Pourquoi donner un prix à la biodiversité ? Par Charles Figuières Donner un prix à la biodiversité évoque une logique marchande qui a mauvaise presse. Les logiques marchandes ne conduisent-elles pas aujourd’hui à la surexploitation des ressources naturelles, à la pollution, au réchauffement climatique et à l’extinction de nombreuses espèces ? Les logiques marchandes n’ont-elles pas abouti récemment, une fois de plus, à une crise majeure dont nous essayons toujours de sortir ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, donner un prix à la biodiversité pourrait permettre aux forces qui la menacent aujourd’hui d’œuvrer demain à sa protection. On compte pour cela sur deux vertus des prix : justifier et guider. Mais de quels prix parle-t-on ? Ceux produits par les marchés reflètent souvent mal, voire pas du tout, la valeur économique des choses. Il en va notamment ainsi lorsque l’objet possède les caractéristiques d’un bien public, comme c’est le cas pour la biodiversité. Si elle n’a pas de prix de marché elle a pourtant bien une valeur économique, pour de nombreuses raisons. Elle contribue à la consommation directe de biens (chasse, pêche, par exemple) et de services (loisirs, culture) ; elle participe à la production de services écosystémiques qui eux-mêmes sous-tendent en partie la production agricole ; elle est le support de valeurs de « non usage », patrimoniales, symboliques, auxquelles les hommes attachent de l’importance… Dans une étude récente, des chercheurs de l’INRA1 calculent la valeur de la contribution des insectes pollinisateurs à la production alimentaire à l'échelle mondiale : la valeur totale de ce service de pollinisation estimée sur la base des prix en vigueur en 2005 s'établit à 153 milliards d'euros. La nature nous fournit gratuitement près de 10 % de la valeur de la production agricole mondiale ! Si les prix, observés sur les marchés ou produits par l’analyse, permettent de justifier, c’est qu’ils ont quelque rapport avec la valeur. Après plusieurs siècles de débats scientifiques où se sont bousculé diverses déclinaisons de l’idée de valeur (valeur objective, valeur subjective, valeur travail, valeur d’usage, valeur d’échange), l’économie prend aujourd’hui comme point de départ les préférences des individus ou, plus précisément, la satisfaction de leurs préférences. La valeur économique résulte donc d’une interaction entre des sujets et des objets. Elle n’est ni intrinsèque, ni centrée sur les ressources de l’environnement mais anthropocentrée. Le bien-fondé d’une décision publique va dès lors s’apprécier à l’aune de ses conséquences sur la satisfaction des individus, et non sur son respect d’une règle morale ou d’une norme. Ce n’est pas une approche déontologique de la question. La valeur dépend des individus, elle est liée au contexte dans lequel ils vivent, en particulier à l’existence d’une institution à travers laquelle ils entrent en rapport avec l’objet à évaluer. Un système de prix de marché peut être une telle institution, même si ce n’est ni la seule possible, ni nécessairement la meilleure. La fiscalité peut aussi jouer ce rôle. Un prix n’est donc pas une valeur. Ce serait plutôt sa manifestation visible. La seconde vertu des prix est de guider. Donner un prix permet de renchérir les décisions indésirables et de récompenser les bonnes, d’orienter les choix, de clarifier les enjeux sociaux. L’usage des pesticides est une cause possible du déclin des pollinisateurs. Pourquoi réduire 1 Une étude de Gallai et plusieurs chercheurs publiée en 2009 dans la revue Ecological Economics les pesticides, donc la productivité ? Peut-être parce que le manque de rendement qui en résultera représentera moins de 10 % de la production mondiale. De ce point de vue, ce qu’il faut craindre pour la biodiversité par rapport aux prix, c’est moins leur présence que leur absence. Maximum : 3500 signes espaces compris. Taille actuelle : 3754 signes espaces compris.