L’Encéphale (2012) 38, 356—359 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP CAS CLINIQUE Hématome sous-dural chronique et décompensation psychotique Chronic subdural hematoma and psychotic decompensation R. Jomli ∗, Y. Zgueb , F. Nacef , S. Douki Service de psychiatrie A, hôpital Razi-Manouba, Tunis 2010, Tunisie Reçu le 4 août 2010 ; accepté le 6 juin 2011 Disponible sur Internet le 5 janvier 2012 MOTS CLÉS Hématome subdural chronique ; Psychose ; Démence ; Tomodensitométrie ; Corticoïdes KEYWORDS Chronic subdural ∗ Résumé Le diagnostic de l’hématome sous-dural chronique (HSDC) chez le sujet âgé peut être porté après des périodes d’évolution variables. Il survient suite à un traumatisme même minime, ou de manière spontanée. Les manifestations inhérentes dépendent du degré de compression cérébrale et du siège de la collection. Il peut s’agir de syndrome démentiel, de confusion mentale, de convulsions ou de manifestations psychiatriques (siège frontal). Nous rapportons le cas d’un homme âgé de 81 ans sans antécédents somatiques particuliers, sans antécédents personnels ou familiaux psychiatriques, qui en l’an 2000 a commencé à présenter des troubles du comportement, un délire de persécution et de jalousie, des hallucinations visuelles et une désinhibition sexuelle. Ce tableau psychotique s’est installé de manière très insidieuse et d’intensité fluctuante et a longtemps été toléré par l’entourage. Le patient a été admis en psychiatrie en janvier 2008 devant l’aggravation de la symptomatologie. L’exploration a confirmé le diagnostic d’hématome sous-dural chronique sans signe de compression. La mise sous corticoïdes à fortes doses sous surveillance amena une bonne évolution avec résorption progressive de l’hématome jusqu’à rétablissement complet. Il ressort de ce cas et de la revue de la littérature, que diverses manifestations psychiatriques peuvent révéler un HSDC, et que chez la personne âgée, l’imagerie cérébrale doit être systématique même pour des symptômes mineurs. La résorption quand elle est totale conduit à la disparition des symptômes psychiatriques chez la majorité des patients, mais dans d’autres cas persiste une symptomatologie résiduelle démentielle ou non. Cela demeure encore un sujet de discussion. © L’Encéphale, Paris, 2011. Summary Background. — In Tunisia, with the remarkable progress in health, life expectancy has significantly increased these last decades. Indeed, in 2004, 9.3% of the population was aged over 60, Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Jomli). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011. doi:10.1016/j.encep.2011.11.008 Hématome sous-dural chronique et décompensation psychotique hematoma; Psychosis; Dementia; Tomography; Steroids 357 and this rate is predicted to reach 17% in 2029 and about 29% by 2050. In the elderly, chronic subdural hematoma (HSDC) may be caused by even minimal trauma or occur spontaneously. The manifestations of this type of accumulation depend on the degree of cerebral compression and the localisation of the mass. They could be delirium, dementia, convulsions or psychiatric disorders (frontal location). Case report. — When the psychiatric presentation predominates, the decision to hospitalise an elderly person in a psychiatric unit is difficult and often avoided. We report the case of an 81 year-old man without history of medical condition or personal or family psychiatric history, who, in 2000, began to exhibit behavioural disorders, delusions of persecution and jealousy, visual hallucinations and sexual disinhibition. This clinical picture that set in so insidiously and in moderate intensity was long tolerated by the family circle. The patient was admitted to a psychiatric hospital in January 2008 with the worsening of the symptoms. The clinical examination and investigations confirmed the diagnosis of chronic frontoparietal subdural hematoma without compression. The decision in neurosurgery was to refrain from surgical drainage and administer high doses of steroids under supervision (clinical and biological). The evolution was good with progressive resorption of the hematoma to complete recovery. Currently, the patient is symptom free and the last CT scan on 03/11/2010 confirms the total resorption of the hematoma. Conclusion. — It appears from this case and review of the literature that various psychiatric manifestations may reveal an HSDC and that, in the elderly, neuroimaging should be systematic, even for minor symptoms. The total resorption led to the disappearance of psychiatric symptoms in most patients, but this remains a topic of discussion for patients who retain residual symptoms, even after resorption of the mass. Caution is required when faced with an elderly person suffering, and we should strive to explore all possible causes before jumping to the conclusion of the fatality of growing old. © L’Encéphale, Paris, 2011. Introduction Cas clinique En Tunisie, avec les progrès sanitaires, on assiste de plus en plus à un accroissement de la population âgée, ainsi en 2004, 9,3 % de la population était âgée de plus de 60 ans, et on prévoit un taux de 17 % en 2029, et de l’ordre de 29 % vers 2050. L’hématome sous-dural chronique (HSDC) a été décrit pour la première fois en 1857 par Virchow, et rattaché plus tard par Trotter à une origine traumatique. Il est à différencier de l’hématome sous-dural aigu, pathologie toujours traumatique du sujet jeune, survenant après un intervalle libre de 72 heures au maximum. En revanche, l’HSDC est l’apanage du sujet âgé avec une incidence qui ne cesse d’augmenter avec le vieillissement de la population. Fogelholm et Waltimo [1] rapportent une incidence de 1,72 sur 100 000 par an, et qui passe à 7,35 sur 100 000 pour la tranche d’âge de 70 à 79 ans. Les principaux facteurs de risque sont : l’âge avancé, le traumatisme, la prise d’anticoagulants, l’épilepsie et l’alcool. En Tunisie, nous n’avons pas de chiffre précis concernant l’incidence, mais le diagnostic d’HSDC est de plus en plus souvent posé avec la proximité des soins, le développement des centres d’imagerie, et la longévité de la population. Le diagnostic est facile chez une personne âgée confuse avec une notion de traumatisme ; en l’absence de cette notion, le diagnostic est bien plus difficile, surtout devant un tableau où prédominent des manifestations psychiatriques qui orienteraient plutôt vers une psychose ou un trouble de l’humeur du sujet âgé, comme tel a été le cas que nous présentons ici. Mr H.H âgé de 81 ans, marié, père d’un fils unique âgé de 45 ans, est « imam » de mosquée, et maître à l’école coranique primaire. Dans ses habitudes, on retrouve un abus de « Naffa » (tabac à priser local) qu’il consomme quotidiennement depuis 65 ans. Il est décrit comme rigide, méfiant, exigeant et bien organisé. Il n’a pas d’antécédents personnels médicochirurgicaux, et il n’a pas d’antécédents personnels ni familiaux psychiatriques. En janvier 2000, il présente une insomnie et un délire de jalousie envers son épouse ; il est vu par un psychiatre de libre pratique qui l’a mis sous bromazépam/prazépam, traitement pris pendant un an. Après une légère sédation, le tableau s’est aggravé avec l’apparition d’hallucinations visuelles au point qu’il en vint à attacher au lit son épouse âgée de 70 ans chaque nuit pour ne la détacher que le matin. Cela a duré quatre ans (2001—2005), en l’absence du fils, parti en coopération dans un pays du golfe arabe. Alerté par les voisins, il rentre et la réticence face à la psychiatrie le conduit à l’emmener voir un médecin généraliste de libre pratique qui l’a mis sous bromazépam et pyracetam, traitement pris pendant deux ans. En janvier 2008, s’installent des troubles du comportement avec déshinibition sexuelle et actes de pédophilie (attouchements des enfants). C’est le jour où il sortit dans la rue totalement nu avec un couteau à la main : menaçant de tuer sa femme et criant qu’il était prêt pour la prison, que son fils se décide de l’emmener de force à l’hôpital psychiatrique où il est admis sous contrainte. À l’examen, on trouve un patient en bon état général, souffrant d’une hypoacousie bilatérale, bien orienté dans le 358 temps et dans l’espace, sthénique, irritable ; le discours est cohérent sans troubles du jugement, exprimant un délire de jalousie et de persécution, à mécanisme interprétatif et hallucinatoire. Il niait tout état morbide (ne se plaignant que de l’insomnie) et refusait l’hospitalisation à l’hôpital psychiatrique. Le bilan biologique, l’examen neurologique et l’examen somatique n’ont pas trouvé d’anomalies. Les tests neuropsychologiques difficiles à cause de l’hypoacousie n’ont pas pu objectiver un syndrome démentiel avec certitude. La tomodensitométrie cérébrale a montré un hématome sous-dural chronique fronto-pariétal gauche mesurant 130 × 15 × 70 mm. La recherche étiologique n’a pas retrouvé la notion de traumatisme, qui est en fait difficile à retrouver, vu la durée d’évolution, ni d’alcoolisme. Le patient a été présenté en neurochirurgie et la décision fut de s’abstenir de l’acte chirurgical et de le mettre sous corticothérapie à fortes doses avec des contrôles cliniques (neurologique et psychiatrique) et biologiques chaque semaine, et par imagerie cérébrale chaque mois. La résorption totale de l’hématome a été obtenue après neuf mois de traitement. Sur le plan psychiatrique, l’évolution a été favorable avec nettoyage complet du tableau, et actuellement, le patient ne reçoit aucun traitement ; il est libre de tout symptôme (à part ce qui se rattache à sa personnalité), critique tout ce qu’il a pu manifester comme troubles du comportement et ne cesse de demander pardon à son épouse. Discussion L’HSDC est une collection sanguine entre l’arachnoïde et la dure mère. Il s’agit d’une pathologie fréquente chez les patients âgés de plus de 65 ans avec une notion d’un traumatisme crânien, retrouvée dans environ 50 % des cas. Dans une revue publiée dans Postgrad Med en 2002, une autopsie pratiquée en post-mortem chez 200 patients souffrant de pathologies psychiatriques a révélé la présence de 14 cas d’HSDC dont un seulement a été diagnostiqué du vivant du sujet [2]. Peu de cas sont rapportés dans la littérature concernant les manifestations psychiatriques, découvertes au cours des HSDC [3]. Cela soulève la problématique de déficit cognitif lié à l’âge qui peut précéder la survenue de l’hématome ou être concomitant ou qui devient très apparent après résorption. Il s’agit souvent d’une altération de l’état mental qui a été retrouvée dans 50 à 70 % des cas (anciennement classée dans les démences curables, et dans le DSM IV dans les démences dues à une affection médicochirurgicale). Ishikawa et al. trouvent dans une étude sur 26 cas d’HSDC, 18 (69,2 %) qui avaient des signes de démence en préopératoire dont neuf les ont gardés en postopératoire [4]. La confusion mentale aiguë est la manifestation la plus fréquemment retrouvée, arrivent ensuite, les troubles de l’humeur, les troubles cognitifs, les autres signes démentiels ainsi que les troubles anxieux [5,6]. Les troubles anxieux sont associés dans 75 % des cas à des symptômes de dépression majeurs ou mineurs. En effet, la fréquence de survenue d’une dépression est estimée entre 20 à 30 % [7]. Se pose aussi la difficulté de faire la part des troubles psychiatriques au sein d’un syndrome confusionnel, mais cela ne doit en aucun cas retarder la recherche d’une R. Jomli et al. origine organique avant de retenir le diagnostic de trouble mental du sujet âgé [8]. Par ailleurs, les manifestations psychotiques survenant de novo au cours de l’HSDC sont rares. Ces manifestations peuvent prendre des formes cliniques diverses à prédominance délirante (le cas de notre patient) et hallucinatoire [9,10]. Elles sont parfois associées à des manifestations épileptiques partielles ou généralisées, et favorisées par l’existence d’une atrophie corticale préexistante [11]. Le délai de l’apparition des troubles est lié à la localisation de l’HSDC et à l’importance de la compression cérébrale. La confirmation du diagnostic est souvent réalisée par tomographie, qui reste fiable, quoique certains auteurs affirment la supériorité de l’imagerie par résonance magnétique [12]. Le traitement est dans la majorité des cas chirurgical avec un taux de guérison de 80 % des cas [13]. Les facteurs prédictifs d’une bonne amélioration en postopératoire sont : l’âge jeune, l’adaptation sociale et le degré d’indépendance pour les activités de la vie quotidienne, et le score MMSE élevé ou proche de la normale en préopératoire. Dans d’autres cas, un traitement médical par corticothérapie sous surveillance peut être indiqué notamment en cas de contre-indication chirurgicale (sujet fragile, alcoolisme) ; il conduit à la résorption progressive, comme nous l’avons vu chez notre patient [13,14]. Les corticoïdes peuvent aussi être utilisés en postopératoire, et Dran et al. trouvent dans une étude sur 142 patients un effet protecteur significatif de la corticothérapie postopératoire [15]. D’après l’enquête de la Société française de neurochirurgie publiée en 2007, 38 % des neurochirurgiens français utilisent une corticothérapie en association à leur geste chirurgical [15]. Cependant, la possibilité d’une résorption spontanée en dehors de toute intervention thérapeutique et sous stricte surveillance médicale, a été aussi décrite dans environ 2 % des cas. Cette dernière est indiquée pour des hématomes partiellement résorbés et en cas de terrain précaire [16]. Dans tous les cas, la morbidité et la mortalité dues à l’HSDC ont nettement diminué et actuellement les complications sont généralement dues au terrain fragilisé des personnes âgées. Ailleurs, il peut s’agir de crises convulsives postopératoires (11 % dans l’étude de Cameron [17]) surtout chez les sujets avec des antécédents d’épilepsie, ce qui impose un traitement anticonvulsivant préventif et pendant six mois après l’acte de chirurgie. Le taux de récidive est estimé aux alentours de 8 à 37 % des cas en postopératoire dans un délai de quelques jours à quelques semaines [11]. La disparition intégrale des symptômes est largement discutée à travers la littérature. Pour certains, la restitution ad integrum des symptômes délirants a été observée ; pour d’autres, la restitution dépend de l’âge, de la durée d’évolution et du degré de l’atteinte cognitive. L’existence d’un syndrome démentiel résiduel après la résorption dépend surtout de l’altération cognitive préexistante [5], même si celle-ci était au stade non détectable ou infraclinique au départ [18,19]. Pour notre patient, bien qu’un nettoyage complet du tableau ait été observé, nous pensons que la personnalité sous-jacente a probablement participé dans l’émergence de son délire, et qu’il était plus judicieux de continuer le suivi durant une année après le rétablissement. Hématome sous-dural chronique et décompensation psychotique 359 Conclusion Chez la personne âgée, la prudence est de mise devant un tableau psychiatrique, pour ne laisser passer aucune urgence somatique. Le diagnostic de l’HSDC doit être présent à l’esprit du clinicien vu qu’il poserait le problème de diagnostic différentiel avec d’autres troubles psychiatriques ce qui compromettrait la prise en charge thérapeutique et ultérieurement le pronostic. Une démarche systématique de recherche d’une étiologie organique reste la meilleure approche devant tout signe psychiatrique, survenant d’une façon insidieuse ou aiguë. Déclaration d’intérêts [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Fogelholm R, Waltimo O. Epidemiology of chronic subdural haematoma. Acta Neurochir 1975;32:247—50. [2] Adhiyaman V, Asghar M, Ganeshram KN, et al. Chronic subdural haematoma in the elderly. Postgrad Med J 2002;78:71—5. [3] Inagaki T, Shimitzu Y, Tsubouchi K, et al. Troubles psychiques des personnes âgées. EMC-Psychiatrie 2005;2(4):259—81. [4] Ishikawa E, Yanaka K, Sugimoto K, et al. 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