l’innovation permanente » (Foray 2000), l’avantage comparatif entre deux
entreprises réside dans la capacité à proposer sur le marché de nouveaux
produits qui soient plus compétitifs. Dans un tel régime les connaissances
apparaissent incontournables car susceptibles de générer de la nouveauté.
C’est particulièrement visible dans le domaine des biotechnologies et plus
précisément dans la course à l’innovation variétale dans laquelle est prise
l’entreprise Florimond Desprez. Effectivement, les perspectives de croissance
du marché du sucre sont à la hausse, suite à l’augmentation de la population
mondiale, au développement des pays émergents, et à l’accroissement de
la demande en bio-éthanol. Dans ce contexte, la mise au point de « variétés
performantes » est un souci constant chez les semenciers comme F. Desprez,
avec comme cahier des charges de parvenir à l’élaboration de variétés à inscrire au catalogue (avec le Certificat d’Obtention Végétale), variétés non seulement plus compétitives que celles de leurs concurrents, mais qui doivent
aussi contribuer à réduire les écarts de rentabilité avec la canne à sucre.
28
compétitif au monde. Depuis, cet écart
s’est réduit à 30% du fait des progrès
des rendements de la betterave et de
la forte hausse des coûts de production au Brésil. C’est dans ce cadre
que se situe le programme Aker du
Programme d’Investissements d’Avenir
(http://www.aker-betterave.fr/fr/),
dont l’objectif fondamental est de
contribuer à rendre la betterave plus
compétitive.
Dans cette collaboration entre industries et sciences17, les technologies innovantes et la biologie moléculaire sont bien évidemment convoquées dans le
processus d’innovation, afin de réduire sa durée (classiquement de 12 à 14
ans), mais pas seulement. Tout avantage comparatif susceptible d’être identifié ne peut être négligé. C’est ici que la variabilité génétique prend place,
notamment celle qui existe au sein du complexe Beta (qui comporte la forme
cultivée, la forme spontanée et la forme adventice). En quoi le recours à des
betteraves « sauvages » ou maritimes (Beta maritima) peut-il être une source
d’innovation ? En faisant « de l’introgression de caractères bien précis, c’est-à-dire
[en allant] chercher quelque chose qui est vraiment intéressant dans une espèce
sauvage » répond B. Desprez. Selon lui, la potentialité de gènes d’intérêt susceptible d’être trouvés chez les betteraves maritimes et d’être mobilisés dans
un processus d’innovation variétale est suffisante pour être jugée intéressante
à explorer. D’autant que la canne à sucre, même si elle reste encore largement plus compétitive que la betterave, se trouve confrontée à des difficultés
pour poursuivre l’accroissement de ses rendements (coûts de production).
De plus, son génome est particulièrement complexe, alors que celui de la
betterave sucrière a été récemment séquencé par deux équipes allemandes. La
betterave est donc encore « améliorable », notamment sur le plan génétique
au regard des propriétés que pourraient apporter les betteraves « sauvages »
aux cultivées.
Opportunité de marché à saisir et filière à consolider (avec les échéances de
la renégociation du régime des quotas sucriers à l’horizon 2015 en Europe et
la mise en place d’Ecophyto 2018 en France), c’est autour du génome de la
betterave que va se constituer, sous l’égide de l’Etat, une coalition sans précédent réunissant l’ensemble des acteurs de la filière betterave (de la recherche
aux agriculteurs en passant par l’industrie sucrière) dans un programme
intitulé Aker, lancé officiellement le 26 septembre 2012, dont le principal
objectif est de rendre la betterave sucrière compétitive vis-à-vis de la canne
brésilienne à l’horizon 2020. Inscrit pour une durée de 8 ans dans le Programme d’Investissements d’Avenir initié par l’Etat, ce programme, qui fait
partie des appels à projets « Biotechnologies et Bioressources », a pour ambition de contribuer à « faire émerger une bio-économie basée sur la connaissance
du vivant et sur de nouvelles valorisations des ressources biologiques renouvelables » (Dossier de presse).
Ce programme exemplifie remarquablement l’alliance entre sciences, industries et Etat, qui relève d’une configuration qualifiée de « Triple Hélice » par
Etzkowitz & Leydesdorff (1997), configuration dédiée à l’innovation où les
sciences ont un rôle moteur18. Comme le rappelle le Dossier de presse, Aker
consiste d’abord à élargir la variabilité génétique de la betterave cultivée en
constituant une collection de gènes en provenance de ressources du monde
entier. Il est ensuite prévu que le matériel génétique obtenu soit croisé avec
du matériel élite, de manière à produire de nouvelles variétés à haut potentiel, qui seront mises à disposition de la filière. Aker, dont la finalité concerne
17
Le recours aux outils moléculaires a profondément transformé la façon d’utiliser les
ressources génétiques dans les pratiques de
sélection. Le cas de la betterave sucrière est
remarquable pour ce qu’il montre de l’appréhension actuelle des ressources génétiques :
exploitation systématique du gisement que
représente le génome d’une plante à l’aide
des sciences biologiques, distinction marquée entre compartiments sauvage et domestique (avec notion de « diversité génétique
utile »), recherche de gènes présentant des
« avantages comparatifs » à faire valoir sur le
marché des semences, enjeu de compétiti-
vité économique prégnant. Ces changements
s’inscrivent dans une économie du gène que
des travaux historiques ont spécifié au regard
des pratiques antérieures : extension de la
logique marchande et évolutions des acteurs
impliqués dans la régulation des pratiques
concernées en sont deux caractéristiques
marquantes, dans le domaine de l’innovation variétale de plantes (Bonneuil & Thomas 2009), et au-delà pour ce qui concerne
le vivant (Gaudillière & Joly 2006). Pour un
vaste panorama des relations entre la vie, les
biotechnologies, les connaissances et le marché, voir le chapitre 1 de l’ouvrage de Foyer
(2010)
© Grandjean O., INRA
18
Comme l’indique sa structure partenariale : le budget total du programme AKER
s’élève à 18,5 M€, avec 58 % du budget total
financé par la société Florimond Desprez,
un effort exceptionnel de la filière betterave
sucrière (SNFS et CGB) via l’implication de
l’Institut Technique de la Betterave (16 % du
budget total) et la participation significative
des laboratoires publics et des instituts dont
l’Inra, le Geves et l’Irstea (ex Cemagref ) (26
% du budget total).
29
à la fois la recherche, le développement et la formation, doit ainsi permettre
de doubler le rythme de croissance annuelle du rendement de la betterave
(4% contre 2% actuellement) et de continuer à en faire une plante et une
filière de référence.
Sur le plan des relations établies entre humains et non humains, les ressources génétiques sont ici appréhendées sous forme fractionnée et à visée
exclusivement instrumentale, la biodiversité est mobilisée comme source
statique de gènes, entérinant par là une césure entre nature et société où la
première est au service de la seconde, notamment au regard des avantages
compétitifs qu’elle est susceptible de procurer dans les activités productives
où elle est engagée.
Dans ce dispositif d’innovation variétale, la diversité biologique intra-spécifique est appréhendée comme un réservoir de gènes susceptibles de permettre la mise au point de variétés performantes sur un marché hautement
concurrentiel. Les pratiques en jeu procèdent d’une démarche incrémentale
fondée sur l’apport de nouvelles ressources génétiques dans le processus d’innovation, processus davantage orienté par une production « d’artefacts » que
par un art du pilotage (Larrère 2002, 2009), et dualiste, où le vivant mobilisé
est passif, statique et décontextualisé. Qu’en est-il au sein du second dispositif étudié et mis en œuvre par le programme Arcad ?
2-2 Le cas d’Arcad
Dans un contexte politico-scientifique où la visibilité est un enjeu de premier
ordre, une tradition de recherche en génétique évolutive localement implantée à Montpellier s’est formalisée : quatre institutions de recherche travaillant
sur les sciences de la plante – le Cirad, l’Inra, l’Ird et Montpellier SupAgro
– ont signé en octobre 2009 un accord de consortium pour la mise en œuvre
sur quatre ans (2009-2013) d’un important projet scientifique d’étude et de
conservation de « l’agrobiodiversité » : Arcad (Agropolis resource Center for
crop conservation, adaptation and diversity). Arcad est l’un des trois programmes-étendard d’Agropolis Fondation, qui le finance à hauteur de trois
millions d’euros, la région Languedoc-Roussillon s’étant engagée à en verser
cinq (pour la construction d’un CRB de plantes méditerranéennes et tropicales). Son principal objet concerne l’histoire évolutive et les modalités de la
domestication et de l’adaptation des plantes cultivées méditerranéennes et
tropicales, « afin de mieux exploiter et conserver leur diversité génétique ». Plus
de 70 chercheurs y sont impliqués. Ancré au sein du milieu académique, et
exclusivement en son sein (ce qui n’empêche des partenariats extérieurs),
c’est là une différence avec le programme précédent. Et elle est d’importance
car dans Aker sont rassemblés les « innovateurs » et les utilisateurs (les semenciers), alors que ce n’est pas le cas dans Arcad où il est plus question de produire des connaissances et de mettre à disposition des ressources mobilisables
dans des actions de sélection effectuées par d’autres19.
Arcad se distingue aussi d’Aker au sens où y est inversée la hiérarchie entre
savoirs et actions : le dispositif « d’amélioration » de la betterave est largement
dédié à l’augmentation des rendements en sucre, ce qui se traduit par un
détour par la génomique afin de mieux connaitre le génome de la betterave
et sa diversité : alors qu’avec Arcad, c’est l’histoire de la domestication d’un
large panel d’espèces cultivées qui est centrale. Bien qu’il faille ajouter que
cette histoire a une visée performative. Identifier les allèles soumis à sélection
19
Sachant que l’un des objectifs du programme est de constituer un centre de ressources.
30
et susceptible d’avoir produit des avantages comparatifs peut effectivement se
prolonger par des actions concrètes en terme de domestication de nouvelles
espèces : « En mobilisant les connaissances accumulées sur le processus et les mécanismes de domestication de nos actuelles espèces domestiques, il est raisonnable
d’envisager une maîtrise plus rapide de la domestication de ces nouvelles espèces »
(David & Charrier 2009, 9). Pour ces chercheurs, la domestication est ellemême appréhendée comme un détour pour étudier l’adaptation des plantes,
sachant que les plantes domestiques peuvent servir de modèle pour l’étude
de l’adaptation : « L’étude de la domestication est une opportunité exceptionnelle
pour étudier la mise en place d’adaptations nouvelles au sein d’un organisme soumis à un bouleversement de son environnement et de la valeur sélective relative
des individus. » (Ibid., p.2). Cette « opportunité exceptionnelle » d’étude a
deux pendants – l’un, théorique, l’autre, pratique – car susceptible de fournir les connaissances pour accroitre la rapidité de domestication d’espèces
végétales. Ainsi est-ce formulé sur le site du programme : « Comprendre comment les gènes et les génomes ont été modelés par l’histoire, l’environnement et
les sociétés est un élément crucial pour améliorer la qualité et la durabilité de la
conservation et de l’utilisation des ressources génétiques. »20.
© Bornard I. - Allouane R., INRA
Dans Arcad, la domestication est donc un processus appréhendé dans sa
dimension temporelle (est ainsi pointée la pertinence d’une analyse historique) et conçue comme une socialisation entre humains et plantes : pas de
dichotomie nature-société mais des modalités d’association, d’attachements.
C’est avec ce cadrage du processus de domestication et ce qui lui est lié (ressources génétiques et biodiversité entre autres), qu’a été pensé le programme
Arcad. Si le terme « d’agrobiodiversité » est préféré à celui de ressources génétiques, selon le coordinateur du programme, il faut se garder de considérer
qu’il n’y a dans ces propos qu’affaire de rhétorique ou de stratégie. Qu’il
y en ait, certainement ; que cela s’y réduise, certainement pas. Car est en
jeu une approche plus « holiste » des ressources génétiques, en ce sens que
celles-ci sont saisies comme élément d’un tout, en tenant compte de leur
connectivité : la notion de ressources génétiques fait ici moins directement
référence à de l’ADN, à des séquences et des collections ex situ. Le lien à un
environnement moins confiné que celui du laboratoire, plus ouvert (comme
un champ) et plus directement en prise avec les pratiques agricoles, y est
aussi plus explicite (en ce sens, « agrobiodiversité » est un néologisme qui,
avec d’autres, participe d’une écologisation des ressources génétiques, d’un
arrimage de celles-ci au sein de la problématique de la biodiversité (Bonneuil
et Fenzi 2011, 225)).
Le souci d’une approche des ressources moins fragmentée, moins instrumentalisante et moins dualiste que celle en œuvre pour la betterave, se retrouve
dans l’attribution d’une plus grande continuité entre plantes spontanées et
cultivées, ainsi que dans l’acception du terme de domestication qui fasse cas
de l’enchevêtrement de l’évolution des plantes et des pratiques culturelles
qui la sous-tende. En problématisant la biodiversité cultivée sous l’angle de
l’adaptation, c’est le rapport au temps qui est réintroduit dans les analyses.
Il est toujours question de déployer une analyse génétique sur la domestication, mais dans une perspective particulière, celle de la génétique évolutive. Cette problématisation du temps, de la temporalité dans la domestication des plantes, traverse tout le questionnement scientifique d’Arcad et se
retrouve jusque dans ses objectifs les plus concrets en termes d’utilisation des
ressources génétiques. Ce qui n’est pas sans incidence sur ce que recouvrent
ressources génétiques et biodiversité. L’encart n°5 détaille le contenu du programme Arcad.
20
Souligné dans le texte original.
31
Encart n°5
Le programme Arcad
Arcad est un programme de recherche
qui se décompose en huit sous-projets,
seuls les trois premiers sont abordés
ici (quatre autres sont des appuis aux
trois premiers, un dernier est consacré
à la formation). Ces trois sous-projets
« partagent le cœur de métier d’Arcad
qui est la génétique des populations »
(J.-L. Pham, généticien IRD, coordinateur d’Arcad). Dans ces trois sousprojets, les ressources génétiques ne
sont pas appréhendées sous forme de
gènes à exploiter (comme avec la betterave) mais en tant que plantes dont
l’évolution, et la diversité associée à
celle-ci, est à comprendre. Ce sont les
capacités adaptatives de ces plantes
qui retiennent l’attention, au niveau
des gènes impliqués dans la production
de diversité. « L’idée du sous-projet 1
« Génomique comparative des populations » : comparer les formes sauvages
et les formes domestiquées en essayant
de comprendre ce qui s’est passé au
cours et depuis la domestication, de
comprendre, d’essayer de quantifier le changement de diversité entre
le sauvage et le domestique. » (J.-L.
Pham, op.cit.). A l’aide de technologies
avancées en termes de séquençage du
génome, et de méthodologie statistique
sophistiquée, l’enjeu est de « détecter des traces de sélection ». Les gènes
participant aux avantages adaptatifs
sont en ce sens une « ressource » pour la
plante et sont susceptibles de l’être pour
les humains, si ces derniers parviennent
à les mobiliser pour la domestication de
nouvelles espèces.
Le deuxième sous-projet porte sur l’adaptation des plantes au changement climatique. Ce sont les capacités autonomes
d’adaptation, ou les dynamiques évolutives
autonomes, du vivant qui sont prises en
compte au travers du lien gène-environnement, puisque l’enjeu est de spécifier
l’adaptabilité ou l’évolutivité des ressources
génétiques confrontées à un environnement changeant. « L’écologie génomique »
(ou la génomique écologique), discipline
émergente, est une émanation de cette
approche. Ce sous-projet va plus loin que
le précédent au regard de la problématisation de l’adaptation des plantes à leur environnement ; ce dernier apparait sous forme
de variables (spatiales, avec gradients
d’altitude et de latitude ; et temporelles,
avec étude d’une espèce cultivée dans le
même champ à quelques dizaines d’années
d’écart) directement intégrées aux analyses
à produire. L’étude des capacités adaptatives des plantes conduit à saisir celles-ci de
manière moins instrumentale et à s’intéresser à leur autonomie, en ayant recours à
l’espace et au temps comme variables de
contexte pour étudier l’évolution de leurs
gènes. Cette plasticité fait partie de l’objet
d’étude, qui est l’adaptabilité. La variabilité des gènes, leurs combinaisons, sont
étudiées dans leur dimension processuelle.
C’est cette évolutivité qui est problématisée avec des notions comme « pression de
sélection ». Les gènes sont appréhendés
dans un cadre où les capacités d’agir entre
humains et non humains sont distribuées
différemment ; on n’est pas dans le cas où
le gène est passif et statique et l’humain au
rôle de pilote de l’évolution par recombinaisons, mais celui où il s’agit de tirer des
enseignements de la variabilité des gènes
Les ressources génétiques et leur diversité sont ici engagées au sein d’un dispositif qui contribue à tisser des liens entre disciplines, entre pays du Nord
et pays du Sud. Mais ce rapprochement d’avec les populations locales et paysannes ne s’effectue pas que dans ce sous-projet. Et autrement. Ici les populations locales sont approchées au niveau de leurs pratiques agricoles qui
relèvent de ce qui est à étudier. Ailleurs certains des objectifs mêmes des analyses à mener sont définis directement au regard des intérêts des populations
concernées, celles de l’hémisphère Sud, dont nombre de plantes vivrières sont
orphelines. Ce que les récentes évolutions technologiques en génomique,
notamment en termes de séquençage, sont susceptibles de modifier. Mettre
à l’épreuve ces possibilités peut ainsi faire l’objet d’une recherche. L’usage
de la biodiversité cultivée au sein d’Arcad est inscrit dans une configuration
bien différente de celle relative à la betterave. Les ressources génétiques sont
appréhendées de manière dynamique dans leur connexion à l’environnement et aux sociétés humaines. Elles sont engagées dans des pratiques qui
tiennent compte des intérêts des populations de l’hémisphère Sud, tant sur
32
et de l’évolutivité des caractères issus
de leur combinaisons, enseignements à
intégrer au sein d’un processus de (néo)
domestication.
Enfin le troisième sous-projet, « céréales
en Afrique » est celui qui problématise
de manière la plus forte le contexte des
pratiques agricoles et de l’évolution des
gènes. C’est au travers des associations
qu’elles forment avec les humains, des
relations qu’elles nouent avec eux, que
les ressources génétiques sont appréhendées dans ce sous-projet. Aux antipodes d’une conception dualiste, on
est au contraire ici dans une logique de
coproduction où la césure entre société
et nature est inopérante. La diversité
biologique y est saisie dans ses liens
avec la diversité culturelle, le terme de
« diversité bioculturelle » exprimant ce
syncrétisme. L’analyse de la domestication des plantes se doit, dans cette perspective, de tenir compte de cette articulation entre éléments « socioculturels »,
environnementaux et économiques.
Avec comme co-reponsable de ce sousprojet un géographe-anthropologue,
C. Leclerc, une telle appréhension des
ressources génétiques et de leur diversité ouvre un espace où les communautés locales, en l’occurrence africaines, en
lien avec ces ressources, sont prises en
compte sur le plan des actions de sélection massale qu’elles mènent. Les entités végétales sont ainsi le support d’une
collaboration entre sciences sociales
et génétique destinée à interroger et
dénouer, sur le plan de l’analyse, cette
intrication entre diversité biologique et
diversité culturelle.
le plan épistémique (mettre à l’épreuve des savoir-faire et des connaissances
acquises dans le Nord sur des plantes d’intérêt pour le sud) que sur le plan
pratique (contribuer à l’autosuffisance alimentaire des populations rurales).
Tisser des liens directs entre agriculture et alimentation peut également se
retrouver sur le plan des modalités de conservation des ressources (à la ferme)
et sur la gestion dynamique de leur diversité.
Avec Arcad, ressources génétiques et biodiversité sont donc engagées dans
un dispositif d’action qui articule entités naturelles et humaines au sein d’un
processus contextualisé. Comprendre l’évolution de la biodiversité cultivée,
comment celle-ci s’est adaptée à un environnement changeant (pressions
de sélection par l’action humaine ou le changement climatique) et est issue
d’un façonnement mutuel entre entités humaines et non humaines, sont des
objectifs cognitifs qui ont une déclinaison pratique. Sur ce dernier point, les
relations Nord-Sud y occupent une place d’importance au sens où les intérêts
des pays du Sud sont pris en compte, tant sur le plan de certains objectifs de
recherche, certains sujets de recherche, que sur celui du rapport aux populations paysannes et rurales. Il en ressort des ressources et une diversité bien
différentes d’avec la betterave. Les gènes et les génomes, et, par extension,
les ressources génétiques et la diversité biologique, ne sont pas considérés
comme extérieurs à la communauté biotique qu’ils forment avec les humains
mais comme l’un de ses éléments. La mise en relation des entités végétales
et des humains ne s’appuie pas sur une conception dualiste Homme-Nature
mais vise au contraire à rendre compte de leur entremêlement.
2-3 Conclusion
Engager des ressources génétiques dans un programme qui vise à étudier, à
des fins pratiques, non pas un état de la diversité cultivée et spontanée, mais
les processus sous-tendus par la domestication, génère une appréhension très
contrastée de la biodiversité cultivée.
Effectivement, avec la betterave la diversité génétique intra-spécifique est
perçue comme un réservoir de gènes susceptibles de permettre la mise au
point de variétés performantes sur un marché hautement concurrentiel.
Le dispositif institué par Aker vise à recenser la variabilité génétique de
la betterave en dressant un état de la diversité spontanée et cultivée, et ce
dans la perspective d’incrémenter des ressources génétiques dans un processus d’innovation variétale plus orienté par une production « d’artefacts »
que par un art du pilotage. Le vivant qui y est mobilisé est fixiste (passif,
statique) et décontextualisé au sens « d’arraché » de ses conditions de vie environnementale et sociale. Il est analysé au laboratoire tant sur le plan de son
génome, à l’aide d’équipements permettant un génotypage à haut débit, que
sur celui de son phénotype, avec de nouvelles méthodes de phénotypage
(évaluation des caractères). Sur le plan des relations établies entre humains
et non humains, les ressources génétiques de la betterave sont appréhendées
sous forme fractionnée et à visée exclusivement instrumentale, la biodiversité
mobilisée comme source statique de gènes, entérinant par là une césure entre
nature et société où la première est au service de la seconde, notamment au
regard des avantages compétitifs qu’elle est susceptible de procurer dans
les activités productives où elle est mobilisée. Pour qualifier cette configuration, j’ai référé à la notion de Triple Hélice élaborée pour rendre compte des
connexions privilégiées entre activités de recherche, industriels et Etat, fréquentes dans le domaine des biotechnologies (et des nouvelles technologies
de l’information).
33
Le programme Arcad a permis de mettre en évidence un usage de la biodiversité cultivée très contrasté, où l’engagement des ressources génétiques
et de leur diversité est tout autre. Les modalités de socialisation des entités
biologiques concernées renvoient à une autre configuration de partenaires
et instaurent d’autres relations entre nature et société, composent un autre
collectif entre humains et non humains. Certes, s’agissant de domestication,
on reste dans une perspective instrumentale et anthropocentriste (ce qui justifie le terme de ressource), mais selon une autre logique (d’association). Les
ressources génétiques et leur diversité figurent différemment. Ce sont des
entités qui ont une histoire à documenter, des capacités évolutives à comprendre, de l’adaptabilité à spécifier et à éventuellement intégrer à des activités d’innovation variétale. En ce sens, la biodiversité dont il est question
dans ce programme est historicisée : sont pris en compte l’espace et le temps
de sa formation. Dans cette contextualité plus prégnante, les gènes et leurs
combinaisons sont problématisés et sont des « acteurs » de cette histoire : une
« autonomie adaptative » leur est attribuée, générant une dynamique à élucider. Si les ressources génétiques sont également l’objet d’étude à l’échelle de
séquences d’ADN, c’est non seulement en étant davantage reliées à l’entité
intégrée qu’elles composent, c’est-à-dire à la plante (et pas seulement au
gène), elle-même reliée à son contexte (donc une approche moins fragmentée), mais aussi en étant dotées de capacités d’adaptation constituées en objet
de recherche. Ce qui est là une approche des ressources plus « holiste » et
écocentrée, moins anthropocentrique et instrumentale que celle en œuvre
dans le précédent dispositif. Par ailleurs, en se donnant comme objectif de
comprendre comment la biodiversité a évolué, celle-ci n’est pas saisie comme
stock de gènes mais comme produit par l’histoire de l’évolution du vivant
dans ses rapports avec les humains. Ce qui est une appréhension dynamique,
et non fixiste, de la biodiversité. Non pas une approche dualiste entérinant
une dichotomie nature-société mais une appréhension de la diversité biologique connectée à la diversité culturelle qui contribue à son façonnement.
On peut aussi noter que la valeur attribuée aux plantes à étudier intègre,
outre des critères commerciaux, des critères alimentaires et culturels (favoriser le maintien de plantes vivrières dans les communautés où elles sont
cultivées). Ce qui est à resituer au sein d’une configuration où les acteurs
académiques sont certes présents, comme avec la betterave, mais où interagissent aussi des communautés locales et des paysans de l’hémisphère Sud,
en tant que partenaires associés aux recherches (cf. pratiques de conservation
des ressources génétiques en champ) et dont les activités agricoles sont à
comprendre. Est donc bien en jeu une autre modalité de socialisation des
ressources génétiques et de leur diversité, mobilisées comme des entités où
s’articulent des éléments socioculturels, environnementaux et économiques.
34
Chapitre 3
L’engagement d’entités biotiques dans
des dispositifs de patrimonialisation
Les réalités auxquelles s’adresse la notion de patrimoine ne cessent de se diversifier depuis les années 1970, les transformations industrielles et l’aménagement de l’espace menaçant nombre « d’objets » qui, du coup, apparaissent
à protéger par la voie de leur patrimonialisation (Nora 1992). Au-delà de
ces évolutions, ce « tout patrimonialisable » ayant suscité nombre de critiques
(Hertz et Chappaz 2012), cette notion reste étroitement associée à l’acte
d’hériter et à celui de perpétuer21. Le patrimoine apparait comme le produit
de « la reconnaissance commune par des groupes sociaux que des objets, des lieux,
des systèmes de signes, de valeurs sont leur bien propre, au cœur de la construction
de leur identité sociale » (Rautenberg 2003, 107). C’est cette perspective que
j’emprunterai pour rendre compte de la mise en patrimoine de la nature,
en étant attentif à la dimension relationnelle des actions de patrimonialisation qui consistent à attacher des objets, des entités, à un collectif (composé
d’humains et de non humains), à se lier avec : ce qui est sous-jacent à l’idée de
« transmettre ». Pour autant, on ne transmet pas nécessairement à l’identique
(l’entité transmise étant alors figée), tout comme les dispositifs de patrimonialisation peuvent être variés, selon les acteurs qu’ils mobilisent, les entités
qu’ils concernent, les intérêts en jeu, les enjeux identitaires qu’ils soulèvent.
Dans ce chapitre, je propose d’aborder les dispositifs de mise en patrimoine
du vivant, végétal et animal (sous forme de collection ex situ ou in situ),
en exposant d’abord ceux structurés autour d’une logique instrumentale,
jusqu’aux dispositifs les plus éloignés de cette dernière et davantage proches
d’une logique territoriale, où les enjeux identitaires sont plus prégnants. Des
21
Constituer un patrimoine « implique la
transmission et conduit à opérer un change-
De haut en bas :
Chevaux Camargue, domaine de La Palissade,
Camargue (13);
Fleur sauvage, domaine de La Palissade,
Camargue (13)
ment de statut, une mutation de fonction et
d’usage des objets et des pratiques. » (Berard et
al. 2008).
35
uns aux autres, je veillerai à mettre en évidence que la nature est chaque fois
engagée différemment, dans un état particulier, et qu’il en résulte une diversité des formes d’existence des entités biotiques qui la composent.
3-1 ­Une patrimonialisation à visée
instrumentale
Les ressources génétiques sont souvent présentées comme du « matériel génétique » constitué d’une double face : l’une relevant d’un agir utilitariste22 et
l’autre d’un patrimoine. Dans les deux cas, cependant, les relations établies
avec elles, dans le cadre de constitution de collections, procèdent d’une
logique instrumentale. Je propose de le montrer en mettant en évidence que
si les modalités de la mise en patrimoine du vivant, depuis le XIXe siècle, ont
évolué, c’est afin de servir des objectifs qui se sont eux aussi progressivement
différenciés. J’exposerai dans les lignes suivantes chacune de ces modalités
en distinguant ce qui relève d’une appréhension statique (patrimoine figé)
des ressources génétiques, et ce qui renvoie à une approche dynamique (patrimoine évolutif ). Dans le premier cas, la logique instrumentale de patrimonialisation conduit à la mise en collection de ressources génétiques pour des
raisons de conservation d’un état de celles-ci, qu’il convient donc de garder
fixées. Dans le second cas, elle conduit à la préservation d’un processus (capacités adaptatives des ressources génétiques à préserver), dont un enjeu est le
pilotage.
Conserver un état des ressources génétiques
La logique instrumentale déployée dans la mise en collection de végétaux,
afin de conserver ceux-ci et de les transmettre sous la forme d’un état fixé,
s’est vue progressivement mise au service d’objectifs qui se sont distingués
les uns des autres au fil du temps, sans pour autant s’exclure mutuellement.
C’est autour de quatre finalités, constituant autant de modalités de mise en
patrimoine, que se déploie actuellement cette logique. Je les exposerai en les
ordonnant chronologiquement.
• Patrimonialiser à des fins d’innovation variétale
Si les premières collections, constituées en tant que tel, remontent au
XVIe siècle, c’est à partir du XIXe siècle que des grandes collections
dédiées à l’agriculture voient le jour (collections de blés et de betteraves
dans le Nord de la France, de vignes dans le Sud). A partir de là et dans
de nombreux pays « développés », va s’organiser une activité de mise
en collection à des fins « d’amélioration variétale ». Si l’on considère les
collections comme des dispositifs d’action (Latour 1993), on peut appréhender celles-ci comme étant composées d’accessions constituant des
ressources (génétiques), puisque de telles collections permettent à la fois
de rendre disponible des plantes pour effectuer des hybridations et des
sélections, et de maintenir, de conserver une diversité utile aux activités
d’innovation variétale23.
Depuis, les collections ex situ se sont développées dans la plupart des
pays industrialisés, d’autant que les évolutions des connaissances en
biologie (biologie moléculaire, génétique d’association) ont décuplé les
moyens d’accéder à, et d’exploiter, la diversité génétique que renfer-
22
C’est-à-dire que ces ressources sont le
support d’actions dont les buts concernent,
par exemple, l’agriculture (afin de produire
« plus, mieux, et d’autres choses ») ou les
sciences (pour produire des connaissances sur
le vivant et son environnement).
23
Comme le souligne Jean-Marie Prosperi
(IR Inra, spécialiste des ressources géné36
tiques et des dispositifs de leur conservation
impliqué dans Arcad) lors d’un entretien
que j’ai mené avec lui, il n’est ici question
que d’un rapport instrumental à la diversité :
« les grandes collections au début du XXe siècle,
quand elles ont été mises en œuvre, que ce soit
sur le blé, la vigne etc., n’avaient aucun objet
revendicatif sur la conservation même, sur des
espèces apparentées sauvages, sur la conservation
de ces espèces là si elles étaient en voie de disparition. On ne se posait pas de question sur
la légitimité de l’amélioration des plantes, sur
ses impacts, sur les changements de systèmes etc..
On était dans une démarche extrêmement productiviste. Et donc à partir de là, la ressource
génétique était un élément constitutif qui permettait d’améliorer le système. ».
ment les collections (identification des polymorphismes de l’ADN en
fonction de la variation phénotypique par la détection de QTL, l’analyse de mutants, et plus récemment, les séquences d’ADN). Notons
que c’est par leur mise en collection que ces plantes sont constituées
en ressources : à une logique utilitariste (se servir des plantes pour la
sélection et l’innovation variétale), s’est ainsi adossée ultérieurement
une dimension patrimoniale (conserver un état de la diversité génétique
à un instant t sous forme de collections), elle-même au service de cette
activité d’innovation.
• Patrimonialiser à des fins d’accessibilité
Dès la fin de la seconde guerre mondiale, la question de la modernisation agricole va être inscrite dans les agendas politiques d’institutions
internationales. Favoriser les échanges de germoplasmes entre pays et
organiser une meilleure accessibilité aux ressources phytogénétiques
font partie des préconisations (notamment de la FAO, cf. Farnham
2007) qui, avec d’autres, ont pour objectif d’accroitre la productivité
des variétés (ce sont là les prémisses de ce qui deviendra la « Révolution
Verte »). Mais extraire des plantes de leur environnement, les récolter, les
rassembler dans le cadre de grandes collections, entretenir ces dernières,
et s’en servir à des fins d’innovation variétale, sont autant d’opérations
qui supposent, on s’en doute, une politique dédiée et tout un ensemble
de moyens, aussi bien en termes d’équipements que de connaissances. Il
apparait clairement ici que, pour que des entités végétales soient constituées en ressources par les humains, c’est-à-dire qu’elles soient intégrées
dans leurs stratégies en tant que moyens, il faut un certain nombre d’opérations. Il n’est pas nécessaire de détailler ici l’ensemble de ces actions de
mises en collection pour comprendre le caractère construit, fabriqué, de
telles ressources. En rompant avec une approche commune qui considère comme allant de soi que les ressources soient « déjà données »24, on
comprend mieux que dans certains pays, dénués des moyens adéquats,
les sources végétales ne peuvent être constituées en ressources phytogénétiques. On ne peut donc pas s’étonner d’une distribution géographique
très inégale des grandes collections nationales, celles-ci étant présentes
dans les pays les plus économiquement développés. D’où la constitution
de grandes collections « mondiales » avec les Centres Internationaux
après la seconde guerre mondiale (à partir des années 1960), afin de
permettre la constitution de banques de gènes dans les pays du Sud.
Ces centres internationaux sont mis en place dans les années 196080 avec comme principaux objectifs le développement de travaux de
recherche et de programmes de sélection, la centralisation de ressources
génétiques (avec une accessibilité élargie), et un soutien aux pays du Sud
(Prosperi 2010, voir également Trometter 2003). Ici, comme pour la
modalité précédente, la mise en œuvre d’une logique instrumentale est
prévalente : ces collections visent à constituer les plantes en ressources et
leur diversité comme une sorte de réservoir où puiser.
A l’utilité de ces banques de gènes pour les agriculteurs fait écho leur
utilité pour les sélectionneurs-semenciers. Ce dispositif est similaire au
précédent en ce qui concerne les finalités : constituer des collections
pour servir l’agriculture, c’est-à-dire rendre disponible des ressources
génétiques et exploiter leur diversité. Ce qui change, et c’est d’importance, est que dans le premier cas les banques de gènes sont privées,
alors qu’ici elles ont une ouverture publique. Les questions de gestion
24
En ce sens, les ressources, avant d’être des
points de départ pour l’action, sont des résultats d’actions antérieures, actions de mise en
forme destinées à les rendre mobilisables dans
des stratégies. Pour un point de vue plus global et relatif aux trois règnes du vivant, je renvoie au dossier de la Revue d’Anthropologie
des Connaissances que j’ai coordonné sur les
ressources biologiques (n°2, 2011), notamment à son introduction générale (Milanovic
2011).
37
de collections gardées dans le domaine public ont alors été posées.
L’acuité de telles questions n’a pas faibli avec le temps puisqu’elles sont
encore actuelles avec le Tirpaa, dont « l’objectif est de définir quels sont les
acteurs de la conservation des ressources génétiques et toutes les implications
que cela a de conserver en commun et d’échanger dans un cadre international ces ressources là » (E. Arnaud, Bioversity int.).
• Patrimonialiser à des fins de conservation une diversité biolo-
gique cultivée
A partir des années 1960, l’activité de préservation des ressources
phytogénétiques sous forme de collections apparait nécessaire. Car aux
effets délétères liés à l’intensification de la production agricole d’après
guerre25 s’ajoute le processus de domestication lui-même qui – si on
l’appréhende depuis l’échantillonnage de formes ancestrales sauvages
de plantes jusqu’aux variétés élites issues des procédés contemporains
et mises à disposition des agriculteurs – apparait comme générateur
d’une perte de diversité26. Effectivement, même si la domestication
génère de la diversité en produisant des variétés, des études génétiques
montrent que de la forme ancestrale d’une espèce, comme le blé, aux
premières formes domestiquées, jusqu’à celles actuellement cultivées,
il y a perte de diversité (Haudry et al. 2007 ; Gallais 2013)27. Dans ce
cadre, les ressources génétiques sont appréhendées comme composantes
d’un réservoir ou d’un stock qu’il convient de gérer au mieux. C’est
là une gestion minière des ressources génétiques. Au regard d’enjeux
déjà constitués (innovation et accessibilité), mais également au regard
d’enjeux à venir, imprévisibles (par exemple, parasites, exigences des
consommateurs, évolution des marchés) : « Il importe donc de raisonner
au mieux la constitution et la gestion durable d’un réservoir de diversité
génétique (…) » comme le précise la Charte nationale du BRG édictée
en 1998.
Cette troisième modalité d’une logique instrumentale déployée dans la
mise en collection de végétaux – patrimonialiser à des fins de mémorisation une diversité biologique cultivée – est donc directement liée
à l’établissement d’une perte de diversité biologique. Le cadre de ces
opérations de patrimonialisation est anthropocentrique (ce qui est
conservé a de la valeur au regard des humains) et orienté par un objectif
instrumental (ce qui est conservé est destiné à servir les activités agricoles, présentement et ultérieurement).
• Patrimonialiser à des fins de mémorisation un état historique-
ment situé des ressources génétiques
Un nouvel enjeu apparait à l’orée des années 1990 : le climat change.
Or la vitesse de ce changement a des conséquences sur les écosystèmes
qui sont et seront amenés à changer, mais à un rythme inédit, avec les
enjeux d’adaptation qui lui sont consubstantiels.
Pour ce qui concerne les forêts, le problème est ainsi posé dans le
Programme National d’Adaptation au Changement Climatique : « Compte tenu de l’ampleur des évolutions climatiques attendues à l’horizon
de la fin du siècle, des difficultés croissantes d’adaptation des essences fores-
25
Les énormes gains de productivité qui en
ont découlé (au Nord, mais aussi au Sud avec
la « Révolution Verte ») ont effectivement
été accompagnés d’un appauvrissement des
« ressources génétiques agricoles » (à travers
l’homogénéisation des espèces et variétés
cultivées), d’une érosion de la diversité biologique (destruction et morcellement des
habitats naturels), et d’une sur-utilisation
d’une « chimie de la mort » avec notamment
38
les herbicides, fongicides et insecticides (Barbault, Weber 2010, 83).
26
« L’histoire de la sélection, chez la plupart
des espèces végétales améliorées à reproduction
sexuée, a conduit à une perte de diversité du
peuplement végétal dans le champ de l’agriculteur en passant des variétés populations hétérogènes génétiquement aux variétés modernes souvent réduites à un génotype, lignées ou hybrides
simples. » (Gallais, 2013)
27
Ou encore, pour ce qui concerne le blé
tendre en France, ce rapport d’étude de la
FRB qui montre « Une forte homogénéisation
génétique, majoritairement due à la perte de
diversité intravariétale, et, dans une moindre
mesure, à l’homogénéisation génétique intervariétale entre variétés leader, malgré une forte
hausse du nombre de variétés cultivées au XXe
siècle. » (Goffaux et al. 2011). tières en place aux conditions climatiques sont très probables, la rapidité de
ces évolutions dépassant le rythme d’adaptation spontanée par migration
des couverts forestiers. »28. Dans les actions mises en place pour organiser,
orienter, faciliter les adaptations souhaitées, la pépinière expérimentale du ministère de l’Agriculture localisée à Guéménée Penfao (Loire
Atlantique), également dénommée « Conservatoire national des arbres
sauvages », est mobilisée. Elle représente un cas exemplaire d’une mise
en patrimoine du vivant végétal procédant d’une logique instrumentale, non pas pour des pratiques d’amélioration variétale avec un pas de
temps court, mais pour prendre en compte les changements environnementaux dans les processus adaptatifs des arbres sur du moyen-long
terme : la « migration assistée » des ressources génétiques. Confrontées à
un environnement changeant, « dépérir ou survivre » est l’alternative qui
se présente aux ressources génétiques forestières. Mais si elles survivent,
c’est parce qu’elles s’adaptent29. Or si elles se sont adaptées, alors elles
se sont modifiées, ce qui est précisément l’enjeu de la conservationmémorisation d’un état de ce qu’elles étaient auparavant au sein de la
pépinière. On est là dans une logique, certes, instrumentale, mais néanmoins singulière (au regard des trois précédentes), de mise en patrimoine du vivant : indexer un état des ressources génétiques forestières à
des coordonnées spatio-temporelles.
Résumons. La logique instrumentale est au principe de la mise en patrimoine du vivant végétal dans un état fixé, mise en patrimoine qui se
décline sous forme de collections ex situ destinées à servir quatre finalités : l’innovation variétale, l’accessibilité (géographique et actancielle),
la conservation d’une diversité biologique (conçue comme stock, réservoir), et la conservation du vivant dans un état spatio-temporellement
référencé. Il s’agit de conserver un patrimoine statique car utile au regard
de ces quatre finalités. La mise en réserve de gènes potentiellement
utilisables pour des programmes d’amélioration, de sélection s’effectue hors du « milieu naturel », mais également hors du « milieu culturel ». Ce qui est récurrent dans la conservation ex situ, où « il est difficile
de gérer les savoirs et les pratiques car les ressources génétiques s’affranchissent la plupart du temps de toute évolution et de toute réalité sociale. »
(Marchenay 2005).
Vue du Conservatoire de Guéméné Penfao (44)
28
In « Plan National d’Adaptation de la
France aux effets du Changement Climatique
2011-2015», ministère de l’Ecologie, du Déve-
loppement Durable, des Transports et du
Logement, 2011, p.113.
29
Sachant que deux processus sont en jeu :
la survie individuelle par plasticité phénotypique et la survie de la population par adaptation/sélection génétique.
39
Les avancées des connaissances en biologie et la corroboration empirique sans cesse renforcée de la thèse du changement climatique amèneront, non pas à faire deuil de cette patrimonialisation statique, mais à
lui adosser une patrimonialisation tout aussi instrumentale bien que
davantage dynamique.
Ces deux nouveautés, l’appréhension du temps comme l’un des paramètres à prendre en compte dans les dispositifs de gestion des ressources
génétiques (Micoud 2012), et la redistribution de l’agentivité entre
entités humaines et non humaines, appellent des dispositifs de gestion
dynamique, dont le « (co)pilotage » comme modalité opérationnelle de
cette mise en patrimoine évolutive.
De haut en bas ; Collection nationale de peupliers, Conservatoire de Guéméné Penfao (44);
Dispositif expérimental en serre, Conservatoire
de Guéméné Penfao (44)
Focus n°4
Qu’est-ce que « l’agentivité » ?
« Agentivité » est un néologisme qui
provient du terme anglais « agency »
désignant une capacité d’agir. Cette
notion part du constat que le pouvoir
d’agir n’est pas une caractéristique
intrinsèque à l’individu, ni au milieu,
mais relative à une situation (inscrite
dans une temporalité). Elle renvoie à
« une approche dite écologique, qui
40
ne part pas d’individus constitués, ni de
milieux déjà donnés, mais du couplage
structurel entre individu et milieu, par
lequel ils ne cessent de se produire et de se
transformer. » (Bidet et al. 2013, 176). Si
les objets ne sont pas des supports passifs
des actions humaines mais interviennent
activement dans les cours d’action où
ils sont mobilisés, s’ils sont dotés d’une
« agentivité », celle-ci n’est évidemment
pas de même nature que celle des
humains (Barbier et Trepos 2007;
Houdart et Thiery 2011). Il en va de
même pour les entités biotiques à qui
il peut être reconnu et conféré plus ou
moins d’agentivité selon les situations
où elles sont engagées.
• Le cas du pilotage des ressources génétiques forestières
Les ressources génétiques forestières, telles qu’elles sont gérées par la
CRGF, sont un cas exemplaire de pilotage d’une dynamique adaptative30.
Concevoir un patrimoine mettant en jeu des entités vivantes qui ne
soient pas statiques mais évolutives n’est pas chose aisée. Ce qui est à
maintenir est l’évolutivité des ressources génétiques forestières, due à
leur adaptation aux changements environnementaux. C’est un processus adaptatif qui est ici patrimonialisé31. Comment un tel patrimoine
est-il géré ? Quelles sont les opérations par lesquelles cette gestion est
réalisée ?
Il est tout d’abord clair qu’il s’agit ici préférentiellement de gestion in
situ, puisque les autres types de conservation, ex situ, ne mettent pas
en relation l’évolution de l’environnement avec celle des végétaux32.
De plus, cette gestion in situ n’a pas lieu dans des espaces sanctuarisés,
à l’abri des activités humaines. C’est, au contraire, au sein d’espaces
anthropisés que des collections d’arbres, des « Unités de Conservation »
(UC) pour employer le terme consacré, sont désignées. Gérer de telles
collections implique nécessairement d’être confronté à l’enjeu de concilier les perturbations d’origine humaine et celles qui ne le sont pas, et
qui toutes deux participent de la dynamique des écosystèmes où les
collections concernées évoluent. Ce qui relève d’une gestion instrumentale à la fois anthropocentrée (l’utilité est évaluée par des humains, en
fonction de leurs intérêts) et non anthropocentrée (l’utilité est référencée au regard des dynamiques écosystémiques d’origine non anthropique). cf. encart n°6.
Les ressources génétiques ne sont pas ici considérées comme des entités
statiques manipulables dont l’évolution résulte d’initiatives humaines,
mais comme des entités dynamiques qui se transforment par un jeu
d’interactions entre des processus anthropiques et d’autres qui ne le
Encart n°6
politique des ressources génétiques forestières
et Commission des Ressources Génétiques Forestières (CRGF)
Prenant acte que les ressources génétiques forestières sont impactées par
les activités humaines, c’est prioritairement vers une sensibilisation des
acteurs concernés que s’est orientée la
politique nationale de conservation des
ressources génétiques forestières, initiée
en 1990. Il faut effectivement remonter
à la Première conférence ministérielle
pour la protection des forêts en Europe,
à Strasbourg en 1990, pour trouver les
prémisses d’une politique européenne
des ressources génétiques forestières, à
décliner au sein de chaque Etat impliqué.
C’est à cette occasion que se formalise
une politique nationale de conservation
de ces ressources, dont la CRGF est une
30
D’autant que la CRGF est le premier
partenaire mentionné de la Mesure 3.3 du
PNACC intitulée « Conserver, adapter et
diversifier les ressources génétiques forestières ». Sur les actions de la CRGF, voir
http://agriculture.gouv.fr/conservation-desressources
émanation (en 1992). Son premier registre
d’action concerne la prise en compte de ces
ressources dans les pratiques courantes de
gestion sylvicole, d’aménagement forestier et territorial ainsi que dans les politiques publiques (en 1999, la Charte pour
la conservation des ressources génétiques
des arbres forestiers rédigée par la CRGF
était signée par 25 organismes). Deuxième
registre d’action ; installer à l’échelle du territoire métropolitain un réseau de conservation pour quelques espèces forestières
choisies en fonction de leur intérêt économique ou écologique, et des menaces qui
pèsent sur leur diversité génétique. Enfin,
troisième et dernier registre ; « prendre en
compte les deux dimensions (patrimoniale
et évolutive) des RGF dans les espaces
protégés et réseaux de conservation
des habitats existants », ce qui n’est pas
sans poser de difficultés car il s’agit d’infléchir des logiques de gestion déjà existantes afin qu’elles intègrent les RGF et
ces deux dimensions.
31
ressources comme relevant d’une logique de
patrimonialisation.
32
Sauf «dans le cas de plantations conservatoires ou de vergers à graines donnant naissance à de nouvelles populations forestières
par reproduction sexuée», on parle alors de
conservation ex situ «dynamique» (Collin et
al 2012, 36).
Pour les auteurs, seule la première logique
relève d’une dimension patrimoniale, la
seconde étant qualifiée de « dimension évolutive pour faciliter la génération et la propagation de nouvelles adaptations ». Mais si l’on
considère que c’est un potentiel adaptatif qui
est à conserver et transmettre, alors il y a du
sens à appréhender le mode de gestion de ces
On est donc là dans la gestion d’un
patrimoine qui, pour que soit préservée sa dimension évolutive, procède
d’un pilotage des processus qui lui sont
inhérents. Préserver un processus adaptatif est l’enjeu fondamental. Pour des
détails, cf. la revue RDVT et son dossier
relatif aux vingt d’ans d’existence de la
Commission (N°36-37, 2012).
41
sont pas : « L’adaptation est une dynamique continue avec des phases de
création et d’érosion de la diversité génétique qui relèvent de processus naturels en interaction avec la gestion. » (Lefèvre et Collin 2012, 11). Prenons
la mesure de cette pratique gestionnaire : les ressources génétiques
forestières en lien avec leur environnement sont impliquées dans des
dynamiques de flux et d’échanges qui participent de leur adaptabilité,
la biodiversité est coproduite (résulte des interactions entre « processus naturels » et activités humaines), et la logique instrumentale qui
préside à leur gestion patrimoniale est à la fois anthropocentrée (que ces
arbres soient encore à l’avenir susceptibles de procurer aux humains
des ressources et des services) et non anthropocentrée (que ces ressources
conservent leur propre capacité adaptative, cette capacité étant au
service d’elles-mêmes).
Deux types de mise en patrimoine à visée instrumentale se dégagent
de ces analyses, où la nature est chaque fois engagée différemment,
dans un état particulier. Les ressources génétiques sont mobilisées,
d’une part, dans des dispositifs de patrimonialisation où elles sont
fixes, passives, instrumentalisées, affranchies de tout ancrage dans leurs
contextes d’origine, détachées de leurs liens originels au collectif où elles
étaient employées, appartenant à une nature extérieure aux humains ;
d’autre part elles sont engagées au sein d’une logique patrimoniale
qui insiste davantage sur leurs dimensions dynamiques, actives,
maintenues in situ au sein d’écosystèmes où les humains sont intégrés.
Leur « utilité » peut d’ailleurs s’apprécier au regard de leur contribution
à la dynamique de ces écosystèmes, et non pas exclusivement en
fonction des activités humaines (ce qui rend problématique l’usage
indifférencié du terme de ressource). Cette dynamique peut néanmoins
Tamaris, domaine de la Palissade (Camargue)
42
être l’objet d’un pilotage, d’un encadrement, d’un suivi, afin
d’optimiser l’adaptabilité des écosystèmes concernés aux changements
de leur environnement (notamment climatiques) et de veiller à leur
compatibilité avec les activités humaines. La diversité et la dynamique
des ressources génétiques sont donc fondamentales dans ce second
type, tout comme la possibilité de composer une instrumentalité
qui réfère simultanément aux écosystèmes et aux humains. C’est
là reconnaitre une place et un rôle aux capacités des entités vivantes
concernées, et pointer comme enjeu la capacité à concilier dynamiques
humaines et non humaines dans les évolutions des écosystèmes
et de leur durabilité.
Il en résulte une diversité des formes d’existence des ressources génétiques (jusqu’à n’en plus être) et de la diversité biologique consubstantielles à cette nature, diversité qui s’ordonne, dans ce registre de mise en
patrimoine, autour de ces deux types. Le souci d’une gestion durable de
la biodiversité qu’exprime la mise en œuvre de cette logique dynamique
de patrimonialisation à visée instrumentale se retrouve dans d’autres
dispositifs, mais dans des logiques déployées au regard d’autres visées.
3-2 Une patrimonialisation territorialisée :
le cas du Nord-Pas de Calais
Si la dimension identitaire est inhérente à la mise en patrimoine, et qu’elle
est donc présente dans la section précédente, elle apparait ici de manière
plus conséquente de par la territorialisation des liens entre entités abiotiques, vivantes (non humaines) et les humains, qu’opèrent les dispositifs
concernés. Il s’agit d’établir et d’entretenir des attaches (qui concernent un
ensemble d’entités à transmettre) à l’échelle d’un espace33. Dans la perspective empruntée ici, les conditions de l’attachement sont relatives au fait
d’avoir (eu) une histoire avec les entités concernées, et de faire des choses
avec (Hennion 2004). Il ne s’agit pas d’extraire des entités naturelles de leur
milieu (et de toutes les connexions y afférant) et de les conserver ex situ,
mais d’ancrer territorialement leur socialisation qui est à pérenniser. C’est
donc une autre logique de patrimonialisation qui est en jeu, car « conserver
et gérer la diversité biologique est une chose ; associer à cette démarche les savoirs
et les pratiques locaux en est une autre. » (Marchenay 2005). C’est en ce sens
que la dimension identitaire est plus prégnante ici que précédemment. Pour
le montrer, je propose de porter l’attention au cas du Nord-Pas de Calais,
région où les actions de patrimonialisation du vivant domestiqué ont été
pionnières en France, tant pour ce qui concerne la constitution et la valorisation d’un patrimoine fruitier et légumier que la création d’un centre de
ressources génétiques particulièrement entreprenant et novateur à l’échelle
régionale, agissant en collaboration avec les trois parcs naturels de la région.
La mise en patrimoine des fruits et légumes
Premières lignes du bilan d’activités 2010 du Centre Régional des Ressources
Génétiques (CRRG) :
« La biodiversité est en danger, sauvage, comme domestique, Cette prise de
conscience est née dans le Nord-Pas de Calais dans les années 1980. Un premier
état des lieux avait mis en évidence que des dizaines de variétés anciennes de fruits
et légumes n’existaient plus dans nos campagnes et que nos races dites « régionales » avaient atteint des effectifs extrêmement faibles, frisant l’extinction. »
(Bilan d’activités du CRRG, ENRx 2010, 3)
33
Notons que cette spatialisation des opérations de mise en patrimoine est à resituer au
sein d’un mouvement plus global : « De la loi
de 1913 sur les monuments historiques à la
loi paysage de 1993, qui affirme que le territoire national est en soi un patrimoine, on a
donc assisté à une spatialisation du processus
de patrimonialisation. » (Veschambre 2007).
43
Source : Les parcs et la biodiversité, Espaces
naturels régionaux du NPC (ENRx), 2010.
A l’origine de ce constat se trouve l’inventaire (d’arbres fruitiers locaux) initié et mené par René Stiévenart. En référence à la notion « d’entrepreneur de
morale » de Becker34, j’emploierai la notion « d’entrepreneur de patrimonialisation » (Mauz 2012), pour qualifier son engagement dans les actions qui
nous préoccupent : étendant en cela la notion de patrimoine naturel, René
a effectivement contribué de manière décisive, premièrement, à désigner ce
qui mérite d’être constitué en patrimoine, et, secondement, à mettre en place
le dispositif destiné à effectuer cette mise en patrimoine (deux registres d’action fondamentaux de l’entrepreneur de patrimonialisation). L’encart n°7
retrace les grandes étapes de cette mise en patrimoine, restituées par l’actuel
directeur du CRRG, Bernard Delahaye, employé dans les Espaces Naturels
Régionaux (ENR35) à l’époque. Les décisions d’action publique ayant institué les dispositifs concernés comprennent l’attribution et la mise en œuvre
de moyens destinés à enrayer cette perte en administrant un patrimoine
à constituer et ensuite à gérer. Se donne à voir ici un double mouvement
d’attachement : les variétés (locales, « traditionnelles ») sont regroupées au
sein d’un espace unique où elles sont conservées, elles sont ensuite distribuées dans des réseaux locaux pour être valorisées auprès de la population
locale. C’est dans ce contexte que le CRRG a été institué et est devenu maître
d’œuvre d’un patrimoine légumier, à la suite du patrimoine fruitier. On peut
considérer que le CRRG est la forme institutionnelle de ce que René avait
initié sous une forme personnalisée : désigner ce qui mérite d’être constitué
en patrimoine, puis contribuer, le cas échéant, à la réalisation du dispositif
dédié à la mise en patrimoine des ressources génétiques à l’échelle régionale.
En 2010, le bilan du CRRG36 fait état de 1 300 variétés fruitières conservées (pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers), 150 souches locales de légumes
(ail du Nord, carottes de Tilques, Lingot du Nord, laitue lilloise, poireau
Leblond, etc.), auxquelles il faut ajouter 16 races animales locales, dont les
races bovines Bleue du Nord et Rouge Flamande, la race ovine Boulonnaise,
les races équines Trait du Nord et Boulonnais, et 11 races anciennes de poule.
44
Encart n°7
René Stiévenart, entrepreneur pionner de patrimonialisation
« Mandaté », en quelque sorte, par
les ENR pour effectuer la mission qu’il
s’était donnée dans le cadre de son
objection de conscience – dresser un
état des lieux des variétés régionales
fruitières et légumières – René intéresse
suffisamment les décideurs pour
prolonger d’emblée cet inventaire par
la réalisation d’un verger conservatoire.
On passe ainsi d’une situation où
des variétés locales étaient en voie
de disparition, dans une certaine
indifférence (puisqu’aucun document
objectivant cette extinction n’existait), à
une situation où ces variétés sont non
seulement recensées, mais une place
dans le collectif local leurs est également
attribuée. Elles sont re-socialisées :
le mouvement de leur détachement
progressif à leur territoire et aux
personnes qui les avaient domestiquées
est interrompu, et le processus inverse
enclenché, qui vise à leur conférer une
place sur des justifications patrimoniales
(et donc en rien utilitaires). Pour
instaurer les attaches nécessaires, c’est
à une vaste entreprise d’enrôlement à
laquelle s’attelle René, bénéficiant aussi
d’opportunités politiques : il trouve l’espace
et les responsables politiques locaux pour
attribuer celui-ci à un verger. Mais il ne
suffit pas de convaincre les décideurs
et d’obtenir un espace dédié à l’accueil
d’une collection d’arbres fruitiers. Tout un
ensemble de moyens est nécessaire pour
que le verger soit installé et « fonctionnel »:
l’engagement de ces moyens s’est
effectué dans le cadre d’un projet relatif
aux ressources génétiques et à leur
patrimonialisation dont René est l’initiateur.
En sont issus le verger et ses composantes
ultérieures, mais aussi le CRRG et diverses
formes de collaborations avec les trois
entités qui composent les ENRx (et que
sont les Parcs naturels régionaux).
Une étape en appelant l’autre, une fois
les variétés regroupées, le travail de mise
en patrimoine a consisté à composer des
collections ; ce qui implique, au-delà des
aspects pratiques agricoles, toute une
activité de documentation destinée à
attribuer avec rigueur les caractéristiques
relatives à chaque variété. Mais conserver
ne suffit pas. Une véritable entreprise de
mise en circulation (locale) des ressources
génétiques va alors voir jour, une
fois le verger suffisamment établi,
ce qui permet à la fois de justifier la
dimension publique du financement des
opérations de patrimonialisation, et de
créer des attaches entre les habitants de
la région et les variétés proposées. Pour
s’acquitter de cette action de diffusion
auprès des amateurs, le CRRG s’appuie
sur les relais régionaux que sont les
pépinières. Les ressources génétiques
fruitières locales sont d’autant plus
socialisées qu’elles sont attachées à
une multitude d’entités (habitants,
professionnels) et peuvent circuler au
sein de réseaux localement institués.
Après avoir dressé un état des lieux des
variétés fruitières traditionnellement
cultivées dans la région, René,
entrepreneur de patrimonialisation,
a donc œuvré de manière décisive à
l’inscription de la perte de diversité
biologique sur les agendas politiques
locaux, étape pré-requise à la prise
de décisions (d’actions) publiques
permettant
l’instauration
d’inédits
dispositifs de socialisation.
C’est donc bien de toutes autres modalités d’existence que celles de la section
précédente qui se donnent à voir ici avec ces entités locales, constituées en
patrimoines fruitier et légumier. Elles ne sont pas engagées initialement dans
des actions où elles joueraient le rôle de moyens destinés à l’atteinte de fins
qui leurs seraient extérieures. Elles sont cultivées pour elles-mêmes, en tant
qu’élément identitaire régional participant d’une « production de la localité »
(Appadurai 1996). En ce sens, la logique qui sous-tend leur mise en patrimoine est davantage identitaire que précédemment, où l’instrumentalisation
des ressources était plus prégnante. La connexion ultérieure de ce patrimoine
à des pratiques plus instrumentalisantes n’invalide pas cette dimension identitaire : au contraire, de telles pratiques contribuent à assurer la pérennité du
patrimoine en multipliant les attaches entre territoire, personnes et variétés.
Effectivement, les collections du verger sont de véritables dispositifs d’actions (Latour 1993) : ces dernières sont protéiformes et contribuent à (r)
attacher des végétaux à un espace et des personnes, sous forme de collection,
et d’en assurer la pérennité, la gestion. Car la valorisation, et pas seulement la
conservation, est l’une des missions rectrices du centre37. Et cette valorisation
est multiple. Les collections de variétés fruitières représentatives du Nord
de la France qui composent ce dispositif permettent de nombreuses actions
34
Les entrepreneurs de morale sont ceux qui
définissent les comportements d’un groupe
social considérés comme « normaux » ou
déviants (Becker 1963).
35
« Espaces naturels régionaux » (ENRx) est
le Syndicat mixte des Parcs naturels régionaux du Nord-Pas de Calais. Il prolonge l’action de l’association « Espace naturel régional » (ENR) créée en 1978. C’est un outil en
matière d’environnement et d’aménagement
du territoire animé par les élus de la Région et
des 3 Parcs naturels régionaux. ENRx est sou-
tenu par la Région Nord-Pas de Calais pour
mettre en œuvre des missions précisées dans
une convention d’objectifs.
36
A cette date le CRRG est incontournable
dans la région et est exemplaire à l’échelle
nationale. la surface de ses activités s’est largement étendue depuis les années 1980, ainsi
que son personnel : « Regroupant, a la date
d’aujourd’hui, une dizaine de personnes spécialisées dans le domaine animal et végétal,
travaillant en étroite relation avec une cinquantaine de collectivités ou d’organismes,
professionnels, associatifs, scientifiques et
techniques qui partagent les mêmes objectifs,
le CRRG a crée et gère actuellement deux
conservatoires régionaux, le premier consacré
au patrimoine fruitier, le second au patrimoine légumier. Il encadre le suivi et la gestion de la diversité génétique dans chacune
des races à petits effectifs dont le berceau de
race est le Nord-Pas de Calais. Il apporte un
appui technique et méthodologique auprès
des cinq associations d’éleveurs en charge
de ces races, toutes agréées nationalement. »
(Centre Régional de Ressources Génétiques,
2010, Bilan d’activités, ENRx., 3).
45
(qui ne peuvent être détaillées ici , participant en cela à leur sauvegarde :
elles sont mobilisées en tant qu’outil de connaissance des comportements
agronomiques et de la vulnérabilité des arbres fruitiers aux maladies, lieu
d’innovation en matière de création variétale, pôle de diffusion aux amateurs,
professionnels et communes de la région. Enfin, des actions de formation sont
organisées, en direction de publics spécialisés, sur les techniques de palissage
des arbres fruitiers, par exemple, ou sur les techniques de taille et d’extinction à destination des producteurs.
38
Pomme Reinette Parmentier
© www.pomologie.com
Sauvegarder, gérer, documenter, innover, développer de nouveaux produits,
diffuser, former : « faire vivre le patrimoine génétique » du Nord-Pas de Calais
est source de pratiques de socialisation hétérogènes où les ressources génétiques concernées figurent de diverses manières, existent sous de multiples
formes. Il en résulte que les attaches ainsi établies entre espace – variétés
– humains sont plurielles. Retenons que si l’ancrage territorial exacerbe la
logique identitaire (nécessairement anthropocentrée) qui préside à la mise
en patrimoine des arbres fruitiers et des légumes traditionnellement cultivés
dans la région, une telle logique se déploie tant sur un versant instrumental
que sur un versant non instrumental39. La diversité des modes d’existence
des entités biotiques mises en patrimoine dans le Nord-Pas de Calais est due
à la diversité des actions effectuées avec les collections. Ce qui génère une
hétérogénéité des attaches possibles, des identitaires les plus territorialisées
aux identitaires hybridées par une instrumentalité plus ou moins prégnante.
Les espaces naturels régionaux au regard
de leurs actions patrimoniales
La mise en valeur de la biodiversité comme leitmotiv affiché par les parcs
naturels régionaux (PNR) ne peut surprendre. Ainsi pour le Nord-Pas de
Calais peut-on lire que, de 2010 à 2022, « la biodiversité [est] au cœur des
chartes des Parcs » et que « la biodiversité est une cause majeure pour 2010 et les
douze prochaines années (Parcs et biodiversité, op.cit., p30) ». Mais de quelle
biodiversité s’agit-il ? Et comment est-elle gérée ? Que des espaces naturels
37
Ce qui se retrouve largement dans les pratiques de conservation du vivant : « La conservation devient désormais un passage non seulement pour sauvegarder les gènes, mais aussi
46
pour développer des actions de valorisation. »
(Marchenay 2005).
38
cf. Centre Régional de Ressources Génétiques, 2010, Bilan d’activités, op.cit.
39
On est ici dans le cas où une logique
anthropocentrée de mise en patrimoine se
déploie sur deux versants : l’un instrumental,
l’autre non instrumental : alors que dans la
section précédente
soient à préserver des actions humaines (la métaphore de la nature sous
cloche étant usuelle), et que leur administration relève d’une approche située
à un niveau interspécifique (négligeant en cela la diversité intra-spécifique),
ces deux options deviennent progressivement obsolètes dans les pratiques
de gestion des PNR et plus généralement de la nature ordinaire (Mougenot 2003). Le Nord-Pas de Calais est, ici encore, exemplaire au sens où la
région comporte trois parcs naturels tout en étant l’une des plus denses et
anthropisées de France40. Préserver la nature de l’influence humaine y serait
une gageure : il est davantage question, à l’échelle territ oriale, de concilier
les humains et leurs activités avec d’autres entités non humaines, vivantes
ou inertes, le tout dans une logique patrimoniale exacerbée par des enjeux
identitaires, où de nombreux objectifs sont enchevêtrés, allant des moins
utilitaires aux plus instrumentaux.
Pour le montrer, je mettrai en évidence que si la gestion patrimoniale des
parcs est anthropocentrée (de par sa dimension identitaire), il n’empêche
que certains aspects de cette gestion relèvent d’une approche davantage écocentrée. Je l’illustrerai en évoquant l’engagement des parcs dans des actions
de préservation de dynamiques écologiques par des activités humaines et
animales, que ces actions concernent le mouton Boulonnais ou l’articulation
entre biodiversités cultivée et spontanée avec la mise en place de corridors
écologiques (Trames verte et bleue).
Les parcs naturels régionaux comme lieux où un travail
de conciliation est accompli
Si l’on appréhende les PNR du Nord-Pas de Calais comme des espaces de
patrimonialisation, au sens où un travail d’attachement particulier y est
effectué à des fins de perpétuation, et sachant leur degré d’anthropisation,
de peuplement par des humains, on comprend que gérer de tels parcs soit
confronté à une question cruciale, celle de l’articulation entre un patrimoine
à protéger et des activités économiques à développer41. Le parc de l’Avesnois est sur ce point exemplaire. « Pour protéger et préserver la richesse de son
patrimoine naturel », le parc se donne comme orientation de développer la
connaissance de ce dernier et de la diffuser : de mettre en œuvre des mesures
de protection et d’assurer le suivi de la gestion concertée des milieux42. De
telles activités ne sont en rien perçues et présentées comme autant d’obstacles
à des activités humaines. C’est même tout le contraire puisque le respect
et la mise en valeur du patrimoine et des savoir-faire locaux conditionnent
« le développement économique, social et culturel du parc naturel régional de
l’Avesnois » à travers la promotion des produits du terroir et d’un tourisme
durable43.
L’enjeu pour les administrateurs du parc est de rendre effective cette conciliation des activités hétérogènes qui ont lieu sur le territoire. On a vu que ces
espaces naturels sont impliqués avec le Conservatoire Régional au niveau des
vergers, mais ils le sont également dans les pratiques agricoles territoriales
avec les Mesures Agricoles Environnementales (MAE), et d’autres activités
(industrielles, culturelles, touristiques,). Ce n’est pas le lieu ici de soumettre
la gestion concertée des PNR à une analyse approfondie (Mauz 2003 ; Mougenot 2003 ; Selmi 2006, Larrère et Larrère 2009 ; Mathevet et al. 2010). Je
m’appuierai sur deux exemples pour montrer que la spécificité des PNR est
d’être des lieux de conciliation entre processus naturels et activités humaines,
40
Les trois parcs naturels régionaux du
Nord-Pas de Calais représentent ; 24% du
territoire régional, 21% des communes de
la région, 12,5% de la population régionale
(Source : ENRx mode d’emploi, 2008).
41
Avec, en amont, la question de la pérennité des financements provenant des collectivités territoriales et sensibles aux aléas politiques.
42
In « Le Parc naturel régional de l’Avesnois.
Un territoire en action ! », PNR de l’Avesnois,
2000, p.6.
47
où sont articulées des modalités de gestion qui empruntent à la fois aux
registres anthropocentré et écocentré (au sens où cette gestion prend en
compte la coexistence et la coévolution de diverses populations en interrelations sur ce territoire).
Le premier exemple concerne le mouton Boulonnais. Le territoire des Caps
et Marais d’Opale dispose d’un patrimoine naturel remarquable, très divers.
Certains des milieux qui le composent, comme les pelouses calcicoles,
doivent rester ouverts pour conserver la biodiversité qu’ils abritent. D’où une
activité de pâturage organisée par le parc et destinée à entretenir une dynamique écologique par le recours à des animaux domestiques. Mais d’autres
ruminants que ceux présents localement étaient appelés pour s’acquitter de
cette tâche. Puis, au tournant des années 1980-90, le souci de perte de biodiversité est devenu plus consistant, les effets d’homogénéisation et de standardisation des végétaux et animaux domestiques plus visibles. La question
des races animales domestiques locales en voie de disparition parce qu’insuffisamment intéressantes au regard des critères productivistes devient à l’ordre
du jour dans les agendas politiques. Des programmes de restauration ou de
sauvegarde, auxquels les PNR participent, sont alors déployés afin d’enrayer
cette perte de diversité génétique intra-spécifique. On voit ici l’impact de
la thématique de la biodiversité comme norme d’action dans la gestion des
parcs. C’est par elle que nécessité de pâturage et sauvegarde de races locales
menacées convergent dans les plans de gestion des PNR, dont celui de Caps
et Marais d’Opale : s’y développent des pratiques de conventionnement avec
des agriculteurs locaux au sujet de telles races. Cas exemplaire de « ce que
concilier est faire ». Afin de protéger un patrimoine naturel, les gestionnaires
organisent une activité de pâturage qui permet à la fois d’entretenir des
milieux ouverts (et donc de préserver les dynamiques écologiques qui y ont
cours et la diversité biologique qui y est présente), de sauvegarder une race
animale locale menacée, de louer à très bas prix aux éleveurs des « espaces
naturels publics », location conditionnée au respect d’un cahier des charges,
intégré à la convention, qui oblige à tenir compte de l’environnement.
48
Le second exemple porte sur les pratiques d’aménagement des ENRx qui
articulent biodiversités cultivée et spontanée. Ces pratiques ont pour objet
de rétablir les usages de l’espace qui contribuèrent à son façonnement, tant
aux niveaux paysager qu’écologique. Les mares prairiales – en restaurant et
pérennisant des usages de la nature qui participent à la dynamique des écosystèmes concernés et aux paysages, à la diversité biologique présente sur
ces sites, en reliant activités humaines, animaux domestiques et biodiversité
spontanée – permettent de telles connexions et sont en cela particulièrement
intéressantes pour les gestionnaires du parc. Mais ces aménagements peuvent
aussi consister à instaurer de la continuité au sein d’habitats dont la fragmentation est l’une des causes de l’érosion de la diversité biologique. Que ce soit
sous forme de corridors écologiques, de zonage à la réglementation particulière (comme les « cœurs de biodiversité »), ou d’autres dispositions relatives
à l’urbanisme, et plus généralement aux usages des espaces intégrés dans le
périmètre d’un PNR, il est toujours question de « préserver les paysages, les
maillages de haies, les mares prairiales, les vergers ou encore les bois et les forêts,
les cours d’eau », car les préserver, « c’est aussi préserver les espèces qui y vivent
et donc toute la biodiversité associée », comme l’indique le PNR de l’Avesnois.
Ce n’est plus l’objectif, autrefois prévalent, d’une biodiversité « remarquable »
à protéger qui guide les orientations des plans de gestion, c’est plutôt l’idée
que cette biodiversité remarquable ne doit pas négliger la prise en compte
d’une biodiversité plus « ordinaire »44 : du coup, le prisme des actions à mener
devient extrêmement large et emprunte à une multitude de registres.
La logique gestionnaire des ENRx du Nord-Pas de Calais, à la fois anthropocentrée (avec des tenants identitaire, esthétique, culturel) et écocentrée
– avec le souci de prendre en compte des dynamiques écosystémiques, de se
situer à l’échelle de la « communauté biotique » où existent d’autres populations qu’humaines, et organiser ou concilier leur coexistence – engage un
autre rapport aux entités biotiques que strictement intrumental (sous l’aspect de ressources) et une autre représentation de la biodiversité que celle
d’une nature extérieure aux humains qui ne peuvent que lui nuire. Dans ce
rapport, la nature se déploie le long d’un continuum, d’un gradient, entre
spontanée et cultivée et non pas selon une dichotomie entre « nature et
culture ». D’autre part, les humains concernés peuvent y témoigner d’une
éthique environnementale qui les fasse se bien conduire dans la nature et
ainsi favoriser la diversité biologique.
La recherche d’une conciliation des activités humaines aux dynamiques
d’écosystèmes, de l’articulation d’une biodiversité spontanée à une biodiversité cultivée, la prise en compte de ressources génétiques intra-spécifiques,
l’adoption d’une conduite humaine favorisant la biodiversité (bien se comporter avec la nature): tout ceci conduit à une multiplication des relations
entre nature et société et à une diversité des modalités d’existence des entités
biotiques et de la biodiversité. La logique des gestion des espaces naturels
régionaux se déploie effectivement le long d’un axe anthropocentré, servant
des objectifs les plus instrumentaux aux moins instrumentaux, tout en intégrant des soucis relevant d’une approche écocentrée, comme favoriser ou
piloter des dynamiques écologiques favorables à une richesse de diversité biologique et à son entretien. On est donc en présence de dispositifs de patrimonialisation ancrés territorialement dont les logiques de gestion s’appuient sur
des éléments qui empruntent à divers registres : anthropocentré et écocentré,
instrumental et non instrumental.
44
La notion de biodiversité « ordinaire » se
distingue de celle de biodiversité « remarquable ». Historiquement, c’est l’attention
à des espèces emblématiques menacées de
disparition (comme le panda, le tigre du
Bengale, plus récemment l’ours polaire) qui
a contribué à constituer la perte de biodiversité comme un problème d’actions publiques.
Par la suite, et notamment avec la prise en
compte des habitats, la focale s’est élargie à
une nature (ou une biodiversité) ordinaire,
celle de notre environnement quotidien.
49
3-3 Conclusion
Dans la mise en patrimoine de la nature au regard d’objectifs instrumentaux,
il ressort que la dimension statique-dynamique est fondamentale. Deux
types de mise en patrimoine se sont dégagés des analyses. Premier type : les
ressources génétiques sont engagées dans des dispositifs de patrimonialisation ex situ, où elles sont fixes, passives, instrumentalisées, affranchies de
leurs liens originels au collectif où elles étaient employées, appartenant à une
nature extérieure aux humains. Second type : ressources engagées par une
logique patrimoniale qui insiste davantage sur leurs dimensions dynamiques,
actives, maintenues in situ au sein d’écosystèmes où les humains sont intégrés. Du premier type au second, tout se passe comme si un décentrement
opérait : la mise en patrimoine d’entités biotiques statiques, si elle s’est diversifiée historiquement, reste anthropocentrée alors que la prise en compte de
leur caractère dynamique, si elle n’exclut pas une logique anthropocentrée,
s’associe à une logique qui ne l’est pas (elles ne servent pas qu’aux humains
mais aussi à des dynamiques écosystémiques). En ce sens, leur instrumentalité est non anthropocentrée et renvoie à une biodiversité où les humains
sont une composante.
La patrimonialisation ancrée territorialement, quant à elle, a permis d’enrichir la multiplicité des relations nature-société établie précédemment en
appréhendant la conservation des ressources génétiques ni in situ ni ex situ,
mais d’après une modalité plus originale dont relèvent les dispositifs « permettant de conserver et d’entretenir le patrimoine génétique, tout en conduisant
localement des opérations de valorisation. » (Marchenay 2005). On a ainsi pu
voir comment des variétés légumières et fruitières traditionnellement présentes en Nord-Pas de Calais ont été patrimonialisées et en quoi engager ce
patrimoine dans une diversité d’actions est un moyen d’entretenir ce dernier.
Cet engagement procède également, à l’échelle du territoire, d’une certaine
capacité à « construire ensemble » et participe à se reconnaître entre soi par le
partage d’une identité (Rautenberg 1997 ; Micoud 1991). Si les actions de
patrimonialisation participent en cela d’une production de localité (Siniscalchi 2008), notons qu’elles procèdent de logiques qui se déploient sur un
versant instrumental et sur un versant non instrumental.
C’est finalement les notions mêmes de ressources et de biodiversité qu’interroge cette pluralisation des relations entre nature et société : quelle est la pertinence à qualifier de « ressource » des entités engagées dans des dispositifs où
elles ne sont pas instrumentalisées ? Faut-il assigner un domaine de validité
à cette notion, au-delà duquel son emploi s’avérerait incongru ? La biodiversité, elle, interroge quant à sa plasticité sémantique : elle est susceptible
de renvoyer à des représentations de la nature et des usages de celle-ci forts
hétérogènes. On a vu que, dans ses évolutions récentes, cette notion suscite
un effort de production d’informations, de connaissances, relatives à l’environnement afin de disposer des éléments nécessaires pour mieux prendre
en compte les dynamiques qui lui sont propres. C’est d’une autre biodiversité dont il s’agit, non pas celle assortie d’une conception dualiste mais une
biodiversité qui apparait liée à notre devenir : étant en cela comme quelque
chose à préserver car dont nous dépendons pour vivre.
Des ressources qui ne peuvent plus prétendre recouvrir l’ensemble des entités
naturelles de notre monde, une biodiversité qui renvoie à un entrelacement
des sociétés humaines et de la nature : il y a là un double décentrement de
l’humain dans son rapport à la nature que la conclusion de cette partie s’attache à préciser.
50
Conclusion partie 1
Des rapports à la nature contrastés
Pour conclure ces trois chapitres, je propose de préciser le double décentrement actuellement en œuvre dans le rapport que nous entretenons aux
ressources et à la biodiversité, puis d’en tirer les conséquences sur le plan de
la pluralisation des relations entre nature et société.
D’un décentrement l’autre
J’ai abordé dans l’introduction de ce texte l’idée que la relation anthropocentrée et dualiste, que notre société noue avec la nature, est ébranlée au
tournant des années 1990. La nature au service de l’humain qui en est au
centre sans pour autant en faire partie : cette position n’a pas depuis disparu, le Millenium Ecosystem Assessment avec sa notion de services écosystémiques aurait même tendance à la renforcer, mais sa relative péremption
(notamment avec l’émergence de la biodiversité dans les agendas politique et
scientifique) a autorisé d’autres mises en relation, l’expérimentation d’autres
positionnements, allant d’initiatives individuelles à des dispositifs plus institutionnalisés. Sont en jeu dans ces évolutions deux formes de décentrement.
Que la nature de l’instrumentalisation d’entités biotiques se soit diversifiée
au fil du temps, jusqu’à ne plus être référencée exclusivement aux humains,
est une première forme de décentrement composée de plusieurs aspects. Le
De haut en bas :
Mouton élevé dans les Flandres (59) ;
Lentilles d’eau, zone humide
de Saint-Caprais (31)
51
premier concerne la différenciation des finalités où ces ressources sont mobilisées. Qu’il s’agisse d’écosystèmes ou de végétation, et j’ajouterai d’entités
génétiques, c’est une définition restreinte de ce que signifie « ressource » qui
est ici concernée : « le terme « ressources » sera réservé pour désigner la manière
dont ces écosystèmes ou ces végétations sont mobilisés par des pratiques au service
d’un objectif de production » (Cialdella et al. 2010). Il en découle un usage
circonscrit de la notion de ressource : une entité est ressource quand elle
est mobilisée au sein d’une stratégie (nécessairement humaine) au service
d’objectifs de production, destinée au marché45. Mais on a également vu
que les usages (instrumentaux) des ressources génétiques, par exemple dans
les dispositifs épistémiques (chapitre 1), n’étaient pas systématiquement
fonction des humains mais pouvaient aussi renvoyer à d’autres centres de
référence (cf. le peuplier noir). Dans le chapitre 2, le dispositif Arcad était
apparu, comparativement à celui d’Aker, beaucoup moins utilitariste. Quant
au chapitre 3, il montrait que les ressources génétiques ne sont pas toujours
considérées, dans les dispositifs de patrimonialisation, comme des entités
statiques manipulables dont l’évolution résulte d’initiatives humaines, mais
aussi comme des entités dynamiques qui se transforment par un jeu d’interactions entre des processus anthropiques et d’autres qui ne le sont pas. En
adoptant une définition plus large que précédemment de la notion de ressource, non pas conditionnée à une mobilisation dans des activités productives mais au regard de son instrumentalité (c’est parce qu’elle sert à quelque
chose qu’une entité peut être qualifiée de ressource), c’est alors à un autre
type de ressources auquel on a affaire ici : si la nature reste composée de
ressources, celles du second type sont évaluées en fonction de leur contribution à des dynamiques écologiques. C’est là un deuxième aspect de ce premier
décentrement : l’instrumentalité des ressources est non nécessairement référencée à une finalité anthropocentrée. Enfin, troisième et dernier aspect de
ce décentrement, celui où cette instrumentalité n’est plus, c’est-à-dire que
les entités naturelles ne sont pas engagées dans un rapport d’utilité. On a vu
des exemples de ce rapport non instrumental avec les dispositifs de mise en
patrimoine pour des raisons d’identité territorialisée, il en va de même pour
les raisons esthétiques et spirituelles.
Le second décentrement réside dans un rapport à la nature qui n’est pas
anthropocentré mais écocentré. On l’a vu avec les connaissances produites
sur le peuplier noir. Connaissances destinées à servir bien évidemment les
activités humaines mais qui visent aussi à instaurer des règles de comportement judicieuses par rapport à la nature et soucieuses de préserver les
capacités d’adaptabilité de ses entités et des écosystèmes qu’elles habitent.
On l’a également vu avec le cas des ressources génétiques forestières : maintenir un lien avec leur environnement (changeant) mettait en exergue les
dynamiques de flux et d’échanges qui participent de leur adaptabilité.
Du coup, la logique instrumentale qui préside à leur gestion patrimoniale sous forme de copilotage est à la fois anthropocentrée (que ces arbres
soient encore à l’avenir susceptibles de procurer aux humains des ressources
et des services) et non anthropocentrée (que ces ressources conservent leur
propre capacité adaptative, cette capacité étant au service d’elles-mêmes).
Les deux décentrements relevés orientent vers moins d’utilitarisme et moins
d’anthropocentrisme, bref, vers moins d’anthropisation46. Le rapport à la
nature qui en résulte est solidariste (et non dualiste), l’instrumentalité des
45
Et sur ce plan les enjeux d’alimentation
(au regard des évolutions démographiques, en
termes de sécurité alimentaire), l’intégration
de soucis environnementaux dans les activités agricoles, les évolutions des attentes des
consommateurs, tout ceci a contribué à frag52
menter les marchés et diversifier les finalités
productives des activités où sont employées
les ressources génétiques. Selon certains, tous
ces éléments ont contribué à un changement
de paradigme : d’un paradigme ressourciste à
un paradigme « connexionniste » émergeant,
celui de la « biodiversité cultivée » (Bonneuil
et Thomas 2009, 558).
46
Ce qui entre en tension avec la tendance
actuelle qui est au renforcement d’une vision
utilitariste de la gestion de la biodiversité,
avec la notion de services écosystémiques.
ressources est élargie jusqu’à être décentrée, voire ne plus être du tout. La
biodiversité renvoie à une nature ordinaire dont un enjeu consiste à concilier
celle-ci aux espaces habités et exploités. On n’est plus ici dans une logique
dualiste entre nature et humains mais en présence d’un gradient d’anthropisation des milieux considérés. Selon le mode d’instrumentalisation des entités naturelles et selon le positionnement des humains au regard de la nature
(anthropocentré ou non), plusieurs rapports à la nature sont possibles sans
être exclusifs les uns des autres (relation agoniste).
Sur la pluralisation
des rapports à la nature
Une instrumentalité des entités biotiques qui ne réfère plus seulement
aux humains et qui n’est pas omniprésente, un rapport à la nature qui
n’est plus exclusivement anthropocentré. On a vu au fil des trois premiers
chapitres que ces deux dimensions sous-jacentes aux décentrements relevés,
instrumentalisme et anthropocentrisme, étaient pertinentes pour distinguer
les modalités d’existence des entités naturelles et de la biodiversité. Le tableau
suivant croise ces deux dimensions afin de frayer une réflexion en termes de
rapports institués entre nature et société humaine et d’explorer le possible
tissage de relations qu’un tel double décentrement autorise.
Le croisement de ces deux dimensions donne quatre types de rapports à
la nature (Tableau n°1), dont trois ont empiriquement été documentés
au cours des chapitres précédents, le dernier rapport non anthropocentré
et non instrumental n’ayant été qu’effleuré, il ne sera pas évoqué ici. Passonsles en revue.
RAPPORT À LA NATURE
ANTHROPOCENTRE
NON ANTHROPOCENTRE
INSTRUMENTAL
Cas empiriques concernés
Cnrgv, Peuplier Noir
Aker, Arcad
Patrimoine instrumental statique et dynamique +
patrimoine fruitier et légumier et actions des parcs
Peuplier Noir
Arcad
Patrimoine instrumental dynamique et
actions des parcs
Type de rapport institué
Utilitariste
Ecocentré
Statut des entités biotiques
Ressource (sens strict)
Être et ressource (sens large, décentré)
Cas empiriques concernés
Patrimoine fruitier et légumier et
actions des parcs
(Réserve Biologique Intégrale)
Type de rapport institué
Récréatif
D’existence
Statut des entités biotiques
Être
Être
NON INSTRUMENTAL
Un rapport utilitariste à la nature
Tableau n°1 : distribution des cas étudiés et
statut des entités biotiques en fonction de leur
rapport à la nature
Ce premier rapport est le plus courant, le plus fréquent, le plus connecté au
marché. C’est un rapport à la fois anthropocentré et instrumental. Je propose
de le qualifier d’utilitariste. Dans un tel rapport la nature est peuplée de
ressources au service des humains, ces derniers en sont au centre, sans pour
autant relever d’une ontologie commune : la nature est considérée dans une
relation d’extériorité. C’est dans ce rapport qu’est arrimée une conception
minière des ressources génétiques, et, paradoxalement, c’est également dans
ce rapport que s’ancrent un certain nombre de dispositifs destinés à « protéger
la nature ». En partant du postulat que « ce qui n’a pas de prix est sans valeur »,
l’attribution d’une valeur économique à la biodiversité repose sur le point de
53
vue de l’économie standard selon lequel « la légitimité de la protection de la
biodiversité passe par une évaluation économique des bénéfices qu’elle procure à
l’humanité » (Vivien 2005, 127). La Convention sur la Diversité Biologique
de 1992, avec sa notion de ressources génétiques, et le Millenium Ecosystem
Assessment de 2005, avec ses services écosystémiques, s’inscrivent dans cette
perspective. Les deux décentrements évoqués précédemment s’apprécient en
référence à ce rapport utilitariste, qui a été débordé de part et d’autre, sur le
plan de son instrumentalité et sur celui de son anthropocentrisme.
Un rapport récréatif à la nature
Les usages de la nature qui restent anthropocentrés tout en étant non instrumentaux (au sens strict) procèdent d’un rapport où sont en jeu d’autres
modalités d’existence que celles du rapport utilitariste. « L’utilisation de ressources », comprise au sens strict de mobilisation d’entités dans des activités productives, n’y est plus de mise. On a vu de ces cas avec la gestion
d’entités biotiques locales constituées en patrimoines fruitier et légumier en
Nord-Pas de Calais, contribuant à la production d’une localité aux tenants
identitaires marqués. Il en était aussi question, de manière plus implicite, à
travers la logique gestionnaire des espaces naturels de cette même région,
attachée aux dimensions historique, esthétique et culturelle des patrimoines
relevant de leur périmètre d’intervention. Si l’on reste dans le cadre d’une
relation anthropocentrée, c’est le statut des entités considérées qui détermine
l’appartenance à un usage utilitariste ou non instrumental. Dans le premier
cas, l’entité est un moyen au service d’une fin (en l’occurrence liée aux activités de production), dans le second, elle est appréhendée comme être à part
entière. Dans ce dernier cas, l’ancrage anthropocentré de la relation qu’établissent les humains avec la nature s’exprime dans des formes de socialisation diverses comme celles en jeu dans les activités de contemplation esthétique, de réflexions spiritualistes, ou encore dans ces usages « divertissants »
en plein essor que sont les itinérances au long cours de la part de voyageurs
qui partent sur les chemins du monde ; de l’attrait pour le camping sauvage
et les hébergements « éco-camping » ; du mouvement des randos nus, pieds
nus ainsi que les « cultures sportives de nature »47. Essor qui participe d’autres
relations entre activités humaines et nature, où cette dernière ne peut être
réduite à sa dimension instrumentale, a fortiori si, à travers cette dernière, il
est question de ressources définies au sens strict.
De haut en bas ;
Vue à partir du domaine de La palissade sur
l’usine d’incinération de Fos-sur-mer (13) ;
Usine d’extraction de sable en bords
de Garonne (31)
Ci-contre ; Aménagement d’un bassin pour
baignade en bords de Loire, Saumur (44) ;
Ci-dessus, loisirs en bords de Loire
47
Un colloque international en sciences
humaines et sociales s’est tenu les 20, 21
et 22 mars 2013 à Le Pradel, en Ardèche,
54
sur ces activités : « La naturalité en mouvement : environnement et usages récréatifs en
nature ».
Pour autant, l’appréhension de la nature en tant qu’être n’exclut sa mobilisation dans des stratégies (rappelons qu’on reste dans le cadre d’une relation anthropocentrée). Dans le Millenium Ecosystem Assessment (MEA), ce
sont les services écosystémiques qualifiés de « culturels » qui sont concernés
ici (c’est-à-dire ceux qui renvoient à des activités non productrices de biens
matériels), alors qu’au regard des investigations empiriques des chapitres précédents, ce sont les activités de mise en patrimoine et les actions des parcs qui
peuvent être abordées comme relevant de dispositifs qui visent à produire de
la localité et où les enjeux stratégiques sont là-aussi prégnants48. Mobilisant
la nature en dehors d’activités productrices de biens matériels, je propose de
qualifier le rapport qui sous-tend ces usages de récréatif.
Un rapport écocentré à la nature
Au regard du rapport utilitariste, c’est d’un autre débordement dont il est
question ici, non pas celui qui affère à son instrumentalité mais celui qui
concerne le positionnement de l’humain dans son écosystème. Le rapport
à la nature concerné est instrumental et non anthropocentré, soit écocentré.
On l’a vu pour les connaissances produites sur le peuplier noir : si celles-ci
servent bien évidemment les activités humaines, elles concourent également
à préserver l’aptitude de ce peuplier à se reproduire et à s’adapter à un environnement constamment (re)façonné par les humains. On a aussi abordé une
forme de décentrement avec Arcad, où les caractères d’une plante, produits
par une combinaison de gènes participant à des avantages adaptatifs, y sont
étudiés en tant que « ressource » pour cette plante, (dans le dessein, certes,
que de telles ressources le soient aussi pour les humains). Mais on l’a surtout
vu dans le chapitre 3, avec les actions de la CRGF, et au regard des modalités de gestion des PNR, qui intégraient des soucis relevant d’une approche
écocentrée, comme favoriser ou piloter des dynamiques écologiques favorables à une richesse de diversité biologique et à son entretien (par exemple,
mares prairiales, trames verte et bleue, maintien de milieux ouverts). Tout en
sachant que le métissage peut être de rigueur : on sait que la logique gestionnaire des ENRx du Nord-Pas de Calais est à la fois anthropocentrée (avec
des tenants identitaire, esthétique, culturel) et écocentrée – avec le souci de
prendre en compte des dynamiques écosystémiques, de se situer à l’échelle de
la « communauté biotique » où existent d’autres populations qu’humaines, et
organiser ou concilier leur coexistence.
Dans ce rapport écocentré à la nature, la notion de biodiversité, génératrice de points d’appui mobilisables pour instituer d’autres relations naturesociété, a joué son rôle. L’une des conséquences de ce rapport décentré est
d’accorder plus d’autonomie, de capacités d’actions à d’autres entités qu’humaines. Sont ainsi redistribuées les capacités d’agir, l’agentivité, entre entités
humaines et non humaines (biotiques et abiotiques). Et l’intérêt d’actions à
mener n’est pas évalué en fonction des humains mais des écosystèmes où ils
sont impliqués. Le copilotage (de processus naturels) est la modalité caractéristique de ce rapport où l’instrumentalité effectuée des entités naturelles est
pensée eu égard des dynamiques écologiques. La nature n’est plus appréhendée dans le cadre d’une conception dualiste mais solidariste, et plus exclusivement selon une logique utilitariste où le statut des entités naturelles est
d’être des ressources pour les humains. De telles entités peuvent aussi être
appréhendées comme des êtres de nature dont les intérêts propres sont à
considérer au sein d’une gestion écocentrée de la nature (renvoie à une instrumentalité décentrée).
48
« À travers la nature et l’environnement,
transformés en objets patrimoniaux et maintenant en biens culturels, les acteurs sociaux
peuvent construire et manipuler différents
niveaux d’identité, et lutter pour la gestion
des ressources et la définition des actions
économiquement efficaces. Ils construisent
et reconstruisent ainsi l’espace local. » (Sinisclachi 2008, 56).
55
• Ce dernier point est fondamental au regard des conséquences à en tirer :
dans ce rapport écocentré à la nature, les entités biotiques ne sont pas
engagées dans des actions où elles joueraient le rôle de moyens destinés
à l’atteinte de fins qui leurs seraient extérieures. Elles sont considérées
pour elles-mêmes, en tant qu’être de nature. Bien que l’instrumentalité
des ressources génétiques se soit diversifiée, elle n’en est pas pour autant
omniprésente. La présence de la seconde ligne du précédent tableau le
rend visible : les entités biotiques qui peuplent notre monde ne sont
pas toutes appréhendées sous un rapport instrumental, justifiant de
les qualifier de ressources (aux sens strict et large). C’est donc bien un
changement de statut des entités biotiques mobilisées dans les actions
humaines qui a lieu : ces entités peuvent être des moyens mobilisables
dans une stratégie instrumentale, mais elles peuvent aussi être appréhendées en tant qu’éléments d’une communauté biotique à laquelle nous
appartenons. Elles sont alors être de nature et non pas ressource. Il en
résulte que seule la première ligne du tableau 1 concerne les ressources
(au sens large) et délimite ainsi leur domaine de « validité ».
De cette pluralisation des modalités d’existence des entités biotiques, de cette
multiplicité des relations nature-société il ressort que le terme de ressource
est inadéquat pour désigner l’ensemble des entités naturelles car il apparait comme l’une des modalités d’appréhension des entités qui composent
la biodiversité, une modalité parmi d’autres. Comment ressources et êtres
cohabitent-ils ? Qu’en résulte t-il sur le plan de la coexistence des rapports
contrastés à la nature ? C’est à explorer de telles questions que se consacre la
seconde partie.
56
partie 2
Socialiser la nature :
des pratiques sous tension
Rendre compte d’expérimentations de nouvelles formes d’organisation
des relations entre nature et société est le vecteur de cette partie. Après
avoir pointé, dans la première partie, la diversité des modalités d’existence d’entités naturelles, il est question ici de s’intéresser au « comment
vivre ensemble ? », c’est-à-dire à la composition de ce collectif d’entités
humaines et non humaines où les humains ne sont plus les seuls à revêtir
le statut d’être à part entière (Latour 1999). Si ces entités sont appréhendées dans leur intégrité, en tenant compte de leurs dynamiques, de leurs
êtres, de leurs conditions d’existence, n’est-il pas alors inévitable que cela
suscite d’autres connexions, d’autres chaines d’interdépendance, d’autres
modes de socialisation du vivant ? Cela suffit-il pour redistribuer les cartes
entre humains et non humains, les associer autrement ? La compatibilité
de diverses modalités d’existence, inscrites dans différents rapports à
la nature, mais concernant des entités équivalentes, est ici en jeu. Avec
comme enjeu l’invention de modes de composition « maximisant les possibilités de coexistence de ce qui semble, à chaque époque, voué à s’entre-exclure »
(Stengers 2007, 172).
Les deux chapitres qui suivent visent à montrer la multiplicité des opérations qui lient humains et non humains, c’est-à-dire les humains entre eux et
dans leur écosystème, avec des animaux et des végétaux. Les modalités d’existence d’entités alternatives à celles tributaires de dispositifs antropocentrés
et instrumentaux (c’est-à-dire utilitaristes) s’inscrivent dans des situations
innovantes, originales, et, parfois, donnent lieu à des tensions posées par
la cohabitation de logiques de socialisation différentes. Le chapitre 4 porte
sur l’expérimentation de modalités d’existence d’entités naturelles appelées à
figurer autrement que sous la forme de ressources génétiques depuis la valorisation de leur diversité et de leur dynamique. Le chapitre 5 traite de tensions
issues de diverses manières de gérer la nature et de considérer la biodiversité
(et plus fondamentalement de nouer des relations entre nature et société).
De haut en bas :
Libellule en bords de Garonne (31);
Panneau de réglementation des usages, Plaine
de Crau, Réserve Naturelle de Camargue (13)
57
chapitre 4
Expérimenter d’autres pratiques
de socialisation de la nature
Paysage de Flandres, Nord-Pas de Calais (59)
En traitant de l’expérimentation de modalités d’existence d’entités biotiques
ayant changé de statut, ou ayant acquis un double statut, l’objectif est de
documenter une façon de vivre avec la nature plus sensible qu’auparavant à
l’instauration de logiques associatives écologiques et patrimoniales, et à leur
conciliation (spatiale) avec les logiques utilitaristes. Il s’agit d’interroger les
conditions d’existence d’entités biotiques qui ne sont pas gérées de manière
utilitariste : quelle place accorder à de telles entités ? Quelles chaines d’association instaurer pour pérenniser leur existence ? Quelle compatibilité, quelles
formes de coexistence avec des entités d’une même espèce mobilisées dans
des filières rentables car gérées de manière anthropocentrée et instrumentale
(soit en tant que ressources) ? Quelles différences entre entités domestiquées
et spontanées ? Quelles modifications des usages établis de la nature (à dominante anthropocentrée et instrumentale) pour permettre d’instaurer d’autres
usages (soit, d’autres relations entre nature et société) ?
On va le voir, pour ce qui concerne des entités élevées ou cultivées et spontanées, au travers de deux cas : celui des animaux domestiques d’élevage appréhendés autrement que comme des « produits », et celui des peupliers dans les
Pays de la Loire et en Basses Vallées Angevines.
58
4-1 Gestion de races locales animales
menacées dans le Nord-Pas de Calais
La domestication (animale) est le résultat d’un processus de socialisation
impliquant les humains et les animaux, avec comme enjeu d’accentuer certaines caractéristiques des animaux concernés afin qu’ils soient dotés des propriétés que les humains souhaitent leur conférer. La sélection des animaux,
selon des caractères favorables à la domestication (docilité, fourniture de produits pour l’humain) a engendré des populations plus ou moins homogènes,
qui se différencient dans un environnement écologique et social diversifié,
avec une organisation de flux de gènes par échanges entre communautés
d’éleveurs (Verrier et al. 2011).
Avec la révolution industrielle du XIXe siècle a émergé la notion de race : c’est
effectivement de l’enregistrement de données zootechniques et d’épreuves de
sélection (rationalisation de l’élevage) qu’est issue cette notion. Une « race »
peut être définie comme un ensemble d’animaux issus d’une population fondatrice et sélectionnés en référence à un standard. Chaque espèce comporte
plusieurs races façonnées par le travail de leurs éleveurs et adaptées à un territoire plus ou moins vaste. Puis, les opérations de sélection se sont intensifiées
au XXe siècle, notamment avec la génétique (index de sélection), les biotechnologies de reproduction (insémination artificielle) et le développement de
méthodologies statistiques. Mobilisées dans des activités commerciales où le
critère du rendement est premier, les races les plus productives se sont alors
imposées (hyperspécialisation).
Cette hyperspécialisation a eu des effets indéniables sur l’état de la biodiversité de l’agriculture dans le secteur de l’élevage. Selon le rapport sur
l’élevage de la FAO publié en 2008, parmi les 7 616 races au total qui ont
été rapportées de par le monde, 20% sont reconnues à risque (de disparition). Quasiment une race a disparu chaque mois au cours des 6 dernières années précédant 2008. De plus, non seulement la production
d’animaux d’élevage dans le monde est de plus en plus fondée sur un
nombre limité de races, mais la diversité génétique à l’intérieur de ces
races a tendance à décroître (voir par exemple : Philipsson et al. 2009 ;
Danchin-Burge et al. 2012).
Quelle est la situation en France ? La notion de « race menacée » est
juridiquement cadrée : le décret de modification du code rural en
application de l’article 93 de la Loi d’Orientation Agricole (LOA) du
5 janvier 2006, article D.653-10 pose que « Les ressources zoogénétiques
susceptibles de faire l’objet d’actions de caractérisation, de conservation, de
sélection ou de valorisation, du fait de leur valeur patrimoniale ou de leur
contribution à l’aménagement des territoires, sont définies par arrêté du
ministre de l’agriculture, après avis de la commission nationale d’amélioration
génétique ». Cet arrêté définit notamment la liste des races reconnues en
France, qui comprennent les races locales et à petit effectif. L’arrêté du 26
juillet 2007, article 3, énonce qu’« une race est dite locale, au sens de l’article
D. 653-9 du code rural, si des liens suffisants avec un territoire spécifique sont
démontrés, notamment si 30 % des effectifs sont situés dans un seul département
ou 70 % dans trois départements limitrophes deux à deux. Les effectifs sont ceux
des femelles reproductrices présentes ». Enfin, selon l’article 5-I : « Une race est
dite menacée si elle répond à l’une des conditions suivantes : son effectif global
ou celui de ses reproducteurs actifs est insuffisant ; le programme de conservation
ou d’amélioration génétique mis en œuvre met en danger la diversité génétique
intraraciale ; un cas de force majeure met en péril sa gestion zootechnique ».
59
Selon ces définitions, le Nord-Pas de Calais compte cinq races animales
locales et à petits effectifs : deux races bovines (la Rouge Flamande et la Bleue
du Nord), une race ovine (le mouton Boulonnais), et deux races équines
(les chevaux de trait Boulonnais et Trait du Nord). Ces races ont vu leurs
effectifs décliner suite à la standardisation et à la spécialisation des élevages.
L’enjeu, pour les préserver, consiste alors à trouver de nouvelles associations
entre humains et animaux, selon une logique d’innovation qui consiste à
mettre à l’épreuve des animaux afin d’objectiver des propriétés susceptibles
de donner prise à de nouvelles formes d’attachement au collectif (autres que
celles liées au rendement avec un élevage intensif ). Ce qui se donne particulièrement à voir pour certains bovins et ovins du Nord-Pas de Calais, où ceux
qui sont en danger ne sont plus seulement, et exclusivement, appréhendés
comme des moyens destinés à atteindre certaines performances : s’y ajoute
la considération que ce sont des êtres en tant que tels, dont la préservation
et la pérennité sont à assurer (changement de statut lié à leur patrimonialisation). Ce que font les parcs, en les appréhendant de cette façon (dans une
logique patrimoniale territorialisée, cf. chapitre 3) et en cherchant à trouver
des débouchés (filières, produits…) qui rendraient leur élevage si ce n’est
rentable, du moins viable.
Deux exemples locaux
Réforme de la PAC, mesures agro-environnementales territoriales, plan de
sauvegarde des races locales menacées en Nord-Pas de Calais : les instances
publiques (européenne, nationale et régionale) se sont mobilisées et ont institué dispositifs et mesures. Qu’a-t’il été réalisé en Nord-Pas de Calais au
regard des races locales menacées ? On est là en situation de contrainte d’innovation puisque les filières « dominantes » ne peuvent être le recours employé
pour sauvegarder les races menacées, l’exclusion dans ces filières de races
insuffisamment compétitives étant justement à l’origine de leur déclin démographique.
Comme acteur central dans les actions entreprises, on retrouve le Centre
Régional des Ressources Génétiques (CRRG), également investi au sujet des
animaux domestiques :
« Le CRRG s’est fortement impliqué pour permettre la création d’associations
d’éleveurs et accompagner les groupements dans la nécessaire connaissance des
lignées originelles et leur renouvellement. La conservation sur le long terme ne
peut s’envisager que si les races possèdent des débouchés économiques valorisant bien leurs potentialités particulières. C’est dans cet esprit que le CRRG
travaille depuis près de 25 ans au montage de filières valorisant les produits
spécifiques à chacune d’elles. » (Bilan d’activités CRRG 2010, op. cit., 39).
Un autre acteur central : les parcs naturels régionaux. Depuis les années 1990,
le parc de Scarpe-Escaut assigne un nouveau rôle à ces ruminants : participer
de la dynamique des écosystèmes du parc en maintenant des milieux naturels
ouverts (prairies humides). Ce réinvestissement de zones de pâturage au sein
de l’élevage est une tendance que l’on trouve à l’échelle européenne (Dumont
et al. 2001 ; Blanc 2009). Auparavant les races domestiques locales n’étaient
pas prises en compte dans la gestion des parcs du NordPas de Calais. Il a fallu
des inventaires et une reconsidération des races locales au regard de la valorisation de la diversité intra-spécifique pour réviser ce jugement et intégrer
ces races dans la gestion des parcs, notamment en partenariat avec le CRRG
(cf. chap.3). Deux cas seront passés en revue : la Rouge Flamande (bovin)
et deux races de chevaux de trait (Trait du Nord et Boulonnais).
60
• La Rouge Flamande
En situation critique dès la fin des années 1970, les deux objectifs centraux des actions de sauvegarde de la Rouge Flamande concernent la
conservation et la sélection d’une part, la promotion et le développement de
débouchés d’autre part. Pour ce qui relève du premier, un Organisme
de Sélection (OS), l’Union Rouge Flamande, agréé par le Ministère de
l’Agriculture, est chargé de la définition des objectifs de sélection et
de la coordination des actions autour de la race. A ce titre, l’OS avec
l’appui du CRRG définit les stratégies de limitation de l’élévation de la
consanguinité et de croisement avec d’autres races bovines rouges, ce
dernier point ayant soulevé de vives controverses par le passé (Lauvie et
al. 2008). Mais une autre difficulté est celle liée au manque de compétitivité de la race vis-à-vis de la race Holstein.
Après avoir livré leurs troupeaux de Rouge Flamande aux pratiques de
croisement, notamment avec la race Rouge Danoise, les éleveurs sont
dorénavant incités par le CRRG à diminuer « la part non flamande »
dans le génome de ces bovins (la proportion de gènes de Rouge Danoise
est estimée fluctuer autour de 28% depuis la fin des années 1980
(Lauvie et al. 2008)). Cela passe, entre autres, par des conventions avec le
CRRG et l’obtention de subventions régionales. Il s’agit de reconstituer
la race « originelle », avec un dédommagement pour la perte de rentabilité
qui y est associée. Les protagonistes (éleveurs, Union Rouge Flamande,
CRRG) se sont ainsi accordés pour mettre en place un véritable dispositif
de gestion des « ressources génétiques » dont le fondement est de nature
identitaire. Le pivot central en est la « taurellerie » : disposer de taureaux
ajustés aux objectifs de la race et coopérer de manière conventionnée
avec les éleveurs pour que leur deuxième veau femelle soit accouplé
avec les taureaux mis à disposition. Un tel dispositif, cependant,
nécessite d’avoir à disposition des taureaux qui satisfont aux critères
visés. D’où la constitution et gestion d’un « stock d’élite ». Notons qu’on
est ici en présence d’un dispositif de gestion territorialisée de la race
Bergerie et taurellerie (de Rouge-Flamande)
en Flandres (59)
49
Le « coût réel de sauvegarde de la race »
n’est que partiellement pris en charge par
les instances publiques. C’est à l’éleveur de
combler le manque. Ce qui fait dire au directeur de la maison d’élevage du Nord et de la
Rouge Flamande : « l’éleveur c’est une ques-
tion de volontariat ; « je participe à la sauvegarde d’une race ou je ne participe pas. Je suis
antiquaire ou je ne le suis pas »».
61
qui fonctionne moins sur un registre de justifications marchandes49
et plus eu égard de justifications patrimoniales. Lorsque des éleveurs
décident d’en prendre en charge, la justification est donc de l’ordre de
la conviction (ce qui a à voir avec l’identité régionale et son patrimoine),
et non de la rentabilité économique.
Le second objectif des actions de sauvegarde de la race Rouge Flamande
(promotion et développement de débouchés) concerne diverses actions
de valorisation : salons et concours ; filière viande (en cours) ; fromages
(de Bergues, Maroilles) ; beurre (de qualité élevée, en cours) ; pâturage en
milieu naturel (PNR Scarpe-Escault, en cours) ; agriculture biologique.
Comme pour le mouton Boulonnais, deux types de valorisation sont à
distinguer dans ces actions : une valorisation qui passe par des filières
avec des enjeux de viabilité économique ; et une valorisation qui ne
passe pas nécessairement par l’instauration de filières, et ne vise pas
directement une rentabilité économique (même si un lien demeure).
Voir l’encart n°8.
Ferme Henion, élevage de Rouge-Flamande,
production de beurre et fromages, Nord-Pas de
Calais (59)
• Le Boulonnais et le Trait du Nord
Le Nord-Pas de Calais est la seule région à regrouper deux des neufs berceaux de races françaises de chevaux de trait : ceux du cheval Boulonnais
et du Trait du Nord. Comme pour toutes les races de chevaux de trait,
le premier conflit mondial, puis la motorisation de l’agriculture, de l’industrie et des transports, ont écarté des élevages bon nombre de ces animaux, conduisant à une très forte réduction de leurs effectifs. Au cours
des dernières décennies, cette baisse a pris des proportions alarmantes
avec de moins en moins de juments saillies et par conséquent de naissances (en 2010, 201 poulains immatriculés pour le cheval Boulonnais,
103 pour le Trait du Nord). Les efforts engagés depuis une vingtaine
d’années ne sont parvenus qu’à ralentir cette baisse. D’où la mise en
œuvre d’un consistant Plan de sauvegarde et de valorisation du cheval
Boulonnais et du Trait du Nord, pour la période 2011-2014, composé
de 40 mesures. Dans ce cadre, de nombreuses initiatives de valorisation
sont prises pour utiliser le Boulonnais et le Trait du Nord dans des
travaux agricoles en maraîchage, dans des vignes ou pépinières ; pour le
62
débardage en forêt ; pour une gestion écologique de milieux naturels ;
pour des tâches en zones urbaines. On est là au cœur d’un travail de
ré-assemblage d’entités humaines et non humaines, avec l’établissement
de filières innovantes où se reconfigurent les relations entre humains,
animaux et environnement.
Ces exemples sont emblématiques en ce qu’ils mettent en évidence tout
à la fois l’évolution des techniques, des compétences, de l’équipement en
jeu et, plus généralement, la reconfiguration des chaines d’associations
qui relient ces chevaux à leur environnement et aux humains. Impliqués
dans des services de collecte, d’entretien, de débardage, de décolmatage,
de fauchage, d’hersage, opérateur de « développement durable », de sensibilisation à l’écologie, développeur économique (avec l’instauration de
filières et des métiers qui lui sont liés) : les chevaux, ici de trait et locaux,
sont fortement connectés aux activités humaines et en sont autant de
connecteurs. Ce sont les modalités de leur socialisation qui évoluent au
travers de ces utilisations en plein essor50. La qualification de « citoyen »
illustre exemplairement cette modalité d’existence :
« Le cheval citoyen, c’est pour nous un acteur de la vie de la collectivité.
Citoyen parce qu’en fin de compte ce n’est pas qu’une image, c’est vraiment…c’est un être vivant qui a son rôle à jouer dans la vie de la commune, dans la vie du territoire. C’est à ce titre là qu’il doit être reconnu,
non pas pour son côté agréable mais bien comme un acteur (…) qui est
là, qui est partie prenante de l’économie de toute façon. C’est à ce titre là
qu’on aime bien employer ce mot ‘cheval citoyen’ » (P. Lemaire, resp. Pôle
Trait du Nord).
Encart n°8
la Rouge Flamande, entre ressource et être, filière et expérimentation
Au-delà d’un certain seuil, le croisement
des Rouges Flamandes avec des
bovins d’autres races est un obstacle
à la valorisation économique de
leurs produits puisque « l’appellation
d’origine », qui ne peut alors plus
être obtenu, est pourtant un moyen
de compenser un prix plus élevé
sur le marché par une origine liée à
des produits spécifiques. Fromages,
beurre, viande ; Albert Masurel, en tant
qu’entrepreneur de filières, a pu mesurer
à quel point il est difficile d’établir des
filières originales pour ces produits,
« Élevages qui ne sont plus beaucoup en
purs et qui ont des animaux d’une autre
race », élevages éloignés les uns des
autres, éleveurs autonomes pour qui
coopérer n’est pas pertinent. D’autres
éléments contextuels, non directement
liés à la Rouge Flamande, interviennent
également, comme l’évolution des
profils d’exploitants et des modalités
d’exploitation de la terre (Hervieu,
Purseigle 2013).
Qu’en est-il au niveau des actions de
valorisation de la race qui ne passent
pas nécessairement par l’instauration
de filières, et ne visent pas directement
une rentabilité économique ? Parmi les
situations où la Rouge Flamande est
impliquée de par sa valeur patrimoniale se
trouve une « expérimentation », celle que
mène le PNR Scarpe-Escaut du Nord-Pas de
Calais. Il y est question de zones humides,
avec là aussi comme enjeu d’assurer une
activité de pâturage qui, en maintenant ces
milieux ouverts, préserve une dynamique
écologique favorable à une certaine
diversité biologique. Effectivement, les
deux orientations qui imprègnent les
modalités de gestion du parc sont de
recourir à des ruminants pour entretenir
les zones humides, et de développer une
agriculture plus proche de l’agro-écologie
que de l’agriculture productiviste. Dans un
premier temps, comme pour le mouton
Boulonnais, le parc a eu recours à des
races bovines ni locales ni françaises, puis
au tournant des années 1990, le souci
de sauvegarde de races locales adaptées
à ces tâches est devenu plus prégnant.
C’est la Rouge Flamande qui retient alors
l’attention. Un dispositif expérimental est
initié, « c’est notre rôle d’expérimenter
l’utilisation
de
races
nationales »
(G. Duhayon, gestionnaire du parc),
dans un but de sauvegarde. Au-delà
de sa contribution à la pérennisation
d’une certaine diversité biologique, ce
dispositif expérimental vise à éprouver
l’animal (capacités à pâturer en zones
humides tout le long de l’année), et
lui trouver de nouveaux débouchés
(par l’instauration d’une filière viande).
Selon G. Duhayon, ce dispositif
pointe un double enjeu pour le parc ;
contribuer à instaurer une filière agricole
qui permette tous les deux ans au parc
de renouveler son cheptel de bovins. Et
comme second enjeu ; « montrer aussi
qu’il y a moyen de faire de l’agriculture
sur ces prairies humides. L’agriculture
peut être différente, utilisant des
races qui ne sont plus habituellement
fortement valorisées. » (ibid). S’il se
confirme que la Rouge Flamande est
adaptée au pâturage en prairie humide,
c’est non seulement l’animal qui est ainsi
qualifié mais également les prairies qui
peuvent supporter une telle utilisation.
Ce sont alors des formes d’agriculture
alternatives aux plus productivistes qui
peuvent être favorisées, initiant par
là de nouvelles relations entre races
locales, territoire et agriculture.
50
Et qui, parfois, renouent avec leurs utilisations passées, comme celles du cheval en ville
et dans les champs.
63
Le cheval est ici considéré comme être à part entière, et à un point tel
que sa place et son rôle dans le collectif en viennent à se superposer, par
l’usage du même terme, aux places et rôles des humains, participant en
cela d’un brouillage des frontières entre humains et non humains.
L’instauration de dispositifs d’épreuve, de requalification, d’attribution
de propriétés connectées à de nouveaux usages et donc à d’autres utilisateurs, tout ceci relève d’actions de (re)socialisation de « ressources
zoogénétiques » dont un infléchissement est dû à l’inscription de la thématique de la biodiversité dans les agendas politiques des années 1990.
De telles actions sont à repositionner au sein d’enjeux gestionnaires :
« La gestion des ressources génétiques est au cœur d’une actualité renouvelée. Elle se trouve notamment en tension entre deux évolutions principales.
D’un côté, une logique néolibérale apparaît à travers la marchandisation
croissante du vivant, l’augmentation des brevets et droits de propriété intellectuelle, le désengagement de l’État de l’organisation et du financement
des activités de sélection. De l’autre côté, l’émergence de logiques civiques
et territoriales met en question les dispositifs de gestion de ces ressources
génétiques, tout en offrant de nouvelles voies d’innovation » (Labatut et al.
2012, 144). Sauvegarder des races animales à petit effectif incite à doter
ces animaux de nouvelles propriétés constituant autant de prises (plus
ou moins inédites) à des formes d’attachement à notre collectif. Il est
recherché, d’une part, de les (re)constituer en ressource, ce qui suppose
qu’élever ces animaux soit une activité rentable, compétitive, tout au
moins que leurs produits (fromages, beurre, viande, etc.) le soient ; on
est là classiquement dans un rapport utilitariste. Mais, d’autre part, il
est aussi recherché de les engager dans d’autres dispositifs où ils sont
traités comme des êtres : quand ils pâturent des pelouses calcicoles ou en
zones humides, par exemple. Il s’agit là d’un rapport instrumental non
(exclusivement) anthropocentré.
Dans une bergerie-taurellerie des Flandres,
au premier plan René Stiévenart
64
Cependant, notons que cette distinction analytique ne correspond pas
toujours aux pratiques effectives. Ces animaux peuvent, certes, avoir
des destins distincts, selon qu’ils relèvent de l’un ou l’autre mode d’existence, mais ils peuvent également avoir un avenir commun, au sens
où l’engagement dans un mode est ensuite suivi de l’engagement dans
l’autre mode. Ce qui, d’ailleurs, est certainement le cas le plus fréquent :
d’abord traités comme être, puis comme ressource.
Qu’en est-il avec ces autres entités biotiques que sont les végétaux,
qu’ils soient cultivés (« domestiques ») ou spontanés (« sauvages ») ? Pour
quelles relations entre eux ?
4-2 Diversité des modalités d’existence
des peupliers en vallée de Loire
et basses vallées angevines
Le succès des incitations à la populiculture dans les années 1970 a engendré, en retour, un foisonnement des critiques sur les peupliers (hybrides)
appréhendés exclusivement en tant que ressource, l’appréciation du peuplier
comme composante d’un écosystème inscrit dans un paysage et une tradition
étant délaissée. Ces critiques, concentrées dans les vallées de la Loire et les
basses vallées angevines portaient, pêle-mêle, sur le choix du lieu d’implantation des parcelles de peupleraies (érosion des rives, ombre portée, substitution aux prairies humides, fermeture des paysages), la conduite de la
peupleraie (impacts sur la biodiversité, sur les systèmes hydrologiques, sur
les chemins) et l’après exploitation en cas d’interruption (absence de dessouchage et fermeture des milieux). Inscrites dans des débats liés à l’aménagement du territoire et à la protection de la nature, ces critiques furent autant
d’appels pour l’établissement d’autres modalités d’existence de cet arbre :
le peuplier hybride devait être resocialisé avec les diverses populations de
son écosystème, en s’intégrant aux activités humaines et en permettant une
conciliation des intérêts en jeu.
Bref, il s’agissait d’appréhender autrement les peupliers, pas tant sur le plan
de leur statut (puisque le peuplier hybride en populiculture ne peut être
qu’une ressource) que sur celui de leur gestion, dans un rapport moins utilitariste et plus écocentré (moins individualiste et plus holiste).
Quelques situations où s’expérimentent d’autres mises
en relation avec les peupliers
Atténuer la visibilité des effets d’un usage des sols dédiés à la populiculture
par la substitution (partielle) d’un rapport écocentré à un rapport utilitariste
à la nature donne effectivement lieu, actuellement, à des expérimentations
politiques et écologiques qui mettent en scène les peupliers hybrides et les
peupliers noirs.
• Des peupliers hybrides à resocialiser
Etant donné la baisse des financements alloués à sa production industrielle, le peuplier hybride est amené à occuper une moindre surface
en termes d’occupation des sols (Lefloch et Terrasson 1999). Ce qui
ouvre des possibilités à d’autres usages de ces derniers, et favorise aussi,
la prégnance d’enjeux écologiques aidant, une mise en question de la
conduite intensive des peupleraies et de ses conséquences tant décriées
dans les critiques évoquées. Le cas de Villevêque, en basse vallée angevine, est particulièrement intéressant à cet égard au sens où il met en jeu
65
une commune qui possède une cinquantaine d’hectares de peupleraies.
Villevêque opère certes des reconversions de parcelles, mais bénéficie
néanmoins des revenus de cette populiculture. Il ne peut être question
pour elle d’adopter une position tranchée mais plutôt d’établir des compromis : c’est une diversité de rapports à la nature qui se donnent à
voir à travers la présence des peupliers sur son territoire. Les peupliers
hybrides y sont destinés à la populiculture (rapport utilitariste) et à la
filière bois-énergie (rapport instrumental plus écocentré que le précédent, au regard des enjeux écologiques qu’il intègre). Mais ils peuvent
aussi disparaitre avec la peupleraie où ils ont été élevés, dans le cas de
reconversion de parcelles en prairies humides (rapport écocentré). Enfin
le peuplier noir y est traditionnellement présent, Villevêque est traversée
par le Loir, c’est donc un marqueur du paysage et un élément de l’identité locale. Disposant de multiples options pour gérer ses peupliers, la
commune, quant elle le juge souhaitable, saisit les outils qu’offre le droit
pour être en mesure d’acquérir et de convertir.
En plus de ce droit de préemption (en vigueur sur tout le territoire
français), une réglementation originale s’est inscrite spatialement dans
les basses vallées angevines au travers d’un zonage (tripartite) autorisant
ou interdisant l’implantation de peupleraies. A l’échelle de l’ensemble
des basses vallées angevines, la réglementation des boisements a permis
de soustraire les zones les plus remarquables à la plantation de peupliers
(mesure révisable tous les 6 ans). Si l’aménagement de gravières est toujours possible et la construction de voies autoroutières actuellement en
cours, la régulation en œuvre a permis de mettre en place de nombreuses mesures de gestion et d’avoir une vision globale de la protection
du site. Ce qui a facilité l’engagement du peuplier hybride dans d’autres
rapports qu’utilitaristes51, et son appréhension non pas de manière individualiste mais holiste, c’est-à-dire en lien avec son écosystème. Ces
évolutions pointent les enjeux actuels liés à la moindre prégnance du
rapport utilitariste à la nature dans l’agriculture (qui comprend l’agroforesterie) : la gestion de Villevêque montre que, sans pour autant être
Peupleraie en Basse Vallée Angevine (49)
51
Le strict anthropocentrisme alors en
vigueur s’exprimait, par exemple, dans la non
prise en compte des effets négatifs de la peupleraie sur son environnement (impacts sur
66
les systèmes hydrologiques, sur la mégaphorbiaie (flore de transition entre zone humide
et forêt) et plus généralement sur la biodiversité).
Chalonnes sur Loire et alentours, vallée de la
Loire (49)
dévalorisés, les peupliers hybrides peuvent tenir compte d’autres entités
biotiques et abiotiques, ne pas éroder la biodiversité, et ne pas faire
obstacle à une diversité de rapports à la nature que mettent en jeu les
activités humaines.
Un peu plus au Sud, non plus dans ces basses vallées angevines mais
dans les vallées de la Loire, c’est à un autre positionnement auquel renvoie Chalonnes sur Loire. Cette commune, en effet, n’est pas dans la
même disposition au compromis que Villevêque : les intérêts écologique
et paysager portés par l’équipe municipale sont beaucoup plus frontalement opposés aux peupleraies, comme l’exprime Florence Foussa, élue
écologiste et par ailleurs écologue : « à Chalonnes, la commune cherche
des outils de gestion ou juridiques pour essayer de convertir à l’occasion
de cessions de certaines parcelles de peupleraies, cherche des moyens pour
convertir en prairies naturelles et revenir à un paysage plus classique et plus
écologique de la vallée de la Loire. » (F. Foussa, élue au conseil municipal
de Chalonnes)
Ici aussi, le recours au droit. Mais ce sont d’autres mesures que précédemment (dans les vallées de la Loire, une réglementation par zonage
similaire à celle des basses vallées angevines n’existe pas) que la commune tente de mobiliser afin d’obtenir le pouvoir requis pour intervenir. L’existence d’un conflit juridique entre deux services de l’Etat au
regard du devenir de peupleraies présentes sur son territoire représente
une opportunité à cet égard. Ce conflit traduit en lui-même une évolution et une prise en compte des paysages, dans l’action publique et dans
le droit : les parcelles ayant bénéficié de subventions ont pour obligation
(contractuelle) d’être replantées (relève de la Direction Régionale de
l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt du ministère de l’Agriculture), alors que la zone où elles se trouvent au sein de la corniche angevine, est un site classé dont la dimension patrimoniale est mise en avant
pour interdire toute replantation (relève de la Direction Régionale de
l’Equipement du ministère de l’Ecologie). Le fait que le site concerné
soit classé, et que le paysage soit une composante de ce patrimoine,
sont des éléments à mobiliser pour faire valoir une position : modérer
la présence des peupleraies et favoriser le retour des paysages d’antan.
Pour être en mesure de mener une politique de « reconquête de la biodiversité », les outils juridiques sont susceptibles de fournir de précieux
points d’appui aux élus, afin de modifier l’usage des sols concernés et de
67
substituer un rapport à la nature favorable à une gestion écocentrée à un
rapport utilitariste marqué par son anthropocentrisme et son implication dans une agriculture intensive. Rejoignant des évolutions sociétales
qui traduisent dans le droit la volonté de gérer autrement la nature52, la
politique suivie par la mairie de Chalonnes vise à modifier la place des
peupleraies pour que celles-ci s’intègrent différemment sur son territoire. Cas exemplaire d’un rapport inclusif à la biodiversité, l’attention
à d’autres êtres vivants qu’humains est de rigueur : l’anthropocentrisme,
sans être pour autant voué aux gémonies, est amené à composer avec
un écocentrisme, ici porté par un consistant volontarisme politique et
soutenu par le droit.
• Les peupliers noirs des rives de la Loire
Avec le peuplier noir, il est également question de faire évoluer les activités humaines afin que celles-ci prennent en compte cet arbre et l’intègrent en le traitant mieux. Le cas de la prise en compte de ce peuplier
au niveau des rives de la Loire est exemplaire sur ce point. Deux cas de
figure se présentent : dans le cadre d’espaces protégés, et dans le cadre
d’espaces non protégés. Les premiers renvoient à une gestion de la nature
ordinaire sommée de faire attention aux peupliers noirs : tenir compte
de ces arbres et bien les traiter, vivre autrement avec eux, les préserver. On retrouve cette idée de conciliation d’intérêts multiples comme
enjeu. Surtout, on comprend bien que, pour préserver des êtres, encore
faut-il être informé de leur présence afin de pouvoir en tenir compte. Le
travail d’élaboration de référentiels comme support d’actions publiques
est ici central. Il y a les zones de conservation protégées, comme celle
de l’île Ripoche, et les autres zones, non protégées, le long des rives de
la Loire. Les actions entreprises visent à amener le Service Maritime de
Navigation, qui en a la charge, à gérer autrement la dynamique fluviale
et les berges : ne plus déboiser systématiquement mais tenir compte des
populations de peupliers noirs peuplant celles-ci. Ce qui suppose qu’au
préalable cet arbre a été reconnu comme étant à préserver et à intégrer dans la gestion des rives, tant en zones protégées qu’en zones non
protégées, au niveau de l’entretien des berges et lors de nouveaux aménagements. D’où l’élaboration de référentiels et l’intervention auprès
des gestionnaires pour faire valoir cette position. On le voit ici avec le
Conservatoire régional (Corela), qui œuvre en collaboration avec des
collectivités locales à produire un inventaire, à la fonction référentielle,
mobilisable dans des projets d’action qui ne soient pas qu’utilitariste,
comme le précise son directeur, Christophe Dougé :
« Là on va faire l’inventaire, sur 2012-13, sur les linéaires de berge entre
Montsoreau et Saint Nazaire, on va avoir une bonne idée de l’état, de tout
ce qu’il y a, cela va être intéressant parce que là, justement, aujourd’hui on
voit VNF [Voies Navigables de France] autoriser… Par exemple si il y a une
demande : « est-ce que je peux faire du bois de chauffage à cet endroit là ? »
et ils n’ont que la vision entretien-risque de futures embâcles, pour éviter
qu’il y ait des troncs de bois et autres qui s’accumulent ou qui naviguent
sur le fleuve au moment des crues, voilà donc c’est une vision partielle de la
gestion des berges. Ils prennent la décision mais qu’avec la vue d’entretenir »
(C. Dougé, président du Corela, Nantes)
Cet inventaire a clairement pour visée de contribuer à prendre en
compte d’autres entités que les humains dans les dispositifs d’aménagement et d’entretien des rives. Il est destiné à contribuer à l’élaboration
d’un référentiel à mobiliser dans la gestion du fleuve. Il est en effet
question de ne pas exclusivement tenir compte des intérêts humains
52
cf. la loi relative à la protection de la
nature de 1976 et la loi constitutionnelle de
2005 relative à la Charte de l’environnement.
68
Pour une mise en perspective, cf. (Doussan
2008, 2009).
(comme prévenir les inondations) mais également de la dynamique du
fleuve. Ce qui appelle une modification du rapport anthropocentré et
instrumental à la dynamique fluviale afin d’y intégrer l’intérêt de la forêt
alluviale et des espèces qui la composent, dont celle du peuplier noir.
Soit une gestion plus écocentrée qui trouve des points d’appui dans
la Stratégie Nationale pour la Biodiversité (SNB), déclinée localement
avec ces rives qui peuvent être appréhendées comme des corridors aux
pouvoirs élargis.
Ci-dessus : Érosion des berges de la Loire près de
Saumur (44) ;
Ci-dessous : Équipements pour l’entretien des
berges de la Loire (44)
La prise en compte du peuplier noir en tant que tel, à mieux traiter
et préserver, est-elle en voie de généralisation à l’échelle de la vallée de
la Loire et au-delà ? Ce qui est tangible est la mise en place d’outils de
gestion des rives où les peupliers existent différemment – que ce soit
le peuplier noir à protéger en tant qu’habitat menacé, ou les peupliers
hybrides dont l’implantation et la culture sont plus encadrées qu’auparavant : contrat, charte et MAE sont mobilisables dans ce dessein53. Les
avis que les animatrices et animateurs Natura 2000 peuvent émettre sur
certains projets d’aménagements en zone Natura 2000, afin de protéger
des habitats, sont également des composantes de cette gestion. Il est plus
généralement question de sensibiliser les personnes, dans le périmètre
Natura 2000, afin qu’elles sachent que plusieurs options s’offrent à elles
pour gérer leurs terrains, et qu’elles puissent bénéficier de subventions
si elles décident d’actions préservant des sites ou des espèces d’intérêt
écologique. Cette socialisation alternative (à une gestion utilitariste),
holiste et écocentrée, n’exclue pas d’autres usages de la nature, d’autres
modes d’existence, bien au contraire : l’enjeu n’est pas de remplacer un
rapport à la nature par un autre, mais de concilier la multiplicité des
relations nature-société (c’est-à-dire des modalités d’existence des entités biotiques) que ces rapports engendrent54.
53
Et au-delà du peuplier c’est la SNB qui
est mobilisable à l’échelle des rives du fleuve
dont la fonction écologique est à préserver
en tant que corridor dans le cadre des trames
vertes et bleues.
54
« On a besoin aussi forcément des peupliers,
après il peut y avoir des peupleraies mais qui
ne soient pas forcément dans des endroits où on
a besoin d’eau, où on a besoin de retrouver un
milieu ouvert pour des espèces prairiales qui
ne vivent que dans les prairies et qui ne vivent
pas dans les peupleraies. Je pense qu’il faut une
mosaïque de choses, il faut des peupleraies, il
faut de la prairie, il faut des boisements, il faut
des milieux intermédiaires, il faut un peu de
tout, mais il y a une place pour chaque chose
aussi. Et je pense que c’est important à garder en
tête : il y a des endroits où la peupleraie peut être
adaptée, il y a des endroits où cela ne l’est pas. Et
du coup il faut essayer de trouver des solutions
pour ça. Pour que tout le monde y trouve son
compte aussi » (E.Général, animatrice N2000,
Corela, Nantes).
69
Dans ces situations s’expérimente une multiplicité de relations entre
nature et société, à l’échelle du territoire. La diversification des rapports
à la nature, à partir desquels s’engendre une pluralité des modalités
d’existence des entités concernées, pointe deux types d’enjeu : le premier concerne l’objectivation nécessaire à la visibilité, condition (nécessaire nais non suffisante) de la prise en compte de ces entités dans des
dispositifs d’action ; le second a trait aux ajustements à opérer au sein de
certaines activités afin qu’elles fassent place à de nouveaux êtres, qu’elles
intègrent la multiplicité des modalités d’existence de la nature : réglage
des activités existantes (cf. populiculture, entretien des berges, paysages
etc.), instauration d’autres activités où les entités biotiques sont autrement socialisées.
4.3 Conclusion : Vers une gestion renouvelée
de la nature ordinaire ?
Socialiser des entités biotiques dotées d’une pluralité de modalités d’existence,
que ce soit des animaux domestiques ou des végétaux, c’est être confronté
au fait d’avoir à rendre compatible divers usages de la nature, d’ajuster les
réglages entre diverses modalités d’existence de sorte que ces usages intègrent
une pluralité de relations entre nature et société.
Le développement de pratiques de socialisation où les entités à socialiser
sont appréhendées comme êtres, ou sont amenées à composer avec des êtres,
consiste à gérer les entités biotiques autrement que sous le seul mode de
ressources. On l’a vu avec les animaux domestiques et ce que l’attribution
de fonctionnalités nouvelles permet en termes de contribution à une (dynamique de) biodiversité, à des services urbains et environnementaux ; il en
était aussi question avec les peupliers et la recherche d’autres manières de
vivre ensemble. On retrouve ici les deux extensions du rapport utilitariste à
la nature (cf. conclusion partie 1) : la première concerne d’autres manières
d’utiliser les ressources que strictement utilitaristes, la seconde est relative au
fait d’appréhender les entités biotiques, non plus anthropocentriquement
mais écocentriquement.
Emergence de nouveaux êtres, conjuguée à la diversification de ceux qui
existaient : on comprend que cela puisse poser des problèmes de coexistence,
de réglage des usages et de concurrence des espaces. Et ce d’autant qu’un
certain nombre de « verrous technologiques »55 ont pour effet de renforcer
les pratiques établies dans le domaine de l’agriculture productiviste et de
rendre plus difficiles les innovations, ou la généralisation d’innovations opérées par ailleurs. En ce sens, si « la diversification des cultures suppose un déverrouillage du régime sociotechnique qui domine l’agriculture actuelle » (Meynard
et al. 2013, 6 ; voir aussi Vanloqueren et Baret 2009), il en va de même
pour la diversification des modalités d’existence de la nature au regard du
mode dominant qu’est le rapport utilitariste. C’est précisément l’objectif du
prochain chapitre que de traiter de situations où la multiplicité des relations
entre nature et société s’accompagne de logiques gestionnaires divergentes
parfois en tension.
55
« Est considérée comme relevant d’un verrouillage technologique une situation où, bien
qu’une technologie jugée plus efficace existe, la
70
technologie initialement choisie reste la norme
- elle est devenue un tel standard pour la société
qu’il semble difficile d’en changer. Le « verrouillage » peut concerner un choix de technique
de production, de produit, de norme, ou encore
de paradigme. » (Meynard et al. 2013).
chapitre 5
Rendre viable un monde commun
Domaine de La Palissade, Camargue (13)
Les modalités d’existence d’entités qui ne sont pas arrimées à des dispositifs
anthropocentrés et instrumentaux s’inscrivent dans des situations qui, parfois, donnent lieu à des tensions posées par la cohabitation de logiques de socialisation différentes. Ce chapitre traite de telles tensions. Il s’agit de mettre
en évidence les enjeux que soulève la coexistence de différentes logiques de
socialisation du vivant, ou, dit autrement, d’explorer la compatibilité de diverses modalités d’existence, inscrites dans différents rapports à la nature en
œuvre au sein d’un même espace (5-1) ou au sein de multiples espaces (5-2).
5-1 Copiloter ou instrumenter : la gestion du
domaine de la Palissade (PNR de Camargue)
Avec le cheminement historique de la protection de la nature vers une gestion de la biodiversité (Blandin 2009, 2010), l’option gestionnaire de la
biodiversité laisse t-elle place à des pratiques qui ne soient pas anthropocentrées ? Si la tendance actuelle est d’instrumentaliser la biodiversité, avec
comme justification que c’est le meilleur moyen de la protéger (cf. MEA et
services écosystémiques), comment les pratiques gestionnaires pondèrentelles alors dynamiques naturelles et interventionnisme humain ? Comme le
71
soulignaient C. et R. Larrère au sujet de l’administration des parcs naturels :
« N’y a-t-il pas sens à ce que la biodiversité soit maintenue le plus possible par
des processus naturels, surtout dans le domaine des parcs ? » (Larrère et Larrère
2009). Ou bien, tout au contraire, l’administration de la nature avec l’adoption de la biodiversité comme norme a-t-elle pour effet d’entériner la modalité du « laisser-faire », autrefois prévalente (avec la notion de naturalité et le
paradigme écologique des frères Odum), tout en incitant à l’adoption d’une
autre modalité selon laquelle il n’y aurait de diversité que par des pratiques
de gestion interventionniste ?
Domaine de La Palissade, Camargue (13)
La Palissade : une « naturalité » à préserver
L’appréciation des zones humides est fonction des cadres cognitifs et des
référentiels à partir desquels celles-ci sont appréhendées. Historiquement, les
zones humides sont ainsi passées d’espaces insalubres dévalorisés à domestiquer à des espaces très riches en biodiversité (et donc valorisés) à préserver
(Kalaora 2010). En termes de gestion, c’est le passage d’une logique anthropocentriste (associée à des pratiques de démoustication) et dualiste à une
logique composite intégrant une dimension écocentriste (soutenue par la
thématique de la biodiversité). De telles évolutions ont suscité des tensions :
très rapidement les plans de drainage des marais suscitèrent une résistance
locale, en Camargue, qui s’opposait à ces projets et au mouvement d’uniformisation du territoire dont ces derniers étaient porteurs (Picon 1978).
La Camargue, par ses zones humides, devient au cours du XXe siècle un
haut lieu de protection de la nature au regard des politiques environnementales (Claeys et Sérandour 2009, 139). Pour le Conservatoire du Littoral, ces
changements se traduisirent par le passage d’une logique de protection du
patrimoine à une logique de gestion de la biodiversité. Qu’en est-il pour ce
qui concerne une zone particulière de la Camargue, le domaine de la Palissade (voir l’encart n°9 pour une présentation du domaine) ?
Les pratiques de gestion en œuvre dans le domaine réfèrent, dans le Plan
de Gestion et chez les gestionnaires qui œuvrent sur le terrain, à la notion
de « naturalité ». Mais son usage ne signifie pas pour autant que l’appréhension du domaine soit équivalente à celle d’un sanctuaire, d’où toute forme
72
d’interventionnisme serait discréditée. La sémantique de cette notion a été
revisitée suite à l’inscription de la biodiversité dans les agendas politiques et
scientifiques : non plus une biodiversité qui renvoie à une nature désignant
un domaine de réalités où les humains n’ont pas de place, ancienne version,
mais une biodiversité inclusive (l’humain y appartient). Dès lors les enjeux
de gestion ne consistent pas à extraire le domaine de la Palissade de toute
influence humaine, mais à copiloter, articuler, nature et société en veillant à
attribuer une agentivité à la nature qui intègre ses propriétés dynamiques de
résilience et d’autonomie de fonctionnement.
Plus précisément, ces pratiques réfèrent explicitement à la notion de naturalité, fortement congruente avec les caractéristiques du site (emplacement hors
digue, proximité de la mer et du Rhône). C’est bien évidemment d’un point
de vue écocentré qu’intervenir prend son sens, même si une telle perspective
n’exclue pas des interrogations, au regard de la naturalité revendiquée, sur la
légitimité du fait d’intervenir, par delà des raisons strictement protectrices.
Ce sont précisément ces tensions entre « laisser-faire » et interventionnisme
gestionnaire que je propose d’explorer sur le domaine.
Deux points de vue du domaine : mer et Rhône
(Camargue)
Une gestion sous tensions : entre laisser-faire
et interventionnisme
Ne pouvant opter pour un interventionnisme tout azimuts (qui mettrait un
terme aux spécificités du site et irait à l’encontre des prérogatives émises par
le Conservatoire du Littoral et reprises dans le Plan de Gestion), ni pour
une totale absence d’actions (susceptible de mettre en péril les ouvrages du
domaine et compromettant son accueil du public), l’équipe gestionnaire
du site n’est pas confrontée à des oppositions dichotomiques porteuses de
dilemmes mais à des choix de gestion où sont diversement articulés anthropocentrisme et écocentrisme. Ce qui se donne à voir dans le degré d’interventionnisme des pratiques de gestion de ces espaces (entre maitrise de
processus et attribution d’une autonomie d’action aux dynamiques écologiques) et leurs justifications. Passons en revue les divers registres d’action
qui composent cette gestion et en fonction desquels l’équipe gestionnaire a
à se positionner.
73
Encart n°9
Le domaine de la Palissade
À l’échelon international, le domaine
de la Palissade appartient à l’une des
zones humides les plus prestigieuses
et biologiquement les plus riches
d’Europe. La renommée internationale
de la Camargue lui a d’ailleurs valu
d’être le premier site français désigné
au titre de la Convention de Ramsar lors
de sa ratification par la France en 1986.
L’embouchure du Grand Rhône est située à
l’extérieur des protections contre la mer et
n’est que partiellement protégée contre les
crues du Rhône. Le domaine (délimité
en rouge sur la carte) est l’une des
toutes dernières zones du delta situées
à l’extérieur des digues de protection (il
est donc sujet aux inondations).
Situation du domaine de la Palissade.
Source : Rapport d’activité 2011 du domaine
de la Palissade, p.4.
L’influence du Rhône et de la mer sur
ce secteur, qui échappent en partie au
contrôle de l’humain (en particulier lors
d’événements exceptionnels), lui vaut
d’avoir un fonctionnement hydraulique
sans équivalent en Camargue. Effectivement, le domaine s’inscrit dans le
contexte plus large de l’embouchure du
Grand Rhône qui comprend un linéaire
de 5 km de plages, de dunes et d’arrière-plages n’ayant encore subi aucun
aménagement lourd, ce qui est de plus
en plus rare sur le littoral méditerranéen
français. Le domaine de la Palissade est
en superficie le site protégé situé hors
des grandes digues le plus important de
Camargue (700 ha). Il n’a connu aucune
74
exploitation agricole, si ce n’est l’élevage
de chevaux et de taureaux. Les précédents
propriétaires ont réalisé peu d’aménagements et les habitats et les paysages du
site sont aujourd’hui peu fragmentés. Au
contraire du reste du delta, le domaine ne
subit pas de contraintes directes de fonctionnement hydraulique liées à des impératifs économiques (riziculture, saliculture).
Le fonctionnement du site (hydrologie,
géomorphologie) présente un « caractère
naturel » unique en Camargue.
Le domaine abrite une représentativité très
importante des habitats naturels caractéristiques de la Basse Camargue ; douze
habitats inscrits en annexe 1 de la directive
Habitats y sont recensés, dont trois sont
prioritaires. Du point de vue biologique,
la présence de plans d’eau estuariens,
d’une importante richesse spécifique
au niveau des peuplements piscicoles
et d’une plante très rare – la fausse-Girouille des sables – donnent au domaine
plusieurs éléments d’originalité et de
rareté (cf Plan de Gestion, p23). Dans
l’état actuel des connaissances, 840 espèces ont été recensées sur le domaine ;
307 pour la flore, 533 pour la faune.
L’inventaire le plus avancé, celui des
vertébrés, révèle la qualité du domaine
avec 344 espèces, ce qui représente
une diversité remarquable au niveau
national.» (Plan de Gestion p.9).
• Gestion de l’eau
La gestion de l’eau est complexe sur le domaine et a des conséquences
directes sur la faune et la flore, ainsi que sur le fonctionnement des écosystèmes concernés, sachant que s’y mélangent l’eau douce du Rhône et
l’eau de mer. Avant la démoustication (initiée en 2006), les préconisations indiquées dans le Plan de Gestion constituaient les repères suivis
par le technicien chargé de la gestion de l’eau sur le domaine, Emmanuel Vialet. Etre près des « conditions originelles » pourrait être l’objectif poursuivi, fidèle en cela au principe de naturalité mis en avant. Tout
le problème consiste alors à savoir ce qu’elles étaient, ces conditions.
Pour s’en approcher, convient-il de fermer toutes les martelières et ainsi
d’empêcher l’eau de pénétrer dans le domaine par les roubines ? Ou alors
de toutes les ouvrir et laisser l’eau librement circuler dans les roubines ?
Sans pouvoir savoir ce qu’il en était originellement, les choix se font en
fonction d’autres références, d’autres options à privilégier : assurer la
présence constante de l’eau, son niveau, son degré de salinité. Sachant
par ailleurs que, pour le directeur du domaine, ne rien faire est problématique au niveau de la responsabilité qu’il a des ouvrages présents sur
le site. Enfin, ne pas agir sur l’entrée de l’eau peut aller à l’encontre de
la biodiversité. « Ces modes de fonctionnement, de circulation de l’eau…
par exemple en ce moment, on nous interpelle sur les espèces envahissantes,
c’est-à-dire qu’en favorisant par exemple les circulations d’eau spontanée,
qui sont censées être garant d’une naturalité, tu favorises les colonisations
par espèces envahissantes (…) » (J.-C. Briffaud, directeur de la Palissade).
Intervenir par une gestion active de l’eau (avec comme dilemme inonder vs. isoler) peut ainsi permettre de protéger les milieux du domaine
et les espèces qu’ils abritent, alors que ne pas intervenir peut engendrer
une perte de biodiversité. Ce qui est mis en lumière est le lien, ici très
apparent, entre gestion de l’eau, dynamique des écosystèmes et évolution des espèces : les modalités de gestion de l’eau ont des impacts sur les
espèces présentes sur le site – notamment au regard du degré de salinité
de l’eau (et de la présence d’eau douce en plus de l’eau saumâtre) – et sur
la dynamique des écosystèmes (par exemple, assèchement, inondation).
Avec en ligne de mire le positionnement auquel renvoie ces modalités,
entre anthropocentrisme et écocentrisme.
La naturalité mise en avant dans la gestion du site est d’emblée
problématique en ce qu’elle est censée renvoyer à des conditions
originelles inconnues. Sachant que cette gestion a un impact sur la biodiversité du site, la question n’est donc pas « faire ou ne pas faire ? »,
mais « que faire et avec quelles conséquences, quelle prise de risque ?
Quels objectifs ? »
• Gestion des habitats
Roubines et martelières,
domaine de La Palissade, Camargue (13)
Ici, la tension dans laquelle sont pris les actes de gestion réside entre
protéger les habitats et les laisser évoluer. « Protéger » est un acte qui
peut recéler de l’ambigüité car il peut aller à l’encontre de dynamiques
naturelles. Or lorsque l’on sait que ces dynamiques sont particulièrement présentes et productrices d’effets, en raison du Rhône et de l’estuaire, sur le site, on comprend que la tension entre « protéger et laisser
évoluer » soit exacerbée, et que finalement le terme de « conservation »
soit relativement incongru car renvoyant à une appréhension fixiste ou
figée de la nature. «Il y a toujours un côté réactionnaire dans la protection
de la nature. « Conserver » : le mot conservation est terrible parce que la
nature est fondamentalement dynamique. » (J.-C. Briffaud, op. cit.)
75
Sansouire, domaine de La Palissade,
Camargue (13)
Certes, situer son action dans le cadre de « problématiques de naturalité
dynamique », comme le fait le directeur, peut permettre d’intégrer le
changement, par exemple, de l’absorber. Mais l’acceptation de certains
changements peut être liée à la perte d’entités par ailleurs valorisées,
voire patrimonialisées. C’est le cas avec les montilles comme habitat
patrimonialisé, mais néanmoins appelé à disparaitre suite aux évolutions environnementales. Chercher à les conserver peut ainsi aller à
l’encontre de dynamiques naturelles (ce qui est là retrouver la dimension anthropocentrée, voire instrumentale, des dispositifs de patrimonialisation). Protéger peut ainsi signifier fixer, maintenir à l’encontre
d’une évolution inéluctable. Quel sens alors à protéger ? Est-ce la nature
qui est l’enjeu de protection ou le patrimoine désigné par l’humain ?
Ou pour le dire autrement : protéger la nature, est-ce protéger son
évolution, ses dynamiques adaptatives ou protéger ce à quoi de la valeur
a été conférée56 ?
• Gestion des espèces (y compris envahissantes)
Sur ce point, les pratiques de gestion sont prises en tension entre laisser libre cours aux dynamiques naturelles en œuvre et intervenir pour
contrôler le développement d’espèces envahissantes. Effectivement, le
souci d’une gestion minimaliste peut rencontrer un problème : si c’est
un objectif que de préserver la richesse biologique sur le site, la lutte
contre les espèces envahissantes peut s’avérer souhaitable, voire nécessaire. A défaut d’éradiquer, l’enjeu de gestion devient alors celui de
contenir ces espèces envahissantes. Par contre, ne peut être éludée la
question de la définition d’une espèce envahissante : avant d’être considérée comme autochtone toute espèce n’a-t-elle pas été « invasive » ?
De plus, quels critères pour décider qu’une espèce est « envahissante »
(Levêque et al. 2012) ? Cela ne relève t-il pas d’une approche anthropocentrée, « cette volonté exacerbée de contrôle et de maîtrise de ces espèces,
de domination à tout prix des éléments non humains » (Génot 2008) ?
Bref, selon Génot, protéger la nature d’espèces exotiques, la biodiversité
56
On peut remarquer que si des pratiques
radicales d’anthropocentrisme ont déjà été
rencontrées (dans la domestication animale
à visée productiviste, par exemple), de telles
76
pratiques équivalentes sur le versant écocentrique ne l’ont pas été, sachant que même les
réserves biologiques intégrales ne peuvent y
prétendre (utilisation scientifique, marquage
et suivi). Ce qui est illustratif de la difficulté
à trouver des espaces dénués d’empreintes
humaines, alors que paradoxalement c’est
sur de tels espaces que reposent l’idée d’une
nature extérieure à l’humain, idée par contre,
elle, très commune.
d’espèces invasives, pourrait avoir pour conséquence de ne plus avoir
affaire qu’à une biodiversité domestiquée, à la gestion d’une « biodiversité culturellement programmée, acceptée et aseptisée » (Génot 2008). Il n’y
aurait alors de biodiversité que grâce aux pratiques de gestion.
• Accueil public, information, éducation à l’environnement et
activités humaines
Les activités humaines ne sont pas exclues du site, bien qu’elles soient
l’objet d’une attention particulière. La pêche est en suspens, la chasse
interdite, l’apiculture est l’œuvre d’une seule personne, qui dispose
d’une vingtaine de ruches, activité très peu impactante. Seuls l’accueil
du public et les balades équestres génèrent une fréquentation du site.
Ces activités sont réglementées (période, horaires, nombre de chevaux,
modalités de pâturage) et intégrées à une gestion écocentrée du site au
sens où les autres espèces vivantes et présentes sur le domaine ainsi que
les écosystèmes locaux sont pris en compte très scrupuleusement dans le
plan de gestion et dans les pratiques de gestion quotidiennes.
Si le domaine de la Palissade ne correspond pas à ces espaces qualifiés de « hauts lieux de naturalité », puisque dans ces derniers l’écosystème est laissé évoluer librement, comme dans les réserves biologiques intégrales en France, il renvoie plus sûrement à une « naturalité
de fonctionnement » qui, selon J. Blondel (2008), est présente dans
le « paradis perdu comme dans le jardin cultivé » et est garante de « stabilité et de résilience ». Dans de tels lieux, il est question « d’accompagner la dynamique naturelle » par intervention minimaliste et en
raisonnant « un régime de perturbations anthropiques qui s’approche
d’un régime de perturbations naturelles ». C’est ainsi que fut géré la
Palissade, jusqu’à ce que le régime des perturbations anthropiques
s’éloigne de celui des perturbations naturelles avec la mise en œuvre du
dispositif de démoustication.
Encart n°10
le dispositif de démoustication
Le produit utilisé pour démoustiquer
est un biocide communément appelé
Bti, dont l’usage (expérimental) est
associé à un suivi (scientifique) sur le
site de Camargue. La Tour du Vala le
présente ainsi : « Depuis la découverte
de sa toxicité aigüe et sélective envers
les Nématocères (sous-ordre des
diptères incluant les moustiques et les
chironomes) en 1977 par Goldberg et
Margalit, Bacillus thuringiensis var.
israelensis (Bti) est devenu l’agent
microbial le plus utilisé dans le monde
pour contrôler les populations de
moustiques et de mouches noires
(Lacey 2007 ; Rowe et al. 2008). Le
Bti est considéré non toxique pour les
humains, les mammifères, les oiseaux,
les plantes et la plupart des organismes
aquatiques (Boivert & Boisvert 2000 ;
Lacey & Merritt 2004). Les impacts sur
la faune non-cible sont largement limités
aux chironomes dans le cadre d’études
réalisées en laboratoire ou sur le terrain
(Boisvert & Boisvert 2000 ; Lacey & Merritt
2004). Compte tenu du caractère peu
toxique et relativement sélectif du Bti, les
suivis proposés visent essentiellement à
détecter un éventuel impact via le réseau
trophique en étudiant l’abondance des
organismes non-cibles prédateurs de
Nématocères. Les organismes retenus sont
les macro-invertébrés (insectes, araignées
et gastéropodes) associés à la végétation
des roselières qui servent de nourriture aux
passereaux paludicoles et les hirondelles
des fenêtres qui nichent et s’alimentent
d’insectes à la volée dans les mas et
hameaux de Camargue ». (Rapport
avifaune, Tour du Vala, p.2)
Son appréciation du dispositif ; « Il faut
donc constater là un antagonisme entre
la gestion d’un espace naturel ouvert
au public qui relève déjà de concessions
envers la faune et la flore, et la pratique
de la démoustication. Le compromis à
trouver est d’autant plus complexe et
moins planifiable qu’il n’est plus entre
deux mais trois parties prenantes [public,
gestionnaire, EID]. Chacune ayant ses
logiques et contraintes propres qui ne
sont pas toujours conciliables. Il semble
bien que nous ne pouvons échapper
à la question du choix à faire entre les
différentes activités présentes sur le
site. » (Rapport dérangement, p.25)
77
Une action emblématique : la démoustication
Le dispositif expérimental de démoustication sur certaines zones de la
Camargue, dont celle de la Palissade, conduit de 2006 à 2011 et prolongé
depuis, a ceci d’intéressant au regard de notre questionnement qu’il donne
lieu à des situations où les relations entre positions anthropocentriques et
écocentriques sont tendues, donnant à voir avec plus de netteté ce qui s’y
joue et la place qu’y occupent les entités biotiques et la biodiversité du site.
A l’échelle du domaine, comment se concilient le faible interventionnisme,
prôné par le Plan de Gestion, et la coopération avec les « démoustiqueurs »
(l’EID57), préconisée par le PNR de Camargue et le Conseil Général des
Bouches du Rhône ? Il ne s’agit pas d’éprouver l’argumentaire de ceux qui
sont pour et contre la démoustication, mais d’apprécier les impacts de
celle-ci sur la gestion du domaine au regard, d’une part, de la « naturalité
de fonctionnement » prônée par son équipe gestionnaire en tension avec
l’interventionnisme associé au dispositif de démoustication, et, d’autre part,
de l’écocentrisme comme ressort de la mise en œuvre d’une certaine naturalité confrontée à l’anthropocentrisme du dispositif et son instrumentalisme
consubstantiel (voir l’encart n°10 pour une présentation du dispositif ).
• Quel objectif : protéger la biodiversité ou assurer le bien être
des habitants ?
En 1965, lors des premières démoustications du littoral méditerranéen,
la Camargue est préservée. Mais 40 ans plus tard, après la prolifération
exceptionnelle de moustiques en 2005, le PNR de Camargue approuve
le principe d’une démoustication « expérimentale ». En 2006, une
convention spécifique entre l’EID et les collectivités est signée pour une
première démoustication publique en Camargue. Si le Conseil Général est impliqué dans la protection des espaces naturels concernés par
le PNR, il n’en reste pas moins le principal contributeur financier du
dispositif expérimental de démoustication (à hauteur de 50%) dont le
budget de 2006 à 2010 s’élève à 3 500 000 € sur 4 ans58.
Comment les deux collectivités que sont le CG et le CR s’y prennentelles pour résoudre leur « tension interne », due au fait d’avoir pour prérogative de protéger les espaces naturels sur leur territoire d’une part,
et d’être impliquées dans le dispositif de démoustication, d’autre part ?
En rendant compatible ces deux registres d’action : en l’occurrence,
en considérant que les dommages subis par la nature camarguaise ne
sont pas suffisamment importants pour interrompre l’expérimentation.
Ce que précise le Dossier de Presse relatif au séminaire de restitution
du dispositif expérimental pluriannuel de démoustication organisé en
novembre 2011 : « (…) la démoustication a quelques impacts avérés sur
une partie de l’avifaune mais sans trop grands bouleversements sur l’ensemble de l’environnement. » (Dossier de Presse, p.8)
Pour les collectivités territoriales, il s’agit ainsi d’agir en connaissance
de cause, sachant que seule une logique de compromis est envisageable.
Selon celle-ci, une perte partielle, mais pas totale, de biodiversité présente sur le site est acceptable. Mais si cela semble compatible aux élus
du CG, aux gestionnaires du PNR et au syndicat mixte de gestion du
domaine de la palissade (SMGDLP), notons les réserves du Conseil
Scientifique du PNR, et les oppositions du président de la Réserve
57
L’Entente interdépartementale pour la
démoustication du littoral méditerranéen
(EID Méditerranée), crée en 1958, est un
établissement public administratif dont la
78
mission centrale est le contrôle des populations « nuisantes » de moustiques (www.
eid-med.org/).
58
Les trois autres contributeurs sont la
Région PACA (25 %), le Syndicat d’Agglomération Nouvelle Ouest Provence (12,5 %)
et la Communauté d’agglomération ArlesCrau- Camargue-Montagnette (12,5 %).
de biosphère (qui inclut le domaine), Jacques Blondel, et du Conseil
Scientifique et Technique (CST) du domaine de la Palissade. Comment
cela se traduit-il concrètement pour les acteurs de terrain ?
Si la reconnaissance de la légitimité démocratique de la décision (de
démoustication) incite au fait qu’il faille la mettre en œuvre, n’est
cependant pas évacuée pour autant la divergence d’objectifs entre
protéger la nature et éviter de l’inconfort aux habitants. Et puisque la
décision de l’acceptation du dispositif a été prise, il est alors question
de concilier ces deux approches, l’une anthropocentrée, l’autre
écocentrée, où le statut des entités biotiques n’est pas le même, et donc
la manière de les traiter. Sur le terrain, cela se traduit concrètement par
le choix des objectifs à atteindre au niveau de la gestion du domaine :
gérer en fonction des intérêts de la nature ou en fonction des moustiques
à contenir ?
• Gestion de l’eau
Le dispositif de démoustication a des effets sur la gestion de l’eau dans
la mesure où il instaure une tension entre une gestion défavorable à
l’éclosion des larves et une gestion favorable à la biocénose : est en jeu
une gestion de l’eau orientée non plus en fonction des écosystèmes et
des échanges biologiques, mais afin de ne pas favoriser les éclosions et
déclencher un surplus de traitements de démoustication. Pour la personne chargée de l’eau, cela conduit à une modification des manières
de gérer celle-ci, puisque l’objectif lui-même a varié : « Et du coup pour
bien limiter leurs interventions avec les produits, la politique de gestion…
alors je l’ai fait un peu au début comme ça, à ma façon, mais on est vite
tous tombés d’accord dessus : on a arrêté de laisser circuler l’eau, on serre
l’eau. On fait rentrer un bon coup d’eau, ce qui va arriver maintenant,
tout noyer pour le printemps, on va prendre 5 avions [de l’EID] sur la tête,
mais après tout l’intérieur est gérable, on ne fait plus de débordements. »
(E. Vialet, op. cit.)
Si, en 2012, cette gestion apparait stabilisée quant aux actions à entreprendre, cela n’a pas toujours été le cas. D’autant que, on l’a vu, les
préconisations du plan de gestion étaient floues sur ce point. C’est, du
coup, à une divergence d’objectifs, et donc à des choix d’action antagonistes, auxquels se sont trouvés confrontés les membres de l’équipe de
gestion du domaine, et en tout premier lieu son principal protagoniste
E. Vialet, comme l’explicite l’un des membres de l’équipe : « Là il devrait
fermer pour que ce soit naturel, mais ouvrir un petit peu pour les moustiques et totalement pour les visiteurs. » (L. Cazals, op. cit.). Gérer l’eau à
la Palissade, c’est être confronté à intégrer des considérants anthropocentrés dans la gestion ordinaire, et plutôt écocentrée, des écosystèmes.
• Traitements aériens, impacts trophiques
et fréquentation publique
Sans qu’il soit possible, ici, de détailler les rapports de suivi faisant état
des impacts de la démoustication sur les zones concernées, que de tels
impacts soient déjà observables sur le domaine de la Palissade, tant au
niveau des espèces y vivant que sur le plan des modalités de gestion, est
une réalité effective.
« Les opérations de démoustication n’impactent pas seulement la vie des
oiseaux mais interfèrent également dans la gestion du site. La gestion
hydraulique est modelée par les besoins de démoustication : moins de
79
mouvements des eaux pour moins de production de moustiques. Mais
ceci induit aussi moins de production biologique en général et plus
d’eutrophisation. Cette gestion n’est pas non plus inadéquate mais ne
se rapproche pas des conditions naturelles du domaine de la Palissade. »
(Bilan des suivis mis en place sur le domaine de la palissade en parallèle des
opérations de démoustication, Janvier 2010, p.24)
Quant aux activités humaines, elles aussi sont affectées par les perturbations liées au survol aérien des avions de l’EID.
« Les effets sur la gestion et les visiteurs sont les plus faciles à appréhender
notamment à travers l’incompréhension des visiteurs en recherche
de naturalité qui s’interrogent sur la fermeture du site, en partie due à
l’isolement du domaine. Ce mécontentement se trouve renforcé par
l’absence d’oiseau et d’espèce emblématique qui s’en suit, tel que le
Flamant rose. » (Ibid., p.24)
Si la faune évolue, n’étant plus protégée sur le site, ce sont également les
paysages qui sont modifiés, dont certains animaux, comme les flamants
roses, sont emblématiques. La question est moins de savoir si il y a un
impact que celle relative à l’acceptabilité de cet impact : les conséquences
(à court terme) sont connues et les décideurs les accepte, la démoustication est en œuvre. Mais l’impact de la démoustication ajoute à d’autres
perturbations (anthropiques) du site. Ce qui oriente sur la question de
la résilience d’un milieu confronté à une multiplicité de perturbations
qui, à terme, risquent d’épuiser ses capacités de résistance.
Le dispositif de démoustication à l’œuvre en Camargue met en lumière
toute la difficulté à maintenir un site qui ne soit pas d’une façon ou
d’une autre anthropocentriquement géré, y compris les espaces qui
ont pour objectif de concilier protection de diversité bioculturelle et
développement économique et social, comme la Réserve de Biosphère
de Camargue, elle-aussi impactée par le Bti. Pour ce qui concerne le
domaine de la Palissade, les orientations écocentrées des gestionnaires
doivent intégrer les pratiques anthropocentristes d’une « démoustication de confort »59. Pourtant, la naturalité revendiquée sur le site ne se
situe-t-elle pas à l’exact opposé d’une gestion anthropocentrée au sens
où les dynamiques d’action y sont naturelles et non humaines ? De l’une
à l’autre, un différentiel de traitement est en jeu qui démarque les positions en tension : dans un cas la Camargue et le domaine de la Palissade
sont des lieux exceptionnels de biodiversité et à ce titre sont à protéger ;
dans l’autre cas la Camargue doit être rendu viable pour ses habitants
et la gêne du moustique, si ce n’est éliminée, du moins amoindrie par
Flamands roses, domaine de La Palissade,
Camargue (13)
80
la démoustication, fut-ce aux détriments de la biodiversité. Il est alors
moins question de copilotage que d’instrumentation (manipulation des
martelières en fonction des impacts sur les larves de moustiques et leur
éclosion, par exemple), moins question d’êtres de nature que d’entités
naturelles saisies comme moyens insérés dans une stratégie humaine
d’exploitation de l’espace.
On voit les enjeux politiques à attribuer aux entités naturelles un statut
ou un autre, selon le rapport à la nature qui prévaut (degré d’anthropocentrisme), sachant qu’une telle attribution est toujours susceptible
d’être remise en cause.
5-2 Flux de gènes entre betteraves
et entre peupliers
Dans cette section, il est question d’appréhender le problème de la « cohabitation » de diverses modalités d’existence d’une même entité biotique au
travers des flux de gènes : ceux qui concernent les échanges, au sein d’une
même espèce, entre les entités spontanées, cultivées, et les adventices ou les
hybrides. Au regard de ces flux, deux options sont possibles, soit les favoriser,
soit les éradiquer, sachant, d’une part, qu’existent des flux de gènes naturels et des flux de gènes artefactuels (ou artificiels) au sens qu’ils sont initiés
par des humains ; et, d’autre part, que dans un rapport anthropocentré à la
nature ce sont les flux allant des entités spontanées aux entités cultivées qui
sont l’objet d’attention, alors que dans un rapport écocentré ce sont ceux
allant des entités cultivées aux entités spontanées.
Dans un rapport anthropocentré à la nature, ce sont les flux partant du pôle
spontané et allant au pôle cultivé qui retiennent l’attention : qu’apportent les
flux qui proviennent des entités spontanées et vont vers les cultivées ? Ces flux
peuvent être appréhendés en différents lieux. Aux laboratoires (pour « l’amélioration » des plantes), la question précédente renvoie aux programmes de
sélection, d’hybridation qui y ont lieu et qu’on a déjà abordés. On l’a vu pour
le peuplier noir et la betterave. Ces deux espèces sont appréhendées comme
des ressources qui sont à exploiter et dont certaines propriétés, à travers leurs
gènes, sont à intégrer à des espèces cultivées. Avec le problème de la diversité
pour la betterave (cf Aker) et celui du « pool de géniteurs » (de peupliers
noirs) à maintenir pour les activités de sélection relatives au peuplier hybride.
Que deviennent ces flux s’ils sont saisis en plein air, c’est-à-dire en champ
pour la betterave et en milieu naturel pour le peuplier noir ?
Les peupliers noirs coexistent sans problème avec les peupliers hybrides cultivés en peupleraie. Le mode de reproduction utilisé pour ce dernier est le
clonage, soit une reproduction non sexuée, à l’identique : il n’y a donc pas
de possibilités de flux de gènes des peupliers noirs dans la reproduction des
cultivés.
En revanche, il en va tout autrement pour la production de semences de
betteraves, où un véritable dispositif d’actions collectives est organisé, dont
l’organisation varie selon l’échelle spatiale à laquelle il se déploie : il faut tout
faire pour éviter que les pollens de betteraves maritimes et d’adventices polluent les betteraves sucrières, et produisent des hybrides naturels, rendant la
59
Cette expression, fréquente dans les
échanges relatifs à la démoustication, et
pas seulement du côté de ses opposants, se
distingue d’une démoustication sanitaire
au sens où des enjeux de santé publique y
sont absents. Voici comment est justifiée
cette démoustication dans la Charte du
PNR : « Dans le cadre de la consultation de la
population menée par le Parc à la faveur de la
révision de la charte du Parc, la réduction de la
nuisance induite par la présence des moustiques
est ressortie comme l’une des demandes premières
de la population des zones d’habitations
agglomérées et des exploitants agricoles en
matière d’amélioration de la qualité de vie. La
présence des moustiques est également l’une des
principales nuisances évoquées dans les enquêtes
de satisfaction menées auprès des visiteurs sur la
Camargue. Elle est considérée comme l’un des
freins au développement touristique » (Charte
du PNR de Camargue, 2010, vol. 1, article
4.3.2, p.99).
81
vente des semences de betterave moins intéressante, voire impossible au-delà
d’un certain pourcentage d’hybrides. Les betteraves maritimes sont ici des
moyens non pas érigés en ressources à exploiter mais constitués en « pollueurs » à éradiquer.
« Et ensuite on surveille tous les abords et tout l’intérieur de notre zone de
production, pour éviter les betteraves sauvages qu’on peut trouver dans les fossés, sur les bords de champs, on peut en trouver! Il en existe naturellement,
ici. Donc ça c’est organisé, c’est très organisé à l’intérieur de chaque société.
Chaque société a ses habitudes mais il y a toujours une organisation qui est faite
de telle sorte que les agriculteurs qui produisent pour les sociétés sont organisés
en petits groupes, et ils savent que régulièrement ils doivent aller faire comme
des battues, c’est-à-dire parcourir la campagne, les bois, les fossés, pour enlever les betteraves sauvages. » (E. Lanoy, ingénieure agricole, SES Vanderhave,
Cavaignac)
Dans un rapport écocentré, la polarisation est inverse : ce qui compte est ce
que les entités cultivées sont susceptibles de transmettre aux entités spontanées, et ce en plein air (puisque le rapport écocentré ne peut renvoyer à des
milieux confinés).
Pour les betteraves cela ne donne pas lieu à des actions particulières. Certes,
la betterave maritime est considérée comme un être à protéger (intérêt floristique, espèce menacée), mais son habitat est principalement situé sur les
bords de mer : ce ne sont pas les champs de betterave sucrière qui la mettent
en danger.
La présence de peupliers hybrides à proximité de peuplements de peupliers
noirs est susceptible d’avoir trois conséquences regrettables pour ces derniers. La première est relative à la compétition pour l’espace en bords de
rives puisque « Le peuplier cultivé et le peuplier naturel sont dans les mêmes
niches, dans les mêmes habitats » (C. Bastien, DR Inra, Orléans). La deuxième
concerne l’existence d’un processus original de flux de pathogènes entre
compartiments « sauvage » et cultivé, où les peupliers hybrides sélectionnés
favorisent une évolution accélérée des pathogènes, pathogènes susceptibles
d’impacter les peupliers noirs (Lefèvre 2001). Enfin, la dernière concerne la
pollution génétique du peuplier noir par le peuplier hybride (qualifié d’exotique ci-dessous) :
« En termes de ressources génétiques et de flux de gènes, comme on l’a dit, les
risques que l’on voyait c’est la notion de pollution génétique des ressources
naturelles, parce que ce qu’on mettait à côté c’est du matériel exotique par
rapport à ce matériel. Alors il est exotique de deux façons : il est exotique parce
que ce n’est pas la même espèce, en effet, quand on dit hybrides interspécifiques
on ramène dans l’espèce nigra des gènes finalement de l’espèce nord-américaine,
mais elle peut être exotique intra-spécifique parce que il existe un peuplier ornemental qui est le peuplier d’Italie » (C. Bastien, op.cit.)
Il ne s’agit donc plus de favoriser les dynamiques naturelles et minimiser
l’impact humain, comme on l’a vu pour ce qui concerne la Camargue, mais
de minimiser les flux naturels de gènes dans les territoires et maximiser les
artefacts (croisements initiés par humains) en création variétale. Ces jeux
autorisent à la même entité d’être qualifiée différemment en fonction du
rapport à la nature où elle est engagée : une entité biotique peut avoir divers
modes d’existence selon la situation où elle est appréhendée. La betterave
maritime est une ressource au laboratoire ou en « champ expérimental »
(lorsqu’elle est engagée dans un processus d’innovation variétale), une espèce
polluante à éradiquer lorsqu’elle est proche des champs de production de
semences de betterave sucrière, un être à protéger au regard de son habitat
naturel ; le peuplier noir est lui aussi ressource au laboratoire (et en champ
82
d’expérimentation) et être dans son milieu naturel. Quant au flux de gènes,
ils sont à organiser et favoriser en espaces confinés (laboratoire, serre, champ
d’expérimentation), dans une optique anthropocentrée, et à contrôler en
plein air, avec un souci qui peut être soit anthropocentré (flux de pollen de
betterave), soit écocentré (éviter la pollution génétique du peuplier noir).
Le rapport à l’espace se révèle donc déterminant dans les jeux de qualification des entités biotiques. Il permet de comprendre que, selon la nature de
l’espace où une entité est appréhendée, celle-ci soit qualifiée de ressource
et l’objet d’une gestion instrumentale, ou qualifiée d’être dans une gestion
écocentrée. Ainsi, la betterave maritime peut simultanément receler une
précieuse diversité génétique mobilisable dans des processus d’innovation
variétale (ce qui est susceptible de permettre à la France de tenir son rang
en tant que producteur sur les marchés mondiaux et au sucre de betterave
d’être concurrentiel au regard du sucre de canne), et représenter une source
de pollution à éradiquer au regard de la production de semences en champ.
Tout comme le peuplier noir est un être à protéger dans son milieu naturel et
une source de gènes à exploiter dans la production de cultivars de peupliers
hybrides.
Fougère envahissante, ramier de Bigorre (31)
5-3 Conclusion
Au terme de ce chapitre, il apparait quelque pertinence à procéder à un
inversement de perspective, à ne pas saisir la nature comme point de départ :
vierge, elle aurait été conquise et soumise par l’humain, mais comme un
point d’arrivée à atteindre, une cible. Comment faire en sorte pour conférer,
assurer, entretenir, des capacités d’action, de l’autonomie, à des phénomènes
naturels ? Il ne s’agit pas de tomber dans le piège du sociocentrisme selon
lequel tout est socialement construit (Larrère et Larrère 2012), mais de considérer le rôle des humains dans la préservation de lieux dotés d’une « forte
naturalité ». D’autant plus qu’il y aurait une « bonne », et une « mauvaise »,
nature, appelant par là de l’interventionnisme humain. C’est ce que mettent
en évidence les espèces envahissantes : la biodiversité n’est pas une entité
monolithique, qui serait à valoriser « en bloc », et de manière indifférenciée.
Bien au contraire, et jusqu’aux dispositifs dédiés à sa protection (cf. la Stratégie Nationale de Biodiversité), une distinction est opérée, par les acteurs
investis, entre les composantes d’une biodiversité « positive » (qu’incarnent
exemplairement les espèces remarquables menacées de disparition), et celles
d’une biodiversité « négative », leur négativité provenant des menaces qu’elles
exercent au regard des précédentes ou des milieux qui les abritent. Dans
ce cas, les espèces concernées sont qualifiées « d’invasives », de « nuisibles »,
« d’envahissantes ». En ce sens, il y a une biodiversité qualifiée de « bonne », et
une autre, qualifiée de « mauvaise », comme on l’a vu dans les actions de gestion d’espaces naturels : des espèces exotiques envahissantes sont à éradiquer
localement parce que susceptibles de prendre la place d’autres espèces, plus
valorisées et considérées comme composantes d’une bonne biodiversité. Ces
hiérarchies, explicites ou implicites, au sein de la biodiversité se retrouvent
dans d’autres cultures (Arnould 2005), sans pour autant se recouper60, et
incitent à conjuguer la biodiversité au pluriel (on parle alors de biodiversités)
plutôt qu’au singulier.
Il y aurait donc, en quelque sorte, des impératifs de gestion (favoriser la
« bonne » diversité, éradiquer la « mauvaise »), bien que celle-ci puisse être
diversement accomplie. Entre anthropocentrisme et écocentrisme, interventionnisme et laisser-faire, ressource et être, les possibilités de compromis sont
multiples, mais pas infinies. C’était là l’objet de ce chapitre que de traiter de la
83
coexistence de logiques de mise en relation nature-société qui soient anthropocentrées et écocentrées. Avec le domaine de la Palissade, il était question
du déploiement de deux logiques antagonistes (rapport de force dynamique)
au sein d’un même espace. On a vu les enjeux à qualifier une entité au sein
d’un espace donné, soit ressource au sein d’un rapport anthropocentré à la
nature (avec la démoustication), soit être dans un rapport écocentré (avec
une « naturalité de fonctionnement »). Avec les flux de gènes étaient en jeu
divers espaces gérés selon des logiques agonistes : une même entité peut relever simultanément de deux modalités d’existence selon les espaces considérés
et le rapport à la nature mobilisé.
C’est ainsi la dimension relationnelle inhérente à ces jeux de qualification
qui est mise en évidence : une entité n’est pas en soi une ressource ou un être
naturel, puisque selon le rapport à la nature dans lequel sa qualification s’inscrit, l’entité concernée peut assortir d’un registre l’autre. Mais il y a plus. Car
dans les deux cas est exprimé un souci de durabilité. La démoustication en
Camargue n’a pas lieu « en aveugle » : des suivis scientifiques sont effectués et
une attention aux conséquences sur la nature est manifeste, même si à l’heure
actuelle est tolérée une perte de biodiversité considérée comme insuffisante
pour interrompre le fait de démoustiquer. De même au regard des flux de
gènes : le pool des géniteurs de peupliers noirs dans les activités d’innovation variétale doit être entretenu, la pollution génétique des hybrides est
étudiée et prise en compte (dans le choix des implantations de peupleraies
par exemple). C’est là une forme de compromis entre rapport anthropocentré à la nature et souci d’écocentrisme : en considérant les humains comme
étant intégrés aux écosystèmes (Whiteman et Cooper, 2000), il s’agit de gérer
les relations entre les êtres humains et les ressources en cherchant davantage
à préserver la capacité de résilience des écosystèmes – naturels et sociaux –
plutôt que de gérer les ressources en tant que telles (Cialdella et al 2010),
déconnectées de leur écosystème.
Plaine de Crau, Réserve Naturelle de
Camargue (13)
60
Ce qui se retrouve à l’échelle d’un Etatnation où ce qui peut apparaitre à certains
gestionnaires d’espaces naturels comme
84
espèce nuisible à éradiquer peut être considéré
différemment par d’autres, selon notamment
leurs options de gestion.
Conclusion partie 2
Des modes d’existence
des entités biotiques
Domaine de La Palissade, Camargue (13)
La socialisation d’entités biotiques a connu un point d’inflexion au tournant
des années 1990 avec le double décentrement opéré au sujet du rapport à la
nature. On retrouve ici les deux extensions du rapport utilitariste à la nature
(cf partie 1) : la première concerne l’instauration d’une relation avec les entités biotiques qui reste anthropocentrée mais où celles-ci ne sont pas des ressources, la seconde est relative au fait d’appréhender les entités biotiques,
non plus anthropocentriquement mais écocentriquement, au regard de leur
contribution à des dynamiques écologiques.
Les deux chapitres de cette partie visaient à explorer de ces situations où se
donne à voir un pluralisme des relations entre nature et société, avec diverses
modalités de socialisation du vivant, que ces dernières concernent des entités
biotiques (entre ressources et êtres), la biodiversité (entre réserve et norme),
ou l’association entre dynamiques naturelles et dynamiques humaines. On a
vu qu’étaient en jeu la compatibilité entre ces modalités, le rapport à l’espace
(à l’intérieur d’un même espace, ou entre espaces différents) et les modalités
de gestion du vivant (en fonction de quelles normes ? De quels objectifs ? Et
tout le vivant est-il à gérer ?). Si la fin de première partie consistait à établir
85
les rapports à la nature rencontrés jusqu’alors et apprécier le statut des entités
naturelles en chacun d’eux, je propose ici de focaliser plus directement sur
la dualité de ces entités, ressource-être, en m’attachant à les caractériser dans
une perspective relationnelle : comment se distribuent les propriétés entre
entités humaines et non humaines ? Et quels en sont les enjeux ?
Un tel point de vue invite à s’intéresser aux différentes façons dont « les
humains règlent leur ajustement avec un environnement comportant des choses,
d’autres humains et d’autres vivants non humains » (Thévenot 1994), et ce
en tenant à distance les dichotomies classiques entre sujet et objet, actif et
passif, (Latour 1994 ; Conein et al. 1993). D’où l’emploi de la notion d’agentivité (cf. focus n°4) qui s’inscrit dans une perspective théorique où le pouvoir d’agir n’est pas saisi en fonction de caractéristiques stables inhérentes
à l’individu ou au milieu, mais rapporté à une situation en développement.
Ainsi aux entités biotiques peut-il être reconnu et conféré plus ou moins
d’agentivité selon les situations où elles sont engagées. On l’a vu dans les
chapitres précédents (voir par exemple le chapitre 2 et le traitement différentiel des entités végétales au CNRGV et dans Arcad, ou encore la recherche
de l’attribution d’une agentivité maximale aux diverses composantes de la
nature dans le domaine de la Palissade au chapitre 5). Par ailleurs, E. Demeulenaere l’a mis en évidence au sujet des pratiques des acteurs du Réseau
Semences Paysannes (RSP)61.
Oiseaux présents sur le domaine de La Palissade,
Camargue (13)
61
« A l’ontologie fixiste, réductionniste,
instrumentale du vivant qu’ils décèlent chez les
acteurs de la sélection moderne, les agriculteurs
86
du RSP opposent une ontologie évolutive et holiste
des plantes, plantes auxquelles ils attribuent
d’autant plus d’agentivité qu’ils mettent en
retrait leur propre intentionnalité dans leurs
pratiques de sélection. » (Demeulenaere 2013).
Mode d'existence
où les entités biotiques
sont considérées
comme ressources
Mode d'existence
où les entités biotiques
sont considérées comme
êtres de nature
Statut de l'entité
Moyen (ressource)
Fin en soi (être de nature)
Nature de l'entité
Plutôt cultivée
Plutôt spontanée
Type de conservation
Plutôt ex situ
Plutôt in situ
Statique
Dynamique
Pas de temps
Court terme
Court, moyen et long termes
Type d'usage
Instrumental
Pluriel
Type d'approche
Individualiste
Holiste
Entités appréhendées
sous une forme
Fragmentée
Intégrale
Subordination
de nature à société
Complémentarité
Statut biodiversité
Ensemble de ressources
Dimension d'analyse, critère d'action, norme
d’évaluation
Qualification du vivant
Domestique - sauvage
Gradient d'anthropisation
Perte de l'autonomie
d'évolution (évolution contrôlée)
Valorisation de l'(auto-)adaptabilité,
de l'évolution non contrôlée
Dualiste
Solidariste
Anthropocentriste
Ecocentriste
Mise en patrimoine
Visée instrumentale
Visée plurielle
Production du vivant
Détachée des milieux naturels
Relation entre diversités biologique
et culturelle
En lien avec le système
de production
En lien avec gestion de la nature
Rapport au temps
Relation nature-société
Évolutivité du vivant
Ontologie humain-nature
Type d'éthique
Type d'acteurs
Tableau n°2 : Caractérisation des deux modes
d’existence des entités biotiques
Ceci posé, la question relative aux statuts des entités naturelles, à leur
dualité, peut ainsi être formulée : comment les propriétés qui confèrent
de l’agentivité aux entités humaines et non humaines sont-elles distribuées ? C’est à décomposer cette agentivité et à la caractériser en fonction
du statut des entités considérées que s’attèlent les lignes suivantes. Car c’est
bien cela qui est en jeu : l’instrumentalisation d’entités biotiques sous forme
de ressource est la modalité qui confère le moins d’agentivité à celles-ci
(et le plus aux humains)62. Les instrumentaliser sous une autre forme que
celle de ressource (dans une perspective écocentrée), c’est déjà leur attribuer
plus de capacités d’agir, être moins « directif » à leur égard, être dans une
moindre optique de « forçage », de coercition. Mouvement (d’attribution
d’agentivité) qui abouti à l’appréhension de ces entités comme « être » où
elles sont alors dotées de fortes capacités d’agir et d’une autonomie au regard
de leur dynamique d’évolution.
Plus précisément, quelles sont les composantes de cette agentivité ? Comment celles-ci se distribuent-elles et s’agencent-elles au sein des modalités d’existence des entités biotiques ? Le tableau ci-dessous récapitule
systématiquement et comparativement les caractéristiques des deux modes
d’existence des entités biotiques identifiés dans ce rapport : en tant que ressources et en tant qu’êtres.
62
A titre d’exemple, rappelons que, pour
désigner les « ressources génétiques », la CDB
de 1992 emploie le terme de « matériel ».
Terme usuel, comme celui de « matériau »,
dans les milieux de l’innovation variétale.
87
Chacun de ces modes d’existence exprime une agentivité « idéal-typique » au
sens où chacun procède d’une accentuation de ce qui, dans la réalité, peut
apparaitre de manière plus parcellaire, diffuse, moins contrastée63. Son intérêt est de systématiser les composantes en jeu qui confèrent un type d’agentivité donné, ressource ou être.
Est ressource une entité appréhendée comme moyen, le plus souvent cultivée et conservée ex situ, de manière fixiste, alors qu’une entité considérée
comme être de nature renvoie plutôt à une entité appréhendée comme « fin
en soi », entité spontanée, conservée in situ et dont la dynamique d’évolution est préservée64. On mesure le différentiel d’agentivité des premières aux
secondes. C’est à un usage instrumental inscrit à court terme que renvoient
les ressources : elles sont extraites de leur environnement et mobilisées à une
échelle individuelle, le plus souvent sous une forme fragmentée, le tout afin
de servir des finalités humaines (relation de subordination). Il en va autrement lorsque c’est en tant qu’être qu’elles existent et sont engagées dans des
activités : le souci de leur durabilité et la prise en compte de leur appartenance à un écosystème incitent à composer avec plusieurs échelles de temps
(à court, moyen et long termes) et sont propices à une pluralité d’usages
(différenciation des types d’utilisation qui ne sont plus seulement référencés
aux humains). De telles entités sont saisies en tant que telles (c’est-à-dire
dans leur intégrité-intégralité) et dans leur rapport à d’autres communautés
biotiques et à leur biotope, ce qui relève d’une approche holiste davantage
inscrite dans une relation de complémentarité que de subordination, où les
capacités génératives de la nature sont reconnues et prises en compte.
Ces deux modes d’existence des entités biotiques sont, de plus, liés à une
biodiversité fortement contrastée. Lorsqu’elles sont appréhendées comme
ressources, c’est la biodiversité elle-même qui est alors représentée comme
un ensemble de ressources (ce qui est le cas avec la Convention sur la Diversité Biologique et le MEA). Le vivant est conçu comme distribué au sein des
deux compartiments que sont le sauvage et le domestique, et son évolutivité
ramenée aux actions humaines (soit une évolution contrôlée). Lorsque les
entités biotiques existent en tant qu’êtres, le statut de la biodiversité y est
différent : celle-ci renvoie à une dimension d’analyse du vivant, et donne
lieu à des critères d’action et des normes d’évaluation au regard de dispositifs institués qui visent à la protéger. Aux catégories de sauvage-domestique est substitué un gradient d’anthropisation, et « l’auto-adaptabilité » du
vivant, son évolution non contrôlée, spontanée, y est valorisée. C’est donc
d’une toute autre agentivité dont il est question avec ce mode. Et ce n’est pas
tout. La prédominance de l’humain, dans le mode ressource, se donne à voir
dans l’ontologie qu’il renferme (nature et humains relèvent d’une ontologie
distincte) et dans le type d’éthique en œuvre (anthropocentriste). Conserver le vivant s’appuie sur des justifications instrumentales, en lien avec des
acteurs impliqués dans les activités de production économique, où le vivant,
détaché de son environnement naturel, est mobilisé en tant que ressource.
Lorsqu’elles sont saisies sous un rapport qui les constitue en tant qu’être,
les entités biotiques relèvent alors d’une ontologie où les phénomènes de
coproduction, de co-génèse, sont mis en avant. Ceux-ci se prolongent au
niveau de l’éthique qui y est en jeu, soucieuse de l’ensemble des membres de
la communauté biotique et du biotope où cette dernière s’inscrit. Les actions
de patrimonialisation qui y ont lieu relèvent d’une visée plurielle qui ne se
63
Cette notion d’idéal-type a été forgée par
Max Weber auquel je renvoie (Weber 1992,
p.172).
88
64
C’est effectivement en termes de tendance
qu’il convient de raisonner (« plutôt »): on a
déjà vu qu’il fallait se garder de considérer
que ce qui renvoie à des activités cultivées
mette en jeu (exclusivement) des ressources
et ce qui relève d’entités spontanées soit
systématiquement appréhendé comme êtres.
réduit pas à de l’instrumentalisme. Enfin, les acteurs investis sont soucieux
de protéger la nature, sa dynamique adaptative, sa diversité, diversité qui
n’est pas perçue « en soi » mais reliée à la diversité des pratiques culturelles qui
ont contribué à la faire advenir.
Selon les situations, les entités biotiques mobilisées peuvent emprunter à
ces deux modes d’existence : l’agentivité qui leur est ainsi conférée procède
d’un agencement de ces composantes, agencement à géométrie variable. Les
combinaisons sont multiples de par la façonnabilité des entités naturelles
capables d’une pluralité de modalités d’existence (dans leurs relations avec les
humains). C’est alors un enjeu d’instaurer et de stabiliser de telles modalités,
d’ajuster les réglages entre elles ; bref, de rendre compatible divers usages de
la nature. Si gouverner le vivant, c’est « intervenir sur ses parcours, limiter son
commerce, cadrer ses transformations, contrôler ses conditions d’existence et de
reproduction » (Lascoumes 1994, 317), alors la redistribution des propriétés
entre humains et non humains, la redéfinition des composantes de leur agentivité, la différenciation de leurs modalités d’existence, la co-existence ou la
compatibilité des deux modes d’existence des entités biotiques précédemment identifiés, tout ceci pointe vers des formes de recomposition de notre
collectif où les enjeux de gouvernement du vivant sont centraux.
Rejets industriels dans la Garonne (31)
89
Conclusion générale
Conférer des pouvoirs au vivant :
Travail politique et régulation
Vue de l’observatoire du ramier de Bigorre (31)
Dans ces lignes conclusives, je propose de synthétiser les résultats égrenés
le long du rapport, puis de frayer une réflexion sur la mise en politique du
vivant.
Des relations nature-société diversifiées
Reprise sous forme systématique et synthétique de l’argumentaire développé
précédemment :
1. L’accroissement de considérations relatives à la biodiversité, à la fois sur
le plan d’une heuristique écologique et en tant que problème appelant
des réponses en termes d’actions publiques, a engendré d’autres rapports
à l’environnement. La notion de biodiversité, engagée dans des dispositifs où elle fournit des points d’appui pour des activités de connaissance
(chapitre 1), d’action (chapitre 2), et de patrimonialisation (chapitre 3),
a permis de déborder les cadres strictement utilitaires et dualistes au sein
desquels les ressources génétiques étaient jusqu’alors gérées.
90
2. Effectivement, se donne à voir un mouvement de décentrement dans
les usages des ressources génétiques et de la biodiversité. Ces derniers ne
sont plus seulement anthropocentrés au sens fort, et instrumentaux au
sens strict, car se décentrer est générateur de nouvelles mises en relation :
Dans les dispositifs épistémiques : les enjeux d’alimentation (au regard des
évolutions démographiques, en termes de sécurité alimentaire), la complexité des interactions gène-environnement (abandon de l’ancien réductionnisme), le changement global et son lot d’incertitudes problématiques pour
les activités agricoles, sans oublier les évolutions des attentes des consommateurs, bref, tous ces éléments contribuent à opérer un décentrement dans
les usages des ressources génétiques, au sein des activités de connaissance où
les entités biologiques ne sont plus seulement appréhendées comme des ressources, mais aussi comme des être de nature, non plus seulement selon une
logique instrumentale mais également dans une logique plus écocentrée.
Dans les dispositifs d’action : l’écologisation des pratiques agricoles, les
défis posés par l’adaptation au changement climatique, et la prégnance
de nouvelles éthiques environnementales incitent à produire autrement,
en étant d’avantage soucieux de l’environnement et du bien-être animal,
entre autres choses. En ce sens ne pas tenir compte exclusivement d’intérêts
humains au sens étroit et à court terme engendre un certain décentrement.
Dans les dispositifs de patrimonialisation : avec des enjeux d’adaptabilité du vivant, de reconfiguration de liens (identitaires) entre territoire, personnes et variétés, on a vu qu’aux logiques instrumentales
se sont adossées des logiques non instrumentales et que le souci de
préserver les capacités d’adaptation des entités naturelles a conduit,
à les gérer autrement. Ce qui donne lieu à une pluralité de modalités de socialisation de la nature, modalités à conserver et transmettre.
3. Tout ceci suscite une évolution des ressources génétiques appréhendées
aux niveaux inter et intra-spécifique dans les dispositifs concernés, et
à chaque niveau de biodiversité. La génomique et autres « -omique »
modifient nos capacités de connaissance du vivant en permettant d’agir
directement au niveau du génome. Plus globalement, il est possible de
puiser dans la diversité inter et intra-spécifique pour domestiquer, sélectionner, hybrider, en intégrant de nouvelles propriétés devenues pertinentes (variétés permettant d’utiliser moins d’intrants, adaptation au
changement climatique, résistances aux maladies, etc.). A l’échelle des
écosystèmes, la gestion d’espaces naturels tient compte de dynamiques
naturelles au sein desquelles la diversité intra-spécifique a son importance, notamment au regard d’enjeux de reproduction et d’adaptabilité
(car chaque espèce dépend du devenir des autres espèces en interaction).
4. L’une des conséquences d’un tel décentrement est d’accorder plus d’autonomie, de capacités d’actions à d’autres entités qu’humaines. Sont
ainsi redistribuées les capacités d’agir entre entités humaines et non
humaines, leur agentivité. La nature n’est plus (seulement) appréhendée
dans le cadre d’une conception dualiste mais également solidariste (autre
paradigme écologiste où l’humain a sa place), et non plus exclusivement
selon une logique instrumentale où le statut des entités naturelles est
d’être des ressources pour les humains. Plusieurs rapports à la nature
sont susceptibles d’être instaurés, où de telles entités peuvent aussi être
appréhendées comme des êtres de nature dont les intérêts propres sont à
considérer au sein d’une gestion écocentrée de la nature.
91
5. De cette pluralisation des modalités d’existence des entités naturelles
et de la biodiversité, de cette multiplicité des relations nature-société, il
ressort que le terme de « ressource » ne convient pas pour désigner l’ensemble des entités naturelles. Un « instrumentalisme écocentré » (extension de l’instrumentalisme anthropocentré) et un « anthropocentrisme
récréatif » (extension de l’anthropocentrisme instrumental) ont débordé
les usages anthropocentrés et instrumentalisants qui qualifiaient le rapport utilitariste aux entités biotiques appréhendées comme « ressource ».
Ce dernier apparait comme l’une des modalités d’appréhension des entités qui composent la biodiversité, un rapport à la nature, parmi d’autres.
6. Cette évolution du rapport au vivant, au sens d’une multiplication-différenciation des relations entre nature et société, génère de nouvelles
formes (et lieux) de socialisation du vivant, de nouvelles connexions
entre processus écologiques, activités humaines et territoires où sont redistribuées les capacités d’agir entre entités humaines et non humaines,
où se recomposent leur agentivité, leurs modalités d’existence. En sus
des entités biotiques mobilisées sous forme de ressources a été identifié
et documenté un autre mode d’existence, celui où de telles entités sont
considérées et traitées comme « êtres de nature ».
7. Une telle multiplicité de relations entre écosystèmes et activités
humaines est susceptible de générer des tensions. Ne plus être au centre
du monde que l’on habite, ou tout au moins pondérer une relation
anthropocentrée à la nature par une relation écocentrée (a fortiori
quand elle n’est pas instrumentale) est effectivement une potentielle
source de conflits. Plus généralement, l’émergence de nouveaux êtres,
conjuguée à la diversification de ceux qui existaient, pose des problèmes
de coexistence, de réglage des usages et de concurrence des espaces.
92
Ci-dessus : J. Rhodes, suivi de la qualité de l’eau
dans la zone humide de Saint-Caprais (31)
Ci-dessous : prélèvement d’eau par C. Tétrel,
chargée des suivis scientifiques au domaine
de La Palissade, Camargue (13)
8. Dans les pratiques de socialisation effectives, les entités biotiques mobilisées peuvent emprunter à deux modes d’existence : en tant que ressources et en tant qu’êtres. De l’un à l’autre les rapports de ces entités
avec leur milieu et les humains sont fortement contrastés. L’agentivité
différentielle qui leur est ainsi conférée procède d’un agencement d’une
multitude de composantes, agencement à géométrie variable selon les
situations où les entités sont engagées. Les combinaisons sont multiples.
9. Cette redistribution des propriétés entre humains et non humains, ce
réagencement des composantes de leur agentivité, la différenciation des
modes d’existence qui en résulte, la co-existence ou la compatibilité de
ces modes, tout ceci pointe vers des formes de recomposition de notre
collectif où les enjeux de gouvernement du vivant sont centraux.
Une mise en politique du vivant
Maintenir en l’état les chaines productives où sont mobilisées les ressources
ou reconfigurer ces chaines en transformant le statut des entités biotiques,
en intégrant d’autres paramètres : n’est-ce pas là, énoncée à un niveau
fondamental, la dimension politique de l’enjeu à instaurer et stabiliser les
modalités d’existence d’entités biotiques ? Ces réflexions rejoignent celles de
P. Lascoumes qui, en référant à Foucault, considère que « la notion de biopouvoir peut ainsi être étendue à celle d’éco-pouvoir, dans la mesure où ce n’est
plus seulement l’espèce humaine en tant qu’organisme vivant qui est devenue
objet de politique, mais toutes les espèces et jusqu’aux micro-organismes et aux
molécules qui composent les gènes » (Lascoumes 1994, 317). Il s’agit en effet
de redistribuer les pouvoirs conférés aux entités naturelles (entre moyens
et fins, ressources et êtres). Conférer des pouvoirs à une entité (biotique,
abiotique, humaine, institutionnelle), désigner, ou constituer, les instances
légitimées à pratiquer de telles opérations, c’est là se situer au sein d’un
« travail politique » (Dodier 2003) qui est central au niveau du vivant et qui
pourtant reste le plus souvent méconnu, tant la « conception naturalisée
des ressources » (cf. focus n°1) reste prévalente et va à l’encontre de cette
reconnaissance65. Néanmoins, établir de nouvelles relations entre nature et
société suppose un tel travail (politique), ce qu’illustre le recours au droit
pour instituer ou stabiliser certaines de ces relations (Delmas-Marty 2006 ;
Coutellec, Doussan 2012).
Plusieurs aspects de ce travail politique sont à distinguer. Une même
entité peut d’abord exister sous forme d’être avant d’être mobilisée dans
d’autres activités où elle devient alors ressource (et vice-versa). C’est là
un exemple de chaine de socialisation où les entités biotiques concernées
sont duelles : à un mode d’existence en succède un autre. On a vu de ces
cas dans les chapitres 4 et 5, où une même entité peut – non seulement
successivement mais simultanément également – supporter diverses modalités d’existence, comme le peuplier noir, qui apparait comme ressource ou
être selon le type d’action, les situations, où il est engagé. Articuler les deux
modes d’existence d’entités biotiques au sein de chaines de socialisation aux
visées productive et préservatrice, c’est là un premier aspect de ce que peut
recouvrir ce travail politique.
Un second aspect consiste à rendre viable, à régler, la coexistence, d’une
part, de ressources, comme celles engagées par l’agriculture productiviste et,
d’autre part, d’entités biotiques, par exemple celles contenues dans les sols
(ou les sols eux-mêmes en terme de surface), c’est-à-dire faire en sorte que
les usages des premières ne détruisent pas les secondes. Il est aussi question
65
Puisque les actions nécessaires au
façonnement des ressources sont « invisibles »
lorsque l’on considère que les ressources
existent en soi.
93
que les usages de ces ressources ne portent pas atteinte à la capacité de résilience des écosystèmes où elles sont mobilisées (Hainzelin 2013). Ce qui
pointe là les enjeux à produire autrement (production intégrée, agro-écologie, etc.) : l’Inra est mobilisé pour produire les connaissances destinées à
accompagner cette évolution, les négociations relatives à la PAC pour 20142020 sont imprégnées de tels enjeux. Cette co-existence d’entités aux statuts
différenciés pose aussi la question de leur accessibilité. Accès à une « ressource
privée », accès à une « ressource commune », autre forme de mutualisation
intermédiaire : il est question ici de régler les modalités d’accès à des « biens »
selon une pluralité d’agencements qui va au-delà d’une logique binaire
oscillant entre usage exclusif ou libre accès généralisé (Joly 2009). « Parvenir
à une équité dans l’échange et l’exploitation des ressources biologiques » (Bellivier
et Noiville 2009, 7) est d’ailleurs l’enjeu de la mise en place d’un certain
nombre de dispositifs internationaux, comme ceux qui s’inscrivent dans la
continuité de la CDB (cf. la 10e conférence des parties à Nagoya, en 2010,
sur l’accès aux ressources et le partage des avantages) et le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation
(avec comme objectif la mutualisation du « patrimoine génétique » et des
avantages, sur ce sujet voir Halewood et al. 2013).
Un troisième aspect du travail politique, destiné à instaurer et stabiliser
une pluralité de modalités d’existence des entités biotiques, concerne plus
directement l’agentivité conférée aux composantes de la nature : il consiste
à reconnaitre à la nature des capacités génératrices, à composer avec, à intégrer ces capacités (d’adaptation, de production de diversité) et les préserver.
Cette redistribution de l’agentivité entre entités humaines et non humaines
procède d’un « double pilotage », comme le dit E. Morin : « la nature doit être
pilotée par l’homme, mais celui-ci doit à son tour être piloté par la nature. Les
deux copilotes, bien qu’hétérogènes, sont de toute façon inséparables » (Morin
1992, 73). C’est un déplacement dans la distribution des capacités d’agir, de
l’agentivité, entre entités humaines et non humaines, qui est en jeu.
94
De gauche à droite ; Vue du domaine de La
Palissade, Camargue (13) ;
Fleur sauvage en plaine de Crau, Réserve Naturelle de Camargue (13);
Agneau de quelques jours, bergerie-taurellerie
des Flandres (59).
Ces trois aspects convergent dans la prise en compte d’un temps qui intègre
les « temporalités géologiques et biologiques », soit un « temps biophysique »
(Micoud 2012) marqué par le souci de la durabilité des entités biotiques,
et plus globalement par le maintien des conditions de vie sur terre. La reproductibilité des entités biotiques à entretenir et leur adaptabilité à préserver
désignent l’espace de ce qu’une dynamique de régulation du vivant se doit
de recouvrir.
Perspectives
Pour conclure, je propose de frayer une réflexion relative aux perspectives de
régulation du vivant (non humain), en recourant notamment aux concepts
d’instrumentalité et d’agentivité.
La mise en politique du vivant, telle qu’elle se donne à voir dans les dispositifs dédiés, renvoie à deux types de justification et de mise en forme des
entités biotiques :
• l’une renvoie à l’utilitarisme classique : il faut protéger la diversité génétique car elle est requise pour nos propres besoins actuels et à venir (les
ressources y sont au premier plan). De telles justifications traversent
les dispositifs concernés, de la Convention sur la Diversité Biologique
de 1992 aux discours du Président de la République et du Premier
Ministre prononcés lors de la Conférence Environnementale des 14 et
15 septembre 2012 ;
• l’autre relève d’un souci de gestion de la biodiversité qui articule anthropocentrisme et écocentrisme avec une conception élargie des espaces
supports à de telles pratiques (ne met pas en jeu que des espaces protégés) et de la biodiversité visée (qui n’est pas que remarquable mais
aussi ordinaire). La Stratégie Nationale de la Biodiversité relève de cette
modalité, tout comme la mise en place de la future Agence Nationale
de la Biodiversité qui soulève des questions directement en relation avec
un tel souci.
Dans quelle mesure cette mise en politique joue-t-elle sur les modalités d’existence des entités biotiques concernées ? La perspective utilitariste engage les
entités sous forme de ressources et confère une agentivité aux humains sans
commune mesure avec celle accordée aux non humains. La seconde (relative
à la gestion de la biodiversité) présente une agentivité distribuée de manière
moins asymétrique entre humains et non humains, où le statut des entités
biotiques concernées peut aller de « moyen » à « être ». De l’une à l’autre sont
en jeu, d’une part, les degrés de transformation, de manipulation, d’anthropisation, in fine de formatage des entités biotiques non humaines afin de les
mobiliser dans un cours d’action humaine, et, d’autre part, les modalités de
distribution de pouvoirs entre entités humaines et non humaines.
De là il vient que la mise en politique des entités biotiques concerne leur
instrumentalité (qui impacte leur statut) et leur agentivité (qui leur confère
des pouvoirs). A l’aide de cette grille je formulerai deux types d’enjeux qui
traversent les politiques du vivant actuelles et à venir. Le premier s’inscrit
dans la continuité de la péremption de la conception minière des ressources
génétiques et intègre que le caractère renouvelable des ressources biologiques
est conditionné à une exploitation-gestion qui permette effectivement cette
reproduction et évite ainsi son épuisement. En ce sens, le changement climatique, les conséquences de l’agriculture productiviste, l’épuisement des « ressources naturelles non renouvelables » et l’érosion de la diversité biologique
95
constituent des forces de rappel dont le caractère incontournable est voué à
s’affirmer dans les temps à venir. L’utilisation durable des ressources génétiques
(qui implique que leur diversité soit préservée) ne suppose-t-elle pas une redistribution de l’agentivité entre humains et non humains ? D’où l’enjeu qui consiste
à pérenniser l’instrumentalisation des entités sous formes de ressources pour
nos propres besoins, tout en étant sensible à leur « reproduction » (qui ne
relève pas d’une production « à l’identique » mais d’une production de diversité, souhaitable au vu des incertitudes liées aux changements globaux). Ce
qui appelle diverses formes d’hybridation entre les deux modes d’existence
identifiés, ou diverses combinaisons de leurs composantes respectives.
Pour le second enjeu, convenons d’appréhender la notion d’agentivité en
subsumant ses composantes constitutives exposées dans le tableau n°2 autour
de deux dimensions : les conditions d’existence d’entités biotiques et leur
reproductibilité. Contrairement au précédent enjeu, où l’instrumentalisation des ressources posait le problème de leur agentivité, ici c’est celui de
leur agentivité qui interroge leur instrumentalité : comment conférer une forte
agentivité à des entités biotiques sans que leur utilité soit assurée ?
En focalisant sur la dimension de la reproductibilité, l’enjeu consiste à
permettre la production de diversité chez les entités cultivées (ou « domestiques »), sans pour autant que cette diversité soit directement « utile ». Le cas
des ressources génétiques végétales dédiées à l’alimentation et à l’agriculture
l’illustre. On sait que les espèces spontanées (ou « sauvages ») apparentées
sont susceptibles de fournir, à travers leurs gènes, certaines des propriétés
permettant aux espèces cultivées de s’adapter aux changements environnementaux (adaptation aux conditions climatiques, résistance à des pathogènes, etc.). On l’a abordé avec les enjeux liés à la diversité intra-spécifique
et ceux liés au « pool de géniteurs ». Or ces espèces apparentées souffrent
d’un déficit d’attention et de prise en considération de leurs conditions
de conservation et, par extension, de leurs conditions d’existence. Leur
conservation in situ est problématique (Maxted et al. 2008 ; Maxted, Kell
2009). A l’échelle internationale, c’est non seulement la mise en place « d’espaces protégés » qui est équivoque au regard des enjeux politiques et des jeux
d’acteurs qu’elle suscite (Ramousse, Salin 2007), mais également le fait que
des espaces « sanctuarisés », où l’empreinte humaine est nulle, n’existent plus.
Ce n’est pas la recherche d’espaces de cette nature qui est d’actualité, mais les
modalités de régulation d’espaces plus ou moins anthropisés. Ce qui renvoie
à la formulation de l’enjeu au regard de la seconde dimension d’agentivité
(relative aux conditions d’existence d’entités biotiques) : comment ne pas
systématiquement « anthropiser » les espaces naturels, ou le moins possible
(pour certains d’entre eux), sans empêcher aux espèces spontanées qui les
habitent de se reproduire ?
Ces enjeux interrogent la pertinence des catégories de « sauvage » et de
« domestique ». Certes, celles-ci ont été tenues à distance dans ce rapport,
mais elles ont tendance par ailleurs à être communes et considérées comme
« naturelles », comme allant de soi, alors qu’elles ont un ancrage historique et
que les réalités qu’elles désignent ont évolué. A. Micoud considère, au sujet des
animaux, que ce sont là des catégories « ultra simplificatrices et très confortables,
par le moyen desquelles nous continuons à penser le monde animal », alors que
66
Effectivement, sachant que les « animaux
sauvages de nos contrées sont ceux qui sont
et/ou qui viennent de la forêt, c’est-à-dire,
dans les sociétés rurales d’autrefois, qui ne
respectent pas les efforts que déploient les
humains pour ordonner un tant soit peu la
96
nature à leur profit », et que, « à l’inverse, on
a nommé domestiques ceux des animaux
que les hommes ont réussi à apprivoiser à
leur profit jusqu’à les admettre dans leur
maisonnée », vient une question : « à être
surveillés, comptabilisés, gérés, régulés,
prélevés… comme ils le sont tous aujourd’hui,
Libellule au ramier de Bigorre, bords de
Garonne (31)
peut-on encore attribuer à tous ces animaux
« évoluant à l’état de liberté naturelle »
ce qualificatif de « sauvage » auquel sont
normalement associées les notions de danger,
de comportement sans règle, d’ignorance de
toutes les usages ? » (Micoud 2010).
leur «utilité pratique [est] quasi nulle » (Micoud 2010)66. Car historiquement,
cette distinction entre sauvage et domestique fait référence à des espaces de
vie animale qui, si ils existaient au Moyen-âge, ont disparu de nos jours : d’où
sa proposition d’abandonner cette distinction domestique-sauvage au profit
d’une catégorisation fondée sur les utilisations du vivant animal (Micoud
1993, 2010), ces derniers allant du « vivant-personne » au « vivant-matière ».
Il est notable que, de l’une à l’autre, l’on passe d’une catégorisation référant
au spatial (domestique provient du latin domus qui désigne la maison) à une
catégorisation fondée sur des usages. Dans cette dernière, la dimension de
l’agentivité est importante car elle permet de rendre compte de capacités
d’actions distribuées entre entités humaines et non humaines.
Un gradient d’anthropisation serait à substituer aux catégories de domestique et de sauvage pour rendre compte de la place et du rôle d’entités biotiques non humaines dans notre collectif. Ou plus modestement, ce gradient permettrait de nuancer ces catégories en faisant valoir que du vivant
domestique peut relever d’une certaine agentivité (par exemple l’autonomie
d’évolution de variétés végétales en gestion dynamique) et du vivant sauvage
une moindre agentivité (par exemple certaines espèces pionnières de réserves
biologiques intégrales disparaitraient sans intervention humaine). Bref, le
degré d’agentivité joue au sein même de chacune des catégories de sauvage et
domestique et incite à nuancer l’idée que les entités cultivées (ressources et
entités domestiques) présentent une faible agentivité – puisque leurs conditions d’existence sont contrôlées par les humains, tout comme leur reproduction (elles ont perdu leurs « attributs évolutifs », pour le dire comme J.
David) – et que les entités spontanées (êtres de nature et entités sauvages)
relèvent d’une forte agentivité, puisqu’elles vivent de manière autonome et
qu’elles se reproduisent indépendamment des humains) : des entités « sauvages » peuvent avoir besoin des humains pour assurer leur reproduction, des
entités «domestiques» peuvent avoir une plus ou moins grande autonomie
au regard des humains.
Mais alors, est-ce dire que toute forme de vie sur terre est devenue plus
ou moins dépendante des actions humaines ? La diversité biologique est-elle
condamnée à apparaitre comme le résultat de pratiques de gestion ? Sans
humains pas de diversité ? Hors des pratiques de gestion point de salut (biotique) ? On devine là un réservoir où puiser nombre de justifications pour
intervenir. Affèrent ici les enjeux spatiaux d’une gestion des entités biotiques
sensible à leur diversité. La mise en politique du vivant est confrontée à
la capacité de déployer spatialement une pluralité de rapports à la nature
et d’intégrer dans son agenda l’instauration de dispositifs de protection
(de processus générateurs de diversité) dont l’utilité à court terme fait défaut.
97
98
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Annexe − Liste des personnes rencontrées
Les espèces végétales
Le peuplier
(15 entretiens ; 7 jours d’observation)
Cas 1. Peupliers noirs et habitat
•
Forêt alluviale en bords de Loire
Sur la constitution du peuplier noir en objet de recherche génétique et sur les mesures prises pour protéger
cette espèce menacée, son intégration dans la « nature ordinaire »
Entretiens : Marc Villar (chercheur, Inra), Christophe Dougé (président du Conservatoire Régional (Corela),
Nantes), Estelle N’goh (chargée de mission au Corela, Nantes) ; Emilie Général (chargée de mission au
Corela, Nantes)
Observations : visite sur terrain (la Loire) à Saumur (1j) ; séminaire du Centre de ressources de Loire nature/
sur les forêts alluviales ligériennes (0,5j/juin 2011 Saumur) ; AG Corela (3h, Nantes).
•
Zones humides en Haute-Garonne
Entretiens : Michèle Dessaivre (coordinatrice zones humides, Nature Midi Pyrénées (NMP)) ; Jacques
Rhodes (technicien zones humides, NMP), tous les deux sont salariés par l’association NMP qui s’occupe
d’opérations de réhabilitation, notamment de zones humides en bords de Garonne. Deux lieux ont été visités.
Observations : Ramiers de Toulouse (1,5j)
•
Dispositifs expérimentaux et conservatoire en pépinière (Guéméné penfao)
Entretiens : Hervé Le Bouler (directeur Guéméné) ; Olivier Forestier (technicien, Guéméné)
Observations : pépinière Guéméné (1,5j)
Cas 2. Peupliers (noirs et hybrides) et paysages
•
Basses vallées angevines, vallées de la Loire et reconversion de parcelles de peupleraies
Sur les enjeux du paysage, la reconversion de peupleraies en prairies ouvertes, la filière bois-énergie (autre
débouché possible pour la populiculture dont la diversification est un enjeu également)
Entretiens : Loïc Drouin (élu municipal Villevêque) ; Florence Foussa (élue municipale, Chalonnes),
Doc (plan de gestion, et docs conservatoire régional des rives de la Loire et ses affluents, (Corela))
•
Canal du midi et patrimoine
Sur l’épidémie subie par les platanes du canal du midi et sur les enjeux à replanter en diversifiant ou pas (avec
du peuplier noir notamment), sachant que le canal est classé patrimoine mondial par l’Unesco.
Entretiens : Emilie Collet (ingénieure environnement, Voies Navigables de France)
•
Aspects sur politique et dispositifs de conservation des ressources génétiques forestières (RGF)
Entretiens : Eric Collin (chercheur IRSTEA, CRGF) ; Christian Barthod (ingénieur, ministère écologie), puis
aussi ce qui concerne Loire et Corela (cf ci-dessus)
Observations : colloque CRGF 20 ans (1j, nov. 2011 Paris) ; colloque Aforce-Ecofor-Inra: changement
climatique et vulnérabilité des forêts (1j/nov 2011 Paris)
Cas 3. Peupliers hybrides et populiculture en vallée de la Loire
Sur l’élaboration de cultivars de peupliers hybrides en populiculture et sur la conduite de celle-ci
Entretiens : Catherine Bastien (chercheure, Inra); Patrick Blanchard (ingénieur environnement, Crpf ) et en
filigrane dans entretiens précédents
104
La betterave
(5 entretiens, 1 jour d’observation)
Cas 1. Beta vulgaris et Production sucrière: usage agricole et compétitivité économique
Sur l’innovation variétale, la génomique
et le programme AKER
Entretiens : Bruno Desprez (directeur général R&D, Florimont Desprez) ; Cyril Schweizer (chargé de mission
sucre, FranceAgrimer)
Observations : AG de la Confédération Générale des planteurs de Betteraves (CGB) (1j)
Cas 2. Complexe beta et flux de gènes
Sur les relations entre compartiments « domestique » et « sauvage », notamment sur les plans de la dynamique
des ressources génétiques et des relations spatiales trans-catégorielles (cultivé-spontané).
Entretiens : Joël Cuguen (Prof, Univ de Lille 1) ; Emilie Lanoy (ingénieure agricole, SES Vanderhave, Lot et
Garonne) ; Fernand Roque (ingénieur, resp service semences beta, FNAMS, Lot et Garonne)
Les espaces
Les espaces naturels du Nord-Pas de Calais
(7 entretiens, 4 jours d’observation)
Cas 1. RG animales et territoire : construction de filières à finalité de préservation
(avec les 5 races animales locales menacées)
Entretiens : Florent Pediana (chargé de mission sauvegarde races locales, centre rég des RG (CRRG)) ; Albert
Masurel (directeur Maison de l’élevage du nord) ; Patrick Lemaire (resp pôle cheval Trait du nord, PNR
Scarpe-Escaut) ; Amélie Marko (syndicat d’élevage cheval Trait du nord)
Observations : 1 journée (rencontre CRRG et maison de l’élevage avec éleveurs français et belges pour
actions collectives de sauvegarde des Rouge Flamande et Bleue du Nord)
Cas 2. Dispositifs de gestion des RG (végétales et animales) à l’échelle régionale
et en lien avec les PNR
Entretiens : Bernard Delahaye (directeur du CRRG du NPC) ; Gérard Duhayon (chargé de mission
environnement, PNR Scarpe-Escault) ; Pierre Levisse (chargé de mission patrimoine naturel, PNR Caps et
Marais d’Opale) ; Michèle Tixier-Boichard (directrice de recherche Inra, resp Cryobanque nationale), ainsi
que les entretiens précédents au sujet de l’organisation de la reproduction des animaux concernés)
La Camargue
(7 entretiens, 3 jours d’observation)
Cas 1. Gestion du domaine de Lapalissade
Entretiens : Jean-Christophe Briffaud (directeur du domaine) ; Claire Tetrel (chargée des suivis scientifiques
au domaine) ; Emmanuel Vialet (chargé de l’eau au domaine) ; Lydie Cazals (chargée de l’accueil du public
au domaine) ; Claude Vella (MCF géographe, président du Conseil Scientifique et Technique du domaine) ;
Jean-Marie Reissi, manadier en charge du centre équestre sur le domaine) ; Pierre Perret (apiculteur sur le
domaine)
Observations : 1j visite sur site ; 0,5j suivi scientifique sur site ; 2 réunions du syndicat de gestion du domaine
Cas 2. La démoustication, impact sur RG et tenants politiques
Entretiens : thème abordé lors des entretiens précédents avec les membres de l’équipe de gestion du domaine
Observations : 1j (séminaire de restitution des résultats du suivi expérimental sur 5 ans) et les observations
précédentes
De plus : Observations: journée d’étude FRB sur les RG animales (1j/mai 2011 paris)
105
Les plateformes
Le CNRGV (Inra, Toulouse)
(9 entretiens, 5 jours d’observation)
Cas 1. Production de ressources génomiques (fabrication, conservation, utilisation)
Entretiens : Hélène Berges (chercheure, directrice, 2 entretiens), Arnaud Bellec (resp technique) ; Sonia Vautrin
(ingénieure) ; Laetitia Hoereau (resp gestion adm et AQ) ; Stéphane Cauet et David Pujol (informaticiens)
Observations : 4j immersion au labo ; 1 jour (réunions, visites…)
Cas 2. Programmes de recherche en cours
Entretiens : Arnaud Bellec ; Sonia Vautrin ; Genséric Beydon (technicien assistant ingénieur)
Arcad (Fondation Agropolis international, Montpellier)
(7 entretiens ; 3,5 jours d’observation)
Cas 1. Production de ressources génomiques (fabrication, conservation, utilisation)
Entretiens : Jean-Louis Pham (CR Ird, coordinateur du prog Arcad) ; Jacques David (prof Supagro, resp WP
Arcad) ; Sylvain Santoni (ingénieur Inra, resp plateau technique Arcad)
Observations : 1j (APA) ; 2,5j (bilan mi-parcours Arcad)
Cas 2. Dispositifs de gestion et de mise en circulation des RG
Entretiens : Jean-Marie Prosperi (Ir Inra, 2 entretiens) ; Florent Engelmann (DR Ird, resp WP Arcad) ;
Elisabeth Arnaud (Bioversity international)
106
« La nature doit être pilotée par l’homme, mais
celui-ci doit à son tour être piloté par la nature.
Les deux copilotes, bien qu’hétérogènes, sont de
toute façon inséparables ».
Edgar Morin
Résumé
Le changement global et les menaces sur la biodiversité ont
changé, à partir des années 80, notre relation à la nature. Nous
ne la considérons plus comme exclusivement au service des
humains. Nous ne percevons plus ses ressources comme illimitées.
Jusqu’à quel point et de quelle manière notre rapport aux
ressources génétiques s’en trouve modifié ? Et avec quelles
conséquences ?
Par l’analyse sociologique d’études de cas, Fabien Milanovic
explore les pratiques impliquant aujourd’hui les ressources
génétiques (végétales et animales), dans leur rapport avec la
biodiversité. À la relation utilitariste que nous entretenons avec
la nature s’adjoignent d’autres relations, moins anthropocentrées
(parce que davantage « écocentrées ») et moins instrumentales
(parce que plus liées aux identités territoriales). Notre place au
sein de la nature est ainsi en cous de redéfinition, tout comme
notre rapport au vivant.
À propos de l’auteur Fabien Milanovic est docteur en sociologie. Inscrits dans le domaine
d’étude des sciences, ses travaux de recherche portent sur les ressources
biologiques. Il a étudié les biobanques et leurs ressources d’origine humaine
au sein d’une équipe de recherche de l’Inserm, avec en ligne de mire un
intérêt pour la socialisation du vivant et le travail de régulation qui lui est
conjoint. La présente recherche lui a donné l’occasion de déplacer sa focale
et de s’intéresser aux ressources génétiques d’origine végétale et animale en
lien avec la biodiversité, au sein de l’École Normale Supérieure de Lyon.
Il est actuellement investi dans des activités de publication où il est plus
généralement question d’une sociologie du vivant.
LES MEMBRES
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